Volume 23, numéro 1-2, 1982 Imaginaire social et représentations collectives, I. Mélanges offerts à Jean-Charles Falardeau
Sommaire (13 articles)
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À Jean-Charles Falardeau
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Témoignages
Roger Duhamel, Albert Faucher, Everett C. Hughes, Napoléon Leblanc, Georges-Henri Lévesque, Cyrias Ouellet, Simone Paré, Guy Rocher et Jean Stoetzel
p. 11–44
Articles - Dimensions de l'imaginaire social
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La raison en quête de l'imaginaire
Fernand Dumont
p. 45–64
RésuméFR :
Le thème de l'imaginaire est devenu à la mode dans la recherche sociologique. Au fait, il vaudrait mieux dire que ce thème est revenu sur le devant de la scène. Ce mouvement de pendule s'est répété plusieurs fois au long de l'histoire de la sociologie. Comte se faisait théoricien du positivisme; il aboutit à la fondation d'une « religion ». Marx insistait sur la production, non sans déceler la part immense de l'imaginaire dans cette production. Par allers et retours, Durkheim parcourait les chemins qui vont de la morphologie aux représentations, pour accorder finalement à celles-ci une prééminence qui se manifeste d'une manière éclatante dans Les formes élémentaires de la vie L’ infrastructure et de la superstructurel On le voudrait. L'explication scientifique aspire à la parfaite cohésion de ses références. Pourtant, à observer ce qui se passe dans les sciences de lanature, la cassure de la systématisation est la règle : ondes et corpuscules, phylogenèse et ontogenèse, d'autres oppositions foncières témoignent que les conflits, les antinomies importent souverainement au progrès de la pensée. En serait-il de même pour la classique opposition de Y infrastructure et de la superstructure ?
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Le droit et l'imaginaire social
Guy Rocher
p. 65–74
RésuméFR :
Il peut paraître téméraire de vouloir relier le droit à l'imaginaire social. S'il est une institution d'où l'imaginaire semble absent, c'est bien le droit. Ne se caractérise-t-il pas par une froide rationalité, une logique interne que Max Weber a appelée «formaliste», un esprit d'analyse pratique, la recherche pragmatique d'arrangements acceptables en vue d'établir ou de rétablir une certaine harmonie des relations sociales ? De plus, une grande partie du droit est l'héritage d'un passé plus ou moins lointain ; il se nourrit abondamment de traditions, c'est-à-dire de solutions, laborieusement créées et longuement éprouvées, aux problèmes que rencontrent les membres d'une société dans leurs rapports, leurs échanges, leurs relations. Il est donc déjà cristallisé, solidifié, patiné par l'épreuve du temps. Enfin, on dit volontiers du droit qu'il est le reflet des conditions sociales existantes aussi bien que des rapports sociaux tels qu'ils se sont élaborés au cours des temps, des coutumes récentes aussi bien qu'anciennes.
Tout cela laisse bien peu de place à l'imaginaire. Tourné plus vers le passé que vers l'avenir par ses origines, orienté de par ses fonctions vers des objectifs pragmatiques du présent, le droit n'est-il pas l'antithèse de l'imaginaire? On pourrait même croire qu'il en est la contradiction permanente, puisqu'il est l'institué par excellence, et même l'institué écrit, ce qui le durcit, le cristallise, le pétrifie plus encore. Cette vue n'est pas sans fondement. Elle correspond effectivement à une partie du droit. Mais elle ne correspond pas à tout le droit.
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La philosophie et la sociologie et leur rapport à la culture
Claude Savary
p. 75–93
RésuméFR :
Que peut-on dire de la fonction et de la posture de la philosophie vis-à-vis de la sociologie et de ce que celle-ci produit par son travail, notamment en ce qui a trait à la culture, aux imaginaires collectifs, aux représentations sociales ? En ce domaine, il est sans doute pertinent pour la philosophie de se livrer à des critiques ponctuelles et systématiques, ou encore à l'analyse épistémologique des théories et des discours. J'orienterai ici cependant mon propos dans une autre direction et, prenant les choses d'un peu plus haut, je risquerai des «mises » en déroulant une réflexion qui se relie à notre présente conjoncture. Il s'agit de se demander d'abord comment placer la philosophie dans la configuration d'aujourd'hui, et, par exemple, dans un contexte où les problèmes ont pour noms « culture », « nation », « État », et, à un autre plan, mais aussi essentiel, où des termes tels que « classes », « idéologies », « imaginaires », etc., et des théories telles que « marxisme », « structuralisme », « herméneutique », désignent les outils que nos savoirs manipulent et auxquels ils se réfèrent. Qu'est-ce qui est science, monde, philosophie, et que faire de tout cela?
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Réflexions sur la notion de " valeur esthétique " dans la sociocritique de Lucien Goldmann
Articles - Mythologiques
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Imaginaire, merveilleux et sacré avec Jean-Charles Falardeau
Benoît Lacroix
p. 109–124
RésuméFR :
Au moment où nous rédigeons ces pages, à deux décades près de l'an deux mille, Freud a déjà réhabilité le rêve, Breton l'instinct, Durand l'imaginaire, Mabille le merveilleux, Todorov le fantastique ; Otto, Bataille, Caillois, les historiens Éliade et Dumézil ont réévalué depuis longtemps le sacré et le religieux. Jean-Charles Falardeau écoute ces « maîtres » avec un talent critique dont nous voudrions rendre compte ici pour mieux nous interroger avec lui sur d'autres perspectives possibles de l'étude du phénomène religieux dans le milieu canadien-français.
Rappeler ce qui, à notre point de vue, constitue l'essentiel du message de notre distingué compatriote dans ces matières pourtant ardues, vérifier dans la mesure du possible les avenues que nous ouvrent déjà plusieurs de ses intuitions sur l'imaginaire et le merveilleux, voilà une entreprise pour le moins audacieuse. Au premier abord, il est difficile d'imaginer que cet homme raffiné et distingué au possible, sociologue en plus et conduit comme tel à scruter des systèmes de valeurs fermes et à inspecter le champ bien concret des structures sociales de la paroisse, du village, de la famille, puisse un jour rêver de merveilleux et d'espaces spirituels inédits. Prêtons-nous à ce frère amical, vénéré et admiré depuis plus de quarante ans, des considérations que seule une amitié excessive pourrait justifier? Quand on s'est longtemps occupé de l'univers religieux de ses ancêtres médiévaux et de sa translatio studii en Amérique française, n'est-ce pas témérité et gratuité pure que toutes ces préoccupations retrouvées dans une problématique moderne? Pourtant, ce n'est pas l'amour obsessif du Moyen Âge qui nous rapproche de Falardeau : ce sont plutôt les effets de l'héritage religieux en milieu nord-américain. Les mêmes quêtes spirituelles et les mêmes hésitations face aux changements culturels de notre temps nous conduisent à relire J.-C. Falardeau. L'académisme universitaire, l'aventure du surréalisme, l'affaire Borduas vingt ans plus tard, l'intervention courageuse de notre ami Robert Élie, des amitiés parallèles, tout ceci, nous l'avons partagé chacun à notre façon et sans même en discuter entre nous. Nous nous étions à divers degrés consacrés au service des étudiants.
Il nous est aussi arrivé d'occuper successivement la même chaire de civilisation franco-québécoise à l'Université française de Caen. Dans de telles circonstances, il est presque normal que nos imaginations se soient souvent croisées. Où et quand? Mais quelque part, ne fût-ce que dans cet univers intérieur judéo-chrétien qui a enveloppé nos enfances respectives. Autant de prétextes qui nous amènent aujourd'hui à rejoindre Falardeau sur le terrain qu'il habite et défriche avec un acharnement digne de son sens du bien savoir et du bien faire. Surtout, l'occasion nous est enfin offerte de penser « sacré », « mystère », «imaginaire», «merveilleux» en compagnie d'un pionnier de la sociologie religieuse en Amérique française. Stimulus d'autant plus efficace que nous avons eu, au moins à trois reprises, l'occasion d'entendre les propos de notre collègue, avant qu'il ne les livrât à l'impression. La première fois, en avril 1962, ce fut à l'occasion du colloque de Recherches sociographiques ; la seconde fois, le 17 octobre 1971, à l'Institut supérieur des sciences humaines de l'Université Laval, lors du deuxième colloque sur les religions populaires. En 1973, le même J.-C. Falardeau proposait aux membres de l'Académie québécoise des sciences morales et politiques, à Montréal, une communication intitulée Problématique d'une sociologie du roman et publiée en 1974 dans Imaginaire social et littérature sous le titre déjà plus signifiant : « Le roman et l'imaginaire». Nous le revoyons encore assis à la table de conférence, sérieux et digne, ferme dans ses mots, bien aligné sur son texte ; nous l'entendons dire dans une langue froidement impeccable des paroles qui nous rassurent et nous interrogent tous. Sans qu'il le sache toujours, J.-C. Falardeau aura, par ses travaux autant que par la direction de ses recherches en matières religieuses, profondément influencé le Canada français depuis plus de vingt ans. Ses nombreuses études de sociologie et sa participation à l'évaluation périodique des croyances, rituels et agirs du plus grand nombre, ce que nous appelons provisoirement la religion populaire, restent de première importance. En somme, c'est presque un acte de piété, entendu au sens médiéval, que nous accomplissons en rendant hommage à celui dont nous avons si souvent relu les textes et pillé les bibliographies.
Notre propos exact est de considérer tour à tour l'imaginaire, le merveilleux et le sacré pour mieux entrevoir, si possible, et toujours en compagnie de Falardeau, l'accès aux mystères qui définissent le sacré judéo-chrétien dans lequel la majorité de nos compatriotes canadiens-français ont vécu jusqu'à la limite de la pensée magique.
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Jubilés, missions paroissiales et prédication au XIXe siècle
Nive Voisine
p. 125–137
RésuméFR :
Malgré l'étude de Louis Rousseau sur les Sulpiciens de Montréal, l'histoire de la prédication au Canada français est peu connue et encore moins étudiée. Les textes épiscopaux officiels en parlent de temps en temps, dans des lettres personnelles des évêques sentent le besoin de rabrouer des curés pour leur négligence à prêcher, la plupart des communautés religieuses d'hommes y préparent leurs membres et leur transmettent des règles et un style éprouvés. Mais ces documents disparates ont été peu exploités jusqu'à maintenant ; et encore moins à propos de ce qu'on peut appeler la prédication populaire, c'est-à-dire celle qui «cherche ce qui convient communément à tous les hommes ». Mon propos ne veut éclairer qu'une tranche minime de ce territoireinexploré de l'histoire religieuse. Il se borne simplement à livrer quelques réflexions sur la prédication populaire au XIXe siècle, vue à partir des jubilés, de l'exemple de Mgr de Forbin-Janson et des missions paroissiales.
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Mythes d'Anticosti
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La légende napolénienne au Québec
Articles - Littératures
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En quête d'un imaginaire
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L'étranger de race et d'ethnie dans le roman
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Les " caractères " nationaux dans un manuel de géographie des années 1930
Pierre Savard
p. 205–215
RésuméFR :
Peu d'écoliers canadiens-français du Québec ont échappé entre 1920 et 1960 aux manuels de géographie des Frères Maristes. Ces ouvrages sont même passés dans la littérature de souvenir avec leurs cartes et leurs illustrations aux couleurs vives et leurs formules du type : « Montréal, la ville aux cent clochers ». Tout en fournissant une information abondante et constamment mise à jour dans une présentation agréable, les manuels de la collection des Frères Maristes restent proches de la nomenclature dans le style des manuels de l'époque. On y trouve un autre caractère qui ne laisse pas de surprendre le lecteur d'aujourd'hui : l'abondance des jugements de valeurs et des stéréotypes nationaux. L'étude de ces passages nous apparaît des plus révélatrices d'une vision très caractérisée du monde qu'on vise à inculquer à la jeunesse du temps.