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« Le développeur serait-il une sorte de monstre géant au regard transversal, à plusieurs têtes, techniques et politiques, aux multiples bras tendus vers chacun de ses partenaires ?»[1]

Depuis les deux dernières décennies, l’État québécois a fortement renouvelé ses politiques de développement territorial (Joanis, Martin et St-Cerny, 2004). Ce virage « local » des politiques a entraîné d’importants bouleversements dont certains restent moins bien connus. L’impact de cette localisation des politiques sur les métiers du développement territorial n’a pas souvent retenu l’attention des chercheurs. Conséquemment, il existe une méconnaissance manifeste des exigences et réalités professionnelles induites par les « nouvelles façons de faire » en développement. De fait, nous connaissons encore très peu la situation actuelle de ces « agents du développement » qui ont pourtant comme principale mission de mettre en oeuvre ces politiques et programmes. Comment l’évolution de ces politiques a-t-elle transformé le travail de ces agents ? Quels profils ont ces professionnels aujourd’hui ? Quelles compétences et qualifications sont exigées par les employeurs ? Ces importantes questions seront donc au coeur de ce texte. Agent de développement économique, agent de développement social, touristique, rural, culturel, commissaire industriel, chargé de projets, coordonnateur, telles sont quelques-unes des appellations que l’on peut retrouver aujourd’hui au sein des organisations de développement territorial. Est-ce une simple évolution des appellations d’emploi ou le reflet d’une réalité beaucoup plus complexe ? Quelles sont les distinctions, mais surtout, où se trouvent les points de convergence de ces métiers ? Pour nous, il importe de mentionner qu’au-delà de ces multiples appellations, une nouvelle réalité s’impose. Nous croyons en effet que l’émergence de nombreux emplois dans le domaine et l’apparition de nouveaux métiers du développement sont directement tributaires de l’approche « Bottom up » donnée au modèle québécois de développement depuis le milieu des années 1980 (Favreau et Lévesque, 1996 ; Lévesque, 2005) et que de ce fait, ces nouveaux métiers sont l’expression d’une réalité beaucoup plus complexe de l’intervention territoriale et traduit aussi la multitude des champs de la pratique professionnelle et la diversité des champs d’action des agents de développement et de leur organisation.

En ce sens, une partie importante de la littérature sur les professions montre à quel point il est nécessaire de prendre en compte, pour l’étude des activités professionnelles, l’implosion des formes du travail et des catégories du travail (Offe, 1985), des interactions inhérentes au travail avec des humains (Maheu et Robitaille, 1991), des réseaux de systèmes organisationnels et associatifs par lesquels les professionnels tissent leurs relations (Larouche et Legault, 2003) et surtout, la capacité « réflexive » des professionnels dans l’exercice de leur travail (Schôn, 1983).

Cette perspective d’analyse des professions, qualifiée d’interactionniste par Dubar et Tripier (1998) et qui s’éloigne grandement de l’approche fonctionnaliste qui demeure trop axée sur la construction de l’idéal-type du professionnel, permet de mieux appréhender a posteriori le développement des professions et de bien comprendre le processus interne à la professionnalisation. C’est pourquoi nous est apparue si fondamentale une meilleure compréhension des compétences nécessaires à l’exercice du métier d’agent de développement. Sur cet aspect, nous avons retenu trois types de savoirs essentiels qui permettent d’analyser ce que Martinet, Raymond et Gauthier (2001) ont appelé la « professionnalité », soit la construction de compétences nécessaires à l’exercice d’une profession. D’abord, le savoir scientifique constitué des acquis culturels et théoriques, mais aussi du savoir-faire plus technique demeure au coeur des capacités « savantes » du professionnel (VanDerMaren, 1993). Ensuite, le savoir-être qui reste une composante importante des compétences puisqu’il touche les qualités et les aptitudes humaines et sociales nécessaires au travail dans les organisations de services (Hasendfeld, 1992). Enfin, le savoir expérientiel qui émerge de la pratique du professionnel en cours d’action et qui devient, en quelque sorte, l’expression de leurs capacités à développer (Maulani et Perrenoud, 2003).

À nos yeux ces savoirs forment les éléments clés des compétences des agents de développement. Cependant, pris individuellement, ils ne permettent pas de comprendre la complexité du travail de ces professionnels du développement. Qui plus est, les modes de transmission de ces savoirs diffèrent au point qu’il est nécessaire de considérer l’organisation dans laquelle ces agents de développement s’insèrent pour mieux saisir les processus d’intégration et de développement de ces savoirs (Teisserenc, 2002). Ainsi en considérant le travail de ces agents comme un « travail réflexif », soit un travail interactif qui implique des rapports sociaux importants et qui s’éloigne de la rationalité formelle et instrumentale du travail, nous pouvons mieux saisir les interrelations entre ces savoirs et décrire les compétences non seulement à un niveau générique, mais aussi à un niveau plus spécifique permettant de démontrer la capacité de ces agents « à produire » de nouvelles compétences en fonction de l’amalgame de ces savoirs.

Méthodologie

Du point de vue méthodologique, nous avons opté pour une démarche de recherche qualitative exploratoire étant donné la faiblesse des connaissances actuelles sur le sujet (Gauthier, 2003)[2]. Deux démarches ont été utilisées pour amasser les données. D’abord, les données qualitatives ont été recueillies à l’aide de 18 entrevues semi-dirigées auprès d’agents de développement et de gestionnaires d’organismes de développement, provenant principalement de Centres locaux de développement (CLD), de Sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC), de Conférences régionales des élus (CRÉ), de Corporations de développement économique (CDE) et de Corporations de développement économique communautaire (CDEC) et cela, dans trois régions du Québec (Outaouais, Québec, Saguenay). Ensuite, afin d’enrichir ces données qualitatives et de valider certains résultats tirés de l’analyse des entrevues, nous avons organisé trois séminaires (en Abitibi-Témiscamingue, en Outaouais et au Bas-St-Laurent) qui avaient comme objectifs de mieux cerner la question des qualifications et des compétences actuelles nécessaires au travail des agents de développement et d’identifier les besoins en matière de formation et de main-d’oeuvre sur les territoires. Ces séminaires ont regroupé des gestionnaires, des agents de développement et ont rassemblé, au total, pas moins de 60 participants qui sont des observateurs privilégiés de l’évolution des métiers du développement. Dans le contexte de l’évolution rapide des politiques de développement au Québec et des besoins croissants de connaissances sur les pratiques du développement régional et local, des thèmes comme les qualifications des agents (actuelles et besoins futurs), les fonctions occupées dans l’organisation, les compétences requises, les tâches, le rapport au travail (interne et externe), ont particulièrement retenu notre attention dans l’analyse des données.

L’évolution des politiques publiques de développement territorial et la transformation des métiers du développement

En simplifiant quelque peu, nous pouvons ramener à deux grandes époques l’évolution des politiques publiques du développement régional qui nous paraissent marquantes dans l’essor des métiers du développement territorial. La première, de 1961 à 1985, est marquée par la succession rapide de politiques, de programmes et de structures dans les régions du Québec (Dugas, 2005) et par l’apparition de nouveaux « experts » du développement. La seconde période, de 1985 à aujourd’hui, s’inscrit davantage dans une phase de développement endogène des politiques et leur territorialisation ; cette seconde période est aussi marquée par la transformation des pratiques et des interventions territoriales qui tendent à créer un meilleur arrimage entre l’économique et le social (Comeauet al., 2001).

Selon Benoît Lévesque (2005), l’approche centralisatrice des politiques de développement (Top down) issue du modèle de la Révolution tranquille a marqué considérablement les régions du Québec. Ces politiques visaient alors le rattrapage économique des régions en difficultés en rendant ces dernières plus attractives pour les entreprises, tout en essayant de contrer les inégalités régionales. Outre le développement des infrastructures (transport et équipements publics) et celui de l’exploitation des ressources naturelles qui avaient pour objectif d’accentuer l’attractivité et la profitabilité des villes, le développement économique d’une région passait d’abord et avant tout par l’arrivée d’investissements étrangers et plus précisément par la localisation d’entreprises exogènes sur le territoire. S’en est suivie la création par l’État québécois de plusieurs organismes à vocation régionale et locale ayant le mandat particulier d’attirer sur leur territoire les grandes industries situées en amont des filières de production pour qu’elles puissent, par leurs besoins technologiques, provoquer un développement de PME (Proulx, 2002).

C’est à l’époque de la mise en place de ces politiques de développement économique et dans le cadre d’un programme d’aide gouvernemental, visant à favoriser la création de nouveaux commissariats industriels, que sont aussi apparus sur les territoires, particulièrement dans les villes, des commissaires industriels qui devaient stimuler cette dynamique d’implantation « d’industries salvatrices ». Le commissaire industriel demeure la première véritable forme « d’agent de développement économique » au Québec. Ces nouveaux intervenants économiques issus des formations universitaires en administration avaient pour tâche de promouvoir, auprès des investisseurs, les attraits de leur ville et de leur région tout en favorisant l’expansion industrielle et la concertation des différents acteurs et organismes sectoriels locaux. De façon plus spécifique, cette approche de développement permettait de concentrer les interventions sur certains pôles économiques ou certains secteurs d’activité pour ainsi provoquer un effet d’entraînement et de multiplication sur d’autres secteurs, villes ou régions (Polèse, 1994). En fait, le métier de commissaires industriels relève plutôt d’une approche exogène de développement (Top down). Toutefois, tout comme les agents de développement de plusieurs organismes actuels (CLD, SADC, CDEC), les commissaires industriels ont un rôle d’animation économique et de promotion au sein des différents secteurs d’activité (ACIQ, 1990). Convenons que leur travail ne s’insère pas véritablement dans la logique du développement local, car il ne consiste pas vraiment à accompagner les promoteurs dans le démarrage de leur projet d’entreprise.

La création en 1963 du Bureau régional d’aménagement de l’est du Québec (BAEQ) fut la première véritable intervention de l’État québécois en matière de développement régional, ayant comme mission de contrer l’appauvrissement rural en modernisant les campagnes et les régions éloignées (Guay, 1998). À la fin des années 1960, dans cette logique de développement régional et toujours dans l’optique de corriger les retards de certaines régions, il y a nécessité de créer une toute nouvelle dynamique de collaboration des acteurs territoriaux. Le gouvernement tente de mettre en place une planification intégrée du territoire, à l’exemple du BAEQ, et met alors sur pied l’Office provincial de développement du Québec (OPDQ), organisme de développement qui a pour fonction de coordonner les initiatives et les politiques du gouvernement dans les régions (Linteauet al., 1986). Suivent les Conseils régionaux de développement (CRD), organismes à caractère consultatif de l’appareil gouvernemental, qui ont pour tâche d’animer le milieu et de faire participer la population aux débats sur le développement socioéconomique de leur région (Joanis, Martin et St-Cerny, 2004). Ces initiatives sont issues de la volonté des gouvernements de l’époque de rendre compte de la spécificité des régions dans l’élaboration de leurs politiques de développement (Gravel, 1998) mais elles demeurent attachées à un modèle de développement « Étatique centralisé » (Lafontaine, 2005).

Combinées à la venue de ces nouvelles structures, les politiques de développement ont simultanément fait apparaître sur les territoires une cohorte d’experts souvent appelés à l’époque : « délégués régionaux », « agents de planification », « animateurs du milieu », etc. Sociologues, anthropologues, politicologues issus de formations de sciences sociales, ces « agents de développement » avaient un rôle social et politique important, lié à l’animation, la coordination, la consultation et la planification. Ils ont d’ailleurs été davantage perçus par la population comme les porte-parole et les mandataires du gouvernement dans l’application des politiques productivistes et instrumentales de développement (Simard, 1979). Nonobstant cette conception, ils ont aussi été à maints égards des précurseurs de l’intervention locale et régionale en développant des outils d’intervention et d’analyses et une expertise technique enviable (Proulx, 1998). De fait, on assiste à un début de professionnalisation de la fonction d’agent de développement puisque de sa compétence dépend largement la réussite ou l’échec des actions pour le développement (Favreau et Jean, 1995).

Se seraient donc constitués, au fil du temps, deux grands groupes de professionnels intervenant dans le développement territorial au Québec. Le premier est surtout versé dans l’intervention sociale de mobilisation et de développement des communautés régionales. Le second groupe d’experts est aguerri dans l’intervention économique touchant la prospection d’investissements et le développement d’entreprises. Une forme de spécialisation, au cours de ces années, va de pair avec le développement plus pointu des mandats des organismes de développement dans le domaine de l’économique d’un côté et de l’autre, avec celui d’organisme à vocation socioéconomique.

La seconde époque, de 1985 à aujourd’hui, est marquée par la mise en forme graduelle d’un modèle québécois de développement partenarial ouvert aux innovations sociales et aux initiatives de la société civile dans le domaine du social, de l’économique et de l’économie sociale (Lévesque, 2005). Un modèle qualifié aussi de « partenarial décentralisé » où la gouvernance centrale reste forte, mais qui se décentralise à des échelons régionaux et locaux, afin de mieux répondre à « … des objectifs de cohésion, de préservation des spécificités et de justice territoriale… » (Lafontaine, 2005, p. 321). Ce modèle, qui s’est développé au niveau des territoires, émerge aussi dans quelques municipalités québécoises (Chiasson, Andrew, 2005).

Plusieurs politiques publiques et d’initiatives gouvernementales et territoriales ont été la source de modifications importantes de l’intervention des organismes de développement sur les territoires au Québec, que ce soit dans le secteur du développement économique (Bélanger, 1995 ; Bourque, 2000), de l’emploi, du développement local (Favreau et Lévesque, 1996 ; Comeauet al., 2001) ou rural (Jean, 2002). Pensons aux initiatives gouvernementales en matière de décentralisation de pouvoir visant à optimiser le développement de milieux de vie spécifiques. On pourrait citer, à titre d’exemple, l’instauration au début des années 1980 des municipalités régionales de comté (MRC) visant le regroupement de certaines forces économiques des milieux et le partage de certains services entre diverses petites municipalités ; la mise sur pied des Centres d’aide au développement des collectivités (CADC) et de Centres d’aide aux entreprises (CAE) qui fusionneront en 1994 pour devenir les sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC). Pensons aussi à ces organismes de développement dont le mandat demeure l’aide aux collectivités rurales en difficulté par le biais du développement de l’entrepreneuriat local. D’autres initiatives, au début des années 1990, font du développement local concerté, le postulat privilégié en matière de développement des collectivités. En fait, c’est en 1992, par l’entremise de la réforme Picotte mise en route par le Parti libéral, que l’État entreprend de « responsabiliser » les gouvernements régionaux en proposant une approche plus décentralisée du développement, favorisant ainsi l’autonomie des acteurs locaux plutôt que l’adoption de politiques globalisantes. Les CRD deviennent donc les principaux interlocuteurs entre l’État et les régions et doivent maintenant orienter les politiques gouvernementales dans les régions. La Loi sur le ministère des régions (1997) et la Politique de soutien au développement local et régional ouvrent la voie au développement local en instaurant le réseau des Centres locaux de développement (CLD). Ces organismes à but non lucratif ont pour mission de gérer des fonds reliés au développement local et de promouvoir l’entrepreneuriat, l’essor des jeunes, la création d’emploi et le développement économique de la région. Ainsi, progressivement, on remet en jeu l’importance du territoire dans le développement économique comme matrice d’organisation et d’interactions sociales (Veltz, 1996), délaissant la perception technocratique du territoire « local » qui est senti comme étant résiduel (Comeauet al., 2001).

Parallèlement, on assiste au début de la décennie 1980 à une véritable mobilisation de la société civile et à la mise en place d’initiatives communautaires manifestant un désir de « prise en charge » du développement des collectivités. Pensons aux Comités régionaux de relance de l’économie et de l’emploi (CRÉ), aux corporations de développement économique communautaire (CDEC) et aux corporations de développement communautaire (CDC) et, dans le domaine de l’emploi des jeunes, aux Carrefours jeunesse emploi (CJE) (Favreau et Lévesque, 1996). C’est en quelque sorte à partir de ces organismes (SADC, CDEC, CDC, etc.) et des nouvelles structures administratives (MRC) qu’a émergé concrètement une nouvelle forme de métiers et d’activités professionnelles (Comeauet al., 2001), visant essentiellement à stimuler le développement territorial et l’insertion socioéconomique par l’emploi. La grande majorité de ces nouveaux intervenants remplissent leur mission en assistant les citoyens dans les différentes étapes relatives à la réalisation de leur projet d’entreprise. C’est d’ailleurs dans cette perspective que sera en partie circonscrite la mission des Centres locaux de développement ainsi que de leurs intervenants en 1997 (Joyal, 2002 ; Comeauet al., 2001).

Un portrait composite de l’agent de développement

Une des difficultés dans l’analyse des métiers du développement réside dans l’identification de la réalité actuelle de ce qu’est un « agent de développement ». Car, il faut l’admettre, il est difficile de délimiter la catégorie d’emploi et même de localiser administrativement ces derniers tellement les organisations sur le territoire sont variées. La diversité des postes, des qualifications, des statuts, des rémunérations, des appellations, du contexte des pratiques, que ce soit en milieu urbain, rural et même international, fait en sorte qu’on ne peut aisément identifier ces métiers de développeurs sinon, qualitativement, en fonction de leurs pratiques spécifiques et quantitativement de manière très générale par de grandes catégories d’emploi.

Ainsi et à titre d’exemple, Emploi-Québec dénombrait en 2003 selon la classification nationale des professions (CNP) pas moins de 13 000 personnes oeuvrant dans un domaine connexe au développement. Le nombre considérable d’emplois créés au cours des dernières années dans la sphère du développement local et régional, ainsi que les perspectives d’emploi plutôt satisfaisantes dans ce même domaine (Emploi-avenir, 2005), permettent de croire à un processus de consolidation de ce corps de métiers. Du point de vue qualitatif, peu d’études nous renseignent sur ces métiers, ce qui peut s’expliquer par l’existence somme toute récente de certaines institutions provinciales (CLD, CRD), fédérales (SADC) et « communautaires » (CDEC, CDR) de développement local et régional de même que la faible présence d’organismes représentatifs de ces métiers qui s’attardent spécifiquement aux questions du travail et des pratiques des intervenants en développement local et régional. Mentionnons quand même le Carrefour québécois de développement local (anciennement l’Institut de formation en développement communautaire) qui, tout en étant issu de réseaux et d’organismes en développement économique communautaire et en développement local, favorise la circulation d’informations sur les diverses facettes du développement local, auprès des principaux intervenants concernés[3]. L’Association des professionnels en développement économique du Québec (APDEQ) est une association de services qui joue un rôle stratégique dans le développement des compétences des professionnels en développement économique et qui vise à les mettre en réseau de façon à stimuler une certaine synergie des connaissances et à répondre aux besoins de ces professionnels par le biais de programmes de formation continue. Par ailleurs, Solidarité rurale a aussi, depuis 1998, le mandat de développer les compétences des agents de développement rural par le biais d’un programme de formation continue et d’un service de dépannage-conseil et d’expertise. Enfin, il n’est pas étonnant de constater, compte tenu de l’absence d’organismes de représentation de ces acteurs du développement, qu’il y ait absence au Québec d’un mouvement de reconnaissance professionnelle de ces métiers, comme cela tend à se faire présentement en France[4].

Les métiers du développement dans la mouvance du modèle québécois de développement

L’avènement d’un nouveau modèle de développement basé davantage sur le partenariat entre l’État, le milieu communautaire et l’entreprise privée est une des particularités qui façonne la dynamique actuelle de développement territorial. Cependant, en créant des organismes à incidence locale qui ont pour objectif de stimuler « l’empowerment » dans les milieux de vie spécifiques, on propose parallèlement une nouvelle forme de développement plus global qui rompt en partie avec la conception traditionnelle. Il est essentiel d’avoir des agents de développement bénéficiant d’un niveau de compétence approprié pour répondre aux mandats confiés aux divers organismes. De plus, ces nouvelles politiques publiques en matière de développement local et régional et de gouvernance locale instituent des pratiques d’interventions particulières dans les organisations (Comeauet al., 2001). Pensons seulement à la mission des CLD qui ne se limite pas qu’à offrir un guichet multiservice au développement économique et à l’entrepreneuriat, mais aussi à l’élaboration du plan d’action local pour l’économie et l’emploi (PALÉE) et à l’élaboration des stratégies locales liées au développement de l’emploi, de l’entrepreneuriat et des entreprises sur le territoire. Ainsi oblige-t-on dans les faits à tenir compte à la fois de l’économie et des préoccupations sociales, ce qui les éloigne de la tradition de développement purement économique souvent privilégié par certaines organisations comme les Commissariats industriels, une autre philosophie du développement qui apporte son lot de problèmes quand vient le temps de l’appliquer. Dans certains cas, on parle d’un choc de culture organisationnelle et professionnelle (Joyal, 2002). Sous l’angle des réalités du travail, l’agent de développement doit, plus que jamais sur son territoire, composer avec la différence, la préoccupation de la concertation, les défis de la mobilisation et maintenant le travail avec les élus locaux devenus, depuis peu, gestionnaires du développement territorial au niveau des CRÉ et des CLD.

Avant de définir les principales compétences nécessaires à l’exercice des métiers du développement, il nous apparaît important de dégager les perceptions globales des agents rencontrés touchant les changements opérés depuis les dernières années et selon trois dimensions importantes de leurs interventions, soit le territoire, l’organisation dans laquelle ils oeuvrent et le travail à accomplir.

Le territoire comme lieu de travail

Dans l’ensemble, les personnes rencontrées sont très informées des changements opérés sur leur territoire ces dernières années et bien conscientes de leur impact sur le développement des collectivités, sur la gouvernance et sur les nouvelles exigences que cela impose à leur travail. C’est le cas des importantes actions de mobilisation qu’elles doivent réaliser pour démarrer le développement dans la population. Faire émerger des projets ne semble pas si facile surtout dans des espaces dévitalisés ou en voie de l’être, ce qui est particulièrement vrai en milieu rural où tout semble à faire. Des actions devenues nécessaires afin de rallier la population autour de consensus sur les priorités de développement, compte tenu des ressources limitées (humaines et financières) mises à la disposition des territoires. Pour certains agents, c’est moins la mobilisation qui pose problème que la conciliation des idées et des points de vue dans la communauté. Un travail ardu si l’on tient compte des multiples intervenants en présence sur le territoire. L’animation et la conciliation sont donc, plus que jamais, des outils essentiels de création de synergies. La dynamique partenariale sur laquelle les développeurs ont à travailler représente un défi considérable : plus d’intervenants à associer pour permettre une intervention structurée et soutenue sur le territoire. D’ailleurs, les agents de développement sont non seulement directement impliqués dans l’établissement de maillage, de regroupements et d’alliances stratégiques, mais en sont souvent les initiateurs. « Ces regroupements prennent la forme d’alliances stratégiques et donnent lieu à de nombreux types d’apprentissages ayant trait aussi bien aux organisations elles-mêmes (apprentissage intra-organisationnel), aux relations avec leurs pairs (apprentissage interorganisationnel) ou encore à leurs rapports avec les pouvoirs publics (apprentissage extra-organisationnel). » (Malo et Elkouzi, 2001, p. 159.)

Sur la gouvernance, deux changements sont principalement soulevés par nos répondants. D’une part, on note que les mandats accordés aux organisations de développement sont beaucoup plus larges qu’auparavant, ce qui occasionne parfois des tensions entre organisations de développement sur le rôle et les missions respectives. À cet égard, la présence des SADC et des CLD sur un même territoire et le mandat de développement de l’économie sociale octroyé dans certains milieux aux CDEC et dans d’autres aux CLD sont au nombre des dossiers litigieux le plus souvent mentionnés. D’autre part, la loi 34 qui accorde aux élus locaux le rôle de décideurs et d’évaluateurs au regard du développement local et régional, en instituant les CRÉ et modifiant le conseil d’administration des CLD, est venue changer la donne quant au rapport qu’entretiennent les agents avec le politique, une dynamique politique qu’ils doivent désormais intégrer à leur intervention. Ajoutons que plusieurs démontrent certaines appréhensions, sinon de la méfiance, face à l’ingérence politique dans la gestion des dossiers et de projets sur le territoire. Cela dit, c’est davantage la démobilisation de plusieurs groupes (comités consultatifs, groupe de travail, etc.), survenue après cette modification de structure, qui a affecté le travail des agents. Ces derniers ont l’impression d’avoir vu le travail de plusieurs années de mobilisation s’effondrer en quelques mois. La méconnaissance de plusieurs élus locaux de la réalité régionale et leur méfiance face aux organisations de la société civile font croire à plusieurs qu’ils doivent maintenant « reprendre le bâton de pèlerin » pour rattraper le temps perdu. Loin d’être perméables et résignés à ces changements, ils les vivent avec philosophie. On semble faire fi de ces contraintes politiques et structurelles sur leur territoire et l’on voit avec un certain optimisme l’évolution des politiques de développement. Tout au plus, on exprime des périodes d’impatience, voire quelquefois de découragement, face aux changements incessants dans les structures territoriales de développement et un manque de vision à long terme des gouvernements qui se manifeste par cette valse-hésitation entre une volonté politique de décentralisation et un contrôle accru des outils de développement. Malgré tout, les personnes interviewées notent qu’il y a eu une évolution positive de leur travail sur le territoire parce qu’elles affirment être davantage reconnues comme des intervenants crédibles et avoir une plus grande latitude dans leur intervention.

L’organisation comme milieu de travail

Compte tenu des multiples changements structurels et organisationnels qu’ont connus les organismes de développement local et régional ces dix dernières années, nous avons constaté l’existence, chez les agents, d’un fort sentiment d’appartenance à leur organisation, la fierté d’être partie prenante d’une structure qui contribue au développement de la collectivité à laquelle ils appartiennent. Force est de constater que ces changements ont été difficiles pour plusieurs et qu’ils ont provoqué un certain choc culturel en bousculant les façons de faire. À titre d’exemple, la création des CLD a obligé la cohabitation d’une vision sociale et économique du développement des territoires, particulièrement au moment où on leur a donné le mandat de développer l’économie sociale. Le témoignage d’une agente de développement économique est très éloquent à cet égard.

Quand on m’a annoncé que je devais maintenant travailler avec des « macramés power » ç’a été un choc. J’ai eu peur de les voir arriver dans les entreprises et qu’ils défassent le travail accompli depuis 20 ans. Après plus d’un an, on a appris à travailler ensemble, à mieux se connaître et à partager nos connaissances. (…) Pour moi, tenter de créer des entreprises dans des quartiers pauvres, c’était perdre son temps. Maintenant, je comprends mieux et je vois l’importance que ça peut avoir pour la ville.

Le travail de l’agent est intimement lié à l’organisation qui l’emploie et en ce sens, son action s’inscrit dans une perspective territoriale globale : un travail d’équipe, une oeuvre collective, basée sur une approche participative, à l’image de ce que plusieurs politiques publiques récentes tendent à développer. Un travail qui construit et alimente son intervention grâce à des échanges constants et à l’utilisation d’expertises autres qui sont nécessaires à l’accomplissement de son action. Pour eux, ce travail d’équipe semble être la clé du succès de ces organisations. La complexité des dossiers, leur nombre sans cesse croissant, les multiples expertises nécessaires à la mise en place et au suivi des dossiers et des projets nécessitent un travail conjoint regroupant l’ensemble des forces de l’organisation.

Seule ombre au tableau, le peu de moyens mis à la disposition des agents pour effectuer leur travail. Sur la question des conditions de travail, même si ce n’était pas l’objet de l’étude, soulignons seulement le fait qu’il existe, dans plusieurs organismes, un grand roulement de main-d’oeuvre qui ne favorise pas la continuité de l’intervention. Cette situation se remarque particulièrement en milieu rural, où la difficulté de l’intervention et les conditions de travail souvent moins intéressantes ne rivalisent en rien avec celles du milieu urbain.

Le travail en question

D’emblée, précisons que le rapport au travail entretenu par les personnes rencontrées demeure très positif et empreint de passion pour ce métier, et cela en dépit des contraintes mentionnées auparavant. La motivation et le désir de contribuer au développement de sa communauté semblent bien être de première importance dans l’exercice de ce métier. Pour les agents, les orientations récentes des politiques publiques en matière de développement local et régional ont eu pour effet de renforcer et de valoriser leur rôle de développeurs dans la communauté. Certes, ils sont un peu plus nombreux pour intervenir, mais ils sont surtout en mesure de faire une intervention plus soutenue par des mesures et programmes mieux adaptés à la réalité du territoire[5].

Sous l’angle de leur statut professionnel, les divergences sont grandes. En effet, la nécessité d’être perçus comme des professionnels du développement et des personnes qualifiées dans ce domaine est bien présente. Pour certains, il s’agit d’un besoin de reconnaissance sociale de leur travail, mais pour d’autres, il est question d’une identification professionnelle à proprement parler, soit d’un regroupement au sein d’une association professionnelle en mesure de représenter la profession. Dans ce dernier cas, les agents de développement économique qui ont une présence de longue date sur le territoire sont plus soucieux de cette reconnaissance. Pour les autres, on se sent loin de cette préoccupation identitaire, car ce qui importe dans un premier temps, c’est d’encourager le regroupement autour d’échanges et de réflexions sur leurs pratiques respectives. Le besoin de travailler en équipe pour sortir de l’isolement et aller chercher l’expertise nécessaire à la poursuite de leur travail semble bien refléter, chez les agents de développement, la préoccupation constante de se regrouper.

Détentrices, pour la plupart, d’une formation de baccalauréat, les personnes rencontrées se voient moins comme des spécialistes, mais plutôt comme des « généralistes », et cela, en dépit du fait que leur formation initiale est souvent spécialisée et que, parfois, leur intervention est directement associée par leurs fonctions à des dossiers ou des projets plus ciblés et sectoriels. D’ailleurs, la polyvalence exigée par leur structure leur donnait souvent cette impression d’exercer plusieurs métiers à la fois : développeur, animateur, travailleur social, administrateur, comptable, etc. C’est aussi cette polyvalence qui permet d’obtenir une vision transversale du territoire pour mieux appréhender son évolution. Essentiellement parce que les caractéristiques de leur intervention qui vise directement l’observation et l’analyse de ce qui s’y déroule ainsi que la capacité de mettre en perspective et de traduire cette réalité par des actions et des projets concrets, demandent un temps de recul face à l’action pour mieux interpréter l’évolution même du territoire en fonction de réalités tant locales qu’internationales. Force est de constater, cependant, que le temps manque et les outils d’analyse permettant une telle étude transversale ne sont pas toujours disponibles. Comme le disait une participante :

Faire une planification stratégique ça ne pose pas trop de problèmes et d’ailleurs, on peut s’entraider et échanger entre nous là-dessus. Mais quand arrive le temps de conseiller nos partenaires sur l’impact de l’implantation d’un Wal-Mart sur les autres commerces de la ville, alors là j’ai des problèmes. Il me manque des outils pour le faire.

La formation continue devient donc un moyen pour pallier des besoins spécifiques d’acquisition de connaissances manquantes sur le plan technique, mais très souvent au niveau analytique. Pour la plupart, l’importance de ce type de formation est fondamentale pour accomplir leur travail. La volonté de poursuivre une formation supérieure spécialisée dans le domaine du développement sourit à plusieurs. Certes, des contraintes financières, de temps et les responsabilités familiales demeurent trop souvent des obstacles difficiles à franchir.

Les quatre compétences génériques des métiers du développement

La description du contexte dans lequel les pratiques des agents de développement se réalisent permet d’aborder plus spécifiquement les compétences liées à leur travail. Précisons cependant qu’il s’agit bien de décrire des compétences globales liées à des pratiques variées et effectuées par des personnes avec des qualifications et des compétences diversifiées. À cette fin, Poulle (2003) propose plutôt de se questionner, non pas sur le métier d’agent de développement, mais bien plus sur les métiers du développement, essentiellement, afin de bien rendre compte de la diversité des mandats et missions des employeurs et des contextes particuliers d’exercice de ce travail. De fait, nous ne devons pas oublier que ces contextes de pratique évoluent rapidement en fonction de la tendance à la territorialisation et à la décentralisation des politiques publiques de développement et qu’il devient impossible de s’attarder sur les multiples intitulés de poste. De plus, le travail de ces agents de développement varie énormément en fonction du milieu visé, du degré de développement du territoire, des structures existantes et des types d’interventions préconisées. D’ailleurs, pour éviter toute confusion, certains auteurs utilisent le concept de « développeur » (Lorthiois, 1993 ; Killi, 2005) pour parler des métiers du développement territorial. Il s’agit là d’un terme plus général qui fait davantage référence à la fonction active du développement qu’à un titre de poste spécifique, dont les fonctions peuvent être très variables selon les exigences des employeurs concernés. Aux yeux des personnes interviewées, ce concept de développeur est apparu fort stimulant. Il semble cependant moins correspondre à la réalité de terrain des personnes rencontrées qui se perçoivent surtout comme des agents de développement associés à une approche sectorielle et elles s’identifient bien à cette appellation.

Les compétences génériques globales que nous avons recensées découlent directement de savoirs et de savoir-faire, de connaissances et de comportements les plus répandus et sont utilisées par les personnes rencontrées ou encore, celles perçues par les gestionnaires comme étant les plus propices à la réalisation du travail d’agent de développement. Elles sont regroupées dans quatre grandes catégories : a) l’analyse du territoire, b) l’animation du milieu, c) l’expertise technique et d) l’accompagnement des collectivités (Robitaille, Chiasson et Duval, 2004)[6]. Le libellé de compétences génériques de base a été choisi en raison de leurs liens avec les compétences spécifiques observées, chacune des compétences du premier niveau servant de base à l’une ou l’autre des compétences du second niveau. Par exemple, la compétence générique d’animation du milieu renvoie à des compétences spécifiques liées à la capacité de mobiliser, de créer des alliances, de concilier et de gérer des conflits. Certes, « l’idéal-typique » de l’agent de développement serait qu’il puisse additionner l’ensemble de ces compétences génériques et spécifiques. Or, comme il fut mentionné par un gestionnaire : « la réalité de mon territoire étant très complexe, il est très difficile de tomber sur la perle rare qui puisse combler tous mes besoins actuels ». Dans les faits, chacune des compétences génériques relevées peut être plus ou moins présente en fonction des responsabilités de l’agent.

L’analyse des territoires

C’est une compétence générique qui permet de produire des connaissances sur le territoire, d’en dégager les opportunités et de proposer à la collectivité de nouvelles perspectives de développement. Cette compétence centrale, s’il en est une, englobe la capacité d’extraire l’information sur un territoire, d’en faire une analyse et poser un diagnostic sur sa situation, tout en étant en mesure de proposer de nouvelles avenues susceptibles de rassembler les acteurs autour d’une compréhension commune de la réalité. Par ailleurs, poser un diagnostic implique d’avoir certaines compétences spécifiques, dont celle de pouvoir comprendre et analyser des problématiques complexes, de bien faire ressortir les potentialités matérielles, techniques et sociales du milieu étudié, dont une analyse poussée de ses forces et de ses faiblesses. Par contre, au-delà de cette capacité analytique, l’agent de développement se doit d’être en mesure d’anticiper le développement, de voir les opportunités que représente le territoire sur lequel il travaille. À partir de ces connaissances, il pourra mieux dégager des stratégies, des priorités et des actions à entreprendre, afin d’activer le processus de développement.

Une autre compétence spécifique, qui vient soutenir l’analyse du territoire, demeure la capacité d’évaluer les retombées des politiques et des actions entreprises par les décideurs pour soutenir la collectivité. Trop souvent négligé, ce processus de retour sur l’action devient pour le développeur un outil déterminant dans l’analyse des capacités de développement du territoire. Toute analyse, si bonne soit-elle, ne prend son essor que dans une stratégie de transfert des connaissances adaptées à la situation du territoire. Dans le cadre des métiers du développement, la capacité d’effectuer ce transfert devient d’autant plus importante qu’elle permet de créer l’espace nécessaire à la participation citoyenne et à l’aide à la décision. Même si cette compétence globale est perçue comme essentielle au travail des agents de développement, elle demeure trop souvent à leurs yeux celle qui est négligée. Le temps manque, les outils n’existent pas nécessairement et le travail de terrain auprès des promoteurs, des élus et des citoyens rend difficile la distanciation nécessaire à une analyse serrée.

L’animation des territoires

C’est une compétence générique qui repose sur la capacité de l’agent à créer les conditions favorables à la participation citoyenne sur le territoire. Essentiellement cette compétence exige d’être en mesure de créer des liens entre les acteurs des territoires de divers milieux et cultures, en organisant des rencontres, en animant le milieu tout en faisant ressortir les consensus nécessaires à l’action. Elle demeure au centre de l’activité des agents rencontrés et est identifiée par les gestionnaires comme une capacité essentielle pour exercer leur fonction. L’animation implique donc la mobilisation des acteurs dans une démarche active de réflexion et d’action autour d’enjeux territoriaux d’importance. Pour ce faire, une des compétences spécifiques nécessaires de l’agent de développement touche sa capacité de mobiliser la population. C’est particulièrement le cas au moment d’effectuer, au niveau territorial, la planification stratégique quinquennale ou, dans les MRC, les plans d’action locaux pour l’économie et l’emploi (PALÉE). Mobiliser certes, mais surtout faire participer activement les citoyens à ces exercices en les impliquant tout au long de la démarche.

L’animation est aussi cette capacité de créer les alliances entre les partenaires du territoire sur des enjeux prioritaires et de construire des relations durables entre ceux-ci. Ce maillage demeure essentiel à la concertation, mais nécessite une autre qualité chez le développeur, soit une bonne disposition à la médiation. Faire travailler ensemble des acteurs qui n’ont pas l’habitude et qui souvent ne voient pas l’intérêt à court terme de se concerter demande une habileté à la conciliation entre les partis pour dépasser les intérêts particuliers et faire transcender ceux de la collectivité. Pour effectuer cette tâche, l’agent doit donc être en mesure de traduire en langage simple et clair toutes les informations nécessaires, les objectifs et le potentiel de la concertation tout en recherchant les mécanismes adéquats qui permettent d’associer les citoyens, la société civile et les décideurs dans les actions visant le développement.

Pour les personnes rencontrées, cette compétence d’animation est probablement celle qui s’est le plus imposée dans leur travail ces dernières années. Il semble même qu’en zone rurale ce soit une exigence incontournable en raison de la dévitalisation de certains milieux. Comme le disait une agente de développement rural : « (…) pour faire du développement chez nous, il faut aller chercher les gens chez eux, les convaincre qu’il y a encore quelque chose à faire pour améliorer notre milieu de vie, qu’ils sont importants et qu’ils peuvent changer les choses. Souvent, on part de là pour faire émerger des projets. » Chose certaine, l’arrivée de nouveaux mandats dans les MRC et les CLD issus de la mise en place de politiques de développement touchant la ruralité et l’économie sociale a grandement contribué à l’émergence d’activités entourant l’animation des territoires.

L’expertise technique

C’est une compétence générique liée à l’application de connaissances et de compétences spécifiques permettant de gérer les outils de développement territorial. Sous cette compétence se cache un savoir souvent acquis par une formation disciplinaire dans une multitude de domaines. Qu’il provienne des sciences administratives ou des sciences sociales, généralement l’agent de développement est appelé à agir sur des dossiers ou sur des projets qui requièrent une expertise spécifique. Sur cette base, il veille à conseiller et aider les collectivités sur leur projet de développement et les entreprises en démarrage ou en consolidation. Certes, le territoire sur lequel il oeuvre est empreint d’une complexité croissante dans sa gouvernance et sa gestion ; les responsabilités accrues des villes, des MRC et des régions du Québec nécessitent plus que jamais la mise en relation d’une multitude d’expertises économiques, sociales et culturelles pour être en mesure de répondre à la demande et aux attentes du territoire. Plus généralement, c’est donc une compétence dans la conception et la gestion de projets issus des territoires que le développeur doit acquérir, et cela, pour l’ensemble des étapes d’un projet, de sa conception à son évaluation. Cette compétence doit être mise en relation avec son savoir disciplinaire pour en maximiser les retombées. Toutefois, le défi de l’agent n’est pas d’additionner les expertises, même si cela peut être un atout, mais plutôt, d’associer des expertises et des compétences techniques dans la réalisation des projets territoriaux.

Enfin, s’il est une compétence spécifique à ne point négliger lorsqu’il est question de l’expertise technique, c’est celle d’être en mesure de porter ses projets. En effet, dans un contexte de changement dans la gouvernance territoriale au Québec, il appert qu’il est, plus que jamais, nécessaire de savoir faire la promotion des projets auprès des élus et de la collectivité. Il s’agit de pouvoir le défendre lorsqu’il est essentiel de le faire, mais aussi d’être capable de trouver les partenaires nécessaires à sa réussite. Au dire des personnes interviewées, l’expertise technique est une clé d’entrée dans le travail d’agent de développement. Le problème est qu’il devient rapidement nécessaire d’en trouver d’autres pour pouvoir accomplir les multiples tâches confiées par les gestionnaires. En ce sens, la formation continue est non seulement importante, mais devient un incontournable de ce travail.

L’accompagnement des collectivités

C’est une compétence générique qui vise directement à donner les informations et les aides propices permettant de soutenir la prise de décision et l’action de la communauté et cela, de manière durable. Cette compétence générique est en quelque sorte l’amalgame des autres qui se transpose en un savoir stratégique basé sur l’expérience qui s’applique dans l’espace et dans le temps. Cette dernière se trouve en aval de l’animation et de l’expertise technique, car il n’est pas tout de mobiliser et utiliser son savoir-faire, il faut insister sur un développement durable de l’espace et de l’intervention et savoir perpétuer dans le temps la capacité des territoires à se prendre en charge. L’accompagnement sert donc à s’assurer que les moyens mis en place sur le territoire sont en mesure de répondre à la nécessité d’augmenter la capacité de développement des collectivités. Au centre de cette compétence globale, se trouve aussi sa capacité à développer la concertation entre les acteurs du milieu. Certes, l’agent de développement doit être en mesure d’estimer les besoins de structuration de la communauté et capable de créer l’espace devant soutenir la concertation sectorielle (comités, conseils, etc.) qui met en interaction les acteurs susceptibles d’agir sur les enjeux et priorités déterminés par la collectivité. Sa compétence et sa capacité de coordonner le travail des structures participatives préconisées seront directement interpellées.

Le sens pédagogique de son intervention permettrait de concevoir des modèles de développement ou d’intervention différents de ceux préconisés de prime abord. Son rôle sera de conseiller et de proposer aux participants, aux élus, aux entrepreneurs, etc., des façons de faire permettant le recul nécessaire à la prise de décision. Mission difficile et pleine d’embûches, telle est la perception des agents lorsqu’il est question des tâches liées à l’accompagnement des acteurs dans la mise en place des stratégies et des actions pour développer leur collectivité, mais très valorisante pour ce métier lorsque les résultats deviennent tangibles.

Ainsi, dans ce contexte de localisation des politiques publiques de développement et à la lumière des descriptions des compétences génériques des métiers du développement territorial décrites précédemment, l’agent de développement serait aujourd’hui :

Un intervenant généraliste en mesure de comprendre et d’analyser la réalité territoriale tant au plan économique, politique et culturel, de l’interpréter et d’anticiper les changements. Sur cette base, et avec l’aide de son organisation, il veille à faire bénéficier la collectivité de sa capacité à créer les conditions de mobilisation et de concertation et à développer des initiatives visant la participation citoyenne et le développement durable de son territoire.

Tableau 1

Synthèse des compétences requises dans les métiers du développement

Compétences génériques

Compétences spécifiques (capacité à)

a) Analyse des territoires 

Analyser des problématiques complexes

Diagnostiquer

Anticiper le développement

Dégager des stratégies et des priorités

Proposer des solutions

Évaluer les retombées

Transférer les connaissances

b) Animation des territoires 

Mobiliser le milieu (informer et consulter)

Créer des alliances sur le territoire

Concilier les positions (médiation)

Développer les mécanismes de mobilisation

Orienter les actions du milieu

c) Expertise technique

Aider et conseiller les collectivités et les entreprises

Associer des expertises différentes (internes et externes)

Concevoir et gérer des projets

Promouvoir et défendre des dossiers et projets

Développer de nouvelles expertises

d) Accompagnement des collectivités

Développer les capacités de prise en charge du milieu

Estimer les besoins de structuration de la collectivité

Concevoir des modèles d’intervention

Créer les cadres de concertation

Coordonner le travail des structures de concertation

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Force est d’admettre cependant qu’au-delà du savoir-faire que ces compétences génériques sous-tendent, il est essentiel de considérer chez les agents de développement un savoir-être qui nécessite des qualités spécifiques, afin de pouvoir répondre aux exigences d’une intervention axée principalement sur l’interaction humaine. Ainsi, les habiletés communicationnelles et un certain entregent permettront de maximiser les efforts de maillage associés au travail de développeur. Une attitude favorable au travail d’équipe dans un contexte obligé d’échanges constants avec la communauté et les collègues de travail devient un préalable incontournable. Enfin, mentionnons deux autres savoir-être fréquemment soulevés par nos personnes interviewées, soit le leadership et l’autonomie au travail, des qualités particulièrement recherchées par les gestionnaires des structures de développement.

La territorialisation des politiques publiques de développement au Québec, phénomène d’ailleurs observé pratiquement partout, a grandement contribué au foisonnement des métiers du développement territorial, en nombre sans aucun doute, mais bien davantage lorsqu’il est question de diversité des interventions et des pratiques sur les territoires. Le renouvellement des structures d’intervention locale et régionale de même que l’élargissement de leurs mandats demeurent au centre de la transformation des exigences relatives à l’exercice des métiers du développement. Des savoir-faire multiples que nous avons regroupés en quatre grandes compétences génériques – soit l’analyse du territoire, l’animation du milieu, l’expertise technique et l’accompagnement des collectivités – permettent maintenant de mieux cerner l’horizon des pratiques professionnelles de ces nouveaux agents de développement.

D’autre part, on assiste à une plus grande reconnaissance et une certaine valorisation de ces métiers dans la collectivité. La contribution des agents de développement semble mieux perçue parce que orientée davantage vers les besoins de la communauté et pour le développement des capacités du milieu. Nous constatons que l’essor de ces métiers entraîne, au sein même des agents de développement, un certain nombre de questionnements et de besoins liés à leurs qualifications, leurs compétences et leurs pratiques collectives. D’abord, un besoin unanime chez les agents rencontrés de créer des espaces, afin de partager les approches, les problématiques et les expériences professionnelles de développement[7], une nécessité pour certains qui s’inscrit dans la volonté de renouveler constamment leurs compétences et d’augmenter leurs qualifications. Pour d’autres, un milieu associatif fort serait la meilleure « courroie de transmission » de cette préoccupation tout en permettant de mieux faire connaître et reconnaître ces métiers. À cet effet, on a souligné l’importance pour des associations comme l’Association des Centres locaux de développement du Québec (ACLDQ) et le Réseau des Sociétés d’aide au développement des collectivités du Québec, de se questionner sur leur rôle au niveau de la représentation de ces métiers, mais aussi, sur celui d’offre de formation sur mesure pour leurs membres.

En somme, si les territoires au Québec revendiquent une plus grande décentralisation de pouvoirs et de champs de compétences, ils le font en affirmant pleinement leur capacité collective de prise en charge de leur développement. Cette affirmation repose aussi sur le fait que, au fil des ans, les territoires se sont constitués un bassin d’expertises spécifiques qui repose sur un réseau de nouveaux agents de développement en mesure d’appuyer ces communautés locales.