Le sourire engageant de l’auteur en quatrième de couverture ne doit pas faire illusion : ce n’est pas une anthologie de l’humour que propose Robert Aird, mais bien un livre « sérieux » comme le précise la préface de François Parenteau. Cela dit, ce livre sérieux se lit avec le plus grand plaisir et souvent avec le sourire. La thèse de l’auteur est que l’humour est le miroir de la société. Aussi, retracer l’histoire de l’humour au Québec, c’est faire oeuvre d’histoire générale. L’exercice de démonstration est convaincant, et il ne porte pas tant sur les contenus des pièces, sketches, monologues ou chansons, mais sur des lieux (théâtres, cabarets, boîtes à chansons, télévision ou salles de spectacles) et des formes : du burlesque au stand-up, de l’apprentissage sur le tas à l’École de l’humour. En 50 ans, on passe du théâtre de Radio-Cité à celui des Variétés puis au Festival Juste pour rire, d’un humour cathartique à une industrie de l’humour dans une société baignant dans un « climat humoristique » et où l’humour tend à devenir une simple « forme esthétique ». C’est ainsi que ce livre rejoint le questionnement sur l’identité québécoise, mais aussi sur la société de consommation, sur le rapport à l’État et sur le changement social. Si l’humour fustige les travers sociaux ou individuels, et en ce sens premier parle de la société, les lieux et formes qu’il emprunte sont tout aussi révélateurs. Qui sont donc les cibles de l’humour ? Les dirigeants ? Oui. L’Église ? Pendant la Révolution tranquille, oui. Mais le burlesque des années 1930 et 1940 s’en prenait plus aux traditions qu’à la religion, et ses protagonistes véhiculaient de nouvelles valeurs « urbaines », modernes, notamment à propos de l’éducation, des femmes… Si dans les années 1960 on a l’impression que les humoristes en général et les Cyniques en particulier « tiraient sur tout ce qui bouge », Robert Aird rappelle que s’ils raillaient Trudeau et Drapeau, la police et les députés, ils se contentaient d’imiter René Lévesque ou les chefs syndicaux, comme Michel Chartrand ; bref, ils partageaient les idéaux souverainistes de leur génération. Il montre aussi comment derrière l’absurde de Claude Meunier se profile une critique de la société de consommation et comment le groupe Rock et Belles Oreilles (RBO), issu de la première génération de Québécois à avoir grandi avec la télévision, prend celle-ci pour cible. Dans les années 1990, les humoristes parlent beaucoup du quotidien et de leur vie privée. Tous les coups semblent dorénavant permis pour la nouvelle génération d’humoristes. Tous, vraiment ? RBO a subi la censure pour avoir raillé des compagnies présentant des publicités à la chaîne TQS qui diffusait l’émission du groupe. Au moment où j’écris ces lignes, Louis Morissette vient d’être congédié de TVA : la censure ne vient plus de l’Église en ce XXIe siècle néolibéral, mais de la finance et du secteur privé. Dans le même sens, Aird fait remarquer que le dernier spectacle de Daniel Lemire, plus politique, coïncide avec sa rupture d’avec le groupe Rozon. En fait les cibles de l’humour engagé ne sont plus uniquement les politiciens : ceux-ci se prêtent au jeu de l’humour, participent aux émissions humoristiques… L’humour engagé du XXIe siècle ne fustige plus les politiciens ni l’Église, mais l’Entreprise. Bien sûr, l’analyse est agrémentée de quelques extraits de monologues ou de sketches, qui ont principalement un statut illustratif. Aird a un parti pris pour un humour engagé (ai-je précisé que l’auteur de la préface est un membre du groupe d’humoristes les Zapartistes ?) et en présente différentes figures, de Sol …
Robert Aird, Histoire de l’humour au Québec de 1945 à nos jours, Montréal, VLB, 2004, 164 p.[Notice]
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Andrée Fortin
Département de sociologie
Université Laval