Comptes rendus

Pierre Hébert, Yves Lever et Kenneth Landry,Dictionnaire de la censure au Québec. Littérature et cinéma, Montréal, Fides, 2006, 715 p.[Notice]

  • Martine-Emmanuelle Lapointe

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  • Martine-Emmanuelle Lapointe
    Département d’études françaises,
    Simon Fraser University.

« Censure ». Lourd de sens, ce mot n’est pas sans évoquer un certain imaginaire, il emprunte la forme d’un complexe amalgame d’impressions et de préjugés et il convoque en vrac les idées de sanction, de proscription et de contrôle. Telle Anastasie, représentée par le caricaturiste français André Gill en 1874, la censure se présenterait sous les traits d’une marâtre aux doigts crochus armée de ciseaux aussi aveugles et démesurés que ses valeurs morales. Qui plus est, comme le remarquent au passage plusieurs auteurs de manuels et d’histoires littéraires portant sur la culture canadienne-française et québécoise, la censure aurait la fâcheuse tendance à se réfugier dans un lointain passé, entre 1840 et 1960 le plus souvent, et s’acoquinerait avec les représentants les plus conservateurs des pouvoirs religieux et politiques. Bref, la censure dégagerait un parfum suranné et ne concernerait plus ou presque les productions culturelles contemporaines. Ces préjugés, malheureusement tenaces, sont certes ébranlés à la lecture des récents travaux portant sur la censure au Québec. Dans la « Présentation » du numéro La censure 1920-1960 (1998) de la revue Voix & Images, Pierre Hébert écrivait à juste titre : « Mais c’est évidemment un leurre que de croire à la disparition de la censure avec la fin de l’hégémonie catholique. Ce qui caractérise notre époque, c’est le passage d’une censure affichée et légitimée à une autre aux contours moins définis, mais à la présence tout aussi réelle » (numéro 68, p. 221). Fruit d’un travail de recherche de quinze années, le Dictionnaire de la censure au Québec. Littérature et cinéma présente une relecture exhaustive et rigoureuse de l’histoire de la censure et tend par le fait même à nuancer une vision parfois trop stéréotypée de l’évolution des idées et de la culture au Québec. L’ouvrage s’inscrit dans la mouvance des recherches menées par Pierre Hébert depuis la fin des années 1990, lesquelles donnèrent lieu à la publication des livres Censure et littérature au Québec : Le livre crucifié, 1625-1919 (1997) et Censure et littérature au Québec. Des vieux couvents au plaisir de vivre – 1920-1959 (2004). Premier ouvrage du genre à paraître au Québec, le Dictionnaire couvre les principaux champs de la vie culturelle québécoise, le cinéma et la littérature bien sûr, mais aussi, quoique de manière moins systématique, les beaux-arts, la danse, la chanson et le théâtre. Le projet réunit de nombreux collaborateurs issus des disciplines de la littérature, du cinéma, de l’histoire, du droit, des communications, des sciences de l’information et des sciences politiques. L’ouvrage comprend une introduction, un bref historique de la censure permettant de replacer dans leur contexte les principaux cas analysés, une chronologie détaillée ainsi qu’un index thématique. Claire et bien documentée, l’introduction situe l’ouvrage dans le champ des études universitaires, présente le corpus et justifie les inclusions et les exclusions. Cependant, les auteurs y conceptualisent peu leur objet d’étude et d’analyse. Ils indiquent par exemple que « s’il fallait ajouter un adjectif au titre de l’ouvrage afin de mieux saisir l’esprit qui a guidé les responsables de ce dictionnaire, ce serait celui de “Dictionnaire culturel de la censure au Québec”, c’est-à-dire l’analyse d’un ensemble de cas qui ont eu une signification, un retentissement dans la vie collective » (p. 13), mais n’insistent pas davantage sur l’importance d’un tel phénomène dans la vie culturelle d’une communauté donnée. Les rédacteurs n’évoquent guère les différences qui ont pu s’imposer entre la censure pratiquée au Canada anglais, en Amérique du Nord et en Europe et ils ne s’attardent pas plus à l’impact des politiques censoriales sur la construction d’une certaine conception de la culture québécoise. Les différentes …