Corps de l’article

1. Problématique

La qualité de l’environnement physique et psychologique au regard de l’émergence de l’écrit dans les classes d’éducation préscolaire a récemment fait l’objet d’études au Québec (Charron et al., 2022; Drainville et Charron, 2021; Turgeon et al., 2021). Des résultats tirés de ces recherches indiquent que les livres de comptines seraient en très faible nombre dans ces classes, et cela, en dépit du fait que la pratique régulière de comptines et de chansons puisse contribuer au développement et aux apprentissages des enfants (Bolduc et al., 2021; Boucher et Gaudette-Leblanc, 2022). Ce résultat peut s’expliquer par deux raisons. Notons d’abord que d’autres catégories de livres jeunesse que les livres de comptines, et utiles pour l’éveil musical, pourraient se retrouver dans les classes d’éducation préscolaire (p. ex. des albums mettant en vedette des musiciens, des documentaires sur un genre musical). Or, ces catégories ne semblent pas avoir été considérées dans les études antécédentes. Relevons ensuite qu’il est possible que les personnes enseignantes à l’éducation préscolaire ne connaissent pas bien les livres qui portent sur la musique et qu’elles doivent être accompagnées pour développer leur bibliothèque à cet égard. En ce sens, afin d’éventuellement avoir un portrait plus juste des livres qui traitent de la musique qui se trouvent dans les classes d’éducation préscolaire, au-delà des livres de comptines, nous avons cru judicieux d’élaborer une grille d’analyse.

Dans cet article, nous proposons donc d’exposer la démarche qui nous a permis de développer cette grille. Comme la recherche de développement fait partie des recherches appliquées et qu’elle est généralement utile aux personnes chercheuses et aux personnes praticiennes (McKinney et Reeves, 2012), nous estimons que la grille développée pourra servir sur le plan scientifique, afin de décrire les livres se trouvant dans les bibliothèques des classes préscolaires (p. ex., nombre de livres traitant de la musique, catégories de livres traitant de la musique), et sur le plan professionnel, dans le but de soutenir les personnes enseignantes à l’éducation préscolaire dans leur sélection de livres pour musiquer (traduction libre de musicking, Small, 1998). Mais avant d’arriver à ces utilisations potentielles, l’objectif principal au coeur de cet article concerne l’élaboration d’une grille d’analyse des livres jeunesse qui traitent de la musique et qui peuvent être utilisés à l’éducation préscolaire. Cette grille allie des critères littéraires et musicaux.

Avant de traiter des critères pour choisir des livres qui traitent de musique, indiquons simplement que les études ayant documenté leur utilisation dans les classes d’éducation préscolaire sont peu nombreuses. En fait, si elles nous renseignent sur la fréquence à laquelle le personnel éducateur et enseignant musiquent avec les enfants (Bolduc et Évrard, 2017; Kirby et al., 2023; Lee Nardo et al., 2006; Rajan, 2017), elles n’abordent pas précisément la fréquence à laquelle les personnes enseignantes à l’éducation préscolaire recourent aux livres pour musiquer. Bien que les résultats de l’étude menée par Kirby et ses collaborateurs (2023) nous indiquent que l’utilisation des livres qui traitent de la musique est une pratique existante à l’éducation préscolaire, certaines contraintes identifiées par les personnes enseignantes interrogées sont à considérer, dont le manque d’accès à des livres qui traitent de la musique. Au sujet des livres dans les classes de musique, les résultats de l’étude de Colwell (2013) peuvent nous guider, même si elle concerne des personnes enseignant la musique à tous les cycles, incluant l’éducation préscolaire. Le questionnaire a entre autres permis : 1) de connaître la fréquence à laquelle les personnes répondantes utilisent les livres jeunesse dans leurs enseignements; 2) d’identifier les différents critères qui les influencent au moment de choisir ces livres; et 3) d’identifier les raisons pour lesquelles elles les utilisent. Plus précisément par rapport à l’éducation préscolaire, la majorité des personnes enseignantes interrogées par Colwell (2013) ont rapporté utiliser des livres souvent ou fréquemment lors de leurs interventions, et cela, pour diverses raisons, tant sur le plan musical (p. ex., chanter) que non-musical (p. ex., soutenir le développement social et émotionnel des enfants d’âge préscolaire).

Concernant les critères pour choisir les livres, de manière générale, Turgeon (2018) nous informe qu’à l’éducation préscolaire les sélections se font majoritairement en fonction du potentiel pour diverses fins éducatives ainsi qu’en fonction des goûts des personnes enseignantes et des enfants, sans réelle prise en compte de critères littéraires. De plus, Turgeon et ses collaboratrices (2021) montrent que les livres présents dans les classes de l’éducation préscolaire en milieux défavorisés sont d’une qualité littéraire déficiente. Aussi, il est certain que lorsqu’il est temps de choisir des livres jeunesse afin de les utiliser en classe, que ce soit au primaire ou à l’éducation préscolaire, une multitude de critères existent : les critères ne sont pas les mêmes pour développer les habiletés interprétatives (Turgeon, 2013) que pour travailler les sciences (Soudani et Héraud, 2012) ou les arts plastiques (Desrochers, 2020). Pour ce qui est des livres qui soutiennent différents aspects liés à l’apprentissage de la musique, les critères répertoriés jusqu’à présent se centrent davantage sur des concepts musicaux plutôt que sur des concepts littéraires, ces derniers étant souvent généraux ou imprécis (Eppink, 2009; Gauthier, 2005; Lamme, 1990; Miller, 2008). À titre d’exemple, selon Miller (2008) le livre doit être « bien écrit et magnifiquement illustré » (traduction libre, p. 22) et selon Eppink (2009) il faut un « livre agréable » et des « illustrations engageantes » (traduction libre, p. 20). En somme, lorsque nous nous centrons sur les aspects littéraires plus que musicaux, ces derniers sont plutôt pauvres.

Pour cet article, nous poursuivons en quelque sorte le but inachevé de Colwell (2013), dans la mesure où initialement ses données quant aux critères de choix et aux pratiques déclarées des personnes répondantes devaient servir à élaborer une liste de critères permettant aux personnes enseignantes d’identifier des livres utiles pour enseigner la musique, un objectif somme toute similaire au nôtre. Cela dit, plutôt que de se présenter sous forme de liste, les critères littéraires (p. ex., le personnage, le style de l’auteur, la catégorie de livre) et les critères musicaux (p. ex., le style musical, la présence d’instruments, la possibilité de discuter des sons de la nature) sont intégrés à une grille. L’élaboration de la grille repose sur un processus itératif, ce qui est usuel dans une recherche de développement (McKinney et Reeves, 2012).

En somme, notre objectif principal est d’élaborer une grille d’analyse des livres jeunesse qui traitent de la musique et qui peuvent être utilisés à l’éducation préscolaire. En outre, même s’ils ne sont pas au coeur de cet article, nous estimons utile de préciser que deux objectifs prospectifs ont servi à orienter notre démarche : 1) décrire les livres se trouvant dans les bibliothèques des enseignantes à l’éducation préscolaire (objectif scientifique), 2) soutenir les personnes enseignantes dans leur sélection de livres et dans leur utilisation pour musiquer (objectif professionnel). Ces objectifs sont en lien avec les utilisations potentielles anticipées de la grille par deux publics cibles distincts, mais complémentaires.

2. Cadre de références

Dans ce cadre de références, nous présentons à la fois les concepts (musicaux et littéraires) et les études empiriques qui soutiennent le développement de notre grille d’analyse des livres jeunesse qui traitent de musique et qui peuvent être utilisés à l’éducation préscolaire. Par les livres et par la musique, nous touchons à la littératie multimodale, puisque, dans le cas des catégories de livres qui traitent de musique et qui sont utiles à l’éducation préscolaire (livres de comptines, livres de chansons, albums et documentaires), deux ou trois modes de communication sont combinés : le texte et les images, ou le texte, les images et les ajouts sonores. Ces livres permettent alors d’initier les enfants à la littératie multimodale, en mots, en images et en sons.

2.1. Musiquer à l’éducation préscolaire

Le verbe musiquer (traduction libre de musicking) fait référence à un ensemble d’actions qui impliquent la musique telles que chanter, jouer d’un instrument, écouter de la musique, bouger au son de la musique (Small, 1998). Les personnes enseignantes à l’éducation préscolaire musiquent habituellement tous les jours avec les enfants, que ce soit pour soutenir leur développement ou pour les amener à faire des apprentissages (Gillepsie et Gilder, 2010; Kirby et al., 2023). Plus précisément, selon le modèle théorique développé par Koops et Tates (2021), les personnes enseignantes à l’éducation préscolaire utiliseraient la musique afin d’atteindre différents objectifs soit : 1) entrer en relation avec les enfants; 2) organiser la classe; 3) soutenir le développement musical des enfants; et 4) soutenir le développement non-musical des enfants (Gaudette-Leblanc et al., 2023). Comme le soulignent notamment Bolduc et ses collaborateurs (2021) dans une étude menée au Québec, la pratique régulière de la musique serait associée à un meilleur développement de l’enfant d’âge préscolaire. Il importe donc de réfléchir aux différents contextes dans lesquels les personnes enseignantes et les enfants ont l’occasion de musiquer en classe d’éducation préscolaire.

2.2. Importance des livres traitant de musique à l’éducation préscolaire

De manière générale, recourir aux livres jeunesse à l’éducation préscolaire peut être utile non seulement pour soutenir l’émergence de l’écrit (Turgeon, 2018; Turgeon et al., 2021), mais également pour soutenir le développement global de l’enfant (DeRoy-Ringuette et Charron, 2022). Comme mentionné précédemment, l’apprentissage de la musique est également important pour le développement des enfants (Bolduc et al., 2022; Gaudette-Leblanc et al., 2020). À l’instar de Miller (2008), nous sommes d’avis que « même si aucun livre ne peut remplacer l’action de musiquer par soi-même, certaines histoires semblent être en mesure de décrire aux enfants les possibilités qu’offre l’apprentissage de la musique et qui peuvent changer une vie » (traduction libre, p. 18). Ainsi, il semble que les livres jeunesse bien choisis peuvent être inclus dans une perspective d’éveil à la musique et contribuer au développement musical et non-musical des enfants.

2.3. Recension des critères de sélection pour livres traitant de musique

Si, comme nous l’avons indiqué précédemment, notre recension des écrits est pauvre en critères littéraires en ce qui a trait aux livres jeunesse traitant de musique, nous avons néanmoins pu établir une catégorisation thématique émergente reliée à la musique quant aux propositions de critères pour choisir ces livres. Faite dans une posture d’analyse inductive (Blais et Martineau, 2006), cette catégorisation permet de regrouper quatre tendances : 1) les livres avec une thématique relative à la musique; 2) les livres pour soutenir l’apprentissage de la musique; 3) les livres à potentiel disciplinaire, interdisciplinaire et non musical; 4) les livres utiles à la création musicale.

2.3.1. Livre avec une thématique relative à la musique

La première tendance observée dans notre recension des écrits se résume à des propositions qui tiennent compte de thèmes en lien avec les pratiques musicales. Plutôt que des critères, ce sont généralement des suggestions de listes de titres répertoriés et accompagnés de résumés suivant la thématique. En guise d’exemple, Lamme (1990) propose cinq grandes thématiques, soit des livres mettant en scène 1) des performances musicales; 2) des pratiques musicales pour le plaisir personnel; 3) des enfants apprentis musiciens; 4) de la musique et de la danse; 5) de la musique produite par les sons de la nature. De son côté, Reid (2007) réduit ses propositions à trois et se centre sur les albums 1) qui sont basés sur des paroles de chansons, originales ou traditionnelles, pour enfants ou pour adultes; 2) qui mettent en scène la musique et des musiciens; 3) qui mettent en scène la danse et les danseurs. Concernant les livres qui mettent en scène la musique et les musiciens, Miller (2008) soutient qu’ils doivent amener la personne qui lit à comprendre comment la pratique musicale peut faire vibrer les musiciens, jusqu’à vivre des émotions quasi indescriptibles. Toujours selon Miller (2008) qui circonscrit ses propos autour des récits fictionnels, l’histoire doit faire vivre des émotions assez fortes pour convaincre les lecteurs et les lectrices du puissant pouvoir qu’offre la musique.

2.3.2. Livre pour soutenir l’apprentissage de la musique

L’étude de cas de Cardany (2012) permet de faire émerger une deuxième tendance dans les critères pour guider les choix de livres traitant de la musique. Cette tendance se distingue de la précédente parce que l’analyse des deux albums écrits par Deborah Underwood et illustrés par Renata Liwska n’ont pas comme thématique explicite la musique, comme c’est le cas des propositions de Lamme (1990) et Reid (2007). En effet, en observant les vedettes-matières du catalogue Nelligan des bibliothèques de la Ville de Montréal, les livres analysés par Cardany (2012) ont des thèmes plus généraux : le silence pour The Quiet Book[1] et le bruit pour The Loud Book[2]. Ainsi, si certaines scènes présentent des personnages qui musiquent la plupart ne le font pas. Cependant, toutes les illustrations amènent à des apprentissages musicaux quant aux nuances. De fait, dans son analyse, Cardany (2012) met l’accent sur l’importance de développer le vocabulaire pour faciliter la compréhension des enfants quant à des contenus musicaux, ici les nuances douces (soft) et fortes (loud). Puisque ces termes sont polysémiques, comme d’autres en musique, Cardany (2012) soutient qu’un enseignement à l’aide des livres où les illustrations viennent soutenir le sens est pertinent. Soulignons que parmi notre recension des écrits, cette étude de cas est celle qui considère le plus d’éléments littéraires précis. De fait, divers attraits du livre (DeRoy-Ringuette, 2022a; Saricks, 2005, 2009) sont mis en lumière par l’analyse de Cardany (2012) :

  • la tonalité émotionnelle de l’album, qui est douce et humoristique;

  • les personnages, qui sont anthropomorphes et qui vivent des activités du quotidien des enfants;

  • le cadre spatiotemporel, qui est changeant en fonction des situations illustrées;

  • le style d’illustration, qui est la technique au crayon de bois.

Bien qu’il s’agisse d’une étude qui considère seulement deux albums, les analyses des Cardany (2012) permettent de dégager certains critères littéraires à observer.

2.3.3. Livre à potentiel disciplinaire, interdisciplinaire et non musical

La troisième tendance dégagée de notre recension des écrits se rapporte à la possibilité d’enseigner non seulement des contenus prescrits dans les programmes de formation en musique, mais aussi à la possibilité de faire des liens entre la musique et d’autres disciplines scolaires. À titre d’exemple, Miller (2008) suggère que des livres qui contiennent de la musique traditionnelle pourraient être liés à des apprentissages relatifs aux sciences sociales ou encore certains livres traitant de la musique pourraient être employés pour soutenir l’émergence de l’écrit (p. ex., les livres contenant des chansons aux formules répétitives). Au sujet de l’interdisciplinarité, la majorité des personnes participantes à l’étude de Colwell (2013) dit avoir des intentions éducatives qui ne sont pas simplement musicales lorsque des livres jeunesse sont utilisés dans les classes de musique. Voici en ordre décroissant, les domaines non musicaux déclarés être les plus travaillés : 1) domaine émotionnel, 2) domaine social, 3) domaine moteur, 4) domaine communicationnel, 5) domaine comportemental, 6) domaine cognitif (Colwell, 2013). Ces domaines sont par ailleurs très près de ceux couverts par le programme-cycle de l’éducation préscolaire (MEQ, 2021).

2.3.4. Livre utile à la création musicale

La quatrième tendance dans les propositions de critères répertoriés et utiles pour choisir des livres traitant de musique est davantage centrée sur le potentiel du livre à accompagner des apprentissages musicaux par des créations musicales, sans que la musique soit nécessairement au coeur de l’intrigue (Eppink, 2009; Miller, 2008). En guise d’exemple, pour Eppink (2009), il est question de repérer des livres qui contiennent des phrases qui se répètent dans le but de créer des environnements musicaux. Ainsi, le livre peut porter sur des sujets variés, tant que les possibilités de faire un habillage musical se présentent. Cependant, parmi les suggestions qui nous semblent plus loin des thèmes musicaux (p. ex., les désormais classiques If you Give a Mouse a Cookie[3] de Laura Numeroff et Where the Wild Things Are[4] de Maurice Sendak), certains titres répertoriés ont effectivement un potentiel à musiquer directement dans le texte. C’est le cas de l’album canadien classique Love you Forever[5] de Robert Munsch qui est donné en exemple. Ici, le texte amène réellement à créer une musique pour accompagner l’histoire, puisqu’une berceuse est chantée par un personnage. Même si le thème central n’est pas la musique, mais bien l’amour maternel, il y a tout de même une possibilité évidente de musiquer, dans la mesure où chaque personne lectrice peut créer l’air qu’elle souhaite. En somme, Eppink (2009) propose des façons d’intégrer des livres jeunesse pour enseigner la musique dans une perspective de création musicale. Dans un même ordre d’idées, Gauthier (2005) suggère de s’attarder à la musicalité des textes, sans que ce soient des livres qui reprennent des paroles de chansons et sans que le thème soit nécessairement musical, comme Good Night Moon[6] de Margaret Brown, un autre classique de la littérature jeunesse. Bien que cette quatrième tendance, par rapport aux critères émergents de notre recension des écrits, dévie de nos intentions pour le développement de la grille, nous ne pouvons l’occulter. En effet, nous ne souhaitons pas outiller les personnes enseignantes pour l’analyse de livres de tout horizon qui ultimement pourrait être utiles pour créer de la musique (voir l’annexe 1 pour un exemple concret avec Une patate à vélo d’Élise Gravel), mais nous visons plutôt à élaborer une grille d’analyse des livres jeunesse qui traitent de la musique.

2.4. Éléments d’analyse littéraire pour les livres jeunesse traitant de musique

Pour plusieurs (DeRoy-Ringuette, 2022a; Lépine, 2018; Van der Linden, 2021), définir ce que sont les livres jeunesse est ardu, car il s’agit d’un ensemble hétéroclite, que ce soit par le public, les genres, la forme et le contenu. Pour délimiter ce qui est un livre jeunesse, la question de l’intentionnalité est souvent considérée (Van der Linden, 2021), c’est-à-dire le fait qu’il a été écrit et édité pour les bébés, les enfants ou les adolescents. Dans le cadre de cet article, nous nous limitons aux livres utiles pour traiter de la musique avec les enfants fréquentant les classes d’éducation préscolaire 4 et 5 ans. Aussi, tout comme Levine-Clark et Carter (2013), nous privilégions la locution livre jeunesse plutôt que celle de littérature jeunesse, car nous ne souhaitons pas nous limiter aux textes de l’imaginaire et estimons important de considérer aussi les livres documentaires. Dans tous les cas, nous retenons que le paratexte (p. ex., pages de couverture, pages de garde) est essentiel et nous circonscrivons nos propos autour des livres qui contiennent du texte et des illustrations, que ce soient des livres qui sont intrinsèquement musicaux (comme les livres de comptines et les livres de chansons) ou non (comme les albums et les documentaires). Enfin, pour cet article et pour notre grille, nous nous intéressons aux attraits du livre (p. ex., le personnage, le cadre, le style de l’auteur). Le terme attrait du livre est une traduction libre d’appeal of a book. Il s’agit d’un concept initialement proposé par Saricks (2005; 2009) dans le but de conseiller les lecteurs et les lectrices dans les bibliothèques publiques. Récemment, il a été adapté pour les livres jeunesse en contexte scolaire (DeRoy-Ringuette, 2022a; Dupin de Saint-André et al., 2022). Dupin de Saint-André et ses collaborateurs (2022) suggèrent que les attraits du livre peuvent avantageusement servir de « critères de sélection d’oeuvres littéraires de qualité » (p. 338).

2.4.1. Paratexte

Le paratexte et ses utilités ont d’abord été théorisés pour la littérature générale (Genette, 1987) et ils s’avèrent maintenant essentiels lorsqu’il est temps d’analyser des livres jeunesse. De fait, les textes et les illustrations présentes sur le paratexte extérieur et intérieur peuvent renseigner les personnes qui choisissent les livres. Selon Dupin de Saint-André (2015), pour les albums, et par extension plusieurs catégories de livres jeunesse,

le paratexte comprend les pages de couverture, le titre, le sous-titre, le format de l’oeuvre, la matière des pages, les pages de garde, la page titre, l’avertissement, la table des matières, la pagination et les éléments reliés au monde de l’édition (code-barre, ISBN)

p. 34

Dans le cas des livres qui traitent de la musique comme pour les autres, différentes informations se situent à divers endroits paratextuels. En voici un court exemple avec le livre Grand tintamarre publié par la maison d’édition La montagne secrète. Sur la première de couverture se retrouvent le titre, Grand tintamarre, et le sous-titre « Chansons et comptines acadiennes », ce qui donne des renseignements supplémentaires sur le type de musique et la provenance. L’illustration montre un groupe de personnes qui jouent de différents instruments et au coin inférieur droit il est indiqué : « livre-disque ». En plus de sa mention, la présence effective d’un support audio a avantage à être considérée comme faisant partie du paratexte, que ce soit un disque, un lien vers une plateforme d’écoute ou des boutons à presser.

2.4.2. Catégories de livres

Dans cette partie, nous définissons sommairement quelques catégories de livres traitant de musique et pouvant être utilisés à l’éducation préscolaire : les livres de comptines, les livres de chansons, les albums et les documentaires. Ces contenus étant très denses, nous nous limitons aux concepts, aux explications, aux argumentations et aux choix utiles à l’élaboration de la grille.

Selon Boutevin et Richard-Principalli (2008), la comptine se présente souvent dans un texte rimé et elle se définit comme un « [p]etit texte ludique, d’origine orale et populaire, et donc anonyme » (p. 73) qui servait originellement à compter ou à départager. Chez les anglophones, en raison de la présence de rimes, certains classent les nursery rhymes parmi les types de livres de poésie (Lynch-Brown et Tomlinson, 2008). Sur le plan musical plutôt que textuel et éditorial, « les comptines sont connues comme de courts textes rythmés et sans mélodie » (Bolduc et Gaudette-Leblanc, 2017, p. 47). Enfin, bien que souvent associée à la comptine, la chanson s’en distingue. En effet, il n’y a pas de véritable mélodie dans une comptine, mais plutôt un certain rythme, alors que la chanson est une « [c]omposition musicale destinée à être chantée, comprenant un refrain et des couplets » (Boutevin et Richard-Principalli, 2008, p. 57).

Maintenant que la distinction entre la comptine et la chanson est exposée, il est important d’indiquer que dans l’édition jeunesse, les livres qui contiennent des comptines ou des chansons présentent des similarités. D’abord, il peut s’agir de comptines ou de chansons contemporaines ou traditionnelles. Ensuite, elles peuvent se présenter seules ou en recueil. Enfin, comme les contes, les chansons et les comptines peuvent être déroutées, c’est-à-dire que ces « livres contiennent de nouveaux refrains ou couplets et d’autres sont des parodies, où des paroles humoristiques remplacent les originales » (traduction libre, Reid, 2007, p. 80). Pour un exemple dans l’édition francophone, dans Le roi, sa femme et le petit prince de Mario Ramos, l’auteur-illustrateur a fait le choix d’ajouter au texte original pour chaque jour, en texte et en illustration, différents animaux : « Samedi matin, le roi, sa femme, le petit prince, le pingouin, l’hippopotame à vélo, le lion farceur, les singes acrobates, et le crocodile affamé sont venus chez moi pour me serrer la pince » (Ramos, 2008, p. 22). Il propose aussi une finale différente de la chanson originale. Lorsqu’elles ne sont pas en recueil, les comptines et les chansons se présentent généralement en album. Par souci de clarté, dans la grille nous accolons les termes album et recueil aux comptines et aux chansons, ce qui permet une certaine distinction.

Parmi les différents types de livres se trouve l’album qui est un « livre où, sur l’espace de la double page et par le montage, interagissent un message visuel et un message textuel liés afin de former un ensemble cohérent. Le message textuel comprend tous les types de textes » (DeRoy-Ringuette, 2023a, p. 176). Dans cette définition, ce ne sont pas que les textes narratifs qui sont considérés dans les albums, mais aussi les autres types de textes (p. ex., explicatif, descriptif, dialogal). Pour l’éducation préscolaire et concernant les livres traitant de la musique, le terme album peut servir de terme parapluie, car en plus de retrouver des albums narratifs qui mettent en scène des actions musicales, comme Je t’aimerai toujours (Love you Forever) précédemment cité, l’album peut aussi être un livre où les paroles d’une comptine ou d’une chanson sont illustrées. Pour un exemple, Imagine de John Lennon illustré par Jean Jullien est un album qui reprend les paroles d’une chanson contemporaine, alors que Le roi, sa femme et le petit prince précédemment cité est un album qui contient une chanson déroutée.

Ajoutons enfin que l’album peut être fictionnel ou documentaire. De manière générale, un documentaire sert à informer et cela peut se faire selon les particularités de l’album (DeRoy-Ringuette, 2023b). Parmi les albums documentaires utiles à l’éducation préscolaire, on peut retrouver des abécédaires, des chiffriers et des imagiers, qui tous sont des livres d’éveil aux concepts (DeRoy-Ringuette, 2022b). Pour éviter la confusion, nous avons choisi d’enlever le terme album à ces derniers dans la grille et conserver uniquement les termes généralement employés, soit abécédaire, chiffrier et imagier. L’album biographique est un autre type d’album documentaire qui peut être utilisé à l’éducation préscolaire. Ici, le terme album est conservé parce que les biographies pour les enfants de cet âge se présentent généralement sous ce format, ce qui n’est pas le cas pour les enfants plus âgés.

Enfin, d’autres types de documentaires peuvent être utiles pour traiter de la musique à l’éducation préscolaire : les documentaires classiques. Selon DeRoy-Ringuette (2022b), tout comme les albums documentaires, les documentaires classiques ont pour but d’informer, mais se distinguent par les aides organisationnelles qu’ils contiennent, que ce soit dans le texte (p. ex., titres de doubles pages, sous-titres pour chapeauter un paragraphe) ou dans l’ouvrage (p. ex., table des matières, index), et ils se divisent selon « leur degré d’exhaustivité et de précision sur un sujet : les documentaires d’exploration, les documentaires spécifiques et les documentaires spécialisés » (p. 223). Pour la musique, imaginons qu’un documentaire d’exploration porterait sur les instruments de musique, un documentaire spécifique porterait sur les guitares, un documentaire spécialisé porterait sur la guitare manouche.

2.4.3. Attraits du livre choisis

Concernant les attraits du livre, nous avons choisi ici d’en retenir quatre : le personnage, le cadre, le style et la tonalité émotionnelle. Ces quatre attraits du livre s’inscrivent parmi un plus vaste ensemble (DeRoy-Ringuette, 2022a; Dupin de Saint-André et al., 2022; Saricks, 2005, 2009) que nous ne détaillons pas ici par souci de concision.

En commençant par l’attrait des personnages, il réfère à tout ce qui les caractérise, que ce soit physiquement ou psychologiquement. Dans la grille, nous nous limitons à ce qu’est le personnage principal (p. ex., un animal, un enfant, un groupe d’enfants, etc.) et aux actions musicales qu’il pose (p. ex., chanter, jouer de la musique, écouter de la musique, etc.).

Ensuite, l’attrait du cadre se divise selon le cadre spatiotemporel, soit le lieu et le temps (DeRoy-Ringuette, 2022a), et le cadre socioculturel, soit tout ce qui a trait à des éléments de lieu et de temps, mais avec une dimension d’activités ou de pratiques culturelles précises où il est possible de musiquer (p. ex., une illustration d’une chorale extérieure pour la fête de Noël dans l’album Un chant de Noël de Lucie Papineau, une illustration d’un défilé de danseurs à une fête caraïbéenne dans l’album Le costume de Malaika de Nadia L. Hohn).

Par rapport à l’attrait du style, il

repose sur l’ensemble des caractéristiques qui définissent l’univers littéraire de l’auteur [p. ex., les mots choisis, le type de phrases, les figures de style, etc.] et l’univers pictural de l’illustrateur [p. ex., la technique utilisée, le choix de cadrage, la densité des illustrations, etc.]. Le style peut aussi concerner l’album dans son ensemble par la mise en pages et la typographie [p. ex., des changements typographiques pour marquer l’intensité de la voix d’un personnage]

DeRoy-Ringuette, 2022a, p. 369

Enfin, le dernier des quatre attraits est la tonalité émotionnelle, un quasi-synonyme de registre littéraire, soit « une manière de représenter le monde [en littérature] qui correspond à des attitudes et des émotions fondamentales face à l’existence » (Boutevin et Richard-Principalli, 2008, p. 323). De manière similaire, la tonalité émotionnelle réfère aux émotions suscitées en cours de lecture, elle est conditionnée par les thèmes abordés, les choix lexicaux, les situations présentées, les actions des personnages, etc. en somme elle « s’applique tant aux intentions des créateurs, quant aux émotions qu’ils souhaitent générer chez leurs lecteurs, qu’à celles éprouvées par les personnages » (Dupin de Saint-André et al., 2022, p. 338). Pour des exemples de livres traitant de la musique, est-ce que la tonalité émotionnelle est réconfortante comme dans l’album narratif Je t’aimerai toujours où une chanson est répétée pour apaiser les personnages ? Ou est-elle humoristique comme dans l’imagier Rock’n’roll de Julien Castanié où des fillettes utilisent des objets de substitution en guise d’instruments de musique (p. ex., un livre en guise d’accordéon) ?

3. Méthodologie

Pour atteindre notre objectif d’élaborer une grille d’analyse des livres jeunesse qui traitent de la musique et qui peuvent être utilisés à l’éducation préscolaire, nous avons respecté la démarche de développement proposée par McKinney et Reeves (2012). Celle-ci se décline selon quatre étapes : 1) l’analyse et l’exploration, 2) la conception et la construction, 3) l’évaluation et la réflexion, 4) l’implantation et la diffusion. Ces étapes permettent de développer un objet dans un processus itératif, surtout entre les deuxième et troisième étapes où le prototype de l’objet est soumis à différents tests pour l’améliorer et en tirer différentes versions qui mènent à la mise à l’essai finale. Notons qu’en sciences de l’éducation, les objets développés (parfois nommés produits) peuvent prendre différentes formes (Bergeron et al., 2021). Ici, le produit est une grille d’analyse des livres jeunesse qui traitent de la musique et qui peuvent être utilisés à l’éducation préscolaire.

Pour cet article, nous abordons dans la méthodologie les trois premières étapes : 1) l’analyse et l’exploration, 2) la conception et la construction, 3) l’évaluation et la réflexion. Nous présentons la version finale de notre grille dans la section des résultats.

Par conséquent, seul le développement de l’objet est abordé, sans la mise à l’essai finale qui permettrait d’obtenir des résultats par l’entremise de l’objet développé (McKinney et Reeves, 2012) et d’atteindre les deux objectifs prospectifs qui ont guidé notre démarche : 1) décrire les livres se trouvant dans les bibliothèques des enseignantes à l’éducation préscolaire, 2) soutenir les personnes enseignantes dans leur sélection et leur utilisation de livres pour musiquer.

3.1. Analyse et exploration

Suivant le modèle méthodologique que nous avons choisi, la première étape consiste à considérer les besoins des personnes pour lesquelles l’objet est développé et à examiner ce qui est déjà disponible sur le sujet. Cela peut être fait en interrogeant les personnes auxquelles l’objet est destiné ou encore émaner de constats de terrain et de constats théoriques (McKinney et Reeves, 2012). Dans notre cas, l’étape d’analyse et l’exploration se base sur des récits d’expérience auprès de personnes enseignantes et étudiantes à l’éducation préscolaire concernant l’intégration des livres jeunesse pour initier les enfants à la musique (constats pratiques) ainsi que sur une recension des écrits (constats théoriques). De cette dernière, comme nous l’avons abordé précédemment dans le cadre de références, nous avons pu dégager certaines tendances et certaines lacunes par rapport aux critères musicaux et aux critères littéraires pour choisir des livres traitant de la musique pouvant être utilisés à l’éducation préscolaire. En plus de ces constats pratiques et de théoriques, nos connaissances des livres jeunesse et de la musique ont également influencé nos réflexions menant à la deuxième étape : la conception et la construction.

3.2. Conception et construction

Le but de cette deuxième étape est d’arriver à un prototype satisfaisant (McKinney et Reeves, 2012) en vue de passer à l’étape d’évaluation et de réflexion avec une mise à l’essai critique et amorcer un certain cycle itératif. Pour notre cas, grâce à certains éléments tirés de notre recension des écrits (p. ex., pour la musique Colwell, 2013; pour les attraits du livre Dupin de Saint-André et al., 2022; pour les catégories de livres Boutevin et Richard-Principalli, 2008) et grâce à notre expérience et à nos connaissances relatives aux aspects littéraires et musicaux, nous avons produit une version préliminaire à la mi-août 2023 (version 1) dans le logiciel Google formulaire. Puis, le 31 août 2023, nous avons repris cette grille et avons apporté des modifications (version 2) en nous rappelant les destinataires de nos deux objectifs prospectifs : les personnes chercheuses (dans le but de décrire des collections de livres) et les personnes qui enseignent à l’éducation préscolaire (dans le but de soutenir la sélection de livres). Nous avons alors discuté des différents items contenus dans la grille, qu’ils touchent les aspects littéraires, les aspects musicaux ou les intentions éducatives propres à l’éducation préscolaire. Afin de ne pas alourdir le texte, nous avons choisi de ne pas intégrer les versions prototypes et nous présentons plutôt le tableau 1 qui rend compte des six sections initiales de la grille et des modifications qui ont été apportées sur le plan quantitatif entre la version 1 et la version 2. Les 31 modifications concernent l’ajout et le retrait d’items, le type de réponse attendue (p. ex., choix de réponses ou réponse libre) et le contenu des choix de réponses. S’ils n’altèrent pas le sens, les changements quant à la reformulation des idées ne sont pas considérés dans ce tableau.

Tableau 1

Modifications entre les versions 1 et 2 de la grille

Modifications entre les versions 1 et 2 de la grille

-> Voir la liste des tableaux

De manière plus précise, par rapport à l’identification du livre, nous avons retiré l’item relatif aux musiciens contributeurs et musiciennes contributrices, car nous avons estimé que cette information était peu utile pour les personnes enseignantes à l’éducation préscolaire. Cependant, pour les personnes enseignantes de la musique, cette information pourrait être pertinente. Concernant l’analyse du livre, nous avons retranché trois items relatifs au paratexte, car ils nous apparaissent peu utiles (p. ex., le format). Pour l’analyse de l’intérieur du livre, les changements apportés concernent surtout les attraits du livre, certains ont été retranchés, comme la technique utilisée pour les illustrations, et d’autres ont été précisés. Nos choix ont à la fois été motivés par les publics visés par notre grille (les personnes chercheuses et les personnes enseignantes à l’éducation préscolaire), mais aussi par le fait que nous souhaitions une grille relativement courte, car les grilles d’analyse de livres jeunesse comportent souvent un nombre important d’aspects à apprécier (DeRoy-Ringuette, 2022; Desrochers, 2020; Turgeon, 2013), ce qui pourrait être jugé chronophage par les destinataires de notre grille.

Toujours par rapport aux changements entre la première et la seconde version, pour les catégories de livres, nous avons ajouté des choix pour préciser (p. ex., du choix « album qui reprend les paroles d’une chanson » à « […] d’une chanson contemporaine »; « […] d’une chanson traditionnelle ». Pour les aspects musicaux, nous avons voulu apporter des précisions entre les sons de la nature et les sons environnants. Ainsi, dans la version 1, nous proposions le libellé : « Le livre contient des sons de la nature [réponse en oui ou non] », mais dans la version 2, ce sont plutôt les items suivants qui servent à analyser les livres : « Le texte ou l’illustration permet au lecteur de percevoir des sons de la nature (p. ex., mer, vent, chants d’oiseaux, etc.) [réponse ouverte] » et « Le texte ou l’illustration permet au lecteur de percevoir des sons environnants (p. ex., moyens de transport, sonnette de porte, porte qui claque, etc.) [réponse ouverte] ».

Pour conclure quant aux modifications entre les versions 1 et 2, la section qui a été la plus modifiée est celle qui concerne l’intention éducative. Au départ, nous avions mis dans cette section l’ensemble des composantes de chacun des axes de développement pour tous les domaines et les compétences présents dans le programme-cycle de l’éducation préscolaire, comme « Domaine social, habiletés sociales, intégrer les progressivement les règles de vie » (MEQ, 2021, p. 16), ce qui alourdissait grandement l’analyse. Nous avions aussi un item à répondre sur une intention musicale (contenus musicaux : tonalité, rythme et intensité). Cependant, notre remaniement nous a amenées à considérer dès cette section des aspects que nous réservions pour une section subséquente. Ainsi, nous avons intégré plus rapidement les différentes raisons d’utiliser de la musique à l’éducation préscolaire : entrer en relation, organiser les routines et les transitions, soutenir le développement global de l’enfant, soutenir le développement musical (Koops et Tates, 2021). Par conséquent, dans la version 2 nous nous sommes limitées à l’énumération des cinq domaines de développement global (MEQ, 2021) plutôt que de les déployer. Nous avons également ajouté un espace en réponse libre pour résumer l’idée d’activité à faire avec les enfants. Enfin, plutôt que de détailler des contenus musicaux précis pour soutenir le développement musical (p. ex., le rythme comme suggéré par Colwell, 2013), nous avons opté pour les éléments suivants : réagir à la musique, produire de la musique et interagir avec les autres par la musique (Voyajolu et Ockelford, 2016). Nous avons aussi choisi d’inclure une partie qui concerne le retour sur l’intention éducative et la poursuite d’une autre, car nous estimons cela utile pour nos destinataires finaux.

En somme, notre version 2 de la grille contient 34 items à répondre, répartis selon 16 choix de réponse fermés, 6 choix de réponses multiples, 12 réponses libres. Même si nous savions à ce moment-là que cette grille aurait eu avantage à contenir des exemples et des instructions, nous avons préféré attendre le cycle d’évaluation par des personnes externes pour apporter ces précisions.

3.3. Évaluation et réflexion

L’étape d’évaluation et de réflexion est importante dans une recherche de développement, car elle permet entre autres de vérifier la logique, la faisabilité et la viabilité de l’objet développé (McKenney et Reeves, 2012). Pour notre part, nous sommes passés à travers différents cycles d’évaluation et de réflexion. Le premier par la mise à l’essai sur un échantillon de convenance (version 2 à 3) et le second par la validation par trois personnes expertes dans le domaine de l’éducation préscolaire (version 3 à 4), de la littérature jeunesse (version 4 à 5) et de la pédagogie musicale (version 5 à 6).

3.3.1. Évaluation sur un échantillon de convenance

Pour le premier cycle d’évaluation et de réflexion, nous avons utilisé la version 2 de la grille, soit notre prototype considéré comme satisfaisant. Entre le 1er et le 7 septembre 2023, nous avons procédé à une mise à l’essai sur 20 titres tirés d’un échantillon de convenance. Nous avons réparti ces titres entre les deux chercheuses (p. ex., L’ours qui chante d’Émile Jadoul, Loup, y es-tu ? de Sylvain Bouton, Un grand cerf de Virginie Guérin, L’abécédaire musical de Théophile Sutter, Paco et le reggae de Magali Le Huche). L’analyse de ces livres variés (albums fictionnels, comptines, abécédaires, albums documentaires, etc.) provenant de nos collections personnelles a permis d’une part de constater certains écueils et d’autre part de faire émerger des contenus. Cette étape s’est avérée cruciale pour peaufiner l’objet. Ainsi, entre la version 2 et la version 3, nous avons apporté 27 changements. Encore une fois, par souci de concision, nous ne les commentons pas tous, mais nous en déployons les grandes lignes avec quelques exemples de changements :

  • 9 ajouts d’items (p. ex., la densité des illustrations, la qualité sonore du support audio, la possibilité de percevoir des voix par le texte ou les illustrations);

  • 8 changements de choix (p. ex., l’ajout de tonalités émotionnelles, d’actions des personnages qui musiquent; le retrait des éléments tirés de Voyajolu et Ockelford (2016) et l’ajout des éléments en lien avec la musique présentés dans le programme-cycle de l’éducation préscolaire (MEQ, 2021));

  • 8 changements de type de formulation ou de possibilité de choix de réponse (p. ex., un choix multiple plutôt qu’une réponse libre pour la présence des instruments);

  • 3 changements d’endroits dans le questionnaire pour un déroulement plus efficace (p. ex., l’ordre de présentation de la tonalité émotionnelle dans la section des attraits du livre);

  • 1 item retiré sur les utilisations potentielles.

Il est à noter que nous n’avons pas comptabilisé ici les changements de formulation effectués ainsi les définitions et les exemples ajoutés pour clarifier nos propos. L’ensemble des changements mènent à la version 3, laquelle comprend 42 items à répondre, répartis selon 16 choix de réponses multiples, 13 réponses libres, 12 choix de réponse fermés et une échelle de Likert.

3.3.2. Évaluation par une personne experte – éducation préscolaire

Au cours du mois de septembre 2023, la version 3 a été commentée par un professeur-chercheur spécialisé à l’éducation préscolaire. Lors d’un entretien oral, nous avons colligé ses principaux commentaires à la suite de sa mise à l’essai autonome de la grille sur un livre de son choix. Les commentaires prononcés ont été précieux pour ces principales raisons : le recentrage sur le public cible et la reformulation ou l’ajout de certains items.

Par rapport au recentrage sur le public cible, les commentaires nous ont permis de réorienter notre présentation, passant du logiciel Google formulaire originalement choisi en vue de faire une collecte de données visant à décrire une collection de livres (premier objectif prospectif) à une présentation facilement imprimable (en format 11 x 17 recto verso ou 4 pages 8 ½ x 11). En effet, le professeur-chercheur nous a mentionné que, selon lui, pour les personnes enseignantes de pouvoir ranger la grille dans les livres serait très aidant à la planification. Cela est pertinent pour notre second objectif prospectif qui vise ce public. Il a aussi ajouté qu’il aurait apprécié retrouver et comprendre l’intention de la grille dès le début de son utilisation, mentionnant que cela lui aurait permis d’évaluer plus efficacement le livre qu’il avait choisi. Ces commentaires nous ont permis de nous recentrer sur nos objectifs et nos publics cibles. En effet, comme McKenney et Reeves (2012) le soulignent, il arrive qu’en cours de développement, les personnes qui développent se décalent du but premier, il s’agit alors de « (ré)établir l’objectif de l’objet développé » (DeRoy-Ringuette, 2022a). Ainsi, si notre objectif ici est d’élaborer une grille d’analyse des livres jeunesse qui traitent de la musique et qui peuvent être utilisés à l’éducation préscolaire, nous avons dû revenir à nos deux objectifs prospectifs précédemment exposés pour des utilisations ultérieures, soit celle sur le plan scientifique qui est de décrire les livres se trouvant dans les bibliothèques des enseignantes à l’éducation préscolaire, et celle sur le plan professionnel, qui est de soutenir les personnes enseignantes dans leur sélection de livres et dans leur utilisation pour musiquer. Même si ces deux objectifs servent d’orientation, avec des indications claires formulées à l’intention des personnes enseignantes, force est de constater que le second prend davantage d’importance que le premier. À titre d’exemple, dans la version 3, aucun texte de présentation n’était disponible, alors que dans la version 4 nous précisons la consigne suivante :

Je remplis cette grille pour analyser un livre qui traite de musique. Cela m’aidera à l’utiliser à son plein potentiel ! Je regarde ce livre en fonction d’aspects littéraires et musicaux afin de trouver ses utilités auprès de mon groupe d’enfants. Si j’analyse plusieurs livres, je pourrai évaluer les tendances de ma collection, et ce, afin de voir si j’offre des expériences variées aux enfants.

Ce passage montre que nous avons choisi de nous concentrer sur les personnes enseignantes au préscolaire dans notre formulation, ce qui selon nous n’affecte pas le fait que la grille pourra toujours être pertinente pour des personnes chercheuses. Nous reviendrons sur ce point dans les limites.

Outre le recadrage par rapport au public cible, les commentaires du professeur à la suite de sa mise à l’essai sur un livre de son choix (Pokko et le tambour de Matthew Forsythe) nous ont permis de reformuler certains items pour plus de clarté (p. ex., ceux en lien avec les sons environnants), de même que d’ajouter des exemples pour les mêmes raisons. Forcément, le changement vers une grille facilement imprimable affecte le type de réponse attendue (p. ex., il n’y a plus de différence entre un choix multiple ou un choix fermé) et la logique de présentation qui n’est plus régie par le logiciel. Enfin, même s’il a indiqué qu’il comprenait que certains choix devaient être priorisés pour limiter le temps de complétion de la grille, le professeur-chercheur a soulevé que certains éléments importants du paratexte ne se trouvaient pas dans la grille. À sa suggestion, nous avons ajouté l’item suivant : « Les pages de garde du livre permettent de faire des hypothèses sur les contenus musicaux ».

Après avoir apporté ces changements, nous avons demandé à deux autres personnes de commenter notre grille. Elles ont eu comme tâche de mettre à l’essai la grille sur un livre de leur choix, pourvu qu’il permette aux enfants du cycle préscolaire de musiquer.

3.3.3. Évaluation par une personne experte – littérature jeunesse

À la fin du mois de septembre 2023, la professeure-chercheuse spécialisée en littérature jeunesse nous a émis des commentaires à la suite de l’analyse de deux livres avec la version 4 de la grille. Elle a essayé la grille sur un livre qu’elle jugeait utile à l’éducation préscolaire (Paco et l’orchestre de Magalie Le Huche) et un autre qu’elle estimait plus difficile pour les enfants de cet âge (Le soleil d’en face de Marie Colot), mais qui lui a néanmoins permis de faire ressortir des éléments qu’elle n’avait pas relevés avec sa première analyse. C’est par un entretien oral que nous avons recueilli ses commentaires. Sans entrer dans tous les détails, notons simplement que ses commentaires nous ont permis :

  1. de retrancher la présence de partitions au paratexte[7] pour élargir à la présence de symboles musicaux typiques ou atypiques;

  2. de changer un item et un sous-item d’endroit dans la grille pour plus de clarté et plus de logique;

  3. d’enlever deux items qui étaient redondants;

  4. d’enlever la question relative à la densité des illustrations par rapport au style de l’illustrateur;

  5. d’ajouter la question en lien avec la structure de texte privilégiée dans le livre;

  6. de clarifier et de changer la formulation des items concernant le cadre spatiotemporel, allant de choix multiples vers une réponse libre;

  7. d’intégrer la notion de cadre socioculturel.

Il est intéressant de souligner que si dans nos versions antérieures, nous avions ciblé des contenus relatifs au style de l’auteur sur le plan micro, soit les phénomènes de langue (p. ex., rimes, allitérations, etc.), la personne experte nous a amenées à regarder le style dans l’ensemble du texte, donc sur le plan macro, en intégrant des structures canoniques dans les livres pour le cycle préscolaire et souvent présentes dans les livres pour musiquer, donc les structures de textes linéaires, répétitives, en liste et en randonnée. Cela va d’ailleurs de pair avec les propositions de Colwell (2013) qui rendent compte de la répétition dans le texte. La division entre le cadre spatiotemporel et le cadre socioculturel ainsi que leur conversion vers une réponse libre sont des contributions que la personne experte a soulignées, et ce, afin de décrire plus finement ces aspects. À titre d’exemple, pour l’item « Concernant l’attrait du cadre spatiotemporel, les actions se déroulent [au choix : à l’intérieur; à l’extérieur, indéterminé] », il est maintenant possible en réponse libre d’indiquer des réponses plus variées (p. ex., dans la forêt, dans un parc, dans une ville, dans une ruelle, etc.). Pour ce qui est du temps, la réponse libre permet de le qualifier, par exemple l’hiver. L’intégration du cadre socioculturel permet de préciser d’hiver (spatiotemporel) à « Noël » (socioculturel). En guise d’exemple, prenons l’album qui présente une chanson déroutée Falalalala… Une chanson de Noël d’Helaine Becker. Lors de l’analyse avec la version utilisée sur un échantillon de convenance, les résultats concernant le cadre spatiotemporel sont : 1) à l’intérieur; 2) l’hiver. Avec la nouvelle version de grille, telle que commentée par la professeure-chercheuse en littérature jeunesse, pour le cadre spatiotemporel, les réponses pourraient être : 1) à l’intérieur, dans un salon, près d’un feu de foyer; 2) le soir, en hiver. La question ajoutée relativement au cadre socioculturel permet de préciser : lors du réveillon de Noël. Cela apporte des détails supplémentaires qui pourront éventuellement être utiles pour l’un ou l’autre de nos objectifs prospectifs, tels que nous les avons nommés précédemment.

3.3.4. Évaluation par une personne experte – pédagogie musicale

Pour conclure le cycle de validation auprès de personnes expertes, la professeure-chercheuse spécialisée en pédagogie musicale a testé la grille mise à jour avec les ajustements précédemment cités, soit la version 5. Ainsi, lors de la première semaine du mois d’octobre 2023, pour faire émerger ses commentaires, elle a analysé l’album Un éléphant qui se balançait de Marianne Dubuc qu’elle a par ailleurs identifié à juste titre comme un « album qui propose une chanson déroutée, c’est-à-dire qui transforme la version traditionnelle ». Voici la courte liste des modifications effectuées à la suite de ses commentaires qu’elle nous a transmis par écrit. La première modification concerne deux items à répondre en lien avec ce que nous nommions dans nos versions antérieures « les symboles musicaux typiques ou atypiques ». Nous avons suivi sa suggestion d’utiliser le même vocabulaire que dans le Programme de formation de l’école québécoise (MEQ, 2001), et ce, même si ce sont des concepts pour l’enseignement primaire et que nous visons l’éducation préscolaire. En effet, d’utiliser les termes qui seront à voir plus tard au cours de la scolarité nous apparaît judicieux. Ainsi, nous avons reformulé deux items (les changements sont en gras) :

  • 9. Le paratexte contient des représentations graphiques tirées du code traditionnel (p. ex., figure de note), du code non traditionnel conventionnel (p. ex., traits courts, traits longs) ou des représentations graphiques inventées (p. ex. cinq cordes à linge pour représenter une portée).

  • 26. Les illustrations contiennent des représentations graphiques tirées du code traditionnel (p. ex., figure de note), du code non traditionnel conventionnel (p. ex., traits courts, traits longs) ou des représentations graphiques inventées (p. ex., cinq cordes à linge pour représenter une portée).

Comme exemple de représentation graphique inventée, nous avons intégré la première de couverture de J’ai un bouton sur le bout de la langue publié par La montagne secrète où cinq cordes à linge représentent une portée et des chaussettes représentent des notes.

Trois autres commentaires de la personne experte se rapportent à des précisions dans les choix de réponses. Ainsi, nous avons ajouté deux styles musicaux à ceux déjà listés, soit « le style folklorique » et « la chanson enfantine »; nous avons ajouté « la France » parmi les exemples donnés lorsqu’il est question de la provenance des chansons ou des comptines; nous avons ajouté les « voix d’animaux » aux voix masculines, féminines et d’enfants pour l’item formulé ainsi : « Les illustrations ou le texte me permettent de discuter de certaines voix et d’aborder certains concepts musicaux (p. ex., une illustration qui montre un chef cuisinier qui chante me permet d’aborder les registres [des voix masculines; des voix féminines; des voix d’enfants; des voix d’animaux; ne s’applique pas]) ». Le dernier commentaire de cette personne experte en est un de précision quant au concept d’attrait du livre, ce qui a été fait.

4. Résultats

Comme annoncé précédemment, élaborer une grille d’analyse des livres jeunesse qui traitent de la musique et pouvant être utilisés à l’éducation préscolaire est l’objectif que nous poursuivons. Ainsi, après avoir présenté notre démarche de développement dans la partie dédiée à la méthodologie et comme nous n’avons pas eu l’occasion de procéder à la quatrième étape d’une recherche de développement (McKenney et Reeves, 2012), soit la mise à l’essai et l’implantation, nous utilisons la partie consacrée aux résultats pour présenter notre version finale de la grille, la version 6.

En somme, cette sixième version (disponible à l’annexe 2) contient huit parties qui se déploient sur quatre pages en format 8 ½ x 11 recto ou une page de format 11 x 17 recto verso. La première partie sert à identifier le livre et concerne le titre du livre, l’auteur, l’illustrateur, l’éditeur, la collection et la date de publication. La deuxième partie a trait au paratexte et contient des items à répondre qui portent sur la matérialité, le support audio, les représentations graphiques musicales présentes au paratexte, le style musical cité au paratexte extérieur et les pages de garde. La troisième partie est centrée sur les attraits du livre, soit le personnage principal et ses actions pour musiquer, le cadre spatiotemporel et socioculturel, le style de l’auteur (figures de style choisies, présence d’autres langues que le français et structure du livre adoptée), le style de typographie (variation) et le style de l’illustrateur (présence d’intericonicité, soit la présence d’une « référence explicite ou implicite d’une image connue » (DeRoy-Ringuette, 2022a, p. 367)). La quatrième partie concerne la catégorie de livre à laquelle le livre appartient. La cinquième partie rend compte des aspects musicaux présents dans le livre, en texte ou en illustrations : les instruments, les représentations graphiques musicales, les objets de substitution pour représenter des instruments, la qualité sonore du support audio, la perception des sons de la nature, des sons environnants, des sons d’instruments et des voix humaines. La sixième partie est quant à elle centrée sur l’utilisation potentielle du livre, soit pour entrer en relation avec les enfants, pour organiser les routines et les transitions, pour soutenir le développement global de l’enfant ou pour soutenir le développement musical. La septième partie se rapporte à la consignation de la planification de l’utilisation de ce livre en classe. Enfin, la huitième et dernière partie est plus réflexive avec des items à cocher en oui ou non à savoir si le livre répond aux besoins et aux intérêts d’enfants d’âge préscolaire et s’il répond à ses propres besoins en tant que personne enseignante.

5. Discussion et limites

Comme l’objectif de cette étude est d’élaborer une grille d’analyse des livres jeunesse qui traitent de la musique et qui peuvent être utilisés à l’éducation préscolaire, nous proposons de discuter brièvement du processus de développement et des apports de la grille que nous avons élaborée par rapport à des critères évoqués par d’autres chercheurs. Nous identifions aussi quelques limites à notre recherche.

En commençant par notre processus de développement, nous sommes d’avis que nous avons bien respecté les étapes itératives propres à ce type de recherche (McKinney et Reeves, 2012). De fait, avant de diffuser notre grille, nous avons produit un total de six versions avec des différences plus ou moins importantes, comme nous les avons décrites aux points 3.2. et 3.3. du présent article. Pour améliorer ces versions, outre notre mise à l’essai sur un échantillon de convenance, nous avons fait appel à des personnes expertes (éducation préscolaire, littérature jeunesse et pédagogie musicale) et nous avons colligé leurs recommandations par le truchement d’entretiens oraux ou écrits.

Pour ce qui est des apports de notre recherche, nous estimons que nous contribuons à allier des concepts littéraires et musicaux de manière plus efficace que ce que nous avons relevé dans notre recension des écrits. De fait, si les critères évoqués par des chercheurs précédents nous semblaient lacunaires sur le plan des critères littéraires (Eppink, 2009; Gauthier, 2005; Lamme, 1990; Miller, 2008), même si Cardany (2012) en relève quelques-uns, nous espérons avoir réussi à dégager les principaux critères utiles pour les personnes chercheuses ou les personnes enseignantes à l’éducation préscolaire qui désirent analyser des livres pour musiquer. De fait, sur le plan des critères littéraires, nous nous sommes limitées aux plus pertinents en fonction de notre sujet : la musique. Par conséquent, nous avons rejeté des points quant au paratexte (p. ex., la présence d’une préface, d’une dédicace, d’une épigraphe), quant aux attraits (p. ex., l’attrait du style de l’illustration aurait pu inclure la technique d’illustration, le cadrage, les plans) ou quant à l’énumération des catégories de livres (p. ex., roman, bande dessinée, livre-jeu), préférant inclure la possibilité de les inscrire dans le champ « autre ». Un autre exemple relatif aux attraits qui montre bien le caractère interdisciplinaire de notre grille est que pour l’attrait du personnage, nous ne nous limitons pas au fait que le livre met en scène des « enfants apprentis musiciens » comme le fait Lamme (1990), mais nous détaillons davantage le personnage principal par une réponse libre à savoir qui il est (p. ex., un animal, un enfant, un groupe d’enfants, une galerie de personnages) et par un choix de réponse quant à ses actions pour musiquer (p. ex., chanter, jouer de la musique, créer un instrument, diriger un ensemble musical, assister à un évènement musical). Une autre contribution de notre recherche, notamment pour les personnes enseignantes, est que nous avons prévu un espace pour identifier des raisons d’utiliser le livre : pour entrer en relation avec les enfants, organiser les routines et les transitions, soutenir le développement global de l’enfant ou soutenir le développement musical de l’enfant (Koops et Tates, 2021). Enfin, à l’instar de Rowe et ses collaborateurs (2023) et en lien avec notre second objectif prospectif, nous estimons important de poser un regard critique sur les ressources pouvant être utilisées par les personnes enseignantes à l’éducation préscolaire de façon à soutenir le développement musical et non-musical de l’enfant, et ce, de façon intentionnelle.

Concernant les limites, nous souhaitons exposer les trois principales. La première est que, dans son état actuel, la grille ne permet pas de récolter efficacement des données, comme un formulaire en ligne pourrait le faire. Si notre essai avec le logiciel Google formulaire n’a pas été des plus concluant, nous croyons qu’il serait bon d’explorer d’autres alternatives pour proposer à la fois une grille facilement imprimable et une autre plus adéquate pour la collecte de données. La deuxième limite que nous désirons relever réside dans le fait que nous n’avons pas pu faire une validation auprès des personnes qui pourraient utiliser la grille : celles qui oeuvrent à l’éducation préscolaire. Ces deux premières limites sont concomitantes au choix d’avoir deux objectifs prospectifs qui touchent des publics différents : les personnes chercheuses et les personnes enseignantes. La troisième limite est que nous n’avons pas nous-mêmes mis la grille à l’essai après les modifications apportées à la suite de la consultation des trois personnes expertes. Un délai plus long pour développer la grille nous aurait permis d’atténuer ces trois limites.

Conclusion

Comme précédemment mentionné, l’objectif de cette recherche de développement est d’élaborer une grille d’analyse des livres jeunesse qui traitent de la musique et qui peuvent être utilisés à l’éducation préscolaire. Cependant, le développement de cette grille nous amène à voir d’autres possibilités. La première est de faire une mise à l’essai contextualisée dans des classes d’éducation préscolaire, ce qui fait référence aux objectifs prospectifs qui ont servi à orienter notre démarche. En effet, dans une perspective de recherche collaborative, les personnes enseignantes seraient mises à contribution pour valider la grille et la mettre à l’essai dans la collection de livres qu’elles utilisent en classe pour musiquer. Par ce projet, nous pourrions récolter des données quant aux livres réellement utilisés dans les classes, nous aurions alors un portrait des livres auxquels les enfants sont mis en contact pour musiquer. Cela correspond à l’objectif prospectif scientifique visant à décrire les livres se trouvant dans les bibliothèques des enseignantes à l’éducation préscolaire. Pour ce qui est de l’objectif prospectif professionnel, la version ultime de la grille, c’est-à-dire celle à venir, telle que remaniée à la suite des commentaires des personnes enseignantes qui l’auront testée, pourrait être diffusée dans les lieux professionnels (p. ex., congrès de l’Association d’éducation préscolaire du Québec) ou de formation (p. ex., dans les cours relatifs à l’éducation préscolaire à la formation initiale en enseignement), et ce, dans le but de soutenir les personnes enseignantes dans leur sélection de livres et dans leur utilisation pour musiquer. En somme, cette grille, comme tout produit issu d’une recherche de développement, ne demande qu’à rencontrer les personnes qui pourront l’utiliser à bon escient, qu’elles soient chercheuses ou enseignantes.