Depuis que les détracteurs du nationalisme ont sorti du placard le cadavre honteux de « l’odieux petit curé » (Mordecai Richler), la littérature groulxienne a suffisamment proliféré pour que le directeur du Centre de recherche Lionel-Groulx juge opportun d’y consacrer un colloque, qui s’est tenu le 8 novembre 2003 et dont les actes sont rassemblés ici. Il réunissait une soixantaine d’invités d’horizons divers, dont six chargés de communications. Celles-ci ont été limitées aux « nouvelles lectures » parues depuis 2000 – une bien étroite plage de temps pour rendre compte des études groulxiennes. Sans doute le responsable voulait-il éliminer toute référence aux polémiques des années 1990 ; il fait en même temps l’économie de bonnes pièces au dossier, notamment le beau numéro de 1997 de feu les Cahiers d’histoire du Québec au XXe siècle, qui ne figure même pas dans la bibliographie collective de fin de volume. Un simple bilan des « anciennes lectures » ? Le responsable se rend suspect de pareil simplisme du fait qu’on ne trouve pas les principaux artisans de ce numéro parmi ses invités. Convenons plutôt qu’il avait suffisamment de matière pour meubler une journée avec les plus récents travaux. S’interrogeant sur la postérité de Groulx, Frédéric Boily présente Fernand Dumont comme son continuateur, tandis qu’il trouve chez Jocelyn Létourneau « une autre posture qui nous permet de briser avec la conception groulxienne de l’intellectuel » (p. 30). L’idée n’est pas neuve et la démonstration est molle. Elle s’appuie sur une autorité douteuse et repose sur plusieurs glissements sémantiques : « l’être collectif » est compris comme une psychè, « l’idée que la nation a une personnalité » étant imputée à Dumont aussi bien qu’à Groulx ; le « heureux ceux qui vivent du pays » devient un devoir de solidarité avec le peuple ; un « pas seulement [l’État] mais aussi [la culture] » est tiré vers le primat de la culture sur le politique. Marie-Pier Luneau nous en apprend davantage dans une étude au ras des faits sur les stratégies de mise en marché de l’écrivain : « Groulx a le sens des affaires » (p. 37) ; il a « privilégié l’alliance avec le public et affiché de l’indifférence, parfois du mépris, envers les institutions » (p. 39) ; « en dépit du sentiment d’échec […], il clôt son parcours avec une magnifique réussite » (p. 47) : Chemins de l’avenir. Abordant la place des minorités canadiennes-françaises dans la pensée de Groulx, Michel Bock nous éclaire sur « sa conception des rapports entre nation et État » et règle l’apparente contradiction entre le « notre État français, nous l’aurons » de l’âge mûr et le « je n’ai jamais été séparatiste » de la vieillesse. Pour conclure, il insiste que la pensée de Groulx « fait preuve d’une continuité et d’une cohérence, à [s]on sens, remarquables » (p. 63) – répondant ainsi à l’avance à Gérard Bouchard. Le programme du matin se complétait par la communication attendue de Norman Cornett sur « Théologie, Incarnation et nationalisme chez Lionel Groulx », dont Pierre Trépanier écrit ailleurs que là se trouve « le Groulx essentiel ». La thèse est pénétrante : le nationalisme de Groulx est « fondé sur une lecture globale du salut inspirée de l’Ancien Testament » (p. 69). L’analogie entre le Canada français et l’Israël de la Bible est une constante de sa pensée : les Canadiens français sont le nouveau peuple de Dieu en Amérique du Nord. « L’ethnicité incarne l’universalité comme la nature humaine du Christ incarnait la divinité. » (P. 78.) Cette lecture est d’autant …
Robert Boily (dir.), Un héritage controversé. Nouvelles lectures de Lionel Groulx, Montréal, VLB, 2005, 185 p.[Notice]
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Nicole Gagnon
Professeur retraité de sociologie,
Université Laval.