Marie-Éva de Villers se donne pour tâche de caractériser le français québécois. Or, malgré des centaines d’années de tentatives, la description de la réalité d’une langue reste une tentative périlleuse, tant cette réalité est protéiforme et il n’est pas étonnant de constater que la recherche qui sous-tend l’ouvrage s’est effectuée dans le cadre d’une thèse soutenue à l’Université de Montréal. Elle puise sa force en grande partie dans des choix méthodologiques clairs : le premier est de privilégier une seule forme de la langue aux dépens de toutes les autres ; le second est d’exploiter les outils des nouvelles technologies de l’information afin de réunir suffisamment de données pour tirer des conclusions. Le choix de la forme de la langue est tout aussi important : il s’agit d’une variété hautement normée et reconnue comme telle. Cette variété aurait pu être celle des cours de justice ou de la haute administration. L’auteure a choisi les écrits d’un quotidien prestigieux, Le Devoir en l’occurrence, ce qui non seulement permet de se focaliser sur un média dont les effets multiplicateurs sont reconnus (la presse constitue l’écho de l’usage de la langue, elle la diffuse aussi), mais encore de comparer les résultats avec ceux de son équivalent français, Le Monde. Cette étude, telle qu’elle est pratiquée par Marie-Éva de Villers, comporte une analyse de la totalité des textes publiés en 1997 par Le Devoir (soit treize millions de mots en tout), comparée à la totalité des textes publiés dans Le Monde pour la même année (vingt-quatre millions de mots en tout). C’est la première fois qu’on utilise un corpus journalistique d’une telle ampleur pour définir et différencier des usages linguistiques de ce genre. Pour illustrer le développement du français du Québec, l’auteure prend la métaphore de l’arbre, du chêne d’Amérique : « les racines, ce sont les mots venus de France ; mots perdus pour la plupart des francophones, mais toujours vivants au Québec […] le tronc représente l’ensemble des mots que nous partageons avec les autres francophones de la planète […] l’une des branches maîtresses regroupe des mots que nous avons créés […], l’un des rameaux regroupe les mots que nous avons empruntés à d’autres langues ». C’est le tronc, le français que l’on peut qualifier d’international, qui est le plus important, et de loin. Les mots relevés dans Le Devoir et dans Le Monde se recoupent à 77 % : quelque 20 000 formes lexicales. Trois mille mots sont spécifiques au Devoir, et trois mille au Monde. Mais, comme nous l’explique l’auteure, nombre de ces mots sont soit créés pour la circonstance dans l’un ou l’autre des journaux, soit dérivés d’un nom de lieu ou de personne, soit des termes spécialisés ou savants du français standard, employés dans le texte au gré des sujets évoqués dans les articles. Si l’on fait abstraction de ces cas, le taux de partage s’élève à près de 85 %. Sans être identiques, les deux variétés du français partagent l’essentiel. Les racines représentent le fonds ancien, les mots français encore employés au Québec mais oubliés, ou presque, ailleurs dans la francophonie. Ces mots ne représentent que 7,7 % du vocabulaire propre du Devoir, soit 246 mots, mais ils font l’objet d’une présentation détaillée, tant leur histoire est significative. L’auteure en distingue quatre catégories : les québécismes de forme ; les québécismes de sens ; les dialectalismes et les québécismes de fréquence, et elle consacre une analyse détaillée aux mots qui accusent une fréquence égale ou supérieure à 10 dans son corpus. Ainsi, dans la première catégorie on relève achalandage et achalandé, avant …
Marie-Éva deVillers, Le vif désir de durer. Illustration de la norme réelle du français québécois, Montréal, Québec Amérique, 2005, 347 p.[Notice]
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John Humbley
Université Paris 7 Denis-Diderot.