Comptes rendus

Francine Saillant, Michèle Clément et Charles Gaucher (dirs), Identités, vulnérabilités, communautés, Québec, Éditions Nota bene, 2004, 333 p.[Notice]

  • Gérard Fabre

…plus d’informations

  • Gérard Fabre
    Centre d’étude des mouvements sociaux
    ÉHÉSS-CNRS (Paris)

Identité, vulnérabilité, communauté : ces mots sont à la mode. Faut-il pour autant en récuser l’usage ? Le parti pris de cet ouvrage collectif consiste plutôt à « déconstruire » ces notions, à partir d’exemples précis. Ces derniers sont tirés essentiellement du champ de la santé, les problèmes de « vulnérabilité sociale » étant ramenés de plus en plus souvent à leurs dimensions sanitaires – accès aux soins, qualité des soins, reconnaissance des handicaps, prise en charge des maladies et des accidents les plus graves. Les sciences sociales n’échappent d’ailleurs pas à la traque des stéréotypes que ces trois mots véhiculent, dans la mesure où elles participent à leur légitimation, pour ne pas dire leur institutionnalisation. L’usage à trois reprises du pluriel dans le titre n’est pas fortuit : il indique d’emblée que loin d’être en quête d’une triple essence, les auteurs entendent se démarquer d’une possible réification en montrant le caractère polysémique, ambivalent et même ambigu de ces mots – mots d’ordre dans lesquels chacun puise ce qu’il veut bien entendre, mots fourre-tout ou passe-partout, et quasiment reconnus pour cela d’utilité publique. À tel point que la notion de vulnérabilité, qui est vraiment au coeur de l’ouvrage, tend à caractériser la société tout entière, et non seulement quelques poches de malheur à résorber (surtout depuis que les États occidentaux prétendent devoir réduire les dépenses de protection sociale et responsabiliser les « ayant droits »). Ce sont alors les problèmes d’insécurité sociale qui font ou refont surface, avec cette question lancinante : peut-il y avoir adéquation entre la perception de la vulnérabilité et sa réalité (que d’aucuns chercheront, faute de mieux, dans les statistiques) ? En d’autres termes, comment départager la vulnérabilité visible et celle qui l’est moins ou pas du tout ? Comment appréhender et expliquer les divers degrés de vulnérabilité ? En posant frontalement ces questions, on ne peut plus parler de cette dernière comme d’une entité, mais seulement la saisir à travers les modes d’appropriation et d’opérationnalisation que sa construction génère. L’ouvrage répond à ce souci de comprendre comment divers types de vulnérabilité sont perçus et revendiqués, pour éventuellement être institutionnalisés dans des catégories de la pratique administrative. C’est sous cet angle (attentif aux modes de sélection des vulnérabilités dignes et indignes d’attention) que le rendement de l’approche constructiviste paraît le plus évident. Il l’est en effet beaucoup moins lorsque l’analyse des politiques sociales s’arrête tautologiquement à l’idée de « construction sociale d’un problème social » (p. 30-31). Sans doute les positions moyennes sont-elles difficiles à défendre épistémologiquement, mais au regard des études de cas le constructivisme n’est tenable que dans un entre-deux, où le « brouillage des références » ne signifie pas forcément l’évaporation des « souffrances », des « refus » et des « révoltes » (p. 38-39). Est nécessaire dès lors une « mise à distance du constructivisme pour tenter d’en faire un meilleur usage et éviter l’illusion de sa circularité » (p. 21). Dans son liminaire, Saillant résume et articule l’ensemble des textes, en montrant l’actualité du rapport habituellement établi entre identités en construction et vulnérabilités à corriger, l’enjeu étant la reconnaissance et la réparation de torts pour des personnes et des groupes (des « communautés », tels que les immigrés et leurs descendants) invoquant à leur endroit cette notion de vulnérabilité. Des mesures compensatrices faciliteraient l’accès à des statuts plus valorisants (ou moins dévalorisants) que par le passé. L’étiquette « vulnérable » serait en somme susceptible, comme le stigmate chez Goffman, d’être retournée, appropriée à des fins positives, détournée de sa fonction classificatrice, de sorte que ces populations hétérogènes et mal circonscrites, …