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Dans son essai, Jean-Claude Hébert présente quelques-unes de ses réflexions issues de son expérience d’avocat criminaliste sur l’administration de la justice. Cinq thématiques distinctes y sont abordées en autant de chapitre. Le premier chapitre, Le poids politique des juges, s’intéresse à la montée du pouvoir politique des juges depuis l’adoption des différentes chartes des droits de la personne. À l’aide de nombreux exemples puisés dans l’actualité, l’auteur montre comment les juges se sont progressivement immiscés dans les débats politiques, rendant la séparation des pouvoirs, pourtant nécessaire dans nos démocraties, parfois ténue. Un seul bémol à cette belle réflexion : la position frileuse de l’auteur lorsqu’il s’agit de critiquer la judiciarisation du politique au Canada, comparativement à celle qu’il porte à l’endroit du système états-unien par exemple. Il est en outre étonnant de constater qu’aucune allusion ne soit faite à l’ouvrage de Mandel, La Charte des droits et libertés et la judiciarisation des politiques au Canada (1996), qui porte pourtant explicitement sur cette question. Il aurait été intéressant de savoir où se situe ce criminaliste par rapport à la position bien tranchée de ce dernier.
Le deuxième chapitre porte sur les interactions entre les médias et le milieu judiciaire, notamment le rôle des médias dans la construction de l’opinion publique et son influence sur l’administration de la justice. L’auteur en profite pour critiquer le traitement médiatique du « crime », qui préconise l’instantané et les réactions à chaud au détriment d’analyses approfondies, où « la grande visibilité de la loi pénale, ses effets immédiats menaçants et sa simplification manichéenne – innocent ou coupable, aplanissent les complexités » (p. 105). Hébert n’hésite également pas à rappeler les problèmes éthiques que pose la médiatisation des procès à l’égard du principe fondamental de présomption d’innocence dans le droit canadien. Hébert aborde ensuite plusieurs facettes du procès pénal suggérant que la vérité juridique n’est que parcelle de vérité. « La chose jugée, dira-t-il, n’est pas la vérité ; elle est seulement tenue pour vraie » (p. 129). Il devient alors plus facile de saisir le difficile équilibre qui doit être maintenu dans notre système de justice pénal entre la protection de la société (et ses citoyens) d’une part, et la protection des citoyens face aux nombreux pouvoirs discrétionnaires dont disposent les agents de l’État d’autre part. En outre, l’auteur clarifie pourquoi les juges se doivent parfois d’éliminer des éléments de preuve au nom du respect de certaines valeurs fondamentales ou privilèges légaux (par exemple le droit au silence ou le principe de non-incrimination, etc.). La question au coeur du dernier chapitre, Le gardien des juges, est la suivante : « qui juge les juges ? » De la nomination des juges aux principes déontologiques qui les guident et encadrent leur travail, Hébert met en lumière plusieurs éléments entourant les règles de la magistrature, notamment les causes pouvant conduire à la destitution. Très pédagogique, ce chapitre me semble l’un des points forts de l’ouvrage. Dommage que l’auteur n’ait pas mis en perspective le travail de la magistrature canadienne en la comparant avec celle de la France ou des États-Unis, comme ce fut le cas dans le premier chapitre.
L’auteur termine son ouvrage par l’examen du rôle et des caractéristiques du jury, mais une véritable conclusion, synthèse de l’ensemble du propos, aurait été la bienvenue. Compte tenu de la densité du propos malgré son objectif de vulgarisation, cet ouvrage fort réussi intéressera certainement davantage les lecteurs avertis que les néophytes.