Corps de l’article

1. Problématique

Le déploiement universel des classes à l’éducation préscolaire 4 ans à temps plein au Québec et la mise en place du nouveau Programme-cycle de l’éducation préscolaire (Ministère de l’Éducation [MEQ], 2021) a soulevé de nouveaux besoins de formation et d’accompagnement pour le personnel enseignant intervenant à l’éducation préscolaire 4 ans et 5 ans. En effet, les personnes enseignantes qui interviennent au cycle de l’éducation préscolaire doivent soutenir le développement global des enfants d’âge préscolaire, dont fait partie le développement langagier, et ce, en prenant en compte leurs besoins. Or, les personnes enseignantes semblent manquer de connaissances sur la manière de soutenir le développement langagier dans une approche développementale (Charron et al., 2022). Elles ne peuvent ainsi pas toujours mettre en oeuvre un environnement physique et des pratiques de qualité pour soutenir l’apprentissage des enfants.

Boudreau et al. (2022) soulignent l’importance que l’environnement physique de la classe soit de qualité. Pour soutenir le développement langagier des enfants à l’éducation préscolaire, les personnes enseignantes sont amenées à aménager leur classe avec différents coins d’apprentissage comme les coins de jeux symboliques, de lecture et d’écriture. Dans ces coins d’apprentissage, il est important d’offrir du matériel écrit riche, varié et en grande quantité, d’avoir des écrits environnementaux qui sont placés à la hauteur des yeux des enfants et de mettre en place différentes situations de développement et d’apprentissage où les enfants sont en interaction (Boudreau et al., 2022; Charron et al., 2021). Le Programme-cycle de l’éducation préscolaire préconise d’ailleurs « l’exposition fréquente à la littérature jeunesse et l’exposition à l’écrit dans tous les coins de la classe » (MEQ, 2021, p. 40). Des livres de littérature jeunesse doivent être présents dans tous les coins de la classe afin que les enfants puissent y accéder tout au long de la journée. Or, les résultats d’une recherche québécoise montrent que la qualité de l’environnement physique au regard de l’émergence de l’écrit dans des classes d’éducation préscolaire 4 ans est considérée comme faible ou très faible (Drainville et Charron, 2021). Bien que la majorité des trente classes participantes ont un endroit ordonné et invitant pour présenter les livres, les résultats de cette recherche montrent qu’il y a une quantité et une variété limitées de livres dans ces coins et dans les différentes aires de la classe et que l’écrit est peu présent. D’autres recherches québécoises (Japel et al., 2017) et américaines (Pelatti et al., 2014) montrent également que le niveau de qualité des pratiques enseignantes soutenant le développement langagier des enfants à l’éducation préscolaire était faible avant l’implantation du Programme-cycle de l’éducation préscolaire en 2021.

La lecture aux enfants est aussi une pratique à privilégier à l’éducation préscolaire (Boudreau et al., 2018; Desmarais et al., 2012; Dupin de Saint-André et al., 2012). Cette pratique permet de soutenir le développement langagier des enfants, en plus de les initier au plaisir de lire. Afin qu’elle soit bénéfique, les personnes enseignantes doivent planifier leurs interventions et l’aménagement de la classe (Gunning, 2016; McCaffrey et Hisrich, 2017). Dionne (2021) souligne, pour sa part, que cette planification est parfois lacunaire ou même absente. Pour remédier à cette situation, la formation initiale et continue des personnes enseignantes doit accorder du temps aux interventions lors de la lecture en contexte d’éducation préscolaire. Plus précisément, les personnes enseignantes doivent être formées à planifier les lectures qu’elles feront aux enfants.

La présente recherche-action a été élaborée avec les conseillères pédagogiques à l’éducation préscolaire du Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys afin de répondre à un besoin de formation du personnel enseignant. En effet, quelques enseignantes avaient préalablement participé à une recherche en maternelle 4 ans (Charron et al., FRQSC, 2017-2020) sur la qualité de l’environnement oral et écrit et la qualité des interactions dans des classes de maternelle 4 ans à temps plein en milieu défavorisé. Dans le cadre de cette participation, elles avaient indiqué leur besoin de formation et d’accompagnement en ce qui concerne les pratiques pour soutenir le développement des compétences langagières des enfants de cet âge. La présente recherche-action visait à documenter les pratiques enseignantes soutenant le développement langagier des enfants à l’éducation préscolaire 4 ans en mettant en oeuvre un dispositif de formation et d’accompagnement. Elle a permis à l’équipe de recherche, composée de trois chercheuses universitaires et de trois conseillères pédagogiques, de soutenir les participantes dans la mise en place de pratiques enseignantes signifiantes pour les enfants en utilisant notamment la littérature jeunesse. De nombreuses pratiques ont été mises en place en associant la lecture, la lecture des illustrations, le mouvement et les sons pour favoriser la compréhension des enfants. L’objectif de cet article est de présenter des pratiques enseignantes inspirantes à partir de la littérature jeunesse, et ce, dans une perspective multimodale, qui ont été mises en oeuvre par les participantes.

2. Cadre conceptuel

Cette section définit d’abord le concept de pratiques enseignantes et présente des pratiques enseignantes soutenant le développement du langage oral et écrit. Ensuite, la littératie multimodale est définie et associée aux pratiques à l’éducation préscolaire.

2.1. Pratiques enseignantes

La pratique enseignante peut être définie comme « la manière de faire singulière d’une personne, sa façon réelle, propre, d’exécuter une activité professionnelle : l’enseignement » (Altet, 2002, p. 86). La planification, la réflexion à la suite de la pratique et le matériel utilisé font partie de la pratique enseignante (Altet et al., 2012; Bressoux, 2001; Marcel et Merini, 2012; Masselot et Robert, 2012). Selon Marcel (2002), une sphère de la pratique enseignante est conscientisée, alors qu’une autre partie est inconscientisée. Pour brosser un portrait des pratiques d’une personne enseignante, il est ainsi nécessaire de l’observer puisque certains savoirs s’exécutent de manière inconsciente et ne peuvent être verbalisés lors d’un entretien.

À l’éducation préscolaire, Guo et al. (2012) distinguent les pratiques enseignantes indirectes et celles directes. Celles indirectes réfèrent à l’organisation de la classe ainsi qu’à la disposition du matériel tandis que celles directes correspondent aux activités et aux interactions mises en oeuvre par la personne enseignante. Pour ce qui est des pratiques indirectes, Boudreau et al. (2022) soulignent l’importance de mettre à la disposition des enfants une grande variété de matériel écrit (p. ex. littérature jeunesse, affiches) et d’écriture (p. ex. crayons, feuilles) dans la classe afin de les soutenir dans le développement de leur langage oral et écrit. Cela leur permet d’être en contact avec l’écrit tout au long de la journée.

Certaines de ces pratiques directes peuvent être initiées par la personne enseignante tandis que d’autres sont initiées par les enfants et soutenues par l’adulte, notamment lors du jeu symbolique (Marinova et Drainville, 2019). Ainsi, les personnes enseignantes peuvent proposer des activités telles qu’une causerie, la présentation d’un message du jour ou la lecture d’une oeuvre de littérature jeunesse pour soutenir le développement du langage oral et écrit des enfants de la classe. Elle peut également être cojoueuse dans les jeux symboliques initiés par les enfants. Dans une perspective multimodale, la personne enseignante peut proposer aux enfants différentes activités qu’elle met en oeuvre à l’aide de la littérature jeunesse.

2.2. Pratiques enseignantes employant la multimodalité pour soutenir le développement du langage oral et écrit

Avant de présenter l’utilisation de la multimodalité comme pratique pour soutenir le développement du langage oral et écrit, il convient de définir ce qu’est la littératie multimodale ainsi que la multimodalité. La littératie multimodale peut être définie comme

la capacité d’une personne à mobiliser adéquatement, en contexte communicationnel synchrone ou asynchrone, les ressources et les compétences sémiotiques modales (p. ex. modèle linguistique seul) et multimodales (p. ex. combinaison des modes linguistique, visuel et sonore) les plus appropriées à la situation et au support de communication (traditionnel et/ou numérique)

Lacelle et al., 2015

Pour sa part, la multimodalité réfère à plusieurs modalités de communication mises en oeuvre lors d’interactions (de Saint-Georges, 2008). Ces diverses modalités favorisent la compréhension des personnes dans les situations de communication. « Le corps (gestualité, regards, postures, mimiques faciales, etc.), l’espace, les objets, les images, et le langage verbal et paraverbal, ainsi que toutes les formes de communication propres aux technologies numériques (clavardage, émoticônes, ponctuation, etc.) » (Rivière et Blanc, 2021, p. 9) sont des modalités qui peuvent être utilisées pour donner sens à la situation de communication.

Comme la majorité des enfants ne savent pas lire à l’éducation préscolaire, il est important de donner du sens aux textes présentés par les images, mais également par les sons, les mouvements, la parole, etc. L’utilisation de ces différents modes de communication permet aux enfants de comprendre le monde qui les entoure et de développer progressivement des connaissances sur l’écrit dans différents contextes d’apprentissage (Charron et al., 2022). En associant différents modes de communication, les personnes enseignantes mettent en place des pratiques associées à la littératie multimodale qui se définit comme « la capacité à lire et à communiquer en combinant efficacement l’écrit, l’image et l’audio sur des supports médiatiques variés » (Lebrun et al., 2013, p. 9). À l’éducation préscolaire, ces pratiques multimodales permettent aux enfants de comprendre l’écrit autour d’eux en plus de soutenir leur développement langagier. En effet, l’engagement des enfants est l’un des critères de qualité des pratiques soutenant leur développement langagier (Dynia et al., 2018).

3. Méthodologie

3.1. Participantes

Neuf enseignantes à l’éducation préscolaire 4 ans ont participé à la recherche-action qui s’est échelonnée sur deux ans. Elles avaient entre deux et sept ans d’expérience à l’éducation préscolaire. Elles détenaient un baccalauréat en éducation préscolaire et enseignement primaire (N=6), un baccalauréat en adaptation scolaire (N=1), un baccalauréat en enseignement du français langue seconde (N=1) et un certificat en enseignement avec une mineure en français et une majeure en arts et lettres (N=1).

3.2. Dispositif de formation et d’accompagnement professionnel

Dans le cadre de cette recherche-action qui a duré deux ans (Charron, 2021; Guay et al., 2016), un dispositif de formation et d’accompagnement professionnel a été développé. Ce dispositif portait sur l’émergence de l’écrit, à savoir ses composantes (langage oral, conscience phonologique et conscience de l’écrit, Rohde, 2015), ainsi que sur des pratiques reconnues par la recherche pour soutenir le développement du langage oral et écrit des enfants d’âge préscolaire (p. ex. jeu symbolique, causerie, lecture interactive), plus précisément en milieu plurilingue. L’enseignement direct, les moments de partage de pratiques expérimentées en classe et du temps de réflexion sur sa propre pratique étaient utilisés dans le dispositif composé de trois journées (première année du projet) et quatre demi-journées (deuxième année du projet) de formation. Les formations étaient planifiées et animées par la chercheuse principale, les cochercheuses et les cochercheuses du milieu de la pratique, en l’occurrence les 4 conseillères pédagogiques à l’éducation préscolaire.

Pour ce qui est de l’accompagnement professionnel, chaque enseignante a été observée à trois reprises durant le projet de recherche par deux personnes chercheuses et des photographies ont été prises pour documenter leurs pratiques. Une observation a eu lieu dans la première année du projet de recherche et les deux autres à la seconde année. Chacune des observations se déroulait durant l’ensemble de l’avant-midi (entre 2h15 et 3h30). Aucune demande n’était formulée aux personnes enseignantes. Elles mettaient en place leurs pratiques habituelles. L’outil Early Language and Literacy Classrrom Observation version Pre-K (ELLCO; Smith et al., 2008) a été utilisé lors des observations.

3.3. Outils d’observation

L’outil ELLCO (Smith et al., 2008) permet de documenter la qualité des pratiques enseignantes indirectes et directes soutenant le développement du langage oral et écrit. Cet outil comporte trois parties : 1) une liste de contrôle de l’environnement littéracique selon deux échelles (lecture et écriture), 2) une observation en classe à partir d’une grille de 19 items liés à l’environnement oral et écrit selon cinq catégories et 3) une entrevue permettant de bonifier les informations recueillies lors de l’observation. Bien que cet outil permette d’attribuer une cote quantitative à chacun des items, une partie qualitative permet de conserver des traces écrites des observations réalisées. Les données présentées dans cet article proviennent de ces notes d’observation associées à la catégorie les livres et les moments de lecture d’histoires. Cette catégorie permet de documenter l’organisation de l’aire de lecture, les caractéristiques des livres, les livres dans toute la classe, les approches face à la lecture des livres et la qualité de la lecture des livres.

Lors de chacune des observations, une centaine de photographies étaient prises par un membre de l’équipe de recherche. Cohen et al. (2011) souligne que les images visuelles permettent aux chercheurs d’augmenter leurs notes de terrain en rappelant des détails supplémentaires et par conséquent en développant une documentation substantielle d’un événement complexe. La prise de photos permet de réaliser des narrations des pratiques mises en oeuvre par les participantes.

3.4. Analyse des résultats

Une analyse thématique (Braun et Clarke, 2006) des notes d’observation et des photographies (Cohen et al., 2011) a été réalisée à l’aide du cadre de référence. Pour ce faire, le logiciel d’analyse qualitative QDA Miner a été utilisé, et ce, tant pour la transcription des notes d’observation que pour les photographies prises. Cette analyse a permis de dégager le sens des pratiques mises en oeuvre et de mettre en relation les éléments pertinents entre ces deux sources de données (Leray et Bourgeois, 2016). Une narration des pratiques enseignantes mises en oeuvre par les participantes a finalement été réalisée avec ces deux sources lors de l’interprétation des données.

4. Résultats

Les observations réalisées en classe dans le cadre du dispositif de formation et d’accompagnement professionnel ont permis de documenter différentes pratiques enseignantes mises en oeuvre à partir de la littérature jeunesse, et ce, dans une perspective multimodale. Trois de ces pratiques enseignantes (Hayat, Marie-Claude, Roxane et Sara) sont présentées dans cette section.

4.1. Pratique 1 : Enseignante #1 Sara

Sara est enseignante à la maternelle 4 ans dans un milieu défavorisé plurilingue et pluriethnique du Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys. Quelques enfants de sa classe parlent déjà français tandis que d’autres sont en apprentissage de cette langue.

Lors d’une observation en classe, Sara a réalisé une lecture à haute voix de l’album jeunesse Les orteils n’ont pas de nom de Jean Leroy et Matthieu Maudet. Avec cette pratique enseignante, Sara favorise une exploitation multimodale de l’album puisqu’elle exploite la parole, les images et le mouvement à l’aide de la manipulation de différents objets.

En résumé, cet album à structure répétitive raconte que les doigts de la main ont leur propre nom (pouce, index, majeur, annulaire et auriculaire), contrairement aux doigts de pieds qui n’ont pas cette chance. Tout au long de l’album, on tente de trouver des noms aux doigts de pied à partir d’autres catégories connues : la catégorie des lettres de l’alphabet (a, b, c, d, e), des chiffres (1, 2, 3, 4, 5), des notes de musique (do, ré, mi, fa, sol), des couleurs (rouge, vert, jaune, bleu, orange) et des fruits (pomme, orange, poire, banane, fraise).

Figure 1

Deux exemples de page de l’album Les orteils n’ont pas de nom de Jean Leroy et Matthieu Maudet.

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La relation entre le texte et l’image est bien présente, car chaque catégorie est clairement illustrée pour que l’enfant puisse associer un nom à chaque orteil, ce qui sert à augmenter la valeur informative des textes écrits (Lebrun et Lacelle, 2012).

Tout au long de la lecture, l’enseignante a posé différentes questions ouvertes aux enfants afin de les engager (p. ex. « Quels autres chiffres l’auteur aurait-il pu utiliser ? », « Avez-vous d’autres idées de catégories à proposer ? », etc.).

Figure 2

Sara qui fait la lecture de l’album.

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En plus de soutenir le développement du vocabulaire chez les enfants, cet album a été choisi comme déclencheur d’une activité où la multimodalité est mise de l’avant. Pour donner du sens à la lecture et pour les rendre actifs dans leurs apprentissages, l’enseignante a proposé une activité où elle a invité les enfants à trouver eux-mêmes des noms aux cinq orteils, et ce, à partir du matériel accessible en classe. Plus précisément, elle a d’abord placé les enfants en sous-groupes de quatre. Ensuite, elle a distribué à chaque équipe une feuille blanche avec l’empreinte d’un pied. Puis, elle a demandé aux enfants de se diriger dans différentes aires d’apprentissage en classe (p. ex. l’aire de jeux symboliques, l’aire d’écriture, l’aire de blocs) afin de trouver cinq objets qui pourraient être utilisés comme des noms d’orteil. Une fois trouvés, les enfants devaient placer les objets sur chacun des orteils.

Figures 3 et 4

Propositions de noms pour les orteils.

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Pour terminer, l’enseignante a voulu donner la parole aux enfants en leur demandant de nommer les objets qui représentaient chacun des orteils. Au besoin, elle aidait ou demandait aux autres enfants de l’aider à nommer les objets.

L’oeuvre de littérature jeunesse lue a pu avoir du sens pour les enfants grâce aux différentes modalités utilisées par l’enseignante. Pour ce faire, elle a eu recours aux images, aux objets ainsi qu’aux paroles. Les enfants ont été amenés à approfondir leur compréhension en manipulant ces objets et en expliquant leur raisonnement.

4.2. Pratique 2 : Enseignante #2 Roxane

Tout comme Sara, Roxane est enseignante à la maternelle 4 ans dans un milieu montréalais défavorisé, plurilingue et pluriethnique. Bien que certains enfants de sa classe aient appris le français à la maison, d’autres ne parlaient et ne comprenaient aucun mot de cette langue lors de leur entrée à l’éducation préscolaire.

Pour favoriser l’engagement des enfants lors des moments de lecture, l’enseignante a l’habitude de leur faire mimer les histoires lues afin de rendre « le livre vivant ». Tant la parole, le mouvement que les illustrations sont mis de l’avant dans cette pratique enseignante employée dans une perspective multimodale.

Lors de l’une des observations en classe, l’enseignante a fait la lecture de l’album J’y vais ! de Matthieu Maudet. Cet album, qui présente aussi une structure répétitive, raconte l’histoire d’un petit oiseau qui est prêt à partir. Sur chaque double page, l’oiseau répète « J’y vais » et on retrouve son entourage qui lui propose des objets pour son départ : sa maman lui offre un chandail et son papa une lampe de poche, mamy lui donne des biscuits et papy une casquette, ses amis lui prêtent livre, parapluie et radio. Avec tout ce matériel, le petit oiseau se rend… à la toilette !

Figure 5

Deux exemples de page de l’album J’y vais ! de Matthieu Maudet.

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L’enseignante fait d’abord une lecture complète de l’album en s’assurant d’expliquer le vocabulaire et de questionner les enfants sur l’endroit où ira le petit oiseau.

Figure 6

Roxane qui fait la lecture de l’album.

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Ensuite, elle invite les enfants à jouer le rôle des différents personnages de l’histoire. Les enfants volontaires choisissent un des personnages et utilisent des accessoires préalablement préparés par l’enseignante. À l’aide de l’enseignante, ils rejouent l’histoire en prenant la parole. En passant par le mouvement et la parole, les enfants s’imprègnent de l’histoire, se concentrent sur l’ordre chronologique des événements, et surtout, ils ont beaucoup de plaisir, tant comme personnages que comme spectateurs.

Figures 7, 8, 9 et 10

Enfants de la classe de Roxane qui jouent l’histoire.

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Après l’activité, l’enseignante met à la disposition des enfants le livre ainsi que les accessoires utilisés dans l’aire de jeux symboliques. L’observation a permis de constater qu’ils jouent à nouveau l’histoire de manière autonome lors de la période des jeux initiés par les enfants. Ils sont en mesure de raconter l’histoire en regardant les illustrations et en utilisant les accessoires.

Roxane utilise la multimodalité afin de soutenir le développement du langage oral et écrit des enfants. En plus de l’album de littérature jeunesse lu, l’enseignante utilise différents objets que les enfants peuvent manipuler et les encourage à utiliser des mouvements et la parole pour « jouer » l’histoire et favoriser leur compréhension.

4.3. Pratique 3 : Enseignantes #1 Sara, #3 Hayat et #4 Marie-Claude

À l’éducation préscolaire, la littérature jeunesse occupe une place de choix à tout moment de la journée. Les enseignantes l’utilisent quotidiennement pour faire la lecture à haute voix ou comme déclencheur d’une activité dirigée. Mais, il est aussi possible de l’utiliser autrement, notamment lors des transitions en classe. Puisque les enfants ne sont pas en mesure de lire les textes de manière autonome, une perspective multimodale est mise de l’avant en favorisant l’utilisation des images, de la parole et des sons.

À titre d’exemple, lors de l’arrivée des enfants en classe, l’enseignante les invite à se choisir un livre et à le regarder en duo. Dans d’autres classes, les enseignantes utilisent la littérature jeunesse comme activité déversoir. C’est ce qu’ont mis en place Sara, Hayat et Marie-Claude dans leur classe respective en participant à la recherche-action. Quand les enfants ont terminé une activité, ils sont encouragés à prendre un livre de leur choix et à le regarder individuellement ou en petits groupes en attendant que les autres enfants terminent l’activité. Les enfants échangent sur les images, tentent de saisir l’histoire à partir de celles-ci ou ils inventent leur propre histoire. Ils sont amenés à manipuler délicatement le livre, à apprendre le sens pour tourner les pages, à constater que certains livres ont du texte et des images, mais que d’autres ont seulement des images comme les Cherche et trouve ou les albums sans texte.

Figures 11, 12, 13 et 14

Enfants faisant la lecture individuelle ou en duo durant les moments de transition.

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Des enseignantes offrent également la chance aux enfants d’écouter des albums à partir d’un poste d’écoute. Les enregistrements d’albums sont souvent accompagnés de musique et de bruits pour rendre l’histoire encore plus captivante. Ainsi, le son est un élément qui ajoute à l’expérience du livre.

Figure 15

Aire d’écoute dans la classe de Marie-Claude.

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Ces pratiques indirectes permettent aux enfants d’associer le son, la parole ainsi que les images pour comprendre les livres qui les entourent.

5. Discussion

Des pratiques inspirantes à partir de la littérature jeunesse, et ce, dans une perspective multimodale, mises en oeuvre par les participantes à une recherche-action ont été présentées dans cet article, et ce, bien que le dispositif de formation et d’accompagnement développé dans le cadre de la recherche ne portait pas sur la multimodalité. Les cas présentés montrent des pratiques directes et indirectes qui soutiennent le développement du langage oral et écrit des enfants (Guo et al., 2012). Ces auteurs soulignent d’ailleurs l’importance de la qualité de ces deux regroupements de pratiques à l’éducation préscolaire. Dans les cas présentés, Sara et Roxane ont mis en oeuvre des pratiques directes où la littérature jeunesse était mise de l’avant. Hayat, Marie-Claude et Sara ont mis à la disposition des enfants une grande variété de livres (pratiques indirectes) comme le suggèrent Boudreau et al. (2022).

Les résultats montrent également que certaines pratiques peuvent utiliser la littérature jeunesse dans une perspective multimodale à l’éducation préscolaire afin de soutenir le développement du langage oral et écrit des enfants. Les trois pratiques présentées sont considérées comme de qualité puisqu’elles soutiennent l’engagement des enfants à l’aide d’objets, du mouvement et de la parole (Rivière et Blanc, 2021). Dynia et al. (2018) précisent d’ailleurs que l’engagement des enfants est l’un des critères essentiels des pratiques soutenant le développement langagier des enfants à l’éducation préscolaire. Cet engagement est mis de l’avant en faisant participer activement les enfants durant les activités, ce que favorise la perspective multimodale mise en oeuvre avec ces différentes pratiques. Les enfants sont questionnés, doivent interpréter les illustrations, employer leur corps pour manipuler des objets ou jouer l’histoire lue et écouter pour bien comprendre. Les conversations sont également employées dans les trois pratiques mises de l’avant dans cet article ce que Guo et al. (2012) soulignent comme un point essentiel des pratiques de qualité à l’éducation préscolaire.

La multimodalité mise en oeuvre dans ces pratiques favorise la compréhension des enfants d’un support écrit qu’ils ne sont pas en mesure de lire de manière autonome. Favoriser la compréhension est d’ailleurs l’un des objectifs de la littératie multimodale comme l’indiquent Lacelle et al. (2015). Bien que les enseignantes n’aient pas utilisé le numérique lors des observations réalisées, il serait pertinent de voir comment les personnes enseignantes à l’éducation préscolaire 4 ans peuvent associer les sons et les vidéos numériques pour favoriser la compréhension des enfants. Cela permettrait d’associer une autre modalité à la littérature jeunesse.

Bien que les pratiques décrites dans le présent article correspondent à des critères de qualité, aucune donnée recueillie n’a permis de déterminer leurs effets sur le développement du langage oral et écrit des enfants de ces classes. Il s’agit d’une limite de la présente recherche. Le nombre restreint d’observations réalisées correspond à une autre limite. En effet, les pratiques mises en oeuvre lors des observations peuvent différer de celles habituelles.

Conclusion

L’objectif de cet article était de présenter des pratiques enseignantes inspirantes employant la littérature jeunesse dans une perspective de littératie multimodale qui ont été élaborées et mises en oeuvre dans le cadre d’une recherche-action. Les exemples relevés ont permis d’illustrer quelques possibilités pour mettre de l’avant le son, le mouvement, la parole et les images. À l’éducation préscolaire, l’enseignante gagne à exploiter la multimodalité à partir de la littérature jeunesse pour soutenir le développement global de l’enfant. Comme le mentionne le Programme-cycle de l’éducation préscolaire (MEQ, 2021), il importe que les enfants soient exposés à la littérature jeunesse et au monde de l’écrit. Des recherches futures visant à évaluer les progrès des élèves lors de la mise en place de pratiques enseignantes dans une perspective multimodale seraient à réaliser ultérieurement.