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L’ouvrage de Jacques Rouillard, professeur au département d’histoire de l’Université de Montréal, est une présentation revue et enrichie de son Histoire du syndicalisme québécois publiée chez le même éditeur en 1989. L’auteur souligne dans son introduction qu’il y a ajouté de nouveaux éléments traitant de l’action syndicale en matière de négociation collective, et un nouveau chapitre portant sur la période 1985-2003. L’ouvrage est organisé en cinq chapitres qui correspondent à différentes périodes de l’histoire du syndicalisme québécois.
La période 1818 à 1900 correspond selon l’auteur à la naissance et à l’affirmation du syndicalisme québécois. Il situe en 1818 l’origine du syndicalisme organisé au Québec, avec la création de la Société amicale des charpentiers et menuisiers de Montréal. Les deux décennies suivantes verront naître d’autres associations ouvrières dans les industries du vêtement, de l’imprimerie et de la construction. En 1833, le Syndicat des charpentiers de Montréal déclenche une grève pour obtenir la réduction de douze à dix heures de la journée de travail. Après un premier échec, il obtient gain de cause l’année suivante et participe à la fondation de Montreal Trade Unions, un regroupement d’associations ouvrières dont l’objectif principal est la réduction de la journée de travail. Malgré ces premiers succès, l’essor du mouvement syndical québécois est lent et largement tributaire de l’expansion des syndicats « internationaux » basés aux États-Unis. L’adoption en 1872 par le gouvernement canadien d’une loi qui consacre la reconnaissance légale des syndicats accélère le mouvement de syndicalisation au Canada et au Québec tout en accentuant la pénétration des syndicats « internationaux » et à un moindre degré des Chevaliers du travail, qui connaissent un succès relatif au Québec à la fin du dix-neuvième siècle.
La période allant de 1900 à 1940 enregistre une expansion importante du syndicalisme au Québec dont les effectifs passent de 12 000 en 1901 à 157 000 en 1941. En parallèle à la montée importante des syndicats internationaux, on assiste au début du vingtième siècle à la naissance du syndicalisme catholique avec la fondation en 1911 de la Fédération ouvrière mutuelle du Nord, suivie en 1921 de la création de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC), l’ancêtre de la CSN, qui représente en 1940 environ 30 % des syndiqués québécois. En 1937, les syndicats internationaux fondent la Fédération provinciale des travailleurs du Québec, l’ancêtre de la FTQ. Cette période d’expansion du syndicalisme québécois est marquée par de nombreux conflits impliquant plusieurs milliers de travailleurs et travailleuses : grève de la chaussure à Québec (1900 et 1926), du vêtement à Montréal (1917 et 1933), et du textile (1937).
Durant la période 1940 à 1960, le taux de syndicalisation grimpe de 20 % à 30 % et le syndicalisme québécois atteint sa maturité. Les années 1940 à 1945 au Canada et au Québec correspondent à une période de plein emploi favorable aux revendications syndicales, même si les négociations salariales dans les industries de guerre (qui emploient près de 75 % des travailleurs du secteur manufacturier) sont soumises à un contrôle par un organisme fédéral de conciliation. Le gouvernement canadien adopte en 1944 le CP 1003 qui reprend les principes du Wagner Act américain sur la reconnaissance syndicale, la négociation collective et le droit de grève. La même année, le gouvernement du Québec emboîte le pas avec sa loi sur les relations ouvrières, mais il soumet les services publics à une loi des différends qui impose l’arbitrage obligatoire en cas d’impasse dans les négociations collectives, sans droit de grève. La période de l’après-guerre est caractérisée par une chasse aux militants communistes dans les syndicats internationaux, tandis que la CTCC devient plus militante à l’occasion de la grève de l’amiante en 1949, et de la grève du textile de Louisville en 1952. Les négociations collectives durant cette période contribuent à une amélioration substantielle des conditions de travail des syndiqués, avec une augmentation du salaire horaire de 53 % dans le secteur manufacturier de 1940 à 1950, et de 36 % de 1951 à 1960. Le nombre de conflits de travail et de jours de grève augmente de façon régulière de 1946 à 1955 avant de connaître un déclin soutenu jusqu’au début des années 1960.
La période 1960 à 1985 est celle de l’institutionnalisation des confédérations qui occupent aujourd’hui la scène syndicale québécoise. Après un projet avorté d’affiliation de la CTCC au Congrès du travail du Canada en 1955-1956, la FTQ voit le jour en 1957 alors que la CTCC se déconfessionnalise et devient la CSN en 1964. La FTQ revendique dès sa fondation une plus grande autonomie au sein du Congrès du travail du Canada qu’elle obtiendra graduellement, tandis que la CSN augmente considérablement ses effectifs à l’occasion de la syndicalisation des salariés du secteur public qui se voient reconnaître en 1965 le droit à la négociation et à la grève. En marge des deux principales organisations syndicales québécoises, la Corporation des instituteurs et institutrices catholiques du Québec fondée en 1945 donne naissance en 1966 à la Corporation des enseignants du Québec (CEQ) qui devient en 1972 la Centrale des enseignants du Québec, avant de se transformer en 2000 en Centrale des syndicats du Québec (CSQ) afin de mieux refléter la diversité croissante de ses effectifs qui s’étendent désormais à d’autres secteurs tels la santé et les services de garde. L’autre centrale syndicale, la Confédération des syndicats démocratiques (CSD), est issue d’une scission au sein de la CSN survenue en 1972. Cette période correspond également à une montée des syndicats indépendants qui résultent dans plusieurs cas d’une désaffiliation de la CSN qui voit ses effectifs diminuer au cours de la décennie 1970.
L’action syndicale au cours de cette période connaît une radicalisation sans précédent dans l’histoire du mouvement syndical québécois. Le taux de syndicalisation augmente de 30 % en 1961 à 39 % en 1985, un taux qui s’est maintenu depuis lors avec des variations à la hausse et à la baisse. Après une période de rapprochement des syndicats avec le gouvernement libéral à l’origine de la Révolution tranquille dans les années 1960, l’action syndicale se radicalise au début des années 1970 avec la mise en place des fronts communs des syndiqués des secteurs public et parapublic qui réunissent les trois grandes centrales syndicales CEQ-CSN-FTQ. Le point culminant est atteint en 1972 lors de l’emprisonnement des trois chefs syndicaux qui ont refusé d’obtempérer à une loi de retour au travail à la suite d’une grève générale des syndiqués du secteur public. Les conflits de travail se multiplient également dans le secteur privé au cours de cette période, notamment après l’adoption en 1976 d’une loi fédérale sur le contrôle des salaires pour lutter contre l’inflation. L’arrivée au pouvoir du Parti québécois en 1976 est bien accueillie par les centrales syndicales qui appuient son programme de réforme des lois du travail octroyant aux syndicats de nouveaux droits en matière de reconnaissance syndicale, de négociation collective et dans le domaine de la santé et la sécurité du travail. Les négociations du secteur public et parapublic de 1982 marquent cependant une rupture à cet égard, le gouvernement du Parti québécois imposant d’importantes baisses de salaires à l’ensemble des salariés représentés par les trois grandes centrales syndicales québécoises. La radicalisation de l’action syndicale se traduit par une augmentation de 25 % du salaire réel au cours de la décennie 1970, mais la récession économique fait diminuer de 5 % ce salaire de 1980 à 1985. Le cycle des grèves suit une courbe similaire, avec une augmentation importante de 1960 à 1979 suivie d’un déclin de 1980 à 1985.
La période 1985 à 2003, qui constitue le principal ajout de l’auteur à son ouvrage précédent sur l’histoire du syndicalisme au Québec, est marquée par deux récessions économiques (en 1982-1983 et en 1990-1991) qui affectent la capacité d’action syndicale. Face aux politiques économiques restrictives mises en oeuvre par le gouvernement québécois pour réduire les dépenses publiques et juguler l’inflation, les syndicats cherchent à atténuer les effets néfastes de la crise économique sur l’emploi. La FTQ lance en 1984 le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec afin de canaliser l’épargne des travailleurs vers des investissements créateurs d’emplois, et elle adoucit considérablement sa critique du système capitaliste. La CSN prend au début des années 1990 la voie de la « coopération conflictuelle » en vue d’améliorer la performance des entreprises pour sauvegarder les emplois. La FTQ et la CSN et à un moindre degré la CEQ sont parties prenantes de la concertation sociale proposée par le Parti québécois après son retour au pouvoir en 1994. Selon l’auteur, le gouvernement du PQ s’engage dans la mouvance néolibérale au cours de la période 1994 à 2002 par la tenue des sommets socioéconomiques qui réunissent des représentants de l’État, des employeurs, des syndicats et de la société civile. Sur le plan de la négociation collective, la période 1985 à 2003 n’est guère favorable aux syndicats, avec une diminution de 7 % du salaire réel de 1983 à 2000. Les conflits de travail durant cette période sont en diminution, mais leur durée tend à s’allonger comme en témoigne le conflit de Vidéotron en 2002-2003.
En conclusion, l’auteur souligne que le mouvement syndical au Québec, qui regroupe environ 40 % des salariés, demeure un acteur social de premier plan. Formé à l’origine de syndicats de métiers, le syndicalisme québécois prend au début des années 1930 le tournant du syndicalisme industriel qui est renforcé par l’adoption de la loi sur les relations ouvrières en 1944. Le mouvement syndical atteint son apogée au Québec dans les années 1960 et 1970 marquées par la syndicalisation des salariés du secteur public et les grands mouvements de grève dans les secteurs public et privé. Cependant, note l’auteur, le syndicalisme au Québec et ailleurs dans le monde a été durement affecté par les récessions économiques des années 1980 et 1990 et la mondialisation croissante de l’économie. Depuis 1985, le syndicalisme québécois est sur la défensive et il est impuissant à contrer les effets néfastes de la mondialisation, comme la précarisation des emplois et la privatisation des services publics. Malgré ce constat pessimiste, l’auteur conclut que les syndicats assurent à leurs membres des conditions de travail plus avantageuses que celles des travailleurs non syndiqués, et que seule la négociation collective permet une distribution équitable du progrès industriel.
Cette présentation sommaire des grandes lignes de l’ouvrage se limite aux principaux éléments de synthèse qui ressortent de la lecture des cinq chapitres consacrés à l’histoire du syndicalisme québécois. Elle ne rend pas compte des nombreuses références à l’évolution du mouvement syndical aux États-Unis et dans le reste du Canada, qui apportent un éclairage intéressant pour saisir la spécificité du syndicalisme québécois dans le contexte nord-américain. Nous avons également ignoré les présentations de l’auteur sur les orientations idéologiques et les principales revendications des différentes centrales syndicales québécoises, de même que sur les lois du travail adoptées par les gouvernements et leur impact sur l’action syndicale. Dans la même veine, nous n’avons pas relevé ses analyses fort bien documentées sur les principales grèves qui ont jalonné l’histoire du syndicalisme québécois. Ces différents développements offrent aux lecteurs des analyses originales qui contribuent à enrichir la synthèse historique que propose l’auteur.
Les recherches du professeur Jacques Rouillard, une autorité reconnue dans son domaine, constituent les matériaux de base de cet ouvrage sur l’histoire du syndicalisme au Québec. L’ouvrage puise également dans d’autres travaux de recherche pour faire ressortir les facteurs structurants de l’évolution du syndicalisme québécois depuis ses origines jusqu’à nos jours. Il comporte une intéressante annexe bibliographique qui informe le lecteur sur les principaux ouvrages lui permettant d’approfondir les aspects généraux et les différentes périodes de l’histoire du syndicalisme québécois. L’ouvrage offre un remarquable travail de vulgarisation des recherches sur l’histoire du mouvement syndical au Québec qui s’adresse au premier chef à des étudiants du premier cycle universitaire en histoire et en relations industrielles. Les lecteurs non universitaires intéressés par l’histoire du syndicalisme au Québec y trouveront également leur compte, car il s’agit là de l’ouvrage le plus complet et le plus achevé sur le sujet disponible à ce jour.