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En mai 2004, le Regroupement provincial des maisons d’hébergement et de transition organisait à l’Université de Montréal une conférence (Conférence québécoise sur la violence conjugale : Vivement la sécurité ! Dégager de nouvelles perspectives pour la protection des femmes et des enfants) réunissant chercheurs universitaires et intervenants sur le thème de la violence conjugale. Violence conjugale, des spécialistes se prononcent, rédigé par Johanne Carbonneau, est la synthèse d’une centaine d’interventions présentées à ce colloque.
L’ouvrage comprend trois parties. La première (« Backlash »), à contenu plus théorique, identifie les problématiques contemporaines susceptibles de comprendre et d’analyser l’occurrence et la permanence de la violence conjugale. L’antiféminisme et le masculinisme, la sexualisation précoce des jeunes filles et de l’image des femmes, le mythe de l’équivalence de la violence des femmes à celle des hommes ainsi que les répercussions de l’idéologie néolibérale sur la vie des femmes victimes de violence conjugale sont les principaux facteurs esquissés dans cet ouvrage. La deuxième partie (« Où en sommes-nous ? »), plus centrale dans l’ouvrage, dresse un portrait général mais très informatif des initiatives en matière de prévention, de dépistage, d’intervention, de protection et de formation des intervenantes. La troisième et dernière partie du livre (« Où allons-nous ? ») identifie les pistes d’action prometteuses pour contrer le problème de la violence conjugale.
La synthèse de cette conférence, écrit dans un langage accessible (un « style journalistique » comme le précise Johanne Carbonneau), s’adresse principalement aux personnes confrontées à la violence conjugale dans l’exercice de leur travail (milieu sociosanitaire, communautaire, éducatif, policier, juridique, etc.). Le livre est en effet conçu de manière à donner un aperçu très général de la problématique de la violence conjugale et des principales questions et défis que pose l’intervention en la matière. Deux postures sont adoptées dans cette synthèse : d’une part, l’analyse et l’intervention féministe en constituent la toile de fond théorique et d’autre part, la violence conjugale y est principalement envisagée sous l’angle des femmes victimisées. Ces postures, aussi légitimes soient-elles, ont toutefois des effets regrettables. Les débats théoriques sur la manière d’envisager et de construire la problématique de la violence conjugale sont neutralisés. Pourtant, en dépit de l’analyse et de l’intervention féministe, d’autres modèles d’intervention sont utilisés (par exemple les approches humaniste, psychodynamique et systémique). Il aurait été enrichissant que ces approches soient minimalement discutées. L’autre effet de cette double posture est l’occultation des pratiques d’intervention auprès des conjoints violents. Ces pratiques d’intervention auraient pu être présentées sans les reléguer d’emblée à une nouvelle figure de l’antiféminisme (p. 29). Le dernier effet regrettable de cette double posture est la stigmatisation des pratiques alternatives (en particulier la médiation), des pratiques systématiquement suspectées de reproduire les rapports inégalitaires entre hommes et femmes, de compromettre la sécurité des femmes et de cantonner la violence conjugale à la sphère privée sans qu’une analyse fouillée des forces et des limites de telles approches n’y soit intégrée.
Bien qu’une section de l’ouvrage soit consacrée aux interventions adaptées aux femmes identifiées comme présentant des besoins spécifiques (les sourdes, les lesbiennes, les femmes itinérantes, les femmes âgées et les immigrantes), la violence conjugale en milieu autochtone est passée sous silence. Cette absence est difficilement justifiable. Les femmes autochtones sont non seulement particulièrement touchées par la violence familiale et conjugale mais elles ont aussi mis en place des modèles d’intervention novateurs (cercles de guérison, cercles de femmes) qui mériteraient d’être mieux connus des intervenantes non autochtones. Il s’agit là des principales lacunes d’un ouvrage généraliste et engagé mais qui n’accorde que peu de place aux débats et aux échanges sur les principes et les modèles d’intervention.
En dépit de ses limites et de ses a priori, l’ouvrage a l’avantage d’offrir un large éventail des pratiques qui ont cours au Québec en matière de dépistage, de sécurisation, de prévention et d’intervention (partie centrale de l’ouvrage). Le panorama des types d’intervention et des secteurs mobilisés et ciblés par ces actions, quoique descriptif, n’en demeure pas moins fort instructif. Les ponts établis entre la pratique et la recherche à travers les présentations colligées dans cet ouvrage sont limités mais fournissent tout de même quelques résultats intéressants, notamment sur le profil des femmes âgées victimes de violence conjugale (p. 98), sur la sévérité du risque d’agression (p. 133), sur les pratiques de judiciarisation (p. 177) et sur l’homicide conjugal (p. 20 et p. 149). Par contre, l’évaluation des programmes d’intervention reste lacunaire dans ce recueil. En définitive, Violence conjugale, des spécialistes se prononcent est un livre de référence qui saura intéresser les intervenantes nouvellement engagées dans le secteur de la violence conjugale mais qui demeure néanmoins insuffisant pour des professionnelles plus aguerries.