Comptes rendus

Manon Brunet et Pierre Lanthier (dirs), L’inscription sociale de l’intellectuel, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 2000, 382 p.[Notice]

  • Serge Jaumain

…plus d’informations

  • Serge Jaumain
    Centre d’études canadiennes
    Université Libre de Bruxelles

Cet ouvrage propose les actes d’un colloque international organisé en 1997 par le Centre interuniversitaire d’études québécoises de l’Université du Québec à Trois-Rivières et de l’Université Laval. Il offre une trentaine de contributions présentant des réflexions originales et stimulantes sur la place et le rôle de l’intellectuel dans la société d’hier et d’aujourd’hui. Une bonne partie de l’ouvrage est consacrée au Québec, mais l’invitation de quelques chercheurs européens assure une intéressante mise en perspective du rôle des intellectuels québécois. Le résultat est des plus réussis. Certes, il s’agit d’actes d’un colloque, avec les limites du genre : beaucoup d’articles très brefs ne permettent de jeter qu’un éclairage partiel sur des aspects trop spécifiques du thème général. Par contre, le nombre et la variété des approches proposées se révèlent très stimulants. Ce n’est pas l’ouvrage définitif sur le sujet et ce n’était d’ailleurs pas l’ambition de ses auteurs, mais il constitue une étape essentielle dans l’analyse et la compréhension de ce qu’est (et de ce qu’était) l’« inscription sociale » de l’intellectuel québécois. La lecture débouche sur une série de pistes de réflexion, d’interrogations novatrices qui ne manqueront pas d’être exploitées dans de futures études. Elle offre aussi un aperçu indirect de la richesse des débats qui ont dû émailler cet excellent colloque car les auteurs ont souvent des regards différents sur l’intellectuel et tout particulièrement sur l’intellectuel québécois. De ce point de vue, il est intéressant de noter que bon nombre de participants ne sont pas des spécialistes du sujet mais ils l’ont abordé à partir de leurs propres recherches sur des sujets très variés. C’est précisément cette diversité d’approches qui fait toute la richesse de ce volume. On doit par ailleurs aux deux directeurs, Manon Brunet et Pierre Lanthier, une fort bonne introduction qui met en perspective les objectifs de la rencontre et de la publication qui en est issue. Le découpage en sept thèmes qu’ils proposent offre aussi une excellente charpente à ce livre qui deviendra un classique pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire intellectuelle du Québec. L’ouvrage repose sur une série de questions auxquelles les contributeurs apportent des réponses diverses, parfois contradictoires mais toujours très bien argumentées. La première consiste bien sûr à se demander ce qu’est un intellectuel. La question qui, comme l’écrit Michel Trebitsch, empoisonne l’existence des chercheurs depuis près de vingt ans ne sera pas résolue mais la table ronde d’ouverture réunissant Paul Aron, Yvan Lamonde, Marcel Fournier et Michel Trebitsch apporte quelques éléments au débat. Paul Aron montre que si l’affaire Dreyfus joue un rôle fondamental dans l’apparition du substantif « intellectuel », celui-ci définit un modèle français de l’intellectuel qui, plusieurs contributions le souligneront avec force, n’est pas transposable tel quel à l’extérieur de l’Hexagone. La courte intervention de l’historien Yvan Lamonde ne laissera pas ses collègues indifférents. Après avoir souligné son penchant pour la dimension démocratique de la définition proposée par Léon Dion (un individu qui accepte de prendre le public comme interlocuteur valable), il tente de démontrer que la formation historienne met une série d’obstacles à la production d’intellectuels. Son propos le conduit à une charge très rude contre la formation de ses collègues québécois, trop collés à leurs sujets d’études, refusant de théoriser, se comportant comme des « pilotes de brousse, peu habitués au pilotage ou à la navigation transatlantique qui est justement celle qui permet d’intervenir, de regarder les réalités avec une certaine perspective » (p. 33). La critique, sévère, sied sans doute à cette table ronde où il convenait d’être provocateur pour lancer le débat, mais reprise telle quelle dans ce petit texte …