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Cette publication de la collection « Les régions du Québec » est sans doute la meilleure à ce jour : tout y est, ou presque, et de belle façon. Essentiellement axée sur les XIXe et XXe siècles, puisqu’on leur consacre plus de 900 pages, l’ouvrage atteint bien son objectif principal qui est d’« expliciter le long processus de changement économique, social et culturel » d’une région qui, avec l’expansion de son économie basée essentiellement sur l’exploitation des ressources naturelles de son arrière-pays, deviendra la Mauricie.
L’étude puise dans toutes les disciplines des sciences humaines : géographie, ethnologie, linguistique, sociologie, littérature, sciences politiques et, bien sûr, histoire. On y parle non seulement du processus de production de la fonte, mais aussi de l’hygiène buccale et corporelle, de la variété du français qu’on y parle, des moeurs électorales, maintes choses qui parfois font sourire, mais qui permettent de saisir les connaissances et les valeurs propres à chacune des époques. Par exemple, aux pages 362 et suivantes, il est question de l’évolution des moeurs électorales qui, jusqu’aux années 1940, « traduisent un profond clivage entre les élites au pouvoir et les masses dont elles sont supposées être les représentants », mais qui, en réalité, témoignent d’une peur de la démocratie. Ce déficit démocratique s’est amenuisé peu à peu : en 1875 on est passé à une seule journée de scrutin dans tous les comtés au vote secret, le cens électoral n’a été aboli définitivement qu’en 1936, etc. En revanche, dès 1867, « les Libéraux souhaitaient une démocratie entière et directe, refusant le concept de Chambre haute ou Sénat formé de représentants choisis au sein d’une élite et dont la fonction est de tempérer les volontés démocratiques » (p. 366). Là, on en est toujours au même point !
Plus intéressante, et plus fondamentale, est l’histoire économique de la région qui permet non seulement d’évaluer les forces en présence dans la société mauricienne mais aussi, et surtout, comment l’économie a changé la vie quotidienne d’une population qui, au départ était essentiellement rurale. L’industrialisation a, bien sûr, créé de nombreux emplois et donné naissance aux villes, mais elle a aussi engendré des tensions ethniques : les cadres et leur famille habitant certaines rues bien à l’écart de la majorité francophone entassée dans les logements trop rares, trop petits et souvent insalubres et, éventuellement des clivages sociaux. Il est donc étonnant de voir avec quel courage la population, après une crise économique – et il y en a eu plusieurs – se retrousse les manches et s’investit avec entrain dans de nouvelles entreprises. En fait, c’est cette histoire qui est au coeur de l’oeuvre : elle structure la région, l’industrialise, l’urbanise et la remodèle constamment. Pour la majorité de la population, c’est une histoire en dents de scie où se mêlent tour à tour découragement et espoir. Une population condamnée, tout comme Sisyphe, à un éternel recommencement.
Si cet ouvrage paraît, de prime abord, redondant, ce sont précisément ces allers-retours qui lui donnent sa valeur. Les mises en perspective avec l’ensemble du Québec et de l’Ontario, ou encore avec les États-Unis ou les Vieux-Pays, sont ce qui permet de comprendre cette région. L’Histoire de la Mauricie ne raconte pas, elle explique.