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Si la ville est faite pour tous ceux qui l'habitent elle est par contre le produit de quelques individus ou organismes spécifiques. Les nouveaux axes de développement, les nouvelles activités qui s'inscrivent sur le sol sont en effet le choix d'acteurs privilégiés qui non seulement participent aux décisions concernant l'organisation territoriale mais font prévaloir leurs vues.
L'aménagement urbain est certes influencé par des facteurs nombreux et divers mais il offre un champ d'élection pour des conflits d'intérêt particulièrement aigus. Étudier les jeux en matière d'utilisation du sol n'est pas chose aisée car beaucoup d'actes en ce domaine, soit échappent à l'investigation, soit ne se sont pas révélés dans toute la complexité de leurs relations. Les résultats de ces jeux sont concrétisés dans le zonage, pouvoir réglementaire reconnu aux municipalités, qui fixe les choix en matière d'utilisation du sol. Mais préalablement au stade réglementaire, les préférences spatiales se sont exprimées, soit au niveau de la demande, soit au niveau de la consultation, soit au niveau de la décision, soit encore au niveau de la contestation. Or comme le souligne R. Babcock « of ail the areas of the law, zoning is the least susceptible to académie scrutin ».
Évidemment le règlement de zonage ne fait qu'ouvrir des potentialités d'utilisation du sol. Celles-ci peuvent être conformes à la situation existante, proches de l'utilisation actuelle du sol, sensiblement ou totalement différentes. De plus, elles ne sont pas nécessairement suivies d'effets. Bref le potentiel ouvert par le zonage peut être très différent de l'utilisation actuelle et peut très bien ne pas être exploité. Mais dans ce dernier cas, on peut être assuré qu'à plus ou moins long terme, un amendement au zonage viendra modifier ce potentiel stérilisé pour le rendre effectivement réalisable à brève échéance. L'utilisation effective du sol doit normalement se conformer aux usages permis par le règlement de zonage ou ses amendements. Le potentiel ouvert par le zonage est donc une chose très importante pour les utilisateurs du sol qui ont donc intérêt à intervenir. Quels sont donc les différents acteurs qui participent aux choix concernant le potentiel d'utilisation du sol?
On sait que ces choix sont laissés à la discrétion des conseillers municipaux, décideurs formels tenus seulement d'observer les principes généraux et règles juridiques applicables aux règlements. En effet les pouvoirs de zonage sont précisés dans divers textes juridiques qui souvent mêlent indistinctement zonage et construction3. Mais aucun critère ni objectif ne viennent limiter ces choix, qu'il s'agisse du découpage du territoire municipal en zones, de l'affectation des différentes zones ou des modalités plus précises d'occupation du sol. Cette absence de référence laisse donc le champ entièrement libre aux différents groupes d'intérêt qui s'affrontent et essaieront de faire prévaloir leurs objectifs divers. Bref les règles du jeu sont généralement informelles. Il faut les découvrir à travers les acteurs et leurs comportements. Ces acteurs peuvent intervenir, soit lors des règlements de base initiaux, soit lors de la refonte de règlements de base, soit enfin lors des amendements4. Mais ce sont surtout les amendements qui révèlent les acteurs : nous les avons donc privilégiés pour plusieurs raisons. En effet les travaux récents de D. Pilette ont abouti aux deux conclusions suivantes. D'abord un règlement de base intervient en moyenne tous les neuf ans. Ensuite les amendements transforment le règlement de base de façon substantielle.
De plus le règlement de base initial n'est souvent que la consécration juridique d'un état de fait en matière d'utilisation du sol. Les autorités municipales attendent les projets pour modifier par amendements les usages permis et se conformer aux options souhaitées par les utilisateurs du sol. De plus les règlements de base subséquents ne constituent généralement qu'une simple refonte des règlements de base antérieurs modifiés moult fois par ces amendements.
Nous avons par ailleurs signalé dans une autre étude l'importance quantitative des amendements ainsi que l'importance qualitative des transformations qu'ils entraînent dans le potentiel d'utilisation du sol. Or si une partie de ces amendements peut être inspirée par le Conseil municipal ou les services de la ville, une autre partie provient des requérants particuliers ou des promoteurs et constructeurs.
De plus, alors que pour le règlement initial le Conseil a une autorité exclusive en matière d'adoption du règlement, pour les règlements et amendements subséquents il partage son autorité avec les électeurs propriétaires. Aux termes de l'article 426 (le) de la Loi des Cités et Villes, les électeurs propriétaires de la zone visée par le règlement et éventuellement des zones adjacentes peuvent exercer un pouvoir de contestation au cours d'une assemblée convoquée par le greffier. Si six d'entre eux ou la moitié des participants, au cas où leur nombre est inférieur à douze, demandent la tenue d'un référendum, le règlement est alors soumis à leur approbation lors d'un vote subséquent.
Par contre tout règlement de base subséquent au règlement initial, s'il est également « passible » de contestation et d'approbation, est souvent l'œuvre d'un ou de quelques spécialistes. Comme pour le règlement de base initial, il s'agit d'un document global préparé par un urbaniste conseil, ou par le service spécialisé de la ville. Des consultations peuvent avoir lieu auprès de services techniques ou juridiques. Mais l'initiative de la refonte ou d'un nouveau règlement relève généralement de la municipalité. Enfin, il faut souligner que l'évaluation d'un document aussi global concernant tout le territoire et les usages appellerait une étude attentive et approfondie. Or, aussi bien les conseillers qui adoptent les règlements que les électeurs propriétaires qui peuvent les contester, n'ont la possibilité d'investir autant de temps que les technocrates pour évaluer toutes les implications d'un tel règlement. Les interventions sont donc plus rares. Par contre les amendements à incidence spatiale plus précise suscitent davantage d'intérêt et d'interventions diversifiées en fonction des zones concernées et des types d'usages. Ces différentes raisons, plus particulièrement la transformation substantielle des règlements de base, nous ont incités à reconnaître aux amendements une valeur stratégique dans la dynamique du zonage. Cette dynamique se manifeste par l'ampleur quantitative et qualitative des amendements dans le temps. Ceux-ci révèlent les différents acteurs impliqués dans les modifications apportées à la vocation du sol. En étudiant deux villes de la région montréalaise, nous avons tenté de reconstituer le processus de décision en matière de zonage, d'identifier les acteurs participants et d'étudier les différents types d'interventions sur le potentiel foncier.