Dans son ouvrage très fouillé, Patrice Corriveau jette un regard panoramique sur l’histoire de la répression des moeurs homoérotiques au Québec et en France de 1670 à nos jours. De la sévère condamnation de la sodomie, héritée du Moyen Âge, jusqu’aux changements législatifs des dernières décennies, la logique répressive cède la place à la dépénalisation, à la protection judiciaire et à la reconnaissance des unions de même sexe, y compris par le mariage civil. À travers l’analyse des modifications législatives, l’auteur s’intéresse au processus de construction de la déviance : quels groupes et quels discours imposent leur conception du crime et leur manière de prendre en charge ceux qui le commettent ? Le premier chapitre survole la période s’étendant de l’Antiquité gréco-romaine à la Renaissance, pendant laquelle les catégories et les modes de régulation de la sexualité se transforment complètement. Corriveau y présente les interprétations divergentes quant au rôle du christianisme dans la montée de l’intolérance envers l’homoérotisme. Quoi qu’il en soit, la mise en application des interdits sexuels permet aux autorités, tant ecclésiastiques que civiles, d’accroître leur pouvoir aux dépens des sodomites assimilés aux ennemis, aux hérétiques ou tenus responsables des pires fléaux. L’auteur présente ensuite son étude comparative de l’évolution subséquente dans deux sociétés semblables par leurs racines culturelles, mais dont les systèmes juridiques se sont différenciés au fil des siècles. Le chapitre 2 relève les similitudes entre la France et sa province d’outre-mer : fondée sur les discours religieux, la condamnation de la sodomie s’accompagne d’une peine d’autant plus sévère qu’elle transgresserait la nature et donc l’ordre divin. Cependant, les poursuites demeurent rares et surviennent lorsque s’ajoutent au délit sexuel d’autres crimes violents, dans lesquels cas l’application d’un châtiment exemplaire contribue à démoniser l’image du sodomite. L’écart entre la sévérité doctrinale et l’application des règles juridiques relève aussi de la nécessité de taire, d’étouffer ce crime doublement innommable : pour le sentiment d’horreur qu’il soulève, mais également pour les péchés que risque d’inspirer sa mention explicite. C’est ce qui expliquerait l’empressement des autorités religieuses de la Nouvelle-France à plaider pour une relative clémence envers le premier accusé en 1648 et à privilégier la voie du confessionnal pour sanctionner les fautifs. L’approche comparative se révèle particulièrement intéressante au chapitre 3, alors que les différences s’accentuent entre le Québec et la France tant sur le plan doctrinal que dans la place respective des institutions chargées de la répression. Pour la colonie, la Conquête britannique de 1760 entraîne l’imposition puis l’importation du système criminel anglais qui pénalise durement les moeurs homoérotiques. À partir du milieu du XIXe siècle, l’Église catholique accentue son influence sur le plan idéologique et accroît ses pouvoirs d’encadrement de la population. Du côté de la France, le Code pénal est expurgé de toute référence religieuse à la suite de la Révolution et limite l’intervention judiciaire en matière de sexualité à la sphère publique ainsi qu’aux actes violents ou abusifs. D’abord mise au service de la justice pénale, qui constitue la pièce maîtresse du dispositif de régulation sexuelle, la médecine développe peu à peu son propre arsenal de contrôle en élaborant sa taxonomie des pervers sexuels et en proposant des traitements curatifs. Les deux sociétés se rapprochent de nouveau au XXe siècle. Alors que les peines s’adoucissent dans la législation canadienne, la pratique judiciaire au Québec cible les crimes commis dans les endroits publics et s’émancipe lentement de l’emprise religieuse. Des deux côtés de l’Atlantique, la répression pénale s’intensifie pendant les périodes de crises socioéconomiques et les vagues de conservatisme moral – les années duplessistes au Québec, le régime de Vichy en France. La médecine …
Patrice Corriveau, La répression des homosexuels au Québec et en France – Du bûcher à la mairie, Sillery, Septentrion, 2006, 236 p.Mireille Bertrand, L’obstacle d’une différence. Paroles de gais, réflexions et confidences, Montréal, Québec Amérique, 2006, 198 p.[Notice]
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Line Chamberland
Professeure associée à l’Institut de recherches et d’études féministes,
Université du Québec à Montréal.