On aurait pu craindre de cet essai inspiré de la sociocritique et de l’analyse du discours qu’il verse dans le langage ésotérique si typique de cette discipline en proposant de cerner la grammaire générative de l’argumentaire souverainiste de même que la trame discursive du projet souverainiste et ses composantes actantielles. Rien de tel, heureusement pour le lecteur non initié – bien que ces expressions apparaissent ici ou là dans le texte – car voici un essai, écrit de manière lisible, qui propose une analyse d’ouvrages portant sur la souveraineté du Québec, tous écrits juste avant ou immédiatement après le Référendum de 1995. Le choix du titre par l’auteure ou l’éditeur entraîne une confusion regrettable. La référence à la « grammaire du OUI en 1995 » donne à penser que le livre va porter sur les discours des tenants du camp du OUI lors du dernier Référendum : les écrits produits pour l’occasion par les intellectuels et les militants souverainistes, les programmes proposés, les interventions publiques des leaders du mouvement souverainiste et des élites, etc. Or il n’en est rien. Le livre porte plutôt sur des textes politiques étroitement liés à la campagne référendaire (Le coeur à l’ouvrage publié par le Camp du changement en 1995 ou Pour un Québec souverain de Jacques Parizeau), de même que sur des textes militants qui peuvent se montrer critiques du camp souverainiste (L’indépendance de Denis Monière, Le Parti québécois : Pour ou contre l’indépendance ? d’Andrée Ferretti ou Les nouveaux démons de Josée Legault, par exemple). Mais le corpus étudié comprend aussi des essais ayant une portée plus vaste, écrits par des souverainistes certes, mais non nécessairement associés à la campagne référendaire de 1995. Je pense en particulier à Raisons communes de Fernand Dumont ou à Gouverner ou disparaître de Pierre Vadeboncoeur, tous deux inclus dans l’échantillon retenu. Cette critique est importante, car l’intention de l’auteure est de dégager une grammaire du OUI en 1995, alors qu’en fait son objet d’étude est plus vaste puisqu’il porte sur la production de discours identitaires et de discours sur la nation québécoise, ce qui est différent. Il faut donc évaluer le livre, non pas pour ce qu’annonce un titre mal choisi, mais plutôt comme analyse sociocritique d’ouvrages portant soit directement sur la souveraineté telle que définie lors du Référendum de 1995, soit traitant plus largement de questions identitaires et de la nation québécoise au tournant du Référendum. L’analyse est bien menée, certes, mais elle est aussi très scolaire, sans doute parce qu’il s’agit d’un mémoire de maîtrise en histoire. L’épithète scolaire n’est cependant pas péjorative, loin de là, car le travail est de bonne qualité, à condition d’entrer dans la perspective de la sociocritique adoptée par l’auteur et de passer outre au caractère hétéroclite de l’échantillon retenu. L’ouvrage manque de souffle et on n’y trouvera pas d’idées vraiment nouvelles, de perspectives neuves sur cette question nationale qui a tant excité dans les années 1990 les méninges des chercheurs et des essayistes québécois, comme le montrent tous ces livres sur la question qui s’empilent sur les rayons de nos bibliothèques. L’ouvrage reprend une perspective théorique qui nous est maintenant familière depuis la parution du livre d’Anderson (Imagined Communities, 1983), une perspective qui, plus près de nous, a été développée par Fernand Dumont (Genèse de la société québécoise, 1993), et qui définit la nation comme une référence construite par ces discours que sont les idéologies, la littérature et les oeuvres d’histoire, auxquels il conviendrait d’ajouter les médias. La nation n’existerait pas d’abord comme une réalité objective, mais …
Anne Trépanier, Un discours à plusieurs voix : la grammaire du OUI en 1995, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 2001, 143 p.[Notice]
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Simon Langlois
Département de sociologie et CEFAN,
Université Laval.