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Sans doute pour corriger d’emblée l’impression créée par le titre donné à son ouvrage, l’auteur précise, dans une « Note liminaire », qu’il ne propose pas des mémoires, mais plutôt des réflexions s’inspirant de situations et de choix qui ont marqué son itinéraire personnel. Dans un ordre qui n’est pas celui de mémoires mais qui renvoie globalement à son cheminement, Louis O’Neill présente, dans un style toujours alerte, treize exposés thématiques témoignant de ses expériences – encore que le tableau soit loin d’être exhaustif, la carrière universitaire de l’auteur, par exemple, étant à peine mentionnée –, mais surtout de ses convictions et de ses engagements de « citoyen libre » au cours des quelque soixante dernières années.
On peut regrouper en deux blocs les thèmes qui forment la matière de l’ouvrage. À un premier bloc se rattachent les textes sur l’Église, les rapports de l’auteur avec elle et la foi : « L’Église en procès », un exposé nuancé du rôle qu’a joué l’Église catholique dans l’histoire du Québec ; « L’aggiornamento », une présentation très positive de Vatican II et une évaluation moins enthousiaste des suites de ce concile ; « D’un créneau à l’autre », un examen serein des motivations souvent complexes amenant des prêtres à quitter cet état de vie et une brève référence à la raison de son propre choix, « pour l’amour d’une femme (…) dans un cheminement de croyant » (p.146) ; « La foi de demain » et « La vie pour faire quoi ? ».
Un deuxième bloc porte sur le développement de la société québécoise et l’insertion de l’auteur dans cette évolution. « La petite patrie », c’est celle qu’évoque le titre de l’ouvrage. Louis O’Neill est fils d’un chef de gare, celle de Bridge (Sainte-Foy aujourd’hui), située à un kilomètre du Pont de Québec, à une époque où la famille logeait dans la gare. Le rappel d’une enfance vécue dans la « joie » et le « dynamisme » d’une famille de douze enfants s’accompagne de considérations sur le rôle majeur de la famille nombreuse dans l’histoire du peuple québécois, mais aussi, en contrepartie, sur « les milliers de drames, (…) les existences de femmes sacrifiées sur l’autel d’une morale figée, suintant le légalisme » (p. 26), observation souvent présente, sous une forme ou une autre, dans les jugements de l’auteur sur le catholicisme romain et particulièrement sur sa version québécoise. Les souvenirs consignés dans les pages sur « L’école d’autrefois » – de l’école de rang au cours classique au Séminaire de Québec – sont surtout l’occasion de rappeler un devoir de gratitude à l’endroit des pionniers qui, « à coup d’ingéniosité et d’abnégation », ont mis en place les assises du réseau construit durant les années 1960. « Fenêtres sur le monde » : sous ce titre sont abordés très brièvement le premier mandat de l’Union nationale et les années de guerre, puis, dans un exposé plus substantiel, l’expérience des Amitiés judéo-chrétiennes à laquelle a activement participé l’auteur à Québec au cours des années 1950.
Dans les textes intitulés « À l’aube de la modernité » et « Révolution à la québécoise », Louis O’Neill présente sa lecture de l’histoire du Québec depuis 1945 jusque vers 1970. Il invite à reconnaître que « la modernisation de la société québécoise a démarré avec Duplessis et l’Union nationale » (p. 94), mais on pourra lui opposer que ce serait à la condition de donner au concept de modernisation un sens plutôt restreint. Il n’est pourtant pas un admirateur de ce même Duplessis qu’avec son collègue Gérard Dion il a attaqué de front, au chapitre des moeurs électorales, dans un document explosif – à n’en pas douter avant tout parce qu’il portait la signature de deux clercs – publié en 1956 sous le titre « Lendemain d’élections » d’abord dans une revue à tirage limité, Ad usum sacerdotum, puis dans Le Devoir. Indépendamment de sa référence à Duplessis, l’auteur passe en revue des événements qui à ses yeux constituent, entre 1945 et 1960, l’amorce du processus de modernisation qui culminera avec la Révolution tranquille : essor des mouvements d’Action catholique, grève de l’amiante, création de Cité libre, avènement de la télévision, etc. Dans le cadre de la Révolution tranquille, il insiste tout spécialement sur la réforme de l’éducation (aux noms de deux acteurs qui y ont joué selon lui « un rôle prédominant », le cardinal Maurice Roy et Paul Gérin-Lajoie, il y aurait eu lieu d’ajouter celui d’Arthur Tremblay).
Trois textes trouvent leur inspiration dans l’option politique de Louis O’Neill, la souveraineté du Québec : « Comment on devient Québécois (sic) ? », « Le pays rêvé » et « Solidarité sans frontières ». C’est dans le premier qu’il indique que son choix s’est fait à l’occasion du débat sur la Loi 63 du gouvernement Bertrand et qu’il fait état de son expérience comme député du Parti québécois, dont il conserve le meilleur souvenir, faisant à peine allusion, peut-être en raison du devoir de réserve, à celle de ministre du gouvernement formé par René Lévesque en 1976. Bien des indépendantistes se retrouveront dans le « pays rêvé » de l’auteur, mais celui-ci prend soin de commencer son exposé par un rappel de la distinction à faire entre la décision de se donner un pays et la nature des orientations que la souveraineté permettra de donner à ce pays devenu libre de ses choix.
Est-il encore opportun de le souligner ? Une maison d’édition sérieuse doit à ses auteurs et à son public lecteur un travail de révision le plus parfait possible. Rien de catastrophique peut-être dans le cas présent, mais on relève tout de même une quarantaine de fautes de diverse nature dont une erreur sur la date du référendum de 1995 (le 29 au lieu du 30 octobre) et deux graphies incorrectes du nom du frère Clément Lockquell (pages 88 et 109).