Comptes rendus

Karim Larose, La langue de papier. Spéculations linguistiques au Québec, Les Presses de l’Université de Montréal, 2004, 454 p.[Notice]

  • Claude Poirier

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  • Claude Poirier
    Trésor de la langue française,
    Département de langues, linguistique et traduction,
    Université Laval.

L’étude de Karim Larose fait le bilan des discussions sur la langue qui ont marqué l’évolution du Québec pendant la période d’effervescence qui commence à la veille de la Révolution tranquille et se termine avec l’adoption de la Charte de la langue française. Sans vouloir contredire l’auteur, qui écrit « qu’il existe plusieurs travaux de synthèse importants sur la question linguistique » (p. 9-10), j’estime que son livre est, avec celui de Chantal Bouchard (La langue et le nombril, 1998), le seul qui puisse être considéré comme une synthèse de la réflexion des Québécois à propos de leur langue. Le sous-titre comporte le mot spéculations, dont l’auteur a forcé un peu le sens, me semble-t-il, pour parler d’un ensemble de discours, le plus souvent polémiques, tenus par des militants, des activistes, des intellectuels engagés. En fait, ce n’est pas tant de la conception de la langue dont il est question, bien que cet aspect soit traité, que de son statut, de son usage, de sa promotion ainsi que des dangers que lui fait courir le bilinguisme canadien. Cela étant dit, il faut reconnaître la grande qualité du travail qui a été fait à travers le dépouillement et l’analyse d’une abondante documentation constituée d’essais, d’articles de revues et d’interventions dans les journaux. Le corpus de Karim Larose est représentatif de l’époque et proportionné à ses objectifs. Après vérification dans les archives du Trésor de la langue française au Québec, les premières attestations de l’auteur concernant les appellations français québécois (et québécois), franglais, langue québécoise demeurent des repères sûrs. L’ouvrage étant d’excellente tenue et destiné à devenir un texte de référence, on comprendra que j’en fasse ici un examen critique dans le but d’alimenter le dialogue, que recherche l’auteur, entre littéraires et linguistes. J’adopte une grille de lecture fondée sur l’opposition statut / corpus couramment utilisée par les sociolinguistes. Statut fait référence à la dimension publique de la langue (caractère d’officialité, fonctions effectives de la langue dans la société, droits linguistiques), alors que corpus renvoie aux productions (orales et écrites) et à la compétence des locuteurs. L’auteur mentionne ces concepts, mais il a préféré retenir comme fil conducteur un cadre théorique devant lui servir à rattacher les énoncés soit à l’expressivisme (la langue est perçue comme un prolongement du sujet plutôt qu’une façon de désigner le monde extérieur), soit à l’instrumentalisme (la langue est un outil qu’on doit contrôler et adapter aux besoins). Cette approche convenait mal, il me semble, à l’analyse d’échantillons de discours de portée différente, la plupart rédigés dans le feu de l’action et qui peuvent parfois même apparaître contradictoires chez un même individu. On peut structurer comme suit le texte de Larose : genèse et affirmation de la notion d’État unilingue français, de 1957 à 1963 (premier chapitre : statut), rapports entre langue et littérature (deuxième chapitre : corpus), crise de Saint-Léonard et querelle du joual (troisième chapitre : statut et corpus). Le chapitre 4, consacré à Gaston Miron et à Jacques Brault (plus de 75 pages), constitue une pièce à part, s’inscrivant mal dans l’économie de l’étude. Ce n’est pas que l’apport de ces deux écrivains ne mérite pas d’être souligné, mais le fait est que ce chapitre, baignant dans la critique littéraire, rompt avec la démarche efficace des précédents. Larose ayant lui-même déploré qu’on donne trop souvent la parole aux mêmes auteurs (p. 9), il ne nous en voudra pas de lui faire remarquer que son admiration pour ces poètes bien connus n’est pas passée inaperçue. Il aurait été plus utile de situer leur contribution dans la dynamique des échanges, dans …