Voilà un livre important sur un sujet grave et récurrent dans notre histoire qui aborde la délicate question de la « survivance » de l’identité culturelle québécoise en regard de l’évolution du fédéralisme canadien depuis 1867. Pertinent aussi, en ce printemps 2006, alors que l’idée d’autonomie pour le Québec, déjà évoquée en 1867, revit au sein d’une certaine élite politique. Cet exil dans la survivance, défendu à nouveau par certains, évolua parallèlement à l’affirmation agressive d’un nationalisme anglo-saxon intégrateur et à la centralisation des pouvoirs. Ce double mouvement nous amène enfin vers la négation progressive de la nation québécoise dans la constitution canadienne telle qu’interprétée par la Cour suprême du pays depuis 1949 et surtout depuis 1982. La thèse défendue par Eugénie Brouillet – professeure de droit constitutionnel à la Faculté de droit de l’Université Laval – intéressera par son actualité autant les constitutionnalistes et les politologues que les historiens. Sa démarche multidisciplinaire explique en effet la division du livre en deux grandes parties dont la première, plus brève, établit les fondements théoriques et historiques entourant les notions d’identité culturelle et de fédéralisme. Brouillet propose ainsi (chapitres 1 et 2) une définition pertinente du concept de nation, articulée d’après une grille d’analyse où figurent quatre regroupements d’auteurs québécois selon leur affinité avec un paradigme soit traditionnel, soit civique, soit multiculturel ou sociopolitique de la nation. Cette approche, qui se veut aussi critique, permet à l’auteure de proposer sa propre définition de la nation qui est largement inspirée de la variante sociopolitique avancée par Michel Seymour. Cette dernière, en effet, lui paraissait « la plus prometteuse de la réalité nationale » (p. 52) parce qu’elle réhabilite les référents sociologiques comme éléments constitutifs de la nation, dont on chercha idéalement à protéger la spécificité culturelle dans le cadre fédératif adopté par le Canada en 1867. Un tel cadre devait idéalement permettre aux provinces, notamment au Québec, de jouir pour l’avenir, d’une véritable indépendance dans les sphères d’activités que leur assignait la constitution. Le pouvoir ainsi acquis serait donc souverain et non pas subordonné. C’est ce que Brouillet appelle « le principe fédératif », principe qui aurait amené l’adhésion de la majorité conservatrice du Bas-Canada en 1864-1867 et fait presque l’unanimité chez les analystes de la constitution parce qu’elle offrait « pour l’essentiel une réponse adéquate aux désirs nationaux de la nation bas-canadienne de l’époque » (p. 20). Cette intéressante et inspirante synthèse de l’idée de nation et de fédéralisme évoquée ici a le mérite d’établir le lien essentiel qui relie effectivement la « survivance » de la nation québécoise et le fédéralisme canadien. Elle fournit également à l’auteure les repères nécessaires à l’analyse de la jurisprudence qui s’est construite depuis 1867 à la suite des jugements rendus par le Conseil privé de Londres et par la Cour suprême du Canada sur le partage des pouvoirs dans les matières à forte incidence culturelle ou identitaire. C’est l’objet de la seconde partie – la plus documentée du livre – qui tient dans l’interrogation suivante : « la fédération canadienne, telle qu’elle a été conçue à ses origines et telle qu’elle a évolué, permet-elle la survie et l’épanouissement de l’identité culturelle québécoise ? » (p. 20). Oui répond l’auteure. Elle a permis l’épanouissement de la nation québécoise aussi longtemps que l’esprit et la lettre de la constitution ont été pris en compte dans les causes soumises à l’arbitrage du Comité judiciaire du Conseil privé de Londres. Non, elle ne l’a pas permise, enchaîne-t-elle aussitôt après, depuis 1949, date de l’établissement de la Cour suprême du Canada comme cour de dernière instance au pays et, surtout, …
Eugénie Brouillet, La négation de la nation. L’identité culturelle québécoise et le fédéralisme canadien, Sillery, Septentrion, 2005, 289 p.[Notice]
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Marcel Bellavance
Collège militaire royal du Canada,
Kingston, Canada.