Le chercheur et le praticien que l’insertion professionnelle des jeunes intéresse tireront profit de ces deux livres somme toute complémentaires. Le premier livre, Regard sur … Les jeunes et le travail, est dirigé par Sylvain Bourdon et Mircea Vultur. Ces derniers ont choisi de traiter la question du travail des jeunes dans les sociétés occidentales contemporaines. Les contributions qu’ils ont rassemblées donnent à voir la complexité du lien entre la jeunesse et le travail que les transformations structurelles rendent irréductible à un cadre circonscrit d’activités rémunérées. En effet, les changements dans la structure du marché du travail jumelés à l’évolution des emplois induisent des effets directs sur la famille et l’école. Dans le premier cas, l’accès à l’emploi est conditionné aux relations intergénérationnelles qui jouent à plein la solidarité et la proximité affective, a fortiori lorsque l’entrée dans la vie professionnelle suppose le départ du domicile des parents, voire de la région de naissance. Dans le second cas, les effets se repèrent ex ante et ex post. D’une part, l’interruption des études secondaires grève plus lourdement que par le passé l’embauche. D’autre part, le contrat proposé aux jeunes ayant quitté l’école sans diplôme concerne surtout des emplois instables et faiblement rémunérés. Toujours en lien avec l’école, l’articulation de la formation à l’emploi n’a pas perdu de son acuité depuis que Lucie Tanguy l’avait qualifiée d’introuvable. Mais c’est sans doute là l’originalité du second livre d’aborder la formation de manière plus diachronique. Après avoir lu ces deux ouvrages, une première remarque s’impose : l’analyse des effets des nouvelles formes de travail sur la subjectivité des jeunes est, sinon absente, du moins minorée. Or, le durcissement des conditions de travail pour les emplois peu ou pas qualifiés ou bien encore la gestion à la fois plus souple et plus sournoise des personnes dans les emplois à responsabilité contribuent à la coloration de l’expérience du travail comme une activité pénible pour les uns, stressante pour les autres. Quand elle ne soumet pas les jeunes à des rythmes de travail flexibles ou dérégulés, l’entrée dans le monde du travail les soumet à un management où l’appel à l’initiative et à la réactivité est constant. Les injonctions à l’implication au travail peuvent être insupportables à vivre, d’autant plus qu’elles imputent au salarié (jeune ou âgé d’ailleurs) la responsabilité de ses actes, donc de ses échecs. Un autre aspect doit être souligné : la diversité des trajectoires scolaires des jeunes et la multiplicité des contrats d’embauche conduisent à une perte d’homogénéité des statuts au sein d’une même organisation : un jeune recruté en contrat à durée indéterminée (permanence dans la stabilité) travaille aux côtés d’un jeune en contrat à durée déterminée ou en situation d’intérimaire (permanence dans la précarité). Cette hétérogénéité rend difficile l’acquisition d’une identité au travail commune. Elle atomise les relations professionnelles, brisant ainsi les formes collectives de travail. Elle est un obstacle à la socialisation professionnelle (assurée en partie par les plus anciens qui transmettent leur savoir-faire et élaborent des rites d’intégration) par laquelle s’éprouve le sentiment d’appartenance à un groupe et s’élabore les manières de parler de son travail, de relater son parcours et de profiler l’avenir, d’opérer le passage entre l’identité héritée et l’identité visée. Ces aspects détériorent l’ambiance au travail, amenuisent la confiance et généralisent la méfiance. Par ailleurs, certains jeunes sont exposés plus que d’autres à ce que Robert Castel nomme l’effritement de la classe salariale. Cet effritement, qui est plus visible dans les secteurs d’activités précaires, provoque en retour un sentiment d’insécurité d’autant plus lourde qu’elle se diffuse dans d’autres sphères : insécurité économique, insécurité sociale, …
Sylvain Bourdon et Mircea Vultur (dirs), Regard sur… Les jeunes et le travail, Québec, Les Presses de l’Université Laval, Éditions de l’IQRC, 2007, 308 p. (Analyses et Essais.)Kamel Beji et Geneviève Fournier (dirs), De l’insertion à l’intégration socioprofessionnelle : rôles et enjeux de la formation initiale et de la formation continue, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2006, 168 p. (Trajectoires professionnelles et marché du travail contemporain.)[Notice]
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Joël Zaffran
Lapsac,
Université de Bordeaux II (France).