Comptes rendus

Serge Courville, Immigration, colonisation et propagande. Du rêve américain au rêve colonial, Sainte-Foy, Éditions MultiMondes, 2002, 699 p.[Notice]

  • Sylvie Lacombe

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  • Sylvie Lacombe
    Département de sociologie
    Université Laval

Au départ, une prestigieuse bourse du Conseil des Arts de Grande-Bretagne (Killiam) et un soutien financier des non moins prestigieux collège Emmanuel de Cambridge et Académie britannique. À l’arrivée, un monument d’exhaustivité sur la propagande en faveur de la colonisation, un ouvrage de référence sur la littérature d’émigration produite en Grande-Bretagne et ailleurs en Europe, sur la littérature d’immigration dans les Dominions de l’Empire britannique, de même que celle produite en Grande-Bretagne pour accélérer le peuplement de la Nouvelle-Angleterre, et des régions du Sud et de l’Ouest. L’objectif est de mettre en perspective le même type d’écrits produits au Québec par les propagandistes et pamphlétaires, les sociétés de colonisation, l’Église catholique, et le gouvernement provincial. L’ensemble inclut plus de 400 titres, tient en près de 700 pages, et décrit par le menu les discours, justifications et débats entourant la migration internationale et continentale, la colonisation intérieure et à l’étranger, les organismes de soutien à l’émigration et leurs services, les nombreux projets de colonisation, les quelques programmes gouvernementaux avec, pour chaque destination spécifique, les résultats obtenus. Étourdissant, quoi. Commençons quelque part. Au XIXe siècle, un formidable brassage de population voit les Européens se « répandre » pratiquement sur toute la planète ; un mouvement qu’on chiffre à 50 millions de départs environ, dont 20 % à 40 % sont suivis de retours au pays natal et qui traduisent moins un échec de la colonisation qu’une intensification du mouvement migratoire. Quand prennent fin les guerres napoléoniennes, l’émigration européenne n’est plus sentie comme une menace ou un affaiblissement du pays d’origine, mais apparaît désormais comme une solution à divers problèmes nationaux. La Grande-Bretagne, la première à vivre massivement ce phénomène, traverse une crise sociale qui atteint des sommets dans les années 1830 : émigrer vers le Nouveau Monde, ou ailleurs dans l’Empire, s’impose alors comme moyen de soulager le pays de son trop-plein de pauvres et de sans travail. Même si plusieurs formes de soutien à la migration voient le jour tout au long du siècle, qui veut émigrer ne peut, en règle générale, compter que sur lui-même, et sur ses proches s’il va les rejoindre. De tous ceux qui partent, seule une petite minorité bénéficiera en effet d’un soutien officiel, qui du gouvernement, qui d’une compagnie foncière ou de transport, qui encore d’une société de bienfaisance ou de colonisation. Ayant obtenu des millions d’acres de terre, les compagnies foncières et ferroviaires peuvent avancer des fonds pour l’installation de colons, ou transporter à rabais les familles nombreuses désireuses d’émigrer. Avec le temps, l’État est bien forcé de soutenir le mouvement, d’adopter des lois protégeant le colon contre la spéculation, ou contre la saisie de sa terre, allant parfois jusqu’à concéder gratuitement des terres aux chefs de famille qui sauraient, après quelques années, mettre en valeur le lot ainsi octroyé. Mais au bout du compte, les politiques anglaises de colonisation systématique ne durent que quelques décennies et l’essentiel des migrations reste l’oeuvre d’initiatives individuelles et familiales. L’émigration libre domine, malgré les nombreux visages de la migration assistée. Les premières célébrations de l’émigration remontent au XVIe siècle quand des géographes prédisent que la puissance de la métropole sera proportionnelle à celle de ses colonies, et encouragent, en conséquence, à s’y établir pauvres et réfugiés religieux, nobles et membres de la gentry, tous ceux-là, en somme, prêts à asseoir la supériorité de l’Angleterre sur ses rivales, y compris les petits voleurs et brigands des prisons à qui la transplantation dans les colonies donnera une chance de se racheter. Appels qui ne sont entendus que beaucoup plus tard quand le chômage et la famine …