Notes critiques

La nation est là pour resterJean-François Lessard, L’état de la nation, Montréal, Liber, 2007, 121 p.[Notice]

  • Michel Seymour

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  • Michel Seymour
    Faculté de philosophie,
    Université de Montréal.

Dans son ouvrage L’état de la nation, Jean-François Lessard poursuit deux objectifs : il cherche à montrer que la nation subit à notre époque une « périphérisation politique », et il cherche à évaluer les conséquences de cette périphérisation. Dans le but de bien saisir l’ampleur du phénomène, il s’attarde sur les dynamiques nouvelles de déstructuration de l’État (ch. 1), sur la fragmentation de la nation (ch. 2), sur les avantages nationaux (ch. 3) ainsi que sur les particularismes (ch. 4). Il se demande enfin quel est l’avenir de la nation (ch. 5). Après avoir établi un diagnostic plutôt pessimiste, on se serait attendu à une conclusion tout aussi pessimiste annonçant le déclin définitif de l’idée de nation, voire sa disparition pure et simple. Mais de façon étonnante, sa conclusion va dans le sens contraire. Il soutient que la nation est là pour rester et que son rôle peut et doit demeurer fondamental. C’est ce retournement qui confère une certaine originalité au livre et que je veux commenter dans cette brève recension. La question qu’il faut se poser est la suivante : comment peut-on passer du diagnostic établi par l’auteur aux conclusions qui sont les siennes ? Pour ma part, je ferai l’hypothèse que la conclusion est juste et que les prémisses sont erronées. C’est de cette façon que doit être à mon avis résolu le paradoxe engendré par le retournement argumentatif surprenant accompli par l’auteur. Il faut tout d’abord se pencher sur la définition que Lessard donne du terme « nation ». Il s’agit selon lui d’une sorte d’imaginaire national, c’est-à-dire d’une autoreprésentation ethnique qui, à l’origine, se présentait comme homogène dans son contenu même si, déjà à cette l’époque, la nation était en fait plurielle. Disons-le d’emblée : en ce sens de l’expression, je m’accorde pleinement avec l’auteur pour diagnostiquer la fragmentation, l’effritement et l’affaiblissement de l’idée de nation. Si l’on excepte certaines nations autochtones, la nation ethniquement homogène n’a jamais été autre chose qu’une lubie entretenue par une élite appartenant au groupe dominant. Si elle s’est présentée à certains comme ethniquement homogène, c’est à cause du rapport de domination victorieux imposé par le groupe ethnique majoritaire. Il est certain que la nation ainsi comprise est une espèce en voie de disparition. Dit autrement, l’alliance entre l’État et la nation homogène est dépassée (p. 97-98). L’auteur a raison d’envisager une autre façon de penser la nation, ce qui lui permet en conclusion de revenir à la charge pour affirmer haut et fort l’importance du lien identitaire national. C’est bien entendu une façon toute naturelle de résoudre la tension entre les prémisses pessimistes et la conclusion optimiste de l’auteur, et je suppose que c’est la réponse qu’il donnerait à quiconque soulèverait l’apparent paradoxe qui surgit entre les quatre premiers chapitres et le chapitre de conclusion. La nation homogène ne se défend plus comme idée, mais la nation plurielle est toujours à l’ordre du jour. Cette résolution du paradoxe demeure toutefois insatisfaisante, parce que les dommages constatés par Lessard à l’encontre de l’idée de nation semblent concerner toute idée de nation, et non seulement la nation ethniquement homogène. C’est pourquoi je pense que la tension persiste et qu’elle n’est pas aisément résolue par la seule admission de la nation plurielle. L’auteur fait tout d’abord état des flux internationaux financiers et économiques. Ceux-ci se traduisent par un affaiblissement des pouvoirs des États. Or, un très grand nombre d’États sont concernés ici, et non seulement ceux qui seraient formés d’une seule nation. Pour les nations qui sont dotées d’un État souverain, l’affaiblissement de l’État équivaut à l’affaiblissement de la nation. Mais …

Parties annexes