Comptes rendus

Robert Gagnon, Questions d’égouts. Santé publique, infrastructures et urbanisation à Montréal au XIXe siècle, Montréal, Boréal, 2006, 264 p.[Notice]

  • Caroline Durand

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  • Caroline Durand
    Candidate au doctorat,
    Département d’histoire,
    Université McGill.

L’étude des infrastructures urbaines de distribution d’eau potable et d’évacuation des eaux usées peut combiner l’histoire urbaine, socioculturelle, intellectuelle, environnementale, ainsi que l’histoire des sciences et technologies. Ce sujet complexe permet, entre autres choses, de mieux comprendre quelles sont les visions de l’homme, de la nature et de la ville qui ont soutenu les transformations de l’espace urbain durant les XIXe et XXe siècles. Robert Gagnon apporte une contribution à ce domaine d’études en reconstituant l’histoire du réseau d’égouts montréalais au XIXe siècle et en décrivant le rôle des principaux acteurs dans sa mise en place. Le travail est utile, puisque peu de recherches historiques ont été effectuées sur les réseaux d’eau des villes québécoises. Toutefois, l’ouvrage déçoit un peu, car il comporte des lacunes importantes. La partie suivante parle d’un autre plan, conçu et déposé en 1857 par John P. Doyle. Cette nouvelle proposition prévoyait la construction d’un système complet, avec sept grands collecteurs et une seule sortie au ruisseau Migeon, à l’est de la cité. L’élimination complète des fosses d’aisances et leur remplacement par des water-closets était aussi envisagée. Gagnon porte un jugement très positif sur le plan de Doyle, car celui-ci serait conforme aux connaissances les plus avancées de son époque et projetait même une infrastructure permettant de récupérer les matières solides et de les utiliser comme fertilisant. Les coûts élevés impliqués par ce projet font toutefois hésiter les élus municipaux. C’est donc « l’action de ces simples citoyens qui, en fin de compte, obligera les élus à remplir leur promesse de faire de Montréal une ville saine » (p. 127). Les citoyens adoptent une nouvelle tactique pour faire fléchir la ville : ils intentent des poursuites judiciaires pour des dommages subis en raison de l’absence ou de l’insuffisance des égouts. Cette stratégie s’avère efficace et pousse la ville à réaliser un plan inspiré de celui de Doyle dans les années 1860. Cependant, plusieurs éléments centraux du projet d’origine, comme le remplacement complet du collecteur Craig et la construction d’une canalisation permettant l’usage d’une seule sortie sont mis de côté pour des raisons financières. « Les élus ont raté une belle occasion d’investir pour l’avenir » (p. 148), conclut Gagnon. Dans le dernier chapitre, l’auteur explique comment l’arrivée de la bactériologie change la perception des égouts, qui passent d’instrument de salubrité à cause de pollution des sources d’eau potable. Il traite également du rôle des médecins et hygiénistes et de leurs préoccupations. L’état du réseau et ses principaux problèmes sont décrits, comme la désuétude du collecteur Craig et le déversement des égouts dans le port. L’ouvrage se conclut par la réaffirmation du rôle essentiel joué par les citoyens dans la mise en place du réseau d’égouts. C’est sans doute la principale contribution de Questions d’égouts à l’histoire des infrastructures montréalaises : montrer que, la plupart du temps, rien ne se construit sans la participation politique et financière des citoyens. Cependant, il est regrettable que l’auteur n’ait pas poussé plus loin l’étude des arguments, des valeurs et des idéaux qui sont à la base des propositions, des interventions effectuées, des hésitations et des longs délais entre la prise de conscience de l’existence d’un problème et l’application d’une solution concrète. Les décisions des acteurs sont placées en contexte historique sans que leurs conceptions fassent l’objet du même travail. Ainsi, des notions centrales, comme celles de pollution et de nuisance publique, ne sont pas définies dans leur contexte et leur évolution n’est pas évoquée. D’autres omissions laissent le lecteur sur son appétit : lorsque les intervenants en santé publique fustigent les fosses d’aisances et proposent l’universalisation des …