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Tiré d’une thèse de doctorat codirigée par le sociologue Jules Duchastel à l’Université du Québec à Montréal, avec lequel il a plus tard dirigé deux ouvrages collectifs (2003, 2004), Nationalismes et société au Québec est un petit livre aux grandes ambitions. Dans le bref espace de trois chapitres de quelque 150 pages (le reste du livre consiste surtout en cartouches explicatives), l’auteur livre une « histoire des nationalismes au Québec » depuis 1760 jusqu’à 2001 (p. 201). Cette histoire met « en parallèle l’évolution de la société au Québec » (p. 2), c’est-à-dire son développement politique, institutionnel, économique, démographique et socioculturel (ch. 1 et 2), avec les trois nationalismes qui se sont manifestés en son sein, le nationalisme canadien (1760 à 1840), le nationalisme canadien-français (1840 à 1960), et le nationalisme québécois (1960-2001) (ch. 3).
Les deux premiers chapitres ne sont, en effet, que de longues introductions au contexte historique dans lesquels, l’auteur l’avoue, les contraintes de la synthèse historique l’obligent à simplifier (p. 138). Malheureusement, ces deux chapitres ne sont pas rédigés à la manière de l’École des Annales, comme le voudrait Canet (p. 83), mais plutôt selon le schéma d’un modèle universalisant qui, seul, expliquerait le développement d’une société. En effet, si l’on simplifie trop, on risque, sans s’en rendre compte, d’utiliser des formules interprétatives représentant des valeurs éthiques, plutôt que d’énumérer les éléments apparemment objectifs du discours historiographique. Voilà donc le « système politique ambigu » instauré par Whitehall au lendemain de la cession (p. 33) ; une législature qui « ne pouvait qu’être source de tension » (p. 35) ; « un exécutif non responsable… source de conflit potentiel » (p. 44) ; la libre circulation des marchandises interprétée comme élément positif (p. 48), bien que plus tard l’« interventionnisme étatique » dans l’économie soit défini comme « fécond » (p. 125) ; un Québec qui en 1850 n’a « pas encore trouvé son créneau » (p. 90) ; l’économie ontarienne expliquée par rapport à l’exportation de ses produits de base (p. 86, 90) ; et finalement une Église catholique, élément négatif tout court, qui cherche à « s’emparer de la mission éducative » (p. 111). Quant à nos jours, voici une Charte canadienne des droits et des libertés qui limiterait la dictature de la majorité (donc le Canada aurait été une dictature pendant un siècle ?) (p. 67) ; le « mal chronique qui ronge les démocraties occidentales, le désengagement politique des citoyens » (ce que au contraire plusieurs politicologues interprètent comme un signe positif du système étatique libéral) (p. 69) ; et une discussion de l’ALÉNA, que l’auteur de toute évidence n’aime pas, qui se base sur une seule communication, qui en plus n’a jamais été publiée (p. 105, 118).
Le lecteur est donc avisé de ne pas utiliser les deux premiers chapitres comme contexte historique porté à justification de la thèse du troisième chapitre, celui qui de toute évidence constitue le champ d’analyse véritable de Canet. Le dernier chapitre porte donc « sur les trois différentes formulations de l’identité nationale » (p. 128) qui se sont succédé, à l’intérieur de la province de Québec, entre 1760 et 2001. Canet procède de façon très pédagogique d’un sujet à l’autre, explique bien ses procédés méthodologiques, et s’attarde sur les définitions des concepts de nationalisme (p. 130), de citoyenneté (p. 192-194, 205), et de nation (p. 14-15, 192-193, 220). Ni à propos de ces concepts, ni dans ses conclusions générales, Canet paraît suggérer des innovations par rapport à la communauté des chercheurs québécois, au moins ceux qu’il mentionne. Selon lui, le nationalisme québécois se situerait à mi-chemin entre ses deux prédécesseurs, l’un inclusif (le nationalisme canadien) et l’autre exclusif (le nationalisme canadien-français), parce qu’il se présenterait « sous une forme politique et inclusive », voire avec « un projet émancipateur orienté vers l’appropriation du pouvoir étatique pour un peuple majoritaire sur un territoire spécifique, le Québec » (p. 200).
L’auteur de ce compte rendu se demande, pourtant, si une analyse se limitant strictement au Québec serait encore capable d’arriver à des conclusions plus originales, innovatrices et intéressantes, pour ne rien dire de leur utilité pour le discours politique. Cela fait maintenant au moins toute une génération que les intellectuels québécois s’interrogent sur leur mémoire, leur présent et leur destin. Canet mentionne un certain nombre de collectivités étrangères au tout début de son ouvrage (p. 17), mais il s’arrête là. Plus tard, il écrit que ce furent l’« urbanisation, l’industrialisation, la scolarisation, les technologies d’information et de communication qui permirent le passage du Québec à l’époque du village global, « comme dans toutes les sociétés occidentales » (p. 128). Mais cela ne fut-il pas le cas de tout pays ? Quelle fut donc l’originalité de l’expérience québécoise ? Sans regarder à l’extérieur de l’expérience de leur province, tout en se limitant pourtant au monde occidental, c’est-à-dire sans comparer l’expérience du Québec par exemple au régionalisme américain, à l’expérience ibérique, à celle de l’Océanie, ou, sans beaucoup s’éloigner de chez soi, à celle du Nouveau-Brunswick, peut-on encore espérer atteindre un plus haut niveau d’analyse scientifique et d’originalité intellectuelle ?
Un mot final sur des questions plus strictement éditoriales. Les Éditions Athéna doivent être félicitées pour l’absence presque totale de fautes typographiques (j’en ai compté deux, dont une est le nom de famille de La Bolduc – Travers, et non pas « Trevers ») (p. 123). Par ailleurs, la maison d’édition est invitée à différencier davantage les caractères des dizaines de titres et sous-titres des chapitres et sous-chapitres ou bien à diminuer leur nombre, et en même temps à éviter l’utilisation des caractères gras et italiques. Loin de mieux structurer l’ouvrage, tout cela est une source de désordre typographique.