Pour le professeur Michael Gauvreau, du Département d’histoire de l’Université McMaster, il y a méprise sur la Révolution tranquille si on la voit comme le triomphe d’esprits « laïques » et éclairés, libéraux et néo-nationalistes confondus, sur une Église catholique conservatrice et figée. Au contraire, c’est le catholicisme même, par sa composante personnaliste ou moderniste ayant le vent dans les voiles, qui, de manière soutenue depuis le début des années trente, concourt à transformer tant les mentalités que les structures sociales. La vraie Révolution tranquille se serait donc faite avec et par l’Église – une certaine Église – selon l’auteur qui a reçu le prix John A. Macdonald de la Société historique du Canada en 2006 pour son ouvrage. Cette sensibilité catholique moderniste se manifeste par un désir de repenser la foi, la spiritualité et la conception de l’Église institutionnelle dans la société. Il s’agit de se livrer à un grand dépoussiérage qui balaierait la routine et les idées reçues. Chez les fidèles, on sèmerait un doute salvateur, on insufflerait un esprit de risque, d’engagement, d’authenticité surtout, en leur faisant prendre conscience que le ronron de la fréquentation de la messe dominicale, de l’observation des sacrements et de divers scrupules et coutumes n’a souvent de catholique que l’apparence. À la structure ecclésiale, on ferait comprendre que les laïcs engagés ont fonction d’apôtres et qu’il faut assainir l’air en se libérant d’une trop forte imbrication institutionnelle, de la Tradition et du Magistère qui tendrait à oublier sa fonction première. Un siècle nouveau, des réalités sociales nouvelles, les sirènes de l’individualisme libéral-matérialiste et des totalitarismes fasciste et communiste : tout appelle une Église nouvelle, allégée, recentrée, prête à conquérir vraiment les esprits autour de l’essence du message évangélique et de son adaptation hic et nunc. Au besoin, cette tâche demanderait une rupture, un conflit entre les générations : c’est un risque que les militants d’Action catholique (Jeunesse étudiante catholique, Jeunesse ouvrière catholique, etc.) acceptent joyeusement. Sur le terrain de la réalité, l’impulsion moderniste s’exprime, à partir de la Crise jusque vers le milieu des années cinquante, par une modification graduelle de la définition du mariage et de la vie de couple. Les Services de préparation au mariage essaiment à travers la province au point de constituer le mouvement d’Action catholique le plus répandu. Leur résonance est forte auprès de la classe moyenne et des couches supérieures des classes populaires. Ils concourent à faire oublier l’ancienne vision intergénérationnelle pour focaliser sur la famille nucléaire; ils s’emploient également à dépasser la conception d’un mariage vu comme un arrangement de solidarité économique homme-femme-enfants pour le transformer en une relation où priment l’amour et le partage sans subordination, permettant ainsi l’épanouissement de chaque membre. La sexualité au sein du mariage, en particulier, est traitée sans scrupule, comme une manifestation saine d’amour et de bonheur. D’autre part, Michael Gauvreau affirme de manière convaincante (et non sans audace) que, durant les quarante années couvertes par son livre, la cause des femmes fut soutenue par l’avant-garde de l’Église. Une pléiade de mouvements d’Action catholique ouverts aux filles et aux femmes – ces dernières constituant même la majorité des effectifs – ainsi que les cours offerts par le SPM mettent graduellement un bémol à l’importance de la maternité et préparent les mentalités québécoises à accepter une approche plus autonome, plus égalitaire, du rôle des femmes, particulièrement dans les domaines de la sexualité et de la planification des naissances. Dans les années soixante, ce sont des catholiques progressistes qui, prenant acte de la révolution des moeurs et de ce qu’ils perçoivent comme l’échec des parents à préparer leurs enfants aux …
La révolution culturelle du catholicisme québécoisMichael GAUVREAU, The Catholic Origins of Quebec’s Quiet Revolution, 1931-1970, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2005, xiv-501 p. (McGill-Queen’s Studies in the History of Religion.)[Notice]
…plus d’informations
Xavier Gélinas
Division d’archéologie et d’histoire,
Musée canadien des civilisations.