La publication de ce premier tome de l’Histoire sociale des idées au Québec témoigne aussi bien de l’imposant travail auquel s’astreint Yvan Lamonde depuis plusieurs années que de l’importance de son apport à l’historiographie québécoise. Il faut d’abord souligner l’originalité d’une lecture qui nous permet de sortir et de progresser hors des sentiers trop battus de l’histoire du Québec. Il ne s’agira pas de faire une nouvelle fois, ne serait-ce que d’un point de vue différent, la genèse d’une sorte de manque constitutif qui affecterait la collectivité francophone de la Vallée du Saint-Laurent et dont on trouverait la trace dans l’absence de l’esprit du capitalisme (Ouellet), dans l’oppression politique résultant de la Conquête (Séguin) ou encore dans l’interminable enfantement d’une culture-nation pensée comme société (Dumont). Lamonde propose plutôt une démarche positive (ce qui ne veut pas dire positiviste) qui retrace l’histoire de la constitution d’une culture civique au Québec. Son histoire sociale « des idées civiques plus que strictement politiques » ne se satisfait pas de colliger discours et idéologies, mais plus encore elle « conjugue culture et vie civique ». Bien au-delà de l’histoire traditionnelle des idées, Yvan Lamonde se penche ainsi sur l’institutionnalisation « des idées civiques » au Québec, ce qui implique aussi bien la formation d’institutions (l’association, la presse, le parlement) que le développement d’une pluralité de discours centrés sur la discussion des rapports de pouvoir (le libéralisme, le nationalisme, l’ultramontanisme). Voilà pourquoi j’emploierai dans ce compte rendu le concept d’espace civique bien que l’auteur ne s’y réfère pas lui-même explicitement. C’est donc à la compréhension de la naissance et de la transformation d’une « culture politique » francophone que Lamonde nous convie ou, dit autrement, à l’analyse de la « politisation de la dynamique culturelle ». Il s’agit de penser et de décrire la naissance, puis la transformation d’un espace civique sur fond de société rurale et agricole caractérisée par une culture orale. Plus précisément, Lamonde se penche sur le processus de construction et de reconstruction d’un espace civique et d’une culture politique francophones dans la Vallée du Saint-Laurent à partir de 1792, année durant laquelle siège pour la première fois la Chambre d’assemblée créée par l’Acte constitutionnel de 1791. Cette culture sera bourgeoise. Centrée sur la rhétorique et l’écrit, elle émanera principalement de la bourgeoisie professionnelle dans ses rapports contradictoires avec les seigneurs, l’Église, le pouvoir colonial et la bourgeoisie commerciale. L’espace civique, de même que l’opinion publique et plus largement la culture politique qui s’y déploieront progressivement prendra forme et reliefs dans la convergence souvent catholique du développement du capitalisme et des transformations de l’État. Yvan Lamonde se livre sur cette base à une description attentive et fouillée de la « sociabilité urbaine, celle des lieux et des formes de médiation entre les citoyens » qui constituera en quelque sorte le terreau de l’espace civique et produira les nouveaux habitus. Durant la période 1760-1896, l’auteur distingue trois phases différentes durant lesquelles naîtra puis se transformera l’espace civique. La première résultera de la création de la presse et de l’imprimé (en 1764) et de la démocratie parlementaire à partir de 1792. Elle ne prendra véritablement forme cependant qu’en 1805 et 1806 lors de la création du Québec Mercury et du journal Le Canadien, puisque c’est à ce moment que l’espace dont on parle devient pleinement civique, c’est-à-dire lieu de discussion potentiellement pluriel et extensible des rapports de pouvoir politiques et culturels. Cette première phase sera cependant bloquée par la répression des Rébellions et limitée par l’échec du décollage scolaire, vérifiable à la non-reconduction de la loi de 1827, qui bloque le développement …
Yvan Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec, 1760-1896, Ville Saint-Laurent, Fides, 2000, 572 p.[Notice]
…plus d’informations
Gilles Bourque
Département de sociologie,
Université du Québec à Montréal.