Résumés
Résumé
Cet article, présenté sous forme de documentation de pratique, rend compte de l’expérimentation d’un projet de création de balados avec des enfants à l’éducation préscolaire. Guidés par leur enseignante et une conseillère pédagogique, ces derniers ont produit des oeuvres multimodales (texte – images – narration) à la hauteur de leurs habiletés de lecteurs et scripteurs émergents. Pour ce faire, ils ont été initiés à l’utilisation de différentes applications simples et conviviales disponibles sur la tablette tactile ou sur la toile. Cet article est écrit selon l’approche des 4P (portrait du milieu, processus suggéré, description du projet et exemples de productions) et est enrichi des impressions des enfants et des intervenants du milieu. Les multiples avantages d’utiliser la création de balados pour développer la littératie chez les enfants de 4 à 6 ans seront aussi abordés.
Mots-clés :
- balado,
- éducation préscolaire,
- littératie multimodale,
- compétence numérique,
- différenciation pédagogique
Abstract
This article, presented in the form of practice documentation, reports on the experimentation of a podcast creation project with preschool children. Guided by their teacher and a pedagogical consultant, the children produced multimodal works (text – images – narration) at the height of their skills as emerging readers and writers. To do this, they were introduced to the use of various simple, user-friendly applications available on the touchpad or on the web. This article is written according to the 4P approach (portrait of the environment, suggested process, description of the project and examples of productions), and is enriched by the impressions of the children and the people involved. The many advantages of using podcasts to develop literacy in children aged 4 to 6 will also be discussed.
Keywords:
- podcast,
- preschool cycle,
- multimodal literacy,
- digital competence,
- educational differentiation
Corps de l’article
Cet article, présenté sous forme de documentation de pratique, rend compte d’un projet novateur cocréé par deux conseillères pédagogiques du Service national du RÉCIT à l’éducation préscolaire et une enseignante de maternelle 5 ans du Centre de services scolaire de Montréal. Aucun·e chercheur·se n’a été formellement impliqué·e dans cette démarche, mais considérant l’intérêt du projet réalisé et les résultats obtenus, les autrices ont été personnellement invitées à participer à ce volume thématique sur l’éducation préscolaire. Au cours de ce projet, les enfants ont été sensibilisés au schéma narratif et ont été invités à inventer une histoire en s’inspirant de quelques thèmes ciblés, comme le cirque, le monde des chevaliers et des princesses ou les pirates. Ensuite, les enfants ont été initiés à l’enregistrement, au montage et au bruitage en utilisant l’application Audio Adventure[1] sur la tablette tactile. Ils ont aussi dû trouver un titre à leur récit et illustrer la page couverture, toujours sur la tablette, cette fois à l’aide de l’application Tayasui Sketches School. Finalement, le tout a été déposé sur le site BaladoWeb pour une diffusion à grande échelle.
Ce projet est à caractère multimodal puisqu’il implique la narration et l’enregistrement de textes et la création d’images numériques (Lacelle et al., 2017). Il s’inscrit dans les visées du récent Programme-cycle de l’éducation préscolaire et répond bien à l’un de ses mandats, soit celui « de favoriser le développement global de tous les enfants en cultivant le plaisir d’explorer, de découvrir et d’apprendre » MÉQ, 2021, p. 3).
Pour débuter cet article, une mise en contexte du projet est proposée afin de situer le lectorat. Puis, la deuxième partie, plus étoffée, est consacrée à la présentation du projet. En accord avec la démarche de cocréation telle qu’expérimentée et conceptualisée par le groupe de recherche LMM, l’article s’appuie sur les principes directeurs de la cocréation et la méthode des 4P pour présenter le projet. De sorte, le Portrait du milieu est détaillé, le Processus de cocréation ayant mené à celui-ci est présenté, la description du Projet en lui-même est réalisée et la présentation des Productions découlant de celui-ci est réalisée (Lacelle et al., 2019; Martel, 2022; Richard et Lacelle, 2020). En troisième lieu, quelques constats sont formulés et une analyse constructive est partagée afin de permettre au projet de se vivre dans d’autres classes.
1. Mise en contexte
Le Programme-cycle de l’éducation préscolaire (MÉQ, 2021) vise le développement global des enfants de 4 à 6 ans. Parmi les compétences à développer, certaines sont liées au développement langagier et le numérique fait partie des contextes favorables pour les soutenir. Les habiletés liées au langage oral servent d’assise au langage écrit chez les jeunes lecteurs et scripteurs émergents. À la maternelle, les enfants sont invités à explorer différents moyens pour communiquer, à l’oral comme à l’écrit (causeries, marionnettes, tablette tactile, etc.). Dans le programme, on insiste notamment sur l’importance de conduire les enfants à : reconnaître des indices de l’écrit (p. ex., dessins, lettres, mots et symboles propres au numérique); produire des écrits individuellement ou en équipe (p. ex., la réalisation d’histoires collectives); et utiliser différents types de supports écrits (dont des supports numériques) (MÉQ, 2021). De même, pour favoriser le développement de leur pensée, on trouve un volet numérique. Le programme propose entre autres de soutenir l’intérêt des enfants pour du nouveau matériel et de les inviter à manifester de la curiosité à l’égard des outils technologiques et du numérique (MÉQ, 2021).
Le Plan d’action numérique en éducation (Gouvernement du Québec, 2017) quant à lui concerne tous les ordres d’enseignement, dont l’éducation préscolaire. Le Cadre de référence de la compétence numérique (MEES, 2019) présente plusieurs dimensions à développer, dont celles de communiquer à l’aide du numérique, de produire du contenu avec le numérique, ainsi que d’innover et faire preuve de créativité avec le numérique, et ce, dès la maternelle. Le projet de création de balados dont il sera question dans cet article s’inscrit donc dans cette voie en favorisant, chez les enfants d’âge préscolaire, le développement de « la capacité à innover en utilisant le numérique pour des projets créatifs réalisés dans un contexte artistique […] » (MEES, 2019, p. 24). Il vise ainsi à soutenir la littératie numérique des enfants, c’est-à-dire « [l’] ensemble des connaissances et compétences permettant à une personne d’utiliser, de comprendre, d’évaluer, de s’engager et de créer dans un contexte numérique et, d’une façon plus générale, celles lui permettant de participer à la société. » (Gouvernement du Québec, 2017, dans MEES, 2019, p. 31)
De nouveaux genres littéraires numériques s’observent de plus en plus en milieu scolaire (Mahieu, 2023). Parmi ces nouvelles formes, l’exploitation de balados trône en tête du classement d’une enquête réalisée auprès d’enseignants du secondaire et du collégial. Connus de tous les répondants, 66 % des enseignants du secondaire ont déclaré utiliser les balados en classe de français (Mahieu, 2023). Son utilisation est toutefois souvent limitée à écouter des balados pour apprendre. Il est donc pertinent d’élargir son exploitation et ce, dès le plus jeune âge. Des recherches se sont intéressées à la création de balados en contexte scolaire, mais elles ont par exemple été réalisées avec des apprenants de niveau secondaire (Blanchette et al., 2023).
Le projet multidisciplinaire initié par le Service national du RÉCIT à l’éducation préscolaire dont il est question dans cet article avait pour but de permettre aux enfants de la maternelle 5 ans de créer leurs propres balados pour, entre autres, soutenir leur développement langagier dans un contexte signifiant et complexe d’apprentissage. Sachant pertinemment qu’à cet âge ils sont des lecteurs et des scripteurs émergents (Boudreau et al., 2022), il était souhaitable que les enfants puissent vivre toutes les étapes de la conception, c’est-à-dire de la création à l’enregistrement, sans oublier le montage. À cet égard, Lachapelle et al. (2022, p. 28), concluent dans leur article que :
Tout comme il importe de soutenir le développement langagier des enfants, il s’avère primordial de s’attarder à l’engagement de ceux-ci en classe. Un enfant engagé maximise les occasions d’apprentissage qui s’offrent à lui en classe, ce qui contribue à favoriser l’ensemble de ses domaines de développement.
Chacune des étapes du projet dont il est question dans cet écrit poursuit plusieurs objectifs du Programme-cycle de l’éducation préscolaire (MÉQ, 2021), dont celui de développer le langage et l’aisance des enfants, mais aussi celui de les initier à la structure du récit, tout en favorisant la pensée et la créativité.
2. Présentation du projet
Les prochaines sections présentent le milieu dans lequel s’est déroulé le projet Mon histoire en balado, les actrices impliquées, le processus de cocréation, les dix étapes associées à la réalisation du balado et quelques productions en découlant.
2.1. Portrait du milieu
Le projet Mon histoire en balado a été vécu dans une classe de maternelle 5 ans régulière composée de 15 élèves, soit dix filles et cinq garçons de l’école Sainte-Odile du Centre de services scolaire de Montréal.
En 2021-2022, selon les données disponibles, l’indice de milieu socioéconomique (IMSE) (MÉQ, 2022) de cette école publique d’environ 550 élèves était de huit. La presque totalité des enfants de ce quartier du nord de Montréal qui fréquentent cette école, de la maternelle à la sixième année, sont issus de l’immigration, venant, pour plusieurs, de pays arabes. Leur langue première n’est pas toujours le français, mais ils ont de très bonnes bases, puisqu’ils ont fréquenté, pour la plupart, une garderie ou un centre de la petite enfance francophone.
Ce projet s’est déroulé au printemps, d’avril à juin 2023, alors que les enfants connaissaient bien la routine de la classe et avaient plus de maturité et d’habiletés qu’en début d’année pour inventer des histoires, manipuler une tablette et exploiter des applications de création. Ils ont eu accès à une flotte de tablettes numériques disponibles sur un chariot roulant que la titulaire devait réserver et apporter en classe pour les périodes prévues.
2.2. Portrait des actrices
Pour ce projet de cocréation, l’équipe était composée principalement de la titulaire de la classe, Isabelle Giasson et d’une conseillère pédagogique du Service national du RÉCIT à l’éducation préscolaire, co-auteure de cet article, soit Isabelle Therrien. Se sont jointes au projet de façon sporadique, une deuxième conseillère pédagogique, Natalie Aubry (co-auteure de cet article) ainsi qu’une enseignante en soutien linguistique de l’école, madame Lyne Chénier.
Le RÉCIT est un RÉseau axé sur le développement des Compétences des élèves par l’Intégration des Technologies qui est soutenu financièrement par le ministère de l’Éducation. Il s’agit d’une structure qui regroupe plus de 300 personnes réparties partout dans le Québec et visant différentes clientèles. Le RÉCIT destiné à accompagner les enseignantes à l’éducation préscolaire est composé de deux conseillères pédagogiques : Isabelle Therrien, qui travaille à Montréal et Natalie Aubry, qui est basée à Québec.
Le mandat du Service national du RÉCIT à l’éducation préscolaire vise, entre autres, à proposer et soutenir des projets pédagogiques stimulants et créatifs tout en utilisant les TIC. En plus de former les enseignantes à travers tout le Québec, les conseillères pédagogiques font de la recherche et du développement afin de suivre l’évolution des besoins du personnel scolaire et documentent le tout sur un site internet très fréquenté par les titulaires et autres intervenants de l’éducation préscolaire.
Parmi les autres Services nationaux du RÉCIT, ceux des langues et de l’univers social ont développé des activités et des projets de création de balados avec les élèves du primaire et du secondaire. Ils offrent notamment des autoformations sur Campus RÉCIT. En contrepartie, les outils proposés ne sont pas adaptés aux lecteurs et aux scripteurs émergents.
La découverte, par les conseillères pédagogiques du Service national du RÉCIT à l’éducation préscolaire, de l’application Audio Adventure disponible sur les tablettes Android et Apple a été le déclencheur pour un projet qui s’inscrivait très bien dans les visées du programme tout en permettant aux enfants de participer à toutes les étapes de création.
De son côté, Isabelle Giasson est une titulaire d’expérience qui a bien voulu bâtir ce projet en collaboration avec le Service national du RÉCIT à l’éducation préscolaire. Elle a travaillé dans différents milieux et niveaux, allant du primaire aux classes d’accueil, mais se consacre à l’éducation préscolaire depuis plus de 30 ans. Sa priorité a toujours été de suivre les mandats du programme en priorisant celui de donner le goût aux enfants d’aimer l’école.
Cette professionnelle de l’éducation a toujours innové dans son milieu. Elle initiait les enfants à la robotique et utilisait déjà depuis longtemps l’appareil-photo numérique, l’ordinateur et le tableau numérique interactif (TNI) lorsqu’elle a été contactée pour réaliser cette expérimentation. À ce moment, elle cherchait justement un nouveau défi pour elle et pour les enfants de son groupe-classe, un projet qui lui permettrait de découvrir des applications tout en se familiarisant avec la nouvelle flotte de tablettes disponible dans son école.
Parmi les 15 enfants de cette classe de maternelle, au moins deux avaient des difficultés langagières; l’un avait un trouble de langage et de comportement et l’autre faisait du mutisme malgré de bonnes capacités expressives. Pour le RÉCIT, comme pour la titulaire, le défi était donc de faire rayonner chacun des enfants à la hauteur de ses capacités.
Pour favoriser la réussite de ce projet et pour s’assurer de mettre en valeur tous les enfants, la titulaire a demandé à l’enseignante en soutien linguistique de l’école de s’impliquer. Cette dernière a soutenu davantage trois enfants en difficulté de langage, dont les deux cités plus haut. Pour ce faire, elle est venue parfois en classe et elle a aussi travaillé en sous-groupe dans un petit local isolé et plus discret.
Parmi les personnes impliquées dans le projet, il y a eu aussi les autres adultes de l’école qui sont venus écouter le produit fini, un vendredi après-midi. Leurs questions et leurs interventions ont contribué à renforcer le sentiment d’appartenance à l’école et à rendre les enfants fiers de leur projet. Les grands frères et les grandes soeurs des enfants de ce groupe ont aussi été mis à contribution lors de cette présentation publique. Cette expérience a d’ailleurs fait germer l’idée de les impliquer davantage dans la mise en place du projet lors d’une autre année afin qu’ils aident les enfants dans toutes les étapes de la création de nouvelles histoires en balado.
2.3. Processus de cocréation
Selon l’Office québécois de la langue française (2021), un balado est un « fichier audio contenant une émission ou une chronique, mis à la disposition du public sur Internet afin d’être lu en continu par l’intermédiaire d’une application prévue à cet effet ou téléchargé automatiquement par abonnement ou sur demande pour lecture ultérieure ». De plus, on mentionne qu’un balado peut être écouté sur un téléphone intelligent pendant que l’on se balade, d’où son nom, dérivé de se balader.
Ces caractéristiques du balado et leurs résonances avec des objectifs de formation à l’éducation préscolaire (MÉQ, 2021) expliquent que les conseillères pédagogiques du Service national du RÉCIT à l’éducation préscolaire aient souhaité initier les enfants à ce type de média, d’où la création de ce projet. Très vite, il est apparu à l’équipe que l’écoute puis la conception de balados, en plus de permettre le développement d’habiletés en communication, permettraient aux enfants de découvrir de nouvelles oeuvres numériques et de varier en classe les expériences vécues, dont celles à caractère multimodal. Cela permettrait aussi de soutenir l’intérêt des enfants envers les histoires, donc la lecture et l’écriture (Raby et al., 2022).
Dans la réflexion initiale, il est apparu que la création d’enregistrements sonores visant à favoriser le développement langagier, contrairement à la vidéo, nécessiterait moins d’engagements de la part des enseignantes puisqu’il ne serait pas nécessaire de créer des décors ou de trouver des costumes. Pour les enfants, l’engagement pourrait aussi viser plus spécifiquement la prononciation de quelques mots, sans avoir à s’exprimer haut et fort pour jouer un rôle.
La découverte de l’application pour tablette Audio Adventure est un moment fort du processus de cocréation puisque cette application accompagne les enfants à chacune des étapes nécessaires à l’enregistrement de la voix, à l’ajout d’effets sonores et à un montage dynamique. Il est possible d’engager les enfants dans la création de balados, d’autant que les enfants qui sont face à une application aussi simple peuvent procéder par essais et erreurs et se reprendre autant de fois qu’ils le veulent. En plus de permettre de couper les sons ou de monter le volume des enregistrements, l’application Audio Adventure apporte un élément non négligeable, soit la possibilité d’ajouter des effets sonores pour dynamiser l’histoire narrée par les enfants. Ainsi, cette application et ses fonctionnalités aident à rendre l’oeuvre complète et multimodale tout en la rendant plus intéressante et plus explicite pour ceux et celles qui l’écouteraient.
Une fois l’outil de production identifié, des recherches ont ensuite été entreprises pour trouver une plateforme de dépôt gratuite, en français et sécuritaire afin de diffuser les balados des enfants qui seraient produits. Après l’analyse de certaines d’entre elles, comme Spotify, Apple Podcast ou GoogleBalados, et grâce à une formation offerte par les collègues du Service national du RÉCIT, Domaine des langues, le choix s’est porté sur BaladoWeb, un site créé par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ Éducation), en collaboration avec le RÉCIT, Domaine des langues. La convivialité de cette plateforme est apparue comme un atout majeur qui permettrait à tous, des plus petits aux plus grands (des parents à Montréal jusqu’aux grands-parents à l’international) d’écouter une histoire imaginée, narrée et sonorisée par des enfants de 5 et 6 ans. Toutefois, puisque la plateforme était destinée aux élèves du primaire et du secondaire, le menu d’inscription ne faisait pas mention de l’éducation préscolaire, puisque personne n’imaginait que des enfants aussi jeunes se lanceraient dans la création de balados. Le fait que cette plateforme fasse partie de la collection de ressources pédagogiques et d’outils numériques gratuits arrimés au Programme de formation de l’école québécoise (MÉLS, 2001) par BAnQ Éducation a heureusement permis de demander des changements et de faire inclure l’éducation préscolaire comme clientèle utilisatrice. Cette procédure a été plutôt simple, la plateforme étant gérée par une conseillère pédagogique du Service national du RÉCIT, Domaine des langues.
Encore plus concrètement, pour planifier ce projet, la conseillère pédagogique du Service national du RÉCIT à l’éducation préscolaire et la titulaire se sont rencontrées trois demi-journées avant de présenter le projet aux enfants.
Elles ont testé l’application Audio Adventure sur une tablette du RÉCIT et pris connaissance des sons proposés dans chacun des neuf thèmes : Halloween, chevaliers, pompiers, princesses, soccer, cirque, pirates, espace et planche à roulettes. Se disant que ces thèmes attireraient vraiment l’attention des enfants, elles ne pouvaient passer outre et ont décidé de les intégrer au projet. C’est ainsi qu’a émergé l’idée de travailler le schéma narratif en plus du développement de la compétence langagière[2]. En effet, la titulaire et la conseillère pédagogique ne voyaient pas, à ce moment, comment intégrer les sons proposés autrement que dans des histoires inspirées de seulement un de ces thèmes. Les enfants de cet âge doivent être accompagnés sinon, lorsqu’il y a beaucoup de choix, ils ont tendance à vouloir tout prendre. Une surutilisation des effets sonores pourrait créer une perte de sens et déranger grandement les auditeurs. Des enfants plus vieux, en contrepartie, pourraient aller beaucoup plus loin avec cette application et utiliser cette variété de sons pour illustrer des contes qui n’ont pas nécessairement rapport avec ces thèmes. Ainsi, le bruit d’un ballon de soccer accolé plusieurs fois de suite pourrait servir dans une histoire de ballon-panier ou le bruit de la baguette magique pourrait être utilisé pour indiquer que l’on change de page.
Les enfants de la classe avaient déjà été initiés à la structure du récit, notamment par des jeux inspirés du livre Le récit en 3D, (Dugas, 2006). Les trois enfants suivis par l’enseignante en soutien linguistique, eux, étaient familiers avec le jeu « Histoire de raconter » de la compagnie Placote[2].La conseillère pédagogique a donc décidé de produire un document qui respectait cette structure afin que les enfants puissent dessiner eux-mêmes le plan de leur histoire en respectant les éléments essentiels du schéma de récit : « Qui ? Où ? Quand ? Problème ? Solution ? et fin », tout en s’inspirant d’un des thèmes offerts dans l’application Audio Adventure.
La conseillère pédagogique s’est aussi occupée de créer d’autres documents tels qu’un formulaire de consentement pour l’enregistrement et la diffusion des voix des enfants ainsi qu’un tutoriel imagé pour utiliser l’application Audio Adventure dans le but de le présenter aux enfants à l’aide du tableau numérique interactif.
2.3.1. Rôles et responsabilités
Au cours de la réalisation même du projet, la conseillère pédagogique TIC s’est rendue au moins à quatre reprises en classe; à chaque fois, elle restait au moins une demi-journée. Son rôle était de présenter le projet et de le coordonner pour assurer son bon déroulement. Elle a aussi accompagné certains enfants dans la création de leur histoire en notant ce qu’ils décrivaient pour suivre le schéma narratif. Plus tard, tout comme l’enseignante en soutien linguistique, elle a fait sortir de la classe un enfant à la fois, soit dans le corridor, soit dans un local adjacent afin de procurer un lieu calme où chacun a pu enregistrer sa voix sans être dérangé. Elle est revenue pour procéder de la même façon lors de l’ajout des effets sonores et a accompagné les enfants et la titulaire lors de l’événement organisé pour diffuser le projet.
La titulaire, de son côté, gérait surtout les comportements des enfants ainsi que le déroulement tel que la gestion du temps. Elle s’occupait aussi d’aller chercher le chariot de tablettes afin que chaque enfant ait toujours accès à la tablette qui lui avait été désignée et qu’il y retrouve son projet entamé. Elle faisait un suivi auprès des enfants pour s’assurer que chacun réalise toutes les étapes : dessins et notes sur le plan de l’histoire, enregistrement et bruitage ainsi que création des pages titres. C’est elle qui a déposé les réalisations des enfants sur un compte qu’elle a créé à son nom sur le site BaladoWeb, d’où elle peut, en tout temps et au besoin, retirer les histoires des enfants. C’est aussi elle qui a organisé et géré l’événement public pour clore le projet. Elle a fait faire les invitations par les enfants, les a préparés dans leur rôle de guide, a créé et installé les affiches, etc.
La titulaire s’est aussi assurée que la conseillère pédagogique du Service national du RÉCIT à l’éducation préscolaire soit autorisée par la direction à venir travailler dans la classe avec elle et a vérifié que l’équipe-école était d’accord pour que les tablettes soient utilisées plusieurs fois par semaine par ce groupe d’enfants afin de réaliser le projet. Elle s’est aussi occupée de faire signer les autorisations aux parents.
Il a ensuite fallu faire installer les applications requises sur les tablettes. Pour ce faire, c’est le Service national du RÉCIT en éducation préscolaire qui a financé l’achat de l’application Audio Adventure au prix de 5 $ l’unité ou 2,50 $ pour un achat de plus de 20. Quant à l’application de dessin sélectionnée, Tayasui Sketches School, elle est disponible gratuitement dans l’AppStore. La titulaire a dû effectuer une requête et en assurer le suivi, ajoutant ainsi une charge de travail à sa tâche déjà bien remplie. En effet, comme c’est le cas pour la plupart des Centres de services scolaires qui gèrent les flottes d’appareils mobiles, la titulaire n’avait pas la liberté d’installer elle-même les applications choisies. Il vaut donc mieux s’y prendre 2-3 semaines à l’avance pour faire ce type de demande au service des technologies de l’informatique d’un Centre de services scolaire.
Dans la planification du projet, des casques d’écoute avec micro avaient été prévus pour améliorer la qualité sonore des enregistrements et éviter la cacophonie. Pour ce faire, la titulaire a emprunté des écouteurs auprès de ses collègues et la conseillère pédagogique du Service national du Récit à l’éducation préscolaire s’est tournée vers la boutique d’articles scolaires Brault et Bouthillier pour tester quelques modèles. Ils ont tous servi lors de la première activité en grand groupe alors que les enfants découvraient l’application. Ils ont aussi été utilisés lors de la présentation publique afin que les invités puissent, à l’aide d’une tablette, écouter les balados créés. En cours de route, il a été établi que les enregistrements dans une pièce calme, loin de stimuli extérieurs seraient préférables et qu’il n’était pas nécessaire d’utiliser les micros-casques d’autant plus que, pour le moment, l’application Audio Adventure ne prend pas en charge les micros branchés aux tablettes.
Les enfants de cet âge ayant un temps d’attention limité (Pelletier et Timmons, 2021), même si le projet était très stimulant, le temps passé en grand groupe devrait être réduit au minimum. C’est pourquoi le travail s’est poursuivi en dyades, soit avec la conseillère pédagogique, soit avec l’enseignante en soutien linguistique. La titulaire a aussi pris chacun des enfants auprès d’elle lors de plusieurs périodes de jeux libres afin de s’assurer que chaque histoire était suffisamment claire pour le narrateur comme pour le futur auditeur. Ce temps en tête à tête, sous forme d’entretien, a été précieux pour observer, questionner et aider chaque enfant, mais il est difficile à quantifier. Il est donc recommandé de prévoir un bon mois pour réaliser un projet d’une telle envergure, tout dépendant de l’aide disponible en classe pour gérer les tablettes en même temps que la routine.
2.4. Projet
Mon histoire en balado est un projet qui s’est échelonné sur plusieurs semaines. Faire créer et enregistrer 15 histoires nécessite beaucoup d’énergie et toutes les occasions ont été saisies afin que le projet ne s’étire pas trop et ne perde pas de son intérêt.
Voici donc un résumé en dix étapes de tout ce qui a été mis en place, parfois en parallèle, pour mener à la réalisation de ces épisodes en balado auprès d’enfants du préscolaire.
2.4.1. Étape 1 : Découvrir le monde des balados
Lors d’une période d’environ 30 minutes, la titulaire a questionné les enfants au sujet des balados :
Qu’est-ce qu’un balado, selon vous ?
Avez-vous déjà écouté un balado ?
Connaissez-vous des titres de balados ?
Aimez-vous écouter des balados ?
Aimeriez-vous en créer un ?
Les réponses ont été notées sur une carte d’exploration (carte heuristique) au tableau numérique interactif. Pour ce faire, la titulaire doit créer au moins trois espaces (colonnes ou cercles) dans lesquels elle écrit ce que les enfants connaissent déjà, ce qu’ils aimeraient apprendre sur le sujet et à la fin du projet elle remplit avec eux la colonne « ce que je sais maintenant ». Lors du questionnement initial, elle a pu constater que les enfants de 5 et 6 ans de ce milieu allophone et plutôt défavorisé avaient très peu de réponses à donner. Ils ont réussi à déduire ce qu’était un balado, mais n’avaient pas d’exemples en tête.
La titulaire leur a donc fait découvrir, au fil des jours, quelques balados destinés aux enfants de cet âge. Elle a fait une sélection parmi les suggestions que les conseillères pédagogiques TIC lui avaient proposées :
Il s’est avéré que le moment le plus propice pour écouter des histoires audios était pendant la période de relaxation. En effet, au moment de l’année où le projet a été réalisé, les enfants ne s’endormaient plus, mais avaient encore besoin d’un peu de calme avant de poursuivre leurs activités. Ainsi, allongés sur un matelas, ils étaient tout ouïe pour écouter ces histoires. Au lever, la titulaire pouvait poser des questions sur ce qu’ils avaient retenu et faire des retours sur la structure du récit, par exemple.
C’est alors que certains enfants se sont rendu compte qu’ils en connaissaient et ont compris qu’ils aimaient bien écouter des balados.
2.4.2. Étape 2 : Préparer les enfants
Avant de se lancer dans la composition d’histoires à enregistrer sous forme de balados, la titulaire et l’enseignante en soutien linguistique ont proposé plusieurs activités aux enfants pour les sensibiliser à la structure du récit.
À titre d’exemple, l’enseignante en soutien linguistique a fait quelques séances avec les enfants identifiés plus haut en sous-groupe en utilisant le jeu « Histoire de raconter » de Placote. Les cartes représentant les éléments de base du récit (personnages, lieux, temps, problèmes et solutions) aident les enfants à développer leur habileté à raconter une histoire à l’oral.
La titulaire, quant à elle, a travaillé le schéma narratif tout au cours de l’année, puis juste avant la présentation du projet des balados, elle a fait écouter au groupe l’album « Ça c’est une bonne histoire ! » de Magali Le Huche et Adam Lehrhaupt. Cette histoire amusante sur le thème des super héros s’avère une façon originale de faire comprendre aux enfants les éléments importants d’une histoire, à savoir le sujet (Qui ?), l’endroit (Où ?), le moment (Quand ?), mais aussi le « problème », la « solution » et la « fin ». La qualité de l’animation de cet album est très importante, car c’est une longue histoire pour des enfants de niveau préscolaire. En lisant le texte elle-même, la titulaire aurait pu choisir les éléments importants à narrer, changer sa voix pour faciliter la compréhension, faire des arrêts stratégiques et expliquer des expressions plus complexes. Malheureusement, elle a dû se limiter à le présenter sous forme de vidéo où une autre enseignante lit l’histoire car le livre n’est plus disponible sur le marché, pour le moment.
Après l’écoute de l’histoire, la titulaire a invité les enfants à relever les caractéristiques d’un texte narratif et a ajouté leurs réponses sur la carte d’exploration (carte heuristique) débutée précédemment. Elle leur a notamment posé des questions du genre :
Comment crée-t-on une histoire ?
Quels sont les éléments d’une histoire à ne pas oublier ?
Qu’avez-vous le plus aimé de cette histoire ?
Qui étaient les personnages ?
Etc.
Les enfants, qui se font lire des albums par leur titulaire tous les jours depuis le début de l’année et qui ont déjà été sensibilisés aux composantes d’une histoire, n’ont pas eu de mal à identifier les éléments ou à nommer des personnages de ce récit. Ils ont particulièrement aimé « le grand méchant affreux » de cette histoire qu’ils ont qualifiée d’amusante.
2.4.3 Étape 3 : Découvrir Audio Adventure
Pour donner encore plus le goût aux enfants de créer eux-mêmes un balado avec l’application choisie, la conseillère pédagogique du service national du RÉCIT à l’éducation préscolaire est venue en classe une première fois. Avec l’application Audio Adventure, elle a fait écouter une histoire qu’elle avait inventée et narrée en projetant sa tablette au tableau numérique interactif (TNI).
Puis, dans le but de faire une exploration en grand groupe, elle a distribué une tablette par enfant et les a invités à aller sur l’application pour y découvrir tous les effets sonores disponibles. Ces derniers sont classés par thèmes, par exemple l’Halloween, les châteaux, le soccer ou le cirque. Chacun des neuf thèmes offerts contient dix effets sonores, du genre « coup de pied sur un ballon », « porte qui grince », etc.
Les enfants, munis d’écouteurs, ont été invités à les écouter afin de s’en inspirer lorsque viendrait le temps de composer leur histoire. Il était important que les enfants ciblent un thème en particulier afin de limiter leur utilisation lors du montage.
2.4.4. Étape 4 : Modeler les étapes pour composer une histoire
Une journée ou deux plus tard, la titulaire a proposé aux enfants d’inventer leur propre histoire. La réaction a été unanime. Il a alors été décidé de commencer par créer une histoire en grand groupe. Toute la classe a contribué à faire un plan et à enregistrer une histoire de pizza directement sur la tablette, alors qu’elle était diffusée simultanément à l’écran numérique interactif. Une belle façon de faire du modelage et ainsi de rappeler la structure du récit. La titulaire a aussi profité de ce temps pour expliquer aux enfants comment trouver un titre à leur création en nommant au moins un élément représentatif de l’histoire.
Plan de l’histoire de la pizza inventée en grand groupe :
2.4.5. Étape 5 : Faire un plan
La conseillère pédagogique et l’enseignante en soutien linguistique se sont ensuite jointes à la titulaire pour une période d’une heure environ. Toutes trois étaient disponibles pour soutenir les enfants dans l’élaboration de leur histoire. Pour la composer, la première étape étant de commencer par faire un plan, un canevas simple leur a été remis, imprimé dans un grand format, soit 11 po x 17 po. Chaque enfant a encerclé le thème qui l’inspirait, puis a illustré, à sa façon, chacun des éléments du récit : Qui ? Quand ? Où ?, etc. Les trois professionnelles notaient sous chaque dessin ce que l’enfant voulait raconter. Une fois le plan imagé et les idées écrites, l’enfant devait trouver un titre à son histoire, que l’adulte notait aussi. Par manque de temps, plusieurs titres ont été ajoutés plus tard, lors des entrevues entre la titulaire et l’enfant, soit pendant les jeux libres ou pendant la période de relaxation.
Fait à noter, les enfants devaient identifier leur plan par la première lettre de leur prénom et de leur nom, le but étant de trouver une façon éthique de les identifier sur la toile afin que leurs parents les reconnaissent, mais pas d’autres personnes. Une discussion a donc eu lieu pour essayer de découvrir les initiales de chaque ami de la classe.
2.4.6. Étape 6 : Enregistrer chaque histoire
Lors d’une période subséquente, les diapositives 1 à 8 du tutoriel créé par le Service national du RÉCIT à l’éducation préscolaire ont été présentées en grand groupe, au tableau interactif. Celles-ci expliquent, à l’aide de captures d’écran, toutes les fonctions de l’application permettant, par exemple, de créer un projet, de le personnaliser et de procéder aux enregistrements de la voix. Il a ensuite été convenu que pendant que certains enfants terminaient leur plan avec leur titulaire, d’autres iraient s’isoler dans le local de l’enseignante en soutien linguistique ou iraient avec la conseillère pédagogique dans un lieu calme afin de débuter les enregistrements audios.
Une fois sur l’application Audio Adventure, les enfants devaient se créer un fichier en le nommant avec leurs initiales. Ils ont beaucoup aimé le fait qu’ils pouvaient personnaliser leur en-tête en changeant les couleurs ou les logos.
Voici un aperçu de la présentation de chaque projet personnalisé :
Puis, lorsqu’ils avaient retrouvé les mots qu’ils voulaient dire en regardant les images dessinées sur leur plan, ils n’avaient qu’à appuyer sur l’icône du micro pour enregistrer chacun des six éléments de leur récit. Plusieurs ont eu besoin que l’adulte leur rappelle ce qui était écrit sur leur plan et même parfois, reformule pour eux ce qu’ils devaient enregistrer.
Enseignantes et enfants ont apprécié le fait qu’il était facile d’isoler chacune des parties du récit avant de placer les enregistrements les uns à la suite des autres sur une « piste audio ». Il n’était donc pas nécessaire d’apprendre par coeur toute l’histoire et il était possible de laisser place à la spontanéité.
Les enregistrements se sont échelonnés sur plusieurs jours. À cette étape, il était impossible de jumeler deux enfants pour qu’ils s’entraident, car ils ne pouvaient pas « lire » le plan de leur pair ou même guider la narration.
2.4.7. Étape 7 : Ajouter les effets sonores et ajuster le temps
Par la suite, il a fallu passer au bruitage des histoires. Pour ce faire, la conseillère pédagogique a présenté aux enfants les diapositives 9 à 15 du tutoriel du RÉCIT. Dans cette deuxième partie présentée au TNI, les enfants ont appris comment ajouter les effets sonores et comment régler le volume des enregistrements ou les raccourcir.
Accompagnés par un adulte, ils étaient vraiment à l’aise et la plupart ont appris très vite comment modifier et améliorer leurs captures audios.
Un des enfants, particulièrement doué, a souvent été sollicité pour aider ses pairs. L’idée est alors venue à la conseillère pédagogique de demander à l’enfant s’il accepterait d’être filmé en expliquant ce qu’il faisait afin d’aider d’autres personnes. Il a accepté avec plaisir et a pris son rôle très au sérieux en communiquant tout ce qui lui passait par la tête, ce qui nous permet d’accéder à sa métacognition. Il a semblé que c’était une très belle façon d’utiliser ses forces de communicateur pour le valoriser. Le tutoriel produit est très pertinent et sera très utile pour la formation des autres enseignantes.
L’idée de jumeler deux enfants afin qu’ils s’entraident dans le montage a été testée, mais cela n’a pas été très concluant. En guise d’exemple, ils écoutaient les sons et ne s’entendaient pas sur celui à ajouter pour un effet intéressant dans l’histoire. C’est pourquoi la titulaire a continué d’aider les enfants durant les jeux libres pendant quelques jours, jusqu’à ce que tous les enfants aient terminé le montage.
2.4.8. Étape 8 : Créer la page couverture
Parmi plusieurs suggestions d’applications de dessin proposées par le Service national du RÉCIT à l’éducation préscolaire, c’est l’application gratuite Tayasui Sketches School qui a été présentée aux enfants afin qu’ils illustrent leur balado. La plupart des enfants se sont approprié cet outil facilement et ont pu créer leur page couverture sans aide. De plus, ils ont transcrit eux-mêmes le titre de leur histoire en recopiant ce qui était écrit sur leur plan. Très habiles, ils ont pu poursuivre seuls durant les périodes de détente et de jeux libres.
2.4.9. Étape 9 : Faire le montage
Les histoires de chaque enfant ainsi que leur page couverture ont été déposées sur le site québécois BaladoWeb par la titulaire. Cette plateforme a été créée par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ Éducation), en collaboration avec le Service national du RÉCIT, Domaine des langues.
Sur la plateforme BaladoWeb, l’une des façons de présenter les projets est de les géolocaliser sur une carte du Québec. Ainsi, sur la page d’accueil du site, se trouvent tous les balados de cette classe sous un petit cercle situé dans le nord de Montréal et portant le chiffre 16 : les 15 histoires des enfants en plus de celle inventée en grand groupe avec la titulaire. Il s’agit d’une façon originale de retrouver les réalisations des enfants. Par contre, lorsque l’enseignante déposera d’autres histoires dans les années futures, le chiffre changera car la pastille est associée au code postal.
Cette plateforme a quand même des limites. À titre d’exemple, l’autre façon de retrouver les balados est d’aller dans l’onglet « Tous les balados » du menu principal. On y présente les 12 derniers dépôts puis on invite l’internaute à naviguer d’une page à l’autre pour trouver les balados qui ont été intégrés récemment. C’est ainsi que les histoires des enfants de cette classe se voient refoulées de plus en plus loin sur le site. En contrepartie, un chercheur aguerri qui se rappelle du titre du projet pourra écrire Mon histoire en balado dans l’outil de recherche (la loupe) pour se rendre plus rapidement à la section du site qui l’intéresse.
Finalement, le site BaladoWeb offre une autre façon de partager les enregistrements qui est fort intéressante pour les non-lecteurs/scripteurs. En effet, une fois les balados déposés, des codes QR sont générés automatiquement et placés à côté des projets. Ce code qui se lit avec une tablette ou un cellulaire a servi pour la diffusion aux parents et, surtout, pour une exposition dont les détails se trouvent à l’étape suivante.
Exemple de code QR :
2.4.10. Étape 10 : Présenter les projets dans l’école et à la maison
Pour souligner la fin de ce projet, un événement a été organisé à l’école afin de permettre aux enfants de vivre un moment de fierté.
Les enfants ont donc dicté à la titulaire une courte invitation destinée à leur frère ou à leur soeur qui fréquente l’école. Il s’agissait d’une autre situation d’écriture signifiante pour les enfants.
Afin de s’assurer que ces derniers obtiennent le droit de venir dans la classe de maternelle, l’invitation a été remise à leur enseignant respectif. Les enfants de maternelle qui n’avaient pas de fratrie dans l’école ont donné leur invitation à un membre du personnel important ou signifiant pour eux.
La titulaire a expliqué aux enfants ses attentes durant cette période spéciale, où ils seraient invités à aller dans le corridor adjacent à la classe avec une tablette et des écouteurs dès que leur invité arriverait. Ils devraient alors leur démontrer comment numériser les codes QR affichés dans le corridor et répondre à leurs questions.
C’est ainsi qu’un vendredi après-midi, munis d’une tablette et d’écouteurs, les visiteurs ont suivi les indications des enfants de maternelle pour accéder aux balados. Ceux-ci étaient affichés aux murs du corridor sous forme de codes QR générés directement sur le site BaladoWeb.
Les grands frères et soeurs ainsi que les intervenants du milieu étaient très impressionnés. Ils ont même demandé à en écouter d’autres avant d’être invités à écrire leurs commentaires dans un « livre des visiteurs » créé par la titulaire.
Forts de leur expérience pour guider les invités dans cette exposition, les enfants sont finalement repartis à la maison avec un message destiné à leurs parents qui contenait l’adresse du site ainsi qu’un code QR pour s’y rendre. Les enfants n’ont pas eu de mal à aider leurs parents à numériser le fameux code personnel et à naviguer ensuite sur le site BaladoWeb puisqu’ils l’avaient fait tout l’après-midi, à l’école.
Sur la feuille du message transmis aux parents, la titulaire avait laissé une place pour que ces derniers écrivent un commentaire destiné aux enfants. Au retour de ces formulaires, elle a pu lire une douzaine de témoignages très encourageants de la part des parents et ainsi démontrer aux enfants comment il est agréable de partager des écrits avant de les ajouter au livre des visiteurs. En plus des félicitations habituelles, certains parents ont témoigné que leur enfant a voulu se réapproprier cette application sur la tablette familiale et reproduire un nouvel enregistrement ou d’autres dessins et ainsi utiliser la tablette familiale pour créer un projet.
2.4.11. Intégration
L’enseignante a posé plusieurs actions pour s’assurer que les notions apprises durant le projet soient réinvesties. Premièrement, elle a créé un cahier-souvenir contenant toutes les pages couvertures des histoires ainsi que leurs codes QR pour y accéder rapidement. Avec des écouteurs, les enfants pouvaient les réécouter de façon autonome durant leurs jeux libres, par exemple.
Deuxièmement, étant davantage convaincue de la valeur ajoutée de l’intégration des tablettes en classe, la titulaire a permis aux enfants de les utiliser durant certaines périodes de la journée. Plusieurs ont spontanément ouvert l’application de dessin, alors que d’autres ont essayé de créer de nouvelles histoires directement sur Audio Adventure. Une fois par semaine, pour les quelques semaines d’école qui restaient, elle a aussi offert une période de « détente–tablette » où les enfants avaient le droit de dessiner avec diverses applications. Une façon différente de vivre un moment calme et créatif.
Finalement, la titulaire est revenue sur la carte d’exploration (carte heuristique) pour montrer aux enfants tout le chemin parcouru durant ce long projet. Elle leur a posé quelques questions de réinvestissement telles que :
Qu’avez-vous appris de nouveau ?
Comment vous êtes-vous sentis lorsque vos parents et amis ont écouté votre histoire ?
Quelle était votre application préférée ?
La conseillère pédagogique était en classe pendant ce retour sur l’expérimentation et a pu prendre en note des commentaires fort stimulants. Voici quelques réponses formulées par les enfants :
« J’ai aimé écouter les sons d’Audio Aventure. » – L. T.
« J’ai aimé ça enregistrer là-bas parce que c’était calme. » – T. K.
« J’étais gênée parce que j’avais pas le goût de parler. » – R. G.
« Si on l’aimait pas, il fallait reeeeecommencer ! » – T. K.
« J’ai aimé quand on a écouté les histoires des autres. » – N. T. T.
« J’ai aimé quand les frères et soeurs sont venus. » – T. M.
2.5. Productions
En écoutant quelques-unes des histoires déposées sur BaladoWeb, il est possible d’entendre des différences entre les narrations et de constater comment ce projet rassembleur a permis à plusieurs types d’enfants de donner un produit fini, certes de niveau différent, mais accompli pour tous.
Pour rendre le tout plus homogène aux yeux, et surtout aux oreilles des auditeurs, le numérique est venu pallier la gêne de certains enfants puisqu’il était possible de monter un peu le son des enregistrements. Dans le même ordre d’idées, un enfant trop volubile ou qui hésitait pouvait couper le début et la fin de son enregistrement pour en faire une histoire un peu plus dynamique.
Pour illustrer le tout, voici les histoires de trois enfants qui se démarquent des autres.
Premièrement, celle de N. T. T. : Attaque de monstre. En entendant cet enfant de 6 ans, il est facile de constater l’aisance avec laquelle il a réalisé son histoire. Il s’agissait d’un autre exemple de sa grande polyvalence, de sa maturité et, ce qui a été confirmé à la fin de l’année, de sa douance.
Cet enfant était tellement sûr de lui que la conseillère pédagogique lui a demandé d’enregistrer un tutoriel vidéo destiné aux enseignantes. N. T. T. a pris son rôle au sérieux et en une seule prise, a soumis une vidéo complète. En l’écoutant, il est possible de constater toute la richesse de cet enregistrement, où l’enfant verbalise ses réflexions et exprime ses stratégies métacognitives. C’était une belle façon de valoriser les forces de cet enfant.
Comme deuxième exemple, l’attention est portée sur l’histoire de T. M. : La princesse et le château volant. À l’écoute, il est possible de remarquer que cette petite fille chuchotait. Heureusement pour tous, elle est tout à fait audible puisque le son a été rehaussé directement dans l’application durant le montage. Pour l’enfant, comme pour son enseignante, c’est une très grande fierté que cet enregistrement. En effet, cette fillette s’exprimait tellement peu en classe depuis le début de l’année, que la titulaire n’avait pas eu accès très souvent à sa créativité et à toutes ses idées. T. M. était très timide et lorsqu’elle devait s’exprimer en grand groupe, elle allait chuchoter ses réponses à l’oreille de l’adulte, une forme de mutisme sélectif. Cette fois-ci, elle s’est bien investie dans ce projet en composant son histoire et en acceptant de la narrer, seule avec la conseillère pédagogique, en orientant sa voix le plus possible vers le micro. En se concentrant ainsi, au moins elle acceptait de parler, et ce, même en présence d’une nouvelle adulte.
Pour Fe.N.C. qui a écrit l’histoire Mario et le monstre, la démarche a aussi été très difficile. Face à ses difficultés de langage, elle était très fragile et a versé quelques larmes. Beaucoup de support émotionnel a été nécessaire de la part de la titulaire et de l’enseignante en soutien linguistique, mais la petite était déterminée à aller au bout de ce projet. À l’écoute du produit final, il est possible de comprendre et d’apprécier son histoire, même si ses phrases ne sont pas complètes. De plus, ses parents ont témoigné de sa fierté lors de l’écoute de son histoire à la maison.
Finalement, le projet Dan au McDonald de D. A. a, quant à lui, été difficile à réaliser de A à Z. Cet enfant qui éprouve de graves problèmes de comportement et de développement du langage a dû être grandement accompagné par l’enseignante en soutien linguistique durant toutes les étapes du projet, de la composition de l’histoire jusqu’au montage. Comme il est possible de le constater à l’écoute de ce balado, il a été nécessaire que l’enseignante de soutien linguistique modélise et répète correctement les mots pour faciliter la compréhension des auditeurs.
3. Analyse et interprétation du projet
Dans cette dernière section de l’article, un regard est porté sur les enregistrements réalisés, les observations recueillies et les constats qui émergent, entre autres, des attendus du programme de l’éducation préscolaire. La valeur ajoutée de l’utilisation du numérique à ce cycle est également mise en lumière.
3.1. Liens avec le programme
Ce type de grand projet s’est avéré très riche. Au-delà de la compétence langagière, on peut penser qu’il a même permis de toucher tous les domaines de développement du Programme-cycle de l’éducation préscolaire du ministère de l’Éducation du Québec. Le tableau 1 présente un aperçu des composantes qui ont pu être sollicitées.
3.2. Liens avec le cadre de référence de la compétence numérique
En utilisant les outils technologiques tels que l’écran interactif numérique et surtout la tablette comme moyen de réalisation, ce projet s’inscrit aussi dans le Cadre de référence de la compétence numérique élaboré par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et en vigueur depuis 2018. Ainsi, adultes et enfants ont été invités à « développer et mobiliser les habiletés technologiques nécessaires à l’utilisation des différentes applications dans le cadre d’activités pédagogiques » contenues dans la dimension 2. Les enfants ont aussi été invités à « produire et coproduire une diversité de contenus avec le numérique », un élément propre à la compétence 7 : Production de contenu. Dans la dimension 12, Innovation et créativité, notons que les enfants ont dû « saisir les possibilités technologiques pour développer et exprimer leur propre créativité ». Finalement, les enfants ont travaillé aussi la dimension 6 touchant la communication en tentant de « Mobiliser une diversité de stratégies et d’outils numériques de communication » (voir tableau 2).
Ce projet a aussi permis à la titulaire et à sa collègue du soutien linguistique de développer la douzième compétence professionnelle du personnel enseignant (MÉQ, 2020), soit « Mobiliser le numérique ». Accompagnées par une conseillère pédagogique du RÉCIT à l’éducation préscolaire, elles ont pu prendre de l’assurance dans l’utilisation du numérique afin d’en faire bénéficier les enfants de cette année, mais aussi les cohortes suivantes.
3.3. La création de l’histoire
Durant cette étape du projet, les enfants ont touché à plusieurs composantes reliées au domaine cognitif du nouveau programme de l’éducation préscolaire (MÉQ, 2021) en stimulant leur imagination pour créer des contes originaux. Ils ont aussi exercé leur motricité fine en réalisant les dessins sur leur plan, mais ils ont surtout développé plusieurs composantes du domaine langagier, entre autres à l’écrit.
Ainsi, lors de l’étape de la création du plan de l’histoire, les enfants se sont familiarisés avec les conventions de la langue écrite (p. ex. lire et écrire de gauche à droite). Les enfants ont été invités à adopter des comportements d’apprentis lecteurs (p. ex. utiliser des images pour raconter une histoire) (Boudreau et al., 2022).
Les enseignantes qui développent la méthode de l’écriture approchée pourraient avoir le temps et le goût de laisser les enfants écrire l’histoire, ou du moins le titre de l’histoire à leur façon. Cependant, nous pensons que cela pourrait compliquer la tâche de la personne accompagnante lorsque viendra le temps de faire un rappel du récit à l’enfant, juste avant l’enregistrement. La construction d’histoires sous forme de dictées à l’adulte a donc été priorisée ici. Il s’agit d’un genre d’entrevue, un temps privilégié « un à un » où l’adulte s’intéresse aux idées de l’enfant et demande des précisions pour bien les comprendre, si nécessaire (Charron et al., 2022).
La démarche proposée par plusieurs professionnels de l’éducation, telle que celle décrite dans l’article de Bernier-Ouellette (2019) : Raconter des histoires à l’oral (Storytelling), selon une démarche en trois temps : Où ? Qui ? Quoi ? aurait pu aussi être utilisée. Dans cette expérimentation, les histoires auraient été trop courtes pour en faire des balados intéressants, c’est pourquoi la construction de relations logiques temporelles et causales se devait d’être touchée, d’autant plus que les enfants de cette classe avaient déjà appliqué l’approche des jeux Placote en 6 temps.
3.4. L’utilisation du numérique pour enregistrer la voix
Plusieurs recherches soutiennent que les jeunes enfants ne devraient pas être exposés aux écrans selon un certain nombre d’heures par jour. Or, dans notre projet, lorsque ces outils sont utilisés à des fins créatives et pédagogiques, ils peuvent procurer des avantages qui surpassent ces enjeux (Raby et al., 2022).
Ainsi, la tablette numérique et les nombreuses applications de créations disponibles sont une bonne façon d’encourager les enfants à inventer des histoires originales (Raby et al., 2022). Tel que mentionné sur le site de la Société Canadienne de pédiatrie,
Les médias sur écran peuvent améliorer la performance scolaire des enfants, enrichir leurs connaissances, accroître leur littératie et les aider à entretenir des relations positives avec leurs enseignants et leurs camarades. Les émissions et les approches numériques peuvent favoriser à la fois l’apprentissage autonome et coopératif et stimuler la curiosité. Des logiciels dynamiques et des applications et des jeux de qualité peuvent accroître les compétences et réduire les lacunes en mathématiques
Société canadienne de pédiatrie, groupe de travail sur la santé numérique, 2019, p. 410
De plus, selon Dumais (2011, p. 6), qui cite plusieurs auteurs en appui :
Pour stimuler le désir de lire, les enseignants peuvent varier les supports et focaliser la lecture sur la compréhension (Courchesne, 1999; Navarro et Le Deun, 2004). Ils peuvent aussi mettre leurs élèves « en contact avec un large éventail de textes multimodaux de tous genres [pour les] aider à prendre conscience des textes qu’ils voient quotidiennement et à reconnaître les nombreuses occasions qui leur sont données de lire chaque jour »
MÉO, 2004, p. 70
L’écoute de balados en classe est donc une nouvelle façon de découvrir des histoires, tandis que la création sur une application de qualité permet « de diversifier les sources de stimulation de l’enfant » tel que la revue numérique Naître et grandir, le mentionne.
En présentant un projet novateur comme la création de balados, le souci était de demeurer dans la zone proximale de développement de chaque enfant tout en s’assurant qu’ils seraient bien accompagnés, car comme le disent Bouchard et al. (2021, p. 68) : « En présence d’un soutien adapté de la part des adultes, les enfants s’engagent dans des situations d’apprentissage qui leur permettent de se dépasser ».
Les enregistrements audios, mais aussi les apprentissages faits autour de la tablette ainsi que l’écoute des balados des autres, ont permis aux enfants de développer plusieurs composantes de l’axe de développement du langage, ne serait-ce qu’interagir verbalement, élargir son vocabulaire, expérimenter une variété d’énoncés et démontrer sa compréhension (MÉQ, 2021).
Les exemples de réalisation nommés plus haut démontrent que les situations de communication à l’oral n’ont pas à toujours être spontanées. Elles peuvent être planifiées et modifiées afin que le produit fini soit apprécié de tous. Le fait de pouvoir effacer et recommencer a beaucoup aidé les enfants à se sentir compétents, surtout les plus anxieux et ceux qui éprouvent des difficultés de langage.
En contrepartie, l’ajout du numérique n’a pas été un gage de succès avec un enfant de cette classe pour ce projet en particulier. En effet, contrairement aux autres enfants, D.A. ne démontrait pas d’intérêt particulier lorsque les tablettes étaient utilisées durant ce projet et il n’a malheureusement pas manifesté sa fierté lors de la présentation des projets.
3.5. La réalisation de la page couverture
La titulaire a été enchantée de voir les enfants communiquer entre eux et s’entraider lors de la réalisation des dessins destinés à illustrer l’histoire. Cette tâche étant plus simple que la création du texte et l’enregistrement de la voix, c’est ici qu’il y a eu le plus d’échanges de bonnes stratégies entre les enfants. D’autres « experts » sont alors ressortis du lot. En effet, ce n’est pas parce qu’un enfant est gêné de s’exprimer en classe qu’il n’a pas compris les subtilités d’une application et qu’il ne peut pas, dans l’intimité, aider un ami à s’approprier l’outil. C’est ce qui a pu être observé, entre autres, chez certains enfants de la classe.
3.6. La diffusion du projet
La diffusion des balados dans l’école et, surtout, à la maison, via une plateforme publique disponible gratuitement sur la toile, a permis d’encourager des pratiques de littératie familiale et a inspiré les parents et les enfants à raconter des histoires.
L’une des parties préférées du projet pour la titulaire a été la présentation dans l’école. Selon elle « toutes les autres classes, les enfants comme les enseignants, voyaient bien qu’il se passait quelque chose en maternelle et que le chariot de tablette y était souvent. C’est comme ça qu’est venu pas juste pour moi, mais pour mes élèves aussi, le besoin de montrer ce que l’on faisait ».
Durant cette demi-journée, les enfants étaient fiers de démontrer leur autonomie avec les tablettes et, surtout, de faire découvrir leurs projets.
Plusieurs enfants, telle que la petite Fe. N., ont été capables de nommer qu’ils étaient fiers d’eux lors de l’écoute de l’histoire en classe comme à la maison.
3.7. La place de la littératie et du multimodal
La création d’histoires sous forme de balados s’inscrit bien dans la définition de la littératie offerte par un groupe de chercheurs du Réseau québécois de recherche et de transfert en littératie comme étant : « la capacité d’une personne, d’un milieu et d’une communauté à comprendre et à communiquer de l’information par le langage sur différents supports pour participer activement à la société dans différents contextes ». (CTREQ, n.d.)
En effet, ce projet a sensibilisé les enfants à la structure d’un récit et les a motivés à créer leur propre histoire inspirée d’un thème qu’ils aiment. Le choix de les raconter à l’oral et d’enregistrer cette narration ouvre une porte sur le monde et permet aux enfants de participer, à leurs justes aptitudes, à utiliser un nouveau support et d’en faire la présentation.
Le département de l’éducation de Victoria nous rappelle que Cope et Kalantzis ont défini en 2009 les textes multimodaux comme étant des textes qui combinent deux ou plusieurs modes tels que le langage écrit, le langage parlé, la signification visuelle (images fixes et animées), audio, gestuelle et spatiale. Dans ce projet, en plus d’écrire un texte à sa façon, c’est-à-dire avec des dessins, chaque enfant a dû le transmettre de façon orale et utiliser son imagination pour accoler des effets sonores dans son montage final afin de rendre son histoire encore plus intéressante pour les auditeurs.
3.8. Remarques générales
Forte de cette expérience vécue en collaboration avec la conseillère pédagogique du Service national du RÉCIT à l’éducation préscolaire, la titulaire a exprimé l’envie de revivre ce projet, mais elle n’est pas prête à le faire seule. Ravie de constater tout ce que cela a apporté aux enfants, elle a l’intention de solliciter l’aide des élèves plus vieux pour qu’ils viennent en classe participer à toutes les étapes du projet. Un enseignant de 6e année a déjà manifesté son intérêt. Il voit, lui aussi, des avantages à faire participer ses élèves. Ces derniers devront écrire le texte dicté par les enfants tout en s’assurant que le schéma narratif soit suivi. Ils pourront retourner en classe avec le plan afin de corriger leur texte. Lors d’une autre rencontre, ils devront se relire et aider les jeunes enfants à se rappeler ce qu’ils doivent enregistrer. Un apprentissage sera fait aussi au niveau de l’accompagnement afin que les élèves plus vieux ne réalisent pas la tâche à la place des enfants et qu’ils demeurent à leur écoute.
En réalisant ce projet un peu plus tôt dans l’année, la titulaire aurait pu, comme mentionné plus haut, offrir plus tard aux enfants de créer une autre histoire sur l’application Audio Adventureou leur offrir de faire, par exemple, un court reportage ou une entrevue à deux sur un sujet qu’ils aiment, comme un album, un jeu ou une personne signifiante. Pour ce faire, elle aurait pu utiliser d’autres applications en ayant en tête qu’elles doivent être simples et adaptées aux lecteurs et scripteurs émergents.
Du côté du Service national du RÉCIT à l’éducation préscolaire, cette expérimentation en classe a permis de confirmer que cette application (Audio Adventure) est adaptée aux enfants de la maternelle. Par contre, ce n’est pas une mince affaire que de faire créer une histoire et d’en faire un balado, c’est pourquoi il est recommandé que l’enseignante qui se lance dans un tel projet soit accompagnée dans son milieu, soit par des parents bénévoles, d’autres intervenants ou des élèves plus vieux.
Ce projet s’inscrit très bien dans le mandat du Service national du RÉCIT à l’éducation préscolaire et il est maintenant cité dans une formation qui est offerte aux enseignantes et aux professionnels de la petite enfance à travers le Québec. De plus, un courriel contenant des liens vers les balados des enfants a été envoyé aux concepteurs de l’application Audio Adventure, Fox & Sheep, une compagnie allemande, afin de les remercier d’avoir créé une application aussi simple et conviviale. Le message semble avoir fait plaisir.
Conclusion
À la fin de ce projet multimodal, la titulaire a pu constater la valeur ajoutée apportée par l’intégration des technologies à l’éducation préscolaire. Grâce à ces enregistrements audio, elle a collecté des traces qui témoignent du degré de maîtrise de la langue des enfants de sa classe. En effet, ces enregistrements sont riches pour observer et comparer les progrès des enfants depuis le début de l’année. Ils permettent aussi d’entendre, par exemple, un enfant plus gêné qui s’exprime peu en grand groupe. La titulaire pouvait constater si un enfant s’exprimait de façon adéquate ou non. Il aurait été intéressant de faire un autre enregistrement plus tôt dans l’année pour observer la progression des enfants, ce qu’elle fera sûrement l’année prochaine.
La titulaire a aimé le fait que les enfants pouvaient procéder par essais et erreurs, qu’ils pouvaient exprimer leur créativité et que même ceux qui sont habituellement gênés de s’exprimer en grand groupe ont réussi à réaliser ce projet. Elle a été à même de constater aussi toute la collaboration qui s’est installée entre les enfants. Alors que l’on pense que la manipulation d’une tablette peut isoler les enfants, on oublie bien souvent qu’elle peut aussi exiger que les enfants discutent autour du même support numérique, cherchant des solutions ensemble pour, par exemple, trouver comment dessiner, couper un son ou effacer de mauvaises commandes.
Ce projet a également donné l’occasion de faire de la différenciation pédagogique puisque la tâche a été adaptée selon le niveau et les aptitudes de chaque enfant. Que l’enfant soit très imaginatif et bavard, ou plus réservé, que l’histoire ait une durée de 30 secondes ou 2 minutes, chacun a pu réaliser un projet intéressant à écouter. De plus, l’utilisation d’une application de montage simple, telle qu’Audio Adventure, a permis aux enfants de participer à toutes les étapes de la réalisation d’un balado, ce qui a été très stimulant pour tous.
Pour soutenir les premiers apprentissages en lecture, il est essentiel d’encourager les parents à lire des livres papier et il en est de même en classe (Boudreau et al., 2022). En complément, il est possible d’utiliser les outils numériques pour enrichir cette culture littéraire et la présenter de façon différente tout en touchant la multimodalité. La création d’histoires narrées et présentées sous forme de balados est apparue comme une opportunité pour développer différentes sphères du Programme-cycle de l’éducation préscolaire (MÉQ, 2021). En effet, la possibilité d’inventer une production médiatique multimodale, c’est-à-dire des textes auxquels des effets sonores ont été ajoutés, a permis à de jeunes apprentis lecteurs de laisser libre cours à leur imagination et de mener à terme un projet au fini soigné.
Grâce au succès de cette expérience, la titulaire de maternelle se sent prête à recommencer le projet l’année prochaine et elle invitera l’enseignant de 6e année à se joindre à elle. Des graines ont été semées et vont germer tranquillement dans cette petite école.
De plus en plus de formes littéraires numériques émergentes s’observent dans les classes (Mahieu, 2023), et pas uniquement au secondaire et au collégial. L’équipe du Service national du RÉCIT est témoin de plusieurs initiatives au primaire et de plus en plus à l’éducation préscolaire. Il serait pertinent que des chercheurs accompagnent les enseignants et les conseillers pédagogiques pour documenter ces projets. Cela permettrait d’en mesurer les effets sur le développement des enfants, mais également d’étudier la démarche pédagogique adoptée afin de la bonifier et de l’étendre à davantage de milieux. Des recherches sont donc nécessaires pour étudier les nombreux apprentissages liés à la multimodalité, particulièrement en contexte d’éducation préscolaire.
Parties annexes
Annexe
Ressources
Structure du récit :
Jeu « Histoire de raconter » de Placote
Album « Ça c’est une bonne histoire » de Magali Le huche et Adam Lehraupt, Éditions Gautier-Languereau, 2018.
Création d’histoires numériques :
Création de la page couverture :
Tayasui Sketches School, application gratuite dans l’App Store ou sur Google Play
Création de balados
Audio Adventure, application payante, dans l’App Store ou sur Google Play
3 logiciels gratuits pour enregistrer son Podcast (Audacity, GarageBand, Reaper)
Diffusion de balados :
Des autoformations sur les balados sur le site de Campus RÉCIT :
La communication orale pour produire un balado (3e cycle du primaire)
La science et techno autrement : l’oral et le numérique s’en mêlent ! (3e cycle du primaire)
Documents créés et utilisés dans l’expérimentation :
Remerciements
Les auteures tiennent à remercier Madame Monica Boudreau de les avoir sollicitées pour contribuer à ce numéro thématique. Ses conseils et son support ont été grandement appréciés durant l’écriture de cet article. Merci aussi à sa collègue Julie Mélançon pour les suggestions et à Virginie Martel pour la relecture.
Elles profitent aussi de cette tribune pour remercier Sandra Laine, conseillère pédagogique au Service national du RÉCIT, Domaine des langues pour son ouverture à intégrer le niveau préscolaire dans la plateforme baladoweb.qc.ca.
Notes
-
[1]
Des hyperliens sont présents dans ce texte et ont pour but de permettre au lecteur ou à la lectrice de consulter les ressources, les outils et les documents utilisés lors de la réalisation de ce projet ou pour écouter les productions des enfants.
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[2]
Fait à noter, le schéma narratif et la structure du récit ne sont pas abordés dans le programme de l’éducation préscolaire mais c’est une façon de « produire des écrits individuellement ou en équipe par des tentatives d’écriture ou une dictée à l’adulte et participer à la rédaction d’histoires collectives », un exemple de la composante « Interagir avec l’écrit » de l’axe de développement du langage écrit (MELS, 2001, p. 45).
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[2]
Fait à noter, le schéma narratif et la structure du récit ne sont pas abordés dans le programme de l’éducation préscolaire mais c’est une façon de « produire des écrits individuellement ou en équipe par des tentatives d’écriture ou une dictée à l’adulte et participer à la rédaction d’histoires collectives », un exemple de la composante « Interagir avec l’écrit » de l’axe de développement du langage écrit (MELS, 2001, p. 45).
Bibliographie
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