En gros, ce livre examine le jeu des facteurs macro-politiques canadiens dans l’évolution des vocables identitaires collectifs, plus précisément ceux ayant eu cours en Ontario français de 1960 à 1975. Les quatre chapitres qui le constituent évoquent d’ailleurs l’ossature de l’argumentation. Le premier chapitre, « Les États généraux du Canada français, ou l’éclatement de la nation », reprend une thèse connue : le néo-nationalisme québécois et le rituel décisif des États généraux (1966-1969) affirment la spécificité d’une nation québécoise, ce qui a pour conséquence objective de rendre caduque la notion de Canada français et donc d’enjoindre les frères ou cousins, ailleurs au Canada, à se redéfinir. Dans ce chapitre, ainsi que dans le quatrième, « L’âne ou la carotte », l’auteur montre comment, dans ce vacuum idéologique, l’État fédéral prend en charge les communautés francophones hors Québec, mais dans une perspective qui sert ses intérêts de définiteur de la nation canadienne, compte tenu du défi, sinon de la menace d’éclatement, occasionné par le néo-nationalisme québécois. Pareille thèse est connue, avons-nous dit, mais gagne à se vérifier empiriquement, ce que d’autres ont commencé à faire et ce que l’auteur poursuit avec brio sur le terrain sudburois, avec les nuances et éclaircissements que l’analyse empirique apporte toujours aux thèses générales. Toutefois, Bock laisse de côté la très difficile question de savoir si l’intervention accrue du gouvernement fédéral auprès des communautés francophones hors Québec en a été une de proaction ou de rétroaction. Question difficile en effet par l’ampleur, en surface et en profondeur, des travaux empiriques qu’il faudrait effectuer pour en décider, notamment si l’on tient compte de l’action politique et idéologique de longue date du Ministère que l’on appelait, jusqu’à récemment, le Secrétariat d’État du Canada. Le troisième chapitre expose les résultats empiriques de la recherche. Il s’agit d’une analyse lexicographique de l’évolution du discours identitaire franco-sudburois à travers la presse locale, communautaire et estudiantine. L’auteur tâche d’y mesurer, au cours de la période 1960 – 1975, la fréquence d’emploi des vocables « Canadien-Français », « Franco-Ontarien », « d’expression française / de langue française » et « francophones ». Tandis que le corpus de la presse estudiantine a été consulté dans son entier, celui de la presse communautaire est le résultat d’un échantillonnage au sujet duquel le lecteur aurait apprécié plus de précisions et de justifications à propos des décisions méthodologiques prises. L’hypothèse sous-jacente à l’analyse empirique est que l’augmentation ou la diminution relative de tel ou tel vocable identitaire révèle une modification de perspective quant à la définition culturelle de soi que se sont donnée respectivement l’élite communautaire et les étudiants francophones de l’Université Lauren*tienne, au cours de la période allant de 1960 à 1975. L’orientation théorique explique ces modifications par le jeu de facteurs macro-politiques canadiens. Les résultats empiriques confirment la théorie, soit « le recul progressif, mais définitif, du terme « Canadien-Français », et l’essor non moins spectaculaire du terme « francophone » (p. 69). Dans le passage suivant, l’interpellation du lecteur n’est en fait qu’un procédé rhétorique réaffirmant la thèse : « Le moment précis où le vocabulaire fédéral en vient à dominer le lexique identitaire de la presse de Sudbury n’est-il pas en soi un indice hautement révélateur de cette influence ? » (p. 90). Quant au vocable « Franco-Ontarien », son usage a varié, connaissant des pics passagers en 1960 et 1975, mais dans l’entre-deux « ne réussit pas à franchir le cap des 30 % » (p. 72). Finalement, l’emploi du vocable « d’expression française / de langue française » semble avoir été relativement marginal, généralement « sous la barre des 20 % …
Michel Bock, Comment un peuple oublie son nom. La crise identitaire franco-ontarienne et la presse française de Sudbury (1960-1975), Sudbury, Institut franco-ontarien / Prise de parole, 2001, 119 p. (Ancrages.)[Notice]
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Jean Lafontant
Collège universitaire de Saint-Boniface,
Université du Manitoba.