Comptes rendus

Denis Saint-Jacques et Maurice Lemire (dirs), La vie littéraire au Québec, V, 1895-1918, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2005, 680 p.[Notice]

  • Andrée Fortin

…plus d’informations

  • Andrée Fortin
    Département de sociologie,
    Université Laval.

Dans la rédaction de ce compte rendu, je décline dès le départ toute prétention à l’objectivité. Je m’en suis déjà souvent expliquée, tant à l’oral qu’à l’écrit : je suis une fan de cette entreprise qui au début semblait démesurée et s’impose désormais comme un travail essentiel tant pour les sociologues, les historiens que les spécialistes de la littérature québécoise. Avec les sept tomes du Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, les deux tomes de L’histoire de l’édition littéraire au Québec sous la direction de Jacques Michon et ceux de L’histoire sociale des idées de Yvan Lamonde, notamment, on dispose désormais d’excellentes synthèses sur l’activité intellectuelle au Québec, sous toutes ses coutures, ou presque. À cet égard, La vie littéraire au Québec constitue la synthèse des synthèses, la vue d’ensemble du champ littéraire, en même temps qu’au-delà de ce que son titre pourrait laisser croire, une histoire sociale, voire une sociologie, de la littérature. À chaque tome – l’équipe sous la direction de Denis Saint-Jacques et Maurice Lemire en est déjà au cinquième – l’entreprise gagne en profondeur. Les deux premiers tomes décrivaient les prolégomènes et les balbutiements de cette vie littéraire, avec un luxe de détails que les suivants ne peuvent égaler dans un nombre de pages oscillant autour de 500 pour le texte, sans compter les annexes ; la bibliographie à elle seule, dans les deux derniers tomes (1870-1894) et (1895-1918), court sur une bonne centaine de pages. À l’orée du vingtième siècle, le champ littéraire, au sens de Bourdieu, apparaît clairement avec ses avant-gardes et ses institutions, ses générations et ses instances de consécration ; les sciences sociales se détachent graduellement de la littérature et le journalisme consacre sa rupture avec celle-ci. La référence Bourdieu tient toutefois davantage au traitement qu’à des références explicites. Les auteurs situent les oeuvres littéraires dans leur contexte social-historique de production et de réception, sans les y réduire. Ce contexte, soit dit en passant, ne se réduit jamais aux frontières du Québec ou de la Laurentie. Nul déterminisme du champ, aucun sociologisme n’est à l’oeuvre dans les propos des auteurs. Pourquoi se pencher sur la période allant de 1895 à 1918 ? Le découpage temporel ayant été expliqué au début de l’entreprise, on n’y revient pas dans ce tome ; le lecteur qui aborderait directement celui-ci déduirait facilement que ces dates marquent à la fois la naissance de l’École de Montréal en 1895, et la parution en 1918 de la revue Le Nigog et du Manuel d’histoire de la littérature canadienne-française de Mgr Camille Roy, autrement dit, le passage à la modernité. En fait ce dernier concept est étranger à la discussion des auteurs, articulée autour des notions de légitimité et d’autonomie du champ littéraire national (lire québécois), ce que reflètent les sous-titres ; après « la voix française des nouveaux sujets britanniques », « le projet national des Canadiens », « un peuple sans histoire ni littérature » et « Je me souviens », ce cinquième tome porte en sous-titre : « Sois fidèle à ta Laurentie ». Si l’allusion à la Laurentie peut sembler évidente et transparente pour qui connaît déjà la période, elle n’est pas plus discutée que les balises temporelles. Cette époque a ceci de particulier que s’y manifeste pour la dernière fois de façon aussi explicite la rencontre du littéraire, de la politique et de l’histoire ; s’il y a dissociation croissante, voire rupture, elle n’est pas encore consommée, comme l’indique cette référence à la Laurentie. Avec l’institutionnalisation du champ, la littérature se fera peut-être engagée, mais réclamera son autonomie du politique, comme la querelle …