Comptes rendus

Martin Petitclerc, Nous protégeons l’infortune. Les origines populaires de l’économie sociale au Québec, Montréal, VLB Éditeur, 2007, 280 p.[Notice]

  • Benoît Lévesque

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  • Benoît Lévesque
    Professeur associé,
    École nationale d’administration publique,
    et Université du Québec à Montréal.

Pour tous ceux qui s’intéressent à l’origine de l’économie sociale et aux initiatives ouvrières dans leurs rapports aux élites traditionnelles, la lecture de cet ouvrage s’impose. À partir d’une étude en profondeur des sociétés de secours mutuels du XIXe siècle, un objet négligé parce qu’apparemment sans grande importance et trop difficile en raison de la dispersion des sources d’information, Martin Petitclerc apporte un éclairage nouveau sur des objets pourtant bien étudiés comme celui des origines du syndicalisme et du rôle de l’Église dans l’émergence des associations. Résultat d’une thèse de doctorat en histoire, cette étude s’appuie sur des sources manuscrites et imprimées, sans négliger pour autant l’historiographie concernant la mutualité et la sociologie économique pour l’analyse, notamment Polanyi et Granovetter pour l’encastrement social, Coleman et Putnam pour le capital social. Si les sociétés de secours ont émergé au début du XIXe siècle et même avant comme en témoigne la fondation en 1789 de la Quebec Provident, Benevolent and Friendly Society, leur développement ne sera continu qu’à partir de 1850. Environ 250 sociétés ont été fondées au cours de ce siècle, même si seulement 106 étaient en activité en 1910 dont 53 d’entre elles fondées avant 1890. Malgré le déclin de leur nombre au profit de la mutualité scientifique et des compagnies d’assurances, cette recherche évalue à 150 000 le nombre de mutualistes en 1910, soit « au moins 35 % des hommes adultes vivant en milieu urbain », et la proportion aurait été supérieure à Montréal. Pour cette période, on peut donc parler d’une « mystique de l’association », d’un mouvement de la mutualité. Parmi les caractéristiques de ces sociétés, relevons d’abord qu’elles résultent de l’initiative quasi exclusive des ouvriers et d’artisans des milieux urbains, d’où leur refus d’admettre comme membres les marchands, les professions libérales et les membres du clergé (même si elles étaient confessionnelles). Pour affronter le chômage, la maladie, les accidents, l’invalidité ou la vieillesse, elles fournissent à la fois une aide financière, que rend possible une faible cotisation mensuelle, et un soutien moral qu’assurent la visite des malades, la participation aux funérailles à la suite du décès d’un des associés, sans oublier de nombreuses activités culturelles ou de loisir visant à renforcer les liens sociaux. Ces sociétés se démarquent très fortement des organisations mises sur pied par les élites traditionnelles qui visaient à discipliner les classes populaires en y développant la prévoyance sociale (banques populaires d’épargne, assurances, assistance) comme le proposait Frédéric LePlay dont l’influence s’est imposée principalement dans le dernier tiers de ce siècle. En somme, elles ne sauraient être confondues ni avec la mutualité patronnée, ni avec la mutualité scientifique. Cette étude montre bien que ces sociétés de secours mutuels partagent de nombreux traits de ce que plusieurs appellent aujourd’hui l’économie solidaire ou la « nouvelle économie sociale ». Ainsi, elles innovent par leurs pratiques démocratiques misant sur la participation et la délibération, d’où une forte valorisation des assemblées générales et l’adoption de règles favorisant l’expression et l’écoute. En constituant une « famille fictive », ces sociétés permettent l’encastrement des activités « économiques » dans une « culture d’entraide fraternelle », d’où une cotisation uniforme plutôt que graduée en fonction du risque. Comme membre d’une association volontaire et égalitaire, la personne dans le besoin est en droit d’être secourue, à la différence de l’assistance que procuraient les organismes philanthropiques d’alors. De plus, comme elles sont fortement ancrées dans les collectivités locales et qu’elles misent sur les relations de proximité, ces sociétés refusent de se fédérer (relations verticales) tout en encourageant entre elles des relations horizontales de réciprocité comme on peut l’observer …