Comptes rendus

Denyse Baillargeon, Un Québec en mal d’enfants. La médicalisation de la maternité, 1910-1970, Montréal, Les Éditions du remue-ménage, 2004, 373 p.[Notice]

  • Danielle Gauvreau

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  • Danielle Gauvreau
    Département de sociologie et d’anthropologie
    Université Concordia

Denyse Baillargeon vient de publier un ouvrage important sur une page plutôt sombre de l’histoire du Québec. Les hauts niveaux de mortalité enregistrés au début du XXe siècle, particulièrement chez les enfants et leurs mères, y sont examinés sous l’angle de la médicalisation de la maternité et des soins donnés aux enfants. Certes, ces fléaux sont endigués à la fin de la période couverte par l’ouvrage (1970), mais l’analyse de l’auteure met au jour des aspects plus complexes et moins louables de cette réussite, telles la lutte de pouvoirs à laquelle elle a donné lieu et la soumission progressive des mères et des nourrissons au contrôle de l’appareil médical. L’argumentation de l’auteure suit une logique claire et les chapitres s’imbriquent bien. Le premier chapitre contient, comme il se doit, un survol de la situation en matière de mortalité infantile et maternelle (moins bien connue) durant la période étudiée. Sans receler de grandes surprises, ce chapitre trace un état des lieux utile. On retiendra que c’est dans le cas de la mortalité des enfants que le Québec se distinguait par de tristes records, la même chose n’étant pas vraie pour la mortalité des mères, élevée certes, mais guère plus qu’ailleurs au Canada. Il importe aussi de souligner les écarts spectaculaires de mortalité enregistrés entre enfants de différents groupes ethniques, au détriment des francophones. S’appuyant sur l’état des lieux réalisé dans ce premier chapitre, l’auteure poursuit en examinant la façon dont cette situation fut perçue par les acteurs de l’époque. Son analyse d’une variété de discours sur la mortalité infantile et la taille des familles fait une large place aux idées nationalistes, omniprésentes dans les discussions entourant les deux guerres mondiales. Le chapitre 3 examine la rhétorique médicale utilisée pour convaincre les autorités compétentes que la solution à cette hécatombe d’enfants passe forcément par l’éducation des mères. L’auteure insiste sur le fait que cette rhétorique va bien au-delà de l’objectivité scientifique et relève aussi de l’ordre des préjugés des médecins face aux femmes, jugées individuellement responsables en raison de leur ignorance. Certains propos ou images ne manqueront pas de choquer ou de faire sourire, par exemple cette métaphore utilisée par un médecin qui compare la femme enceinte à une personne marchant au bord d’un précipice (p. 107) ou encore cette image d’un bébé armé de gants de boxe symbolisant les avantages des vaccins contre les agressions microbiennes (p. 145). Le chapitre 4 fait la nomenclature des services mis en place à différents niveaux pour réaliser l’objectif d’éduquer les mères, en prenant soin de distinguer les stratégies parfois différentes mises en oeuvre en divers endroits (Montréal, Québec, Sherbrooke, etc.). Les deux derniers chapitres font ressortir toute la finesse de l’analyse de Baillargeon. On en apprend davantage sur les motivations des acteurs en présence ainsi que les alliances et les luttes de pouvoir ayant jalonné l’évolution de la prise en charge de la maternité et des soins donnés aux enfants (chapitre 5). Les acteurs sont nombreux et les relations qu’ils entretiennent témoignent d’une hiérarchie dominée par les médecins, qui doivent néanmoins composer avec les autres groupes. Fidèle à son approche, l’auteure analyse ces rapports à la lumière du contexte économique, politique et social, en profonde mutation durant la période étudiée. Le dernier chapitre donne la parole aux femmes interviewées par l’auteure, qui témoignent de leur expérience de ces transformations (chapitre 6). Loin d’être identiques, ces témoignages font apparaître de « nombreuses figures de médecins » (p. 277) et mettent au jour les efforts déployés par les femmes pour consulter un médecin qui leur convienne. On y rencontre ainsi des femmes soumises, démunies ou …