Comptes rendus

François Ouellet, Passer au rang de père. Identité sociohistorique et littéraire au Québec, Québec, Éditions Nota bene, 2002, 155 p.[Notice]

  • Olivier Clain

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  • Olivier Clain
    Département de sociologie
    Université Laval

Dans ce brillant essai, appuyé d’un riche commentaire de textes littéraires, sociologiques et politiques, François Ouellet cherche à nouer une interprétation de l’identité collective du Québec dans les termes d’une notion empruntée au discours analytique, ce qu’on appelle la métaphore paternelle ou encore la métaphore du Nom-du-père. Le texte, qui rassemble une série de courts chapitres thématiques, prendra donc la forme d’une enquête sur les démêlés de la culture québécoise avec le signifiant paternel. Et il nous donne alors à entendre dans le récit historiographique, politique et littéraire qu’élabore la collectivité à travers son histoire l’écho répété de l’impossibilité ou de la difficulté pour elle à passer au rang de père. Il s’agit d’y reconnaître un symptôme du collectif que l’auteur invite à dissoudre dans la réalisation de l’indépendance nationale. Il n’était pas pour autant dans l’inten- tion de l’auteur de s’attarder à dresser le portrait sociographique de la famille canadienne-française et de son personnage du père, ni de procéder à la découpe de ce même personnage dans le riche matériel offert par le récit littéraire, même si la chose est exécutée comme en passant mais avec beaucoup de bonheur, dans le beau chapitre intitulé Une littérature de la révolte et du sacré. Monsieur Ouellet ne s’attarde au personnage réel ou littéraire du père au Canada français trônant à Ottawa, aux dénonciations de ses carences par les fils et la littérature que pour en arriver à son objet véritable, soit relire l’histoire de ce pays du point de vue de la place qu’elle fait aux assauts ou aux replis, aux conquêtes ou aux défaites du signifiant paternel. Père français, père anglais, père clérical, père canadien-français, c’est finalement pour l’auteur la multiplication et la concurrence plutôt que le déficit des figures du père qui est à l’origine de l’ambiguïté du rapport au signifiant paternel dans la culture canadienne-française. L’analyse s’appuie sur une belle présentation historique et se trouve menée avec beaucoup de finesse, même si par moments on peut refuser de suivre l’auteur, comme lorsqu’il est décidé par exemple que la Révolution française est l’institutionnalisation du règne des fils alors qu’elle est bel et bien une sortie de la minorité pour parler avec Kant. Commentant des extraits de Fernand Dumont et Gérard Bouchard, ou les très beaux textes de Pierre Vadeboncoeur, sur l’histoire du Québec, polémiquant brillamment avec Jocelyn Létourneau sur la signification du projet national, discutant en critique averti la nouveauté littéraire des romans de Jean Larose ou François Ricard, l’auteur nous fait accomplir un fort beau voyage dans les lettres et la pensée québécoises. Mais son but est ailleurs. Il veut saisir le collectif comme psyché et suivre ses mouvements passionnels à partir de ces notions que sont la posture de fils et le passer au rang de père. Il veut montrer, par exemple, que la culpabilité de ne pas se révolter contre le père, qui deviendra culpabilité de ne pas être soi, travaille le collectif au Québec, et devient responsable de l’impossibilité d’être soi qui habite chacun dans la vie et dans l’écriture qui lui fait possiblement cortège. Elle serait ainsi à la source de la peur de l’échec et la peur de l’échec à la source de l’échec et de sa répétition, bien que l’auteur reconnaisse ailleurs que le Québec est particulièrement créatif, notamment dans le domaine des arts et des lettres. L’aliénation postmoderne que l’auteur ramène trop rapidement à la perte de la référence au père, au règne des fils et à la toute-puissance de l’économie constituerait, dans le cas du Québec, un obstacle supplémentaire à la sortie de la position de fils …