Comptes rendus

Jacques Leroux, Roland Chamberland, Edmond Brazeau et Claire Dubé, Aux pays des peaux de chagrin. Occupation et exploitation territoriales à Kitcisakik (Grand-Lac-Victoria) au XXe siècle, Québec, Les Presses de l’Université Laval / Le Musée canadien des civilisations, 2004, 255 p.[Notice]

  • Sigfrid Tremblay

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  • Sigfrid Tremblay
    Chaire de recherche du Canada sur la question territoriale autochtone,
    Département d’histoire,
    Université du Québec à Montréal.

L’étude de ce quatuor d’auteurs (l’analyste-interprète Edmond Brazeau, le médecin Roland Chamberland et les anthropologues Jacques Leroux et Claire Dubé) s’intéresse à une communauté autochtone qui s’est retrouvée à l’avant-scène de l’actualité quelques mois seulement après la publication de l’ouvrage. Les conditions de vie des Algonquins de Kitcisakik ont fait l’objet d’un reportage au Téléjournal de Radio-Canada le 16 novembre 2005 ; depuis, la petite communauté a retenu une certaine attention médiatique et politique, du moins jusqu’à mi-parcours de la dernière campagne électorale fédérale. Dépourvue d’eau courante et d’électricité, la population de Kitcisakik est engagée depuis quelques années dans une lutte pour obtenir le financement nécessaire à la construction d’un village moderne ; ses représentants refusent toutefois de se faire attribuer une réserve selon les modalités en vigueur dans les autres communautés autochtones : « il y a 648 modèles au Canada pour nous démontrer que ça ne marche pas ce système-là », déclarait à Radio-Canada le 18 novembre dernier Jimmy Papatie, principal négociateur de Kitcisakik. C’est la responsabilité de leur éventuel village que réclament ces Algonquins et non le régime de tutelle en vigueur sur les réserves. La ligne conductrice de l’ouvrage – l’occupation et la transmission des territoires de chasse – s’articule autour de trois subdivisions. Le premier chapitre se veut une perspective anthropologique et théorique sur la notion de propriété territoriale chez les populations algonquiennes nomades ; le second présente une interprétation historique de la problématique du territoire dans le contexte de la Conquête de l’Abitibi-Témiscamingue (c’est le titre du chapitre) par les intérêts eurocanadiens ; enfin, le dernier chapitre – et articulation centrale de l’ouvrage – propose les résultats d’une reconstitution des modalités de transmission (patrilinéaire, par alliance, etc.) et d’occupation du territoire sur plusieurs générations d’Algonquins de la communauté de Kitcisakik. La partie théorique insiste particulièrement sur le « débat de la propriété » qui demeure d’actualité (voir le numéro 3 de 2004 de la revue Recherches amérindiennes au Québec, par exemple) après plus d’un demi-siècle d’une dialectique anthropologique qui a opposé deux camps. Le premier, dont la position a été principalement articulée par Frank Speck et Loren C. Eiseley, a postulé une existence précolombienne d’un système formel de propriété des territoires de chasse ; le second, avec Diamond Jenness et, surtout, Eleanor Leacock, a soutenu que le commerce des fourrures, en introduisant l’économie de production chez les sociétés nomades, avait favorisé le remplacement d’une propriété communale des ressources par une propriété individuelle (ou familiale). Les auteurs se positionnent clairement, ici, dans le camp des tenants de cette dernière position. Plus précisément, ils s’appuient sur une étude d’Adrian Tanner pour remettre en question la pertinence du concept de propriété dans son application au système amérindien d’accès au territoire. Selon Tanner, ce système serait davantage fondé sur une reconnaissance des liens privilégiés entre un individu et l’environnement que sur des « droits » formels de possession. Les auteurs appliquent ici la thèse d’Adrian Tanner dans une perspective diachronique de transition où une propriété exclusive se serait substituée progressivement et partiellement à une relation spirituelle privilégiée entre l’homme et les animaux : La disparition du gros gibier aurait donc forcé les Algonquins à se rabattre sur l’économie de production et à circonscrire leurs activités à l’intérieur des frontières du territoire de trappe dont il était désormais nécessaire de monopoliser les ressources (accentuation de la propriété) en fonction des impératifs du marché des fourrures. Cette position des auteurs s’appuie davantage sur une critique théorique que sur une véritable démonstration fondée sur la documentation. On constate par ailleurs que certaines conclusions se mettent en place un peu rapidement. …