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Cet ouvrage porte sur les innovations sociales dans le travail et l’emploi, notamment les nouvelles pratiques et règles liées à la coordination des acteurs et à la résolution de problèmes socioéconomiques. Analyses quantitatives, études de cas et réflexions théoriques font cheminer le lecteur vers une théorie de l’innovation sociale, définie comme étant « la coordination des relations entre les acteurs sociaux et la résolution de problèmes socio-économiques en vue d’une amélioration des performances » (p. 2). La première partie de l’ouvrage traite de nouveaux modèles de travail. Lapointe, Cucumel, Bélanger et Lévesque s’intéressent aux innovations sociales dans le secteur manufacturier introduites pour surmonter la crise des années 1970 au Québec et leur recherche s’insère dans le débat entourant la démocratie salariale versus le modèle tayloriste-fordiste. Les auteurs sont d’avis que les nouveaux modèles de travail sont appelés à remplacer le fordisme et que « la participation apparaît vraiment comme l’élément de démarcation par rapport au taylorisme » (p. 12). Ainsi, pour dépasser le fordisme, il faut que la participation et le partenariat fassent partie intégrante des dimensions organisationnelle et institutionnelle de l’entreprise. Les auteurs construisent quatre modèles conceptuels selon l’absence ou la présence de participation et de partenariat : d’abord le fordisme et la démocratie salariale, qui sont à l’opposé, et ensuite, deux modèles intermédiaires, le partenariat sans participation et la participation sans partenariat. Les auteurs ont effectué un sondage auprès de représentants patronaux et syndicaux d’entreprises manufacturières de plus de 50 employés au Québec. Le modèle traditionnel se retrouve dans environ la moitié des usines sondées, le partenariat sans participation dans 15 à 30 %, la participation sans partenariat pour 10 % et la démocratie salariale, pour 15 à 20 %. On apprend aussi que les pratiques de gestion des ressources humaines sont présentes à des pourcentages variables, mais toujours plus élevées dans le modèle de démocratie salariale. Les auteurs concluent qu’ils considèrent cette recherche importante parce que le modèle de démocratie salariale affiche des résultats supérieurs dans presque toutes les dimensions étudiées. Cependant, il est faiblement diffusé, entre autres parce que les actionnaires veulent des résultats à court terme alors que la mise en place de ce modèle demande des investissements, de la formation, de l’autonomie locale devant la centralisation croissante. Ross, Legault et Cloutier présentent des données empiriques sur la prévalence réelle de la négociation basée sur les intérêts (NBI) ou négociation raisonnée dans le monde québécois des relations de travail ; ils analysent également l’influence du porte-parole dans la façon dont sont menées les négociations et ils résument les similitudes entre le système québécois et la situation américaine. Les porte-parole syndicaux sont davantage portés à utiliser la NBI que leurs vis-à-vis patronaux et au sein des deux groupes, le fait de détenir un diplôme universitaire est un incitatif favorable envers la négociation raisonnée. L’utilisation de la méthode n’égale pas confiance totale en celle-ci. De plus, les représentants patronaux et syndicaux ont une expérience divergente de la NBI : malgré que la partie syndicale sondée ici ait plus d’expérience d’utilisation de la négociation raisonnée, ce sont les patrons qui la préconisent davantage. Ces attitudes et comportements significativement différents face à la NBI ne sont pas sans causer des tensions qui compliquent la négociation.
Paquet et Gaétan s’intéressent plus globalement à l’innovation dans le monde du travail. Celle-ci va au-delà d’une simple modification à une règle de travail ou à une clause de convention collective et elle fait appel à de nouvelles façons de faire des acteurs en place. Ils s’interrogent sur le rapport entre l’utilisation de la NBI et la conclusion d’ententes plus favorables aux deux parties ainsi que sur la prévalence de meilleures relations de travail plus efficaces. Les résultats montrent que les organisations utilisant la NBI accordent plus d’importance aux clauses qui ont une incidence sur les relations entre les parties et que la NBI produit moins de gains syndicaux, plus de concessions syndicales, mais plus de gains mutuels. « La NBI génère effectivement un peu plus de changements, davantage de gains mutuels et beaucoup plus d’innovations que la négociation collective » (p. 86). Les auteurs concluent que l’innovation est donc possible dans les relations de travail mais qu’il faut garder à l’esprit qu’elles sont, de par leur nature même, conflictuelles.
Le quatrième chapitre, signé Harrisson et Laplante, traite de la relation de confiance existant ou non entre les représentants syndicaux et les gestionnaires d’une même organisation. Les auteurs présentent la confiance comme une prémisse essentielle à l’innovation qui a besoin pour prendre place dans les organisations de la circulation de connaissances nouvelles. Mais le contexte est d’une grande importance dans la construction de la confiance en situation de relations de travail. Les circonstances peuvent être défavorables, même si les personnes en place sont crédibles, et c’est surtout dans des contextes défavorables que la confiance entre acteurs rivaux est indispensable.
Lapointe s’intéresse au fait que, malgré les performances économiques et sociales associées aux innovations sociales dans les entreprises, celles-ci sont peu diffusées. Cet état de fait l’amène à se questionner sur la nature des tensions qui fragilisent la pérennité de la participation et du partenariat en milieu de travail, ainsi que sur les obstacles qui s’opposent à leur diffusion. L’auteur fait ressortir une trajectoire des innovations sociales dans deux usines où on met en place la participation et le partenariat pour résoudre une crise sans changer de modèle de développement. Les tensions s’installent et les innovations sont abandonnées ou mises en veilleuse et il conclut à la nécessité de la correspondance et de la réciprocité entre un modèle de travail et un modèle de développement. Démocratie salariale et néo-libéralisme ne font pas bon ménage : le modèle de développement doit être en harmonie avec le modèle de travail pour atteindre la pérennité.
La seconde partie de l’ouvrage traite des nouveaux aspects du travail et de l’emploi. Briand et Bellemare s’intéressent à la flexibilité dans une organisation postbureaucratique. Avec l’étude du Centre de recherches pour le développement international (CRDI), ils s’attardent aux différentes transformations subies à partir des caractéristiques de l’organisation postbureaucratique pour questionner la notion de flexibilité. Ils concluent que la réforme n’a pas été un succès « parce qu’elle a été consacrée à rendre le Centre conforme à des exigences externes, pas forcément rattachées aux intérêts des bénéficiaires en adoptant des solutions étrangères à la culture du centre et un discours tout aussi étranger » (p. 173). Le septième chapitre, signé Briand, Bellemare et Gravel, soulève un intérêt particulier. Les auteurs s’y intéressent à l’institutionnalisation des services de garde au Québec, sous l’angle des gains et des pertes encourus. À la fin des années 1990, la reconnaissance gouvernementale de l’économie sociale et la création d’un réseau de centres de la petite enfance (CPE) accentuent le contrôle exercé par le Ministère de la Famille et de l’Enfance (MFE). Certaines pratiques freinent l’autonomie des CPE, mais cependant le MFE ne peut prendre toute la place ; il y a donc contraintes et opportunités pour les deux parties. D’Amours s’intéresse ensuite à une forme de travail atypique : les journalistes indépendants dans le domaine de la presse écrite périodique. Au lieu de voir cette situation comme la manifestation de la perte d’efficacité des formes institutionnelles de régulation du travail, elle étudie les modalités formelles et informelles de régulation qui se mettent en place. L’auteure reprend l’idée de Boltanski et Chiapello « que les marchés du travail indépendant ?…] possèdent leurs propres modalités de régulation ?…] » (p. 212).
La troisième et dernière partie de l’ouvrage développe un cadre conceptuel. Gislain propose une définition de l’innovation sociale selon l’institutionnalisme pragmatiste, un cadre d’analyse complexe permettant de différencier l’innovation sociale de l’innovation technique. Pour lui, il importe d’abord de partir de l’idée que l’innovation sociale est un processus social. Enfin, le dernier chapitre de Bellemare et Briand propose un complément de nature analytique à la définition descriptive de l’innovation sociale. La théorie de la structuration présentée ici permet d’avoir une vision nouvelle du fonctionnement de l’entreprise et des pratiques de gestion.
En terminant, soulignons qu’il s’agit d’un ouvrage sur les innovations sociales dans le travail et l’emploi qui s’appuie sur la réalisation de nombreuses recherches. À cet égard, il propose un nouveau corpus de connaissances, de même que l’amorce d’une réflexion conceptuelle plus spécifique sur les caractéristiques de l’innovation sociale. À lire !