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Au cours des dernières décennies, plusieurs études ont documenté l’importance de l’alliance thérapeutique. Des travaux récents ont contribué à en raffiner la conceptualisation, étant donné que : 1) les ruptures d’alliance sont inévitables au cours de la thérapie et 2) le thérapeute doit être en mesure de les détecter et de les réparer (Safran et Muran, 2000). Les revues de littérature disponibles suggèrent que l’alliance prédit environ 6 % de la variance des résultats thérapeutiques, alors que l’effet du thérapeute, incluant notamment ses dispositions personnelles, expliquerait jusqu’à 9 % de cette variance (Safran et Muran, 2006). D'après certaines études récentes, l'alliance et les dispositions du thérapeute agiraient de concert plutôt que de façon additive et indépendante (Chen et al., 2016; Talbot et al., 2019). La présence de certaines caractéristiques chez le thérapeute le rendrait notamment plus apte à détecter les ruptures qui surviennent au sein de l'alliance. La nature de ces caractéristiques et leur association avec l'habileté à détecter les deux types de ruptures reconnus demeurent toutefois à préciser.

L’alliance thérapeutique

Telle que décrite par Bordin (1979), l’alliance thérapeutique réfère au degré de collaboration entre le thérapeute et le client dans la poursuite d'un but commun. Cette collaboration se décline en trois composantes essentielles interreliées, soit les tâches (tasks), les objectifs (goals) et le lien (bond). Les objectifs sont les buts communs sur lesquels travaillent le thérapeute et le client, alors que les tâches font référence aux différentes activités et règles qui permettent d’atteindre ces objectifs. Le lien réfère à la qualité de la relation entre le client et le thérapeute, ainsi qu’à la manière dont ils se perçoivent dans leur rôle respectif. L’importance de l’alliance pour le processus psychothérapeutique s’observe notamment par le fait qu’elle est désormais considérée en tant que facteur d'efficacité commun à toutes les approches (Krause et al., 2011). De façon plus spécifique, les études récentes suggèrent que la façon dont les ruptures d’alliance sont gérées par la dyade client-thérapeute constitue un vecteur important par lequel l’alliance influence l’efficacité thérapeutique (Aspland et al., 2008).

Les ruptures d’alliance

Originalement perçue comme un processus statique se basant sur une entente entre le client et son thérapeute, l’alliance thérapeutique est désormais considérée comme un processus intersubjectif de négociation de ruptures en continuel mouvement (Safran et Muran, 2000, 2006). Dans cette perspective, les ruptures ne sont pas exclusivement causées par le client ou les actions du thérapeute, mais proviennent plutôt de l'interaction des contributions des deux acteurs (Safran et Kraus, 2014). Susceptibles de fournir un accès privilégié aux schémas relationnels du client (Safran et Muran, 2000, 2006), ces impasses thérapeutiques constituent pour certains « la voie royale de la compréhension analytique ». De façon conséquente, le développement et la réparation des ruptures d'alliance sont conçus comme les éléments essentiels du processus thérapeutique (Safran et Muran, 2000; Stolorow et al., 1994).

Safran et Muran (2000, p. 236) définissent les ruptures d’alliance comme étant : « une tension ou un bris dans la relation de collaboration entre le thérapeute et le client » [traduction libre].[2] Le phénomène de ruptures d’alliance peut varier en intensité, en durée et en fréquence en fonction de la dyade thérapeute-client (Safran et Muran, 1996). Les ruptures peuvent donc prendre la forme d’une détérioration dans la relation ou dans la communication thérapeute-client, ou encore, d’une absence de collaboration.

Safran et Muran (2000, 2006) reconnaissent deux types de ruptures d’alliance, soit la rupture de retrait (withdrawal rupture) et la rupture de confrontation (confrontation rupture). La rupture de retrait survient lorsque le client se retire ou qu’il se désengage partiellement de ses émotions, du thérapeute ou d’autres aspects du processus thérapeutique (Safran et Muran, 2000). Il est possible d’observer chez le client des attitudes d’évitement (silence, indifférence, apathie, passivité, etc.) ou de conformité vis-à-vis du thérapeute (dissimulation, manipulation, simulation, etc.), ce qui peut amener la dyade thérapeute-client dans une pseudo-alliance (Safran et Muran, 2000). En revanche, la rupture de confrontation est plus directe et plus manifeste; le client peut exprimer de manière franche son mécontentement et son insatisfaction à l'égard du thérapeute ou d'un aspect du processus thérapeutique (Safran et Kraus, 2014). La critique, l’agressivité, l’opposition, l’hostilité sont des exemples d’attitudes mises de l’avant par le client lors d’une rupture de confrontation (Lecomte et al., 2004).

Les ruptures peuvent être inférées à partir d’indices spécifiques (Rice et Greenberg, 1984), nommés « marqueurs ». Perceptibles via les comportements du client, ces marqueurs diffèrent en fonction du type de rupture. Les marqueurs de retrait peuvent se présenter, par exemple, sous la forme de déni ou de changement de sujet. Les marqueurs de confrontation peuvent se manifester sous la forme de plainte de la part du client au sujet de différents aspects de la thérapie ou du thérapeute (Safran et Muran, 2000). Les marqueurs sont parfois subtils, ce qui rend leur détection par le thérapeute moins probable (Eubanks-Carter et al., 2015a).

Bien que les ruptures surviennent de façon courante durant les séances de psychothérapie, un nombre important d'entre elles demeurerait non détecté par les thérapeutes (Eubanks-Carter et al., 2010; Muran et Safran, 2016). Compte tenu qu'une rupture non détectée, et donc non réparée, tend à réduire l'efficacité thérapeutique, et dans certains cas, à provoquer l'interruption prématurée du processus (Muran et Safran, 2016), ce genre d'omission apparait problématique. Tout processus de réparation réussi devant débuter par la détection préalable de la rupture par le thérapeute, un examen des facteurs facilitant cette détection apparait ainsi pleinement justifié.

Dispositions personnelles des thérapeutes

Lecomte et ses collaborateurs (2004) considèrent que l'efficacité à négocier les ruptures d'alliance varie considérablement d'un thérapeute à l'autre. Cependant, peu d’études ont tenté de préciser les caractéristiques personnelles associées à ces différences. À la connaissance des chercheurs, une seule étude, réalisée par Talbot et ses collègues (2019), présente des résultats empiriques qui suggèrent des liens entre certaines dispositions et la performance de détection des ruptures. L’une de ces dispositions est l’attachement. Ce résultat semble corroborer les propos de Guillemeney et ses collègues (2018) qui considèrent que le style d’attachement des thérapeutes conditionne, jusqu’à un certain point, la qualité de la relation thérapeutique. Il apparait également compatible avec ceux de Strauss et Petrowski (2017), indiquant que les thérapeutes dont l’attachement est sécure bénéficient d’un plus grand éventail de compétences interpersonnelles, notamment sur le plan des stratégies de résolution de conflits, et d'une meilleure capacité de mentalisation. Ces compétences seraient à même de favoriser la détection des ruptures d’alliance et leur réparation, contribuant ainsi au développement d’alliances thérapeutiques de qualité. À l’inverse, les thérapeutes présentant des insécurités d’attachement posséderaient une gamme plus restreinte de ces compétences interpersonnelles (Mikulincer et al., 2013), rendant du même souffle le maintien de l’alliance plus difficile.

À partir de résultats d’études antérieures, d’observations cliniques et de réflexions théoriques, Eubanks et al. (2015a) ont pour leur part ciblé un trio de compétences interdépendantes qu’ils considèrent essentielles à la détection et à la résolution des ruptures d’alliance, qu’ils ont placées au coeur d’une formation intitulée alliance-focused training. Les deux premières compétences travaillées dans l’alliance focused training sont 1) la conscience de soi, l’écoute de sa propre expérience subjective dans l'ici et maintenant facilite la reconnaissance d’une rupture en émergence pour le thérapeute, et 2) la régulation des affects, une composante du concept plus large d’intelligence émotionnelle (Kaplowitz et al., 2011) qui permet notamment de résister à l'envie de répondre à l'hostilité du client manifestée lors d’une rupture de confrontation par une contre-hostilité ou encore de recourir à des comportements d'évitement pour réduire sa propre anxiété. La troisième compétence est 3) la sensibilité interpersonnelle, essentielle à la communication empathique avec le client au sujet de ce qui se passe dans le moment présent sans aggraver une rupture en cours (Eubanks-Carter et al., 2015a). L’importance de l’empathie du thérapeute a d’ailleurs été reconnue par Ackerman et Hilsenroth (2001), qui maintiennent qu’un manque d’empathie peut mener les thérapeutes à ignorer les signes de ruptures dans l’alliance. L’étude menée par Muran et ses collaborateurs (2018) auprès de 40 dyades thérapeutes-clients a pour sa part montré que cette formation axée sur l’alliance améliore le processus et les résultats de la thérapie et que cette amélioration s’observe tant sur le plan des comportements interpersonnels du thérapeute (p. ex., diminution des critiques) que ceux du client (p. ex., diminution de l’évitement).

L’unique travail empirique sur le sujet, soit celui de Talbot et al. (2019), ainsi que la formation alliance-focused training d’Eubanks et al. (2015a) suggèrent ainsi que l’attachement du thérapeute, son degré de conscience de soi, son intelligence émotionnelle, de même que sa capacité d’empathie, favoriseraient la détection des ruptures d’alliance qui surviennent au cours du processus psychothérapeutique, sans égard à leur type, soit de confrontation ou de retrait. Les paragraphes suivants donnent une appréciation plus précise de ces dispositions personnelles. Par ailleurs, comme les résultats obtenus par Talbot et al. (2019) montrent des distinctions selon le degré d’expérience clinique, il est apparu pertinent de l’ajouter à la liste.

Attachement

Bowlby (1982) définit l’attachement comme le besoin fondamental de développer des liens affectifs et significatifs avec les autres. Initié et déterminé, dès le plus jeune âge de l’enfant, par les réponses du donneur de soin (caregiver), le développement de ce lien évolue vers un style d’attachement qui se stabilise et se cristallise avec le temps à l’âge adulte (Zortea et al., 2019).

L’attachement adulte peut être conceptualisé de façon catégorielle, généralement en quatre styles, soit sécure, préoccupé, détaché et craintif-évitant (Bartholomew et Horowitz, 1991), ou de façon continue sur deux dimensions : 1) l’anxiété d’abandon et 2) l’évitement de l’intimité (Brennan et al., 1998). L’anxiété d’abandon se définit par une hypervigilance et un constant besoin de réassurance envers tous signes d’indisponibilité de la part des autres en raison d’une crainte du rejet et de l’abandon (Brennan et al., 1998). L’évitement de l’intimité se définit par un besoin d’autonomie et d’indépendance envers les autres, découlant d’un inconfort avec l’intimité, la dépendance, et la vulnérabilité ainsi que d’une minimisation du besoin d’être en lien avec les autres (Brennan et al., 1998). En vertu de cette conceptualisation, une anxiété d’abandon et un évitement de l’intimité faibles traduiraient un attachement sécure (Mikulincer et al., 2013).

Conscience de soi

La conscience de soi réfère à la capacité d’un individu à devenir l’objet de sa propre attention (Duval et Wicklund, 1972). Trapnell et Campbell (1999) conçoivent la conscience de soi comme une activité mentale complexe, constituée de deux formes d’introspection indépendantes, soit l’introspection anxieuse (self-rumination) et l’introspection intellectuelle (self-reflection). L’introspection anxieuse réfère à l’incapacité de ne pas porter attention à soi (Morin, 2002). Positivement associée au névrosisme du modèle à cinq facteurs (Costa et McCrae, 1992), cette incapacité est motivée par la perception de menaces, d'injustices envers soi et par la peur (Trapnell et Campbell, 1999). L’introspection intellectuelle réfère quant à elle au plaisir de s’analyser (Morin, 2002). Elle est motivée par la curiosité ou l’intérêt épistémique envers soi-même et elle est positivement associée à un domaine différent du modèle à cinq facteurs, soit l’ouverture à l’expérience (Trapnell et Campbell, 1999).

Intelligence émotionnelle

Le domaine de la recherche sur l’intelligence émotionnelle est fractionné en deux perspectives (Mikolajczak, 2009). D’une part, elle est conçue en tant qu’intelligence qui opère sur des informations de nature affective (Mayer et al., 2004). D’autre part, elle est conceptualisée comme une constellation de dispositions reliées aux émotions formant un trait (Mikolajczak, 2009). Aucune recherche n’a prouvé la supériorité de l’une de ces conceptions, elles demeurent donc toutes deux utiles à la compréhension du concept de l’intelligence émotionnelle (Mikolajczak, 2009).

Mayer et Salovey (1997) définissent plus formellement l’intelligence émotionnelle en termes d’habiletés référant à la capacité de raisonner sur les émotions et les utiliser pour améliorer la pensée rationnelle. Ils la divisent en quatre branches : 1) l’habileté à percevoir ses émotions et celles des autres, à partir d’informations verbales et non verbales; 2) l’habileté à utiliser les émotions pour faciliter la pensée; 3) l’habileté à comprendre les émotions et leur signification; 4) l’habileté à réguler ses propres émotions et celles des autres (Mayer et Salovey, 1997; Salovey et al., 2008). La présente étude utilise le modèle de Mikolajczak et ses collègues (2014), qui reprend les quatre branches proposées par Mayer et Salovey (1997). Il scinde toutefois la branche 1 du modèle de Mayer et Salovey en termes d’identification et d’expression des émotions, puisque les recherches sur l’alexithymie ont démontré que ces dimensions sont distinctes (Parker et al., 1993). Le modèle distingue par ailleurs les aspects intra et interpersonnels de chaque branche et définit l’intelligence émotionnelle en tant que trait (Brasseur et al., 2013).

Empathie

Rogers (1957) définit l’empathie en tant que capacité du thérapeute à vouloir comprendre l’expérience du client, incluant ses pensées, ses sentiments ainsi que ses difficultés, et de lui partager cette compréhension. L’empathie peut d’une part être conçue comme un état ponctuel, c’est-à-dire spécifique au moment et à la personne avec qui le thérapeute est en interaction. Selon la conceptualisation de Barrett-Lennard (1981), l’empathie spécifique se définit comme un processus par lequel le thérapeute comprend et explique tous les aspects de l’expérience immédiate du client afin de lui donner un sens dans son contexte actuel (Barrett-Lennard, 1962). Une méta-analyse révisée (Elliott et al., 2018), réalisée à l’aide de 82 études regroupant 6 136 clients, démontre que l’empathie spécifique compte pour 9 % de la variance des gains thérapeutiques. Toutefois, cette contribution positive au processus thérapeutique dépend, entre autres, de la dyade thérapeute-client, car le niveau d’empathie d’un même thérapeute peut varier en fonction du type de clientèle rencontrée (Gladstein, 1987; Henry et al., 1986; Moyers et Miller, 2013). Ainsi, compte tenu que l’empathie spécifique du thérapeute peut varier selon le client, et que cette empathie contribue au processus de détection des ruptures, le degré auquel les ruptures sont détectées par le thérapeute pourrait différer d’un client à l’autre.

L’empathie peut d’autre part être conçue en tant que disposition habituelle d’un thérapeute. L’empathie générale fait ainsi référence à un trait de personnalité stable chez une personne, indépendamment du contexte particulier dans lequel elle se trouve (Bonuso, 2014). Selon la conceptualisation bidimensionnelle de l’empathie générale, l’empathie cognitive ou intellectuelle réfère à la représentation intellectuelle de l’état mental d’une autre personne, alors que l’empathie affective ou émotionnelle correspond à la réponse émotionnelle appropriée vis-à-vis de l’expérience émotionnelle vécue chez autrui (Davis, 1980; Duan et Hill, 1996).

Expérience clinique

Lecomte et ses collègues (2004) avancent qu’une majorité de thérapeutes éprouve de la difficulté à tolérer les situations de tensions interpersonnelles ainsi qu’à gérer les ruptures au sein de l’alliance, et ce, indépendamment de leur niveau d’expérience clinique. Toutefois, l’étude réalisée récemment par Talbot et ses collègues (2019) soutient la présence d’un lien entre l’expérience clinique et la capacité de détection des ruptures. L’étude comportait 108 participants répartis en trois groupes selon le niveau d’expérience clinique : un premier constitué uniquement d’étudiants non gradués n’ayant aucune expérience clinique, un second principalement composé d'étudiants en formation ayant 22 mois et moins d'expérience, et un troisième majoritairement composé de professionnels en santé mentale bénéficiant de plus de 22 mois d'expérience clinique. La capacité de détection des ruptures d’alliance a été abordée sous deux angles : 1) le nombre total de ruptures signalées et 2) la justesse de ces signalements. La justesse des ruptures signalées était évaluée par (a) un score de détection juste, soit la justesse de la détection du moment marquant le début d’une rupture, et (b) par un score d’erreurs de détection, soit le nombre de ruptures signalées à des moments où il n’y en avait pas. Les résultats de cette étude suggèrent que les personnes ayant de l’expérience clinique (étudiants gradués et professionnels), détectent avec justesse un plus grand nombre de ruptures que les non expérimentés, mais commettent également un plus grand nombre d’erreurs de détection que ceux n’ayant aucune expérience clinique. L'hypothèse explicative avancée par les auteurs est qu'au fur et à mesure qu'ils gagnent en expérience, les thérapeutes apprennent que le coût d’une rupture non détectée surpasse celui d'une rupture présumée, alors qu'il n'y en a pas, car une rupture non détectée peut éventuellement briser l’alliance thérapeutique et mener à la terminaison prématurée de la thérapie (Muran et Safran, 2016). L’étude de Talbot et ses collègues (2019) n’a toutefois pas exploré l’influence de l’expérience clinique sur la justesse de détection en prenant en compte le type de ruptures (retrait ou confrontation). Malgré tout, ces résultats justifient l’importance d’explorer l’effet de l’expérience clinique sur la détection des ruptures d’alliance (Chen et al., 2016).

Objectif et hypothèses

L’objectif de la présente étude est de vérifier si les dispositions personnelles des thérapeutes formulées en termes d'attachement, de conscience de soi, d’intelligence émotionnelle et d’empathie générale, ainsi qu’une caractéristique situationnelle, soit l’empathie éprouvée dans un contexte spécifique, sont liées à leur habileté à détecter les ruptures de confrontation et de retrait, en tenant compte de leur degré d’expérience clinique. S’appuyant sur les paramètres fréquemment utilisés pour définir la performance d’instruments diagnostiques dans le domaine biomédical (Tabachnick et Fidell, 2007; Zweig et Campbell, 1993) et conformément à la procédure utilisée par Talbot et ses collègues (2019), l’habileté à détecter les ruptures est abordée sous deux angles, soient la sensibilité et la spécificité. La sensibilité réfère (a) au nombre de ruptures correctement rapporté (vrai positif), soient les ruptures véritables identifiées avec succès par le participant, ainsi (b) qu’au nombre de ruptures véritables non rapporté (faux négatif), soient les ruptures réelles qui n'ont pas été détectées par le participant. La spécificité, quant à elle, réfère au nombre de ruptures incorrectement rapporté (faux positif), soient les ruptures présumées par le participant alors qu’il n’y en a pas. Deux aspects de la sensibilité sont évalués, soient la justesse quant au minutage marquant le début des ruptures et la justesse quant à l’identification du type de rupture détectée.

La première hypothèse stipule que les deux insécurités d’attachement, anxieux et évitant, de même que la dimension introspection anxieuse de la conscience de soi, sont négativement associées à l’habileté de détection des ruptures de retrait (nombre de vrai positif détecté plus faible et nombre de faux positif et faux négatif rapporté plus élevé) une fois l’expérience clinique contrôlée. La dimension introspection intellectuelle de la conscience de soi, les dimensions intra et interpersonnelles de l’intelligence émotionnelle, et les dimensions cognitive et affective de l’empathie générale sont positivement associées à l’habileté de détection des ruptures de retrait (nombre de vrai positif détecté plus élevé et nombre de faux positif et faux négatif rapporté plus faible), en contrôlant pour l’expérience clinique. La deuxième hypothèse stipule les mêmes relations que la première, mais en ce qui concerne les ruptures de confrontation.

La troisième hypothèse stipule que l’empathie spécifique est positivement associée à l’habileté de détection des ruptures de retrait (nombre de vrai positif détecté plus élevé et nombre de faux positif et faux négatif rapporté plus faible), alors que la quatrième hypothèse stipule la même relation entre cette variable et l’habileté de détection des ruptures de confrontation, en contrôlant pour l’expérience clinique pour ces deux hypothèses.

MÉTHODE

Participants

À la suite de l’approbation du projet par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université de Sherbrooke, 59 des participants recrutés ont complété la totalité de la procédure expérimentale. L’échantillon était, d’une part, composé d’étudiants québécois de tous cycles d’études confondus en psychologie, psychoéducation, travail social et orientation professionnelle. À cet échantillon se sont ajoutés des psychologues cliniciens ainsi que d’autres professionnels travaillant dans le domaine de l’intervention psychologique et psychosociale (voir Tableau 1). Les 59 participants ont été subdivisés de manière à créer deux groupes approximativement égaux afin de tenir compte de leur niveau d’expérience clinique : 1) aucune expérience (non expérimentés), regroupant les participants n’ayant pas cumulé de mois d’expérience clinique, et 2) avec expérience (expérimentés), réunissant les participants ayant au moins un mois d’expérience clinique (M = 137,86; ÉT = 133,07). La proportion d’hommes et de femmes ne diffère pas entre les groupes (non expérimentés : 22 femmes et huit hommes; expérimentés : 25 femmes et trois hommes; Phi = 0,24, p = 0,19), mais le groupe inexpérimenté (M = 23,29, ÉT = 4,29) est en moyenne plus jeune que le groupe expérimenté (M = 39, ÉT = 15,38; t(57) = 5,46, p < 0,001). Le recrutement s’est fait par l’intermédiaire de publications sur Facebook, ainsi que par l’envoi de courriers électroniques aux psychologues ou psychothérapeutes inscrits sur le site de l’Ordre des psychologues du Québec.

Déroulement

Un lien internet menant à la plateforme numérique LimeSurvey a été fourni aux participants via les divers messages d'invitation. Avant de commencer la tâche expérimentale, les participants devaient lire les consignes, prendre connaissance des implications ainsi que des aspects éthiques sous-jacents au projet (p. ex., avantages et inconvénients possibles, politique de confidentialité et d’anonymat) afin de donner leur consentement libre et éclairé en cochant la case à cet effet. Ensuite, les participants devaient remplir un ensemble de questionnaires autorapportés, évaluant les dispositions personnelles (décrits ci-dessous), pour une durée d’environ 30 minutes. Puis, un bloc informatif préparatoire leur était présenté afin de définir le concept de rupture d’alliance, d’aborder les indices favorisant sa détection ainsi que les éléments permettant de différencier une rupture de confrontation d’une rupture de retrait. Le bloc informatif a été créé par les co-chercheurs de cette étude en s’inspirant largement du manuel Rupture Resolution Rating System (3RS; Eubanks et al., 2015b) portant sur le concept de rupture d’alliance et sur les indices de détection et de réparation relatifs aux deux types de ruptures. Les instructions liées au bloc informatif ont permis de réduire les biais liés à l’expérience clinique, et ainsi d’assurer une connaissance minimale du concept de rupture d’alliance pour tous les participants.

Tableau 1

Statistiques descriptives de l’échantillon

Statistiques descriptives de l’échantillon

Note. Sexe : 1 = Femme; 2 = Homme; 3 = Autre.

Diplôme : 1 = DEC; 2 = 1er cycle universitaire; 3 = 2e ou 3e cycle universitaire.

Domaine d’étude : 1 = Psychologie; 2 = Travail social; 3 = Psychoéducation; 4 = Orientation professionnelle; 5 = Autre.

Exercice de psychothérapie : 1 = Oui; 2 = Non.

Exercice d’intervention psychosociale : 1 = Oui; 2 = Non.

Titre professionnel : 1 = Psychologue; 2 = Doctorant en psychologie clinique; 3 = Travailleur(euse) social(e); 4 = Conseiller(ère) d’orientation; 5 = Autre.

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Tâche expérimentale

La tâche expérimentale consistait à visionner trois vignettes vidéo mettant en scène un psychologue avec trois clients différents. Les participants étaient invités à mettre en mode pause la vidéo lorsqu’ils détectaient la présence d’une rupture d’alliance. Ils devaient ensuite inscrire le minutage exact du début de cette rupture ainsi que son type (retrait ou confrontation). Les participants devaient répéter ce processus à chaque fois qu’une rupture était détectée. À la fin de chaque vignette, les participants devaient remplir un questionnaire sur le degré d’empathie ressenti envers le client.

Instruments de mesure

Caractéristiques sociodémographiques et expérience

Questionnaire sociodémographique. Ce questionnaire a permis de recueillir certaines variables à titre purement descriptif, soient l’âge, le sexe, le champ d’étude ou d’occupation. Il incluait également le nombre de mois d’expérience clinique.

Stimuli

Vignettes vidéo. Trois vignettes vidéo d’environ 10 minutes ont été présentées aux participants. Chaque vignette présente le même thérapeute qui interagit avec un client différent (client 1; client 2; client 3). Les trois vignettes ont été tirées de la série télévisée En thérapie et extraites de trois épisodes différents de la série, sur la base du réalisme des séances de thérapie, du nombre de ruptures présentes pour chaque type (retrait et confrontation), et de la variété des manifestions comportementales des trois clients. Le contenu de chaque vignette a d’abord été analysé individuellement par les trois co-chercheurs afin de déterminer le minutage précis du début des ruptures et leur type, en se basant sur l’analyse du comportement manifesté par le client selon les critères du 3RS. Puis, un corrigé a été créé incluant les types de ruptures ainsi que des intervalles de temps de plus ou moins 5 secondes, autour du moment marquant le début d'une rupture, afin d’évaluer la justesse de la détection des participants. Le corrigé répertoriait 38 ruptures au total, soient 20 ruptures de retrait et 18 ruptures de confrontation. Le pourcentage d’accord pour les ruptures identifiées par au moins deux des trois juges était de 79 %. Les désaccords ont été délibérés afin d'atteindre un consensus entre les trois co-chercheurs.

Dispositions personnelles

Attachement. Afin de mesurer les deux dimensions d’insécurité d’attachement, la traduction francophone de la version courte de 12 items de l’Expérience in Close Relationships (ECR; Wei et al., 2007), élaborée par Lafontaine et Lussier (2003) a été utilisée. Les dimensions de l’anxiété d'abandon et de l’évitement de l’intimité contiennent chacune six items évalués sur une échelle de Likert en sept points (1 = totalement en désaccord à 7 = totalement en accord). Le questionnaire possède une bonne cohérence interne autant pour la dimension de l’anxiété d’abandon (α = 0,77 à 0,86) que pour celle de l’évitement de l’intimité (α = 0,78 à 0,88). Plusieurs recherches confirment à l’aide d’analyses factorielles, la validité de construit de la version courte du ECR pour les deux dimensions de l’insécurité d’attachement (Wei et al., 2007).

Conscience de soi. Les deux dimensions de la conscience de soi, introspection anxieuse et introspection intellectuelle, ont été mesurées avec le Rumination-Reflection Questionnaire (RRQ; Trapnell et Campbell, 1999) qui contient 24 items évalués sur une échelle de Likert en cinq points (1 = fortement en désaccord à 5 = fortement en accord). Une forte association positive entre l’échelle d’introspection anxieuse et le névrotisme est observée (r = 0,57 à 0,64), ainsi qu’entre l’échelle d’introspection intellectuelle et l’ouverture à l’expérience (r = 0,61 à 0,68), appuyant ainsi sa validité de critère. La cohérence interne est très bonne autant pour la dimension de l’introspection intellectuelle (α = 0,91) que pour la dimension introspection anxieuse (α = 0,90; Trapnell et Campbell, 1999). Les items ont été traduits par les chercheurs de l’étude en suivant les lignes directrices émises par l’International Test Commission (2017), ainsi qu’en suivant les étapes d’adaptation « vers l’avant » et d’adaptation inversée décrites par Hambleton et Lee (2013).

Intelligence émotionnelle. Afin de mesurer l’intelligence émotionnelle, la version française du questionnaire The Profile of Emotional Competence (PEC;  Brasseur et al., 2013) a été utilisée. Le PEC évalue deux séries de compétences émotionnelles (identification, compréhension, expression, régulation, utilisation), l’une relative à la gestion de ses propres émotions et l’autre relative à la gestion des émotions d’autrui (dimensions intrapersonnelle et interpersonnelle). Le terme compétence émotionnelle est utilisé comme synonyme d’intelligence émotionnelle (Brasseur, et al. 2013). L’outil contient 50 items évalués sur une échelle de Likert en cinq points (1 = ne corresponds pas du tout à 5 = corresponds tout à fait). Les analyses de fidélité faites sur six échantillons indiquent une très bonne cohérence interne des deux dimensions intrapersonnelle et interpersonnelle (α > 0,84). Le PEC présente aussi une bonne validité convergente avec The Trait Emotional Intelligence Questionnaire Short Form (TEIQue-SF; r = 0,77), une autre mesure d’intelligence émotionnelle fréquemment utilisée (Brasseur et al., 2013). Dans le cadre de la présente étude, les dimensions intrapersonnelles et interpersonnelles sont retenues en tant que variables indépendantes.

Empathie spécifique. Afin d’évaluer l’empathie spécifique, la traduction francophone de l’échelle « compréhension empathique » du Barrett-Lennard Relationship Inventory (BLRI; Barrett-Lennard, 1962) élaborée par Lussier (2015) a été utilisée. Cette échelle contient 16 items évalués sur une échelle de Likert en six points (1 = tout à fait faux à 6 = tout à fait vrai), additionnés pour obtenir un score total. Dans la présente étude, les items ont été modifiés, conformément aux instructions de Barett-Lennard, afin que l’échelle permette aux thérapeutes d’autoévaluer leur propre empathie éprouvée envers les trois clients (forme thérapeute). Cette échelle du BLRI possède de bonnes propriétés psychométriques, la cohérence interne est de 0,81 (Barrett-Lennard, 1962; Layton et Wykle, 1990). De plus, plusieurs études ont démontré une association entre le BLRl et les résultats du processus thérapeutique, ce qui appuie sa validité de construit prédictive (Barrett-Lennard, 1998, 2003).

Empathie générale. Afin de mesurer l’empathie générale, la version courte de l’inventaire à 30 items de l’Empathic Expérience Scale (EES; Innamorati et al., 2019) a été utilisée. L’outil, dont les items sont évalués sur une échelle Likert en cinq points (1 = totalement en désaccord à 5 = totalement en accord), se divise en deux sous-dimensions, soient la compréhension intuitive (dimension cognitive) et l’expérience vicariante (dimension affective). La cohérence interne de cette version courte du EES s’avère excellente (α = 0,89 pour l’expérience vicariante; α = 0,91 pour la compréhension intuitive). Le EES possède aussi une bonne validité convergente (r > 0,60) avec le Balanced Emotionnal Empathy Scale (BEES; Innamorati et al., 2019). Les items de ce questionnaire ont été traduits par les chercheurs selon les mêmes critères et principes que pour le RRQ. Les sous-dimensions, expérience vicariante et compréhension intuitive, sont retenues dans la présente étude en tant que variables indépendantes.

RÉSULTATS

Analyses préliminaires

Les ruptures rapportées par les participants ont été comparées au corrigé établi par les co-chercheurs selon leur type et leur minutage. Les réponses des participants ont ensuite été dénombrées en termes de vrai positif, de faux négatif et de faux positif pour les ruptures de retrait ainsi que pour les ruptures de confrontation.

Des analyses exploratoires sur toutes les variables ont été réalisées. Compte tenu du nombre élevé de variables reflétant les dispositions personnelles, de leurs fortes intercorrélations – les plus fortes vont jusqu’à 0,71 – et de la taille relativement restreinte de l’échantillon, une analyse en composantes principales avec rotation Varimax a été effectuée sur les huit variables évaluant les dispositions personnelles des participants (voir Tableau 2). Tous les postulats ayant été respectés, la solution finale révèle que deux seules composantes suffisent à extraire 55,96 % de la variance totale : la conscience émotionnelle (29,78 %) et la réactivité émotionnelle (26,16 %). La conscience émotionnelle inclut les variables faisant plutôt référence à l’utilisation consciente de l’état émotionnel de soi et d’autrui (introspection intellectuelle, intelligences émotionnelles intra et interpersonnelles, compréhension intuitive et le négatif de l'évitement de l'intimité), tandis que la réactivité émotionnelle inclut celles référant davantage à une sensibilité de nature plus instinctive portée à soi et à autrui (anxiété d'abandon, introspection anxieuse, expérience vicariante et le négatif de l'intelligence émotionnelle intrapersonnelle). Afin d’exploiter au mieux les données compte tenu du nombre de degrés de liberté limité par la taille de l’échantillon, les analyses subséquentes ont été réalisées à partir des scores factoriels standardisés générés par l’analyse en composantes principales sur ces deux facteurs.

Tableau 2

Coefficients de saturation, communalités et variance expliquée de l’analyse en composantes principales avec rotation Varimax des variables de dispositions personnelles

Coefficients de saturation, communalités et variance expliquée de l’analyse en composantes principales avec rotation Varimax des variables de dispositions personnelles

Note. N = 59. Seules les pondérations supérieures à 0,30 sont présentées pour chaque facteur.

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Afin de vérifier la présence de différences entre les participants expérimentés et les non expérimentés quant à leur capacité de détection, des analyses de test t pour groupes indépendants ont été effectuées. L’analyse révèle que les expérimentés rapportent significativement [t(57) = 2,27, p = 0,03] plus de faux positif de confrontation (M = 5,14; ÉT = 3,58) que les inexpérimentés (M = 3,32; ÉT = 2,55), c’est-à-dire qu’ils détectent davantage de ruptures de confrontation là où il n’y en a pas véritablement. L’analyse révèle également que les expérimentés rapportent marginalement [t(57) = 1,90, p = 0,06] un plus grand nombre de faux positifs de type retrait (M = 4,79; ÉT = 3,79) que les non expérimentés (M = 3,29; ÉT = 2,15). Compte tenu de ces différences et conformément aux hypothèses, l’expérience clinique a été prise en compte dans les analyses subséquentes.

L’effet des dispositions personnelles sur la capacité de détection

Pour tester les deux premières hypothèses à l’effet que les caractéristiques dispositionnelles sont associées aux indices de performance de détection en contrôlant pour l’expérience, des analyses de régressions multiples hiérarchiques ont été réalisées séparément pour les ruptures de retrait (voir Tableau 3) et pour les ruptures de confrontation (voir Tableau 4). La taille de l’échantillon (N = 59) dépasse le nombre de participants minimal souhaité selon le calcul de Harris (1985) et suggéré par Howell (2006) qui tient compte du nombre de prédicteurs (cinq) additionné de 50. Les postulats concernant l’absence de multicolinéarité et de données extrêmes (distance de Cook), ainsi que l’homoscédasticité, la linéarité et la normalité des résidus ont été rencontrés. Compte tenu des différences de performance observées entre les groupes expérimentés et non expérimentés et conformément aux analyses rapportées par Talbot et ses collègues (2019), l’interaction des variables dispositionnelles et de l’expérience est incluse dans les modèles de régression. Lorsque l’interaction est significative, elle est suivie du calcul des effets simples des variables dispositionnelles pour chaque groupe d’expérience.

Tableau 3

Régressions hiérarchiques des variables dépendantes relatives à la détection des ruptures de retrait sur les variables indépendantes représentant les dispositions personnelles

Régressions hiérarchiques des variables dépendantes relatives à la détection des ruptures de retrait sur les variables indépendantes représentant les dispositions personnelles

Note. Les non expérimentés ont été côtés 0 et les expérimentés 1.

CÉ = Conscience émotionnelle. RÉ = Réactivité émotionnelle.

* p < 0,05, ** p < 0,01, 0,05 < p < 00,10.

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Tableau 4

Régressions hiérarchiques des variables dépendantes relatives à la détection des ruptures de confrontation sur les variables indépendantes représentant les dispositions personnelles

Régressions hiérarchiques des variables dépendantes relatives à la détection des ruptures de confrontation sur les variables indépendantes représentant les dispositions personnelles

Note. Les non expérimentés ont été côtés 0 et les expérimentés 1.

CÉ = Conscience émotionnelle. RÉ = Réactivité émotionnelle.

* p < 0,05, ** p < 0,01, .05 < p < 0,10.

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Effets sur les ruptures de retrait

Vrai positif. La première régression explique 12 % de la variance du nombre de ruptures de retrait correctement rapporté, et met en lumière un effet d’interaction du degré d’expérience clinique et de la réactivité émotionnelle (voir Tableau 3). Bien que les coefficients standardisés ne diffèrent pas significativement de zéro, l’analyse des effets simples (voir Tableau 5) indique que l’effet de la réactivité émotionnelle est significativement différent d’un groupe à l’autre. Effectivement, l’effet de la réactivité émotionnelle s’avère négatif chez les inexpérimentés, comparativement à l’effet positif observé chez les expérimentés. En d’autres termes, les inexpérimentés rapportent moins de ruptures de retrait véritables comparativement aux expérimentés lorsqu’ils présentent une réactivité émotionnelle plus forte. Inversement, les expérimentés rapportent davantage de ruptures de retrait véritables, comparativement aux inexpérimentés lorsqu’ils présentent une réactivité émotionnelle plus forte.

Faux négatif. La deuxième régression, expliquant 17 % de la variance du nombre de ruptures de retrait véritables non rapporté, a révélé un effet d’interaction du degré d’expérience clinique et de la réactivité émotionnelle (voir Tableau 3). L’examen des effets simples (voir Tableau 5) montre que la réactivité émotionnelle est négativement liée aux faux négatifs chez les expérimentés, alors qu’elle tend à exercer un effet positif chez les inexpérimentés. En d’autres termes, plus les expérimentés présentent une forte réactivité émotionnelle, moins ils omettent de ruptures de retrait véritables. Inversement, plus la réactivité émotionnelle est forte chez les inexpérimentés, plus ils omettent de rapporter ce type de ruptures.

Faux positif. La troisième régression explique 8 % de la variance du nombre de ruptures de retrait incorrectement rapporté (voir Tableau 3). Seule l’expérience montre un effet marginal sur le nombre de faux positifs de retrait. Ainsi, les expérimentés tendent à rapporter davantage de fausses ruptures de retrait que les inexpérimentés, c’est-à-dire qu’ils détectent davantage de ruptures de retrait là où il n’y en a pas.

Effet sur les ruptures de confrontation

Vrai positif. La quatrième régression explique 23 % de la variance du nombre de ruptures de confrontation correctement rapporté et met en lumière une relation positive significative entre la conscience émotionnelle et le nombre de ruptures de confrontation correctement signalé pour les deux groupes d’expérience (voir Tableau 4). Un effet d’interaction marginal entre le degré d’expérience clinique et la réactivité émotionnelle ressort également des résultats. L’examen des effets simples (voir Tableau 5) suggère que, de façon marginale, plus la réactivité émotionnelle est forte chez les inexpérimentés, moins ils rapportent de ruptures de confrontation véritables, comparativement aux expérimentés. À l’inverse, plus la réactivité émotionnelle chez les expérimentés est forte, plus ils en rapportent comparativement aux inexpérimentés.

Faux négatif. La cinquième régression, expliquant 35 % de la variance du nombre de ruptures de confrontation véritables non rapporté, a d’une part révélé un effet principal négatif de la conscience émotionnelle ainsi qu’un effet marginal de l’interaction de cette variable avec le groupe d’expérience (voir Tableau 4). Un examen des effets simples (voir Tableau 5) suggère que, bien que l’effet soit négatif pour les deux groupes, il n’est significativement différent de zéro que pour le groupe expérimenté. Ainsi, plus la conscience émotionnelle est élevée, moins les participants omettent de détecter des ruptures de confrontation véritables, particulièrement chez le groupe d’expérimentés. D'autre part, la régression fait ressortir un effet d’interaction entre le degré d’expérience clinique et la réactivité émotionnelle (voir Tableau 4). L’examen des effets simples (voir Tableau 5) révèle que chez les inexpérimentés, plus leur réactivité émotionnelle est élevée, plus ils omettent de rapporter de ruptures de confrontation véritables. Le groupe des expérimentés, en comparaison, fait moins d'erreurs par omission de ruptures de confrontation véritables que les inexpérimentés.

Faux positif. La sixième régression explique 12 % de la variance du nombre de ruptures de confrontation incorrectement rapporté (voir Tableau 4). Seule l’expérience montre un effet significatif sur le nombre de faux positifs de confrontation, les expérimentés rapportant davantage de fausses ruptures de confrontation que les inexpérimentés, c’est-à-dire qu’ils détectent davantage de ruptures de confrontation là où il n’y en a pas.

Tableau 5

Effets simples des variables dispositionnelles à l’étude sur les variables de capacité de détection des ruptures selon le groupe d’expérience

Effets simples des variables dispositionnelles à l’étude sur les variables de capacité de détection des ruptures selon le groupe d’expérience

Note. VP = Vrai positif. FN = Faux négatif.

* p < 0,05, ** p < 0,001.

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L’effet de l’empathie spécifique sur la capacité de détection des ruptures

Afin de vérifier l’effet de l’empathie spécifique sur la détection des ruptures de retrait et de confrontation dépendamment de la vignette vidéo présentée, des analyses de corrélations partielles où l'effet de l'expérience a été contrôlé ont été réalisées (voir Tableau 6).

Effet sur les ruptures de retrait

L’analyse de corrélation partielle révèle une relation marginale négative entre l’empathie spécifique éprouvée envers le client de la première vignette vidéo (client 1) et les ruptures de retrait véritables non rapportées (faux négatif) une fois l’expérience contrôlée. En d’autres termes, plus les participants ressentent une forte empathie vis-à-vis du client 1, moins ils omettent de rapporter des ruptures véritables de type retrait.

Effet sur les ruptures de confrontation

L’analyse met en lumière une relation positive significative entre l’empathie spécifique éprouvée envers le client présenté dans la première vignette vidéo (client 1), et la détection des ruptures de confrontation correctement identifiées (vrai positif), ainsi qu’une relation négative significative avec les ruptures de confrontation véritables non rapportées (faux négatif), une fois l’expérience contrôlée. En d’autres termes, plus les participants ressentent une forte empathie vis-à-vis du client 1, plus ils détectent un grand nombre de ruptures de confrontation véritables et moins ils omettent de rapporter de véritables ruptures de confrontation.

Tableau 6

Corrélations partielles entre l’empathie spécifique et les indices de détection des ruptures des différents clients

Corrélations partielles entre l’empathie spécifique et les indices de détection des ruptures des différents clients

Note. VP = Vrai positif. FN = Faux négatif. FP = Faux positif.

* p < 0,05, 0,05 < p < 0,10.

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DISCUSSION

La présente étude a comme objectif de documenter les liens existants entre certaines variables dispositionnelles, ainsi qu’une variable situationnelle, et la capacité de détection de deux types de ruptures d’alliance. À la suite de l’analyse en composantes principales, les variables dispositionnelles ont été regroupées en deux facteurs : 1) la réactivité émotionnelle, incluant les insécurités d’attachement anxieux et évitant, l’introspection anxieuse et la dimension expérience vicariante de l’empathie générale, et 2) la conscience émotionnelle, incluant l’introspection intellectuelle, les deux composantes intra et interpersonnelles de l’intelligence émotionnelle et la dimension compréhension intuitive de l’empathie générale. Afin de faciliter la compréhension de la discussion, les hypothèses initiales portant sur les variables sont conservées, mais celles-ci sont présentées en fonction de ces deux facteurs.

Hypothèse 1 : ruptures de retrait

En regard du facteur réactivité émotionnelle, la première hypothèse stipule que les insécurités d’attachement anxieux et évitant, de même que l’introspection anxieuse, sont négativement associées à l’habileté de détection des ruptures de retrait, tandis que la dimension expérience vicariante de l’empathie générale y est positivement associée, une fois l’expérience contrôlée. Les résultats montrent que le facteur réactivité émotionnelle tend à corréler positivement avec les indices de performance de détection des ruptures de retrait chez les expérimentés (augmentation de vrais positifs et diminution de faux négatifs). Or, ce facteur tend plutôt à être corrélé négativement avec ces indices de performance de détection chez les inexpérimentés (diminution de vrais positifs et augmentation de faux négatifs). Ainsi, compte tenu de la faible représentation de l’évitement de l’intimité au sein du facteur réactivité émotionnelle, de l’effet contraire observé chez les expérimentés pour l’attachement anxieux et l’introspection anxieuse, de l’effet contraire de l’expérience vicariante observé chez les inexpérimentés et du fait que le facteur réactivité émotionnelle n’est pas associé au nombre de faux positif, cette partie de l’hypothèse se voit partiellement corroborée.

La relation positive entre la réactivité émotionnelle et la performance de détection chez les expérimentés pourrait s’expliquer par un état d’hypervigilance qui croît au fur et à mesure qu'augmentent l’anxiété d’abandon et l’introspection anxieuse. La tendance à ruminer leurs pensées et émotions face à de réelles ou potentielles situations conflictuelles pourrait mener les thérapeutes expérimentés à être plus attentifs aux moindres signes pouvant dénoter la présence d’une rupture d’alliance pour ainsi éviter un potentiel abandon (Simpson et al., 1996). L’étude de Marmarosh et ses collègues (2015) donne un certain crédit à cette hypothèse en vertu de la relation positive observée entre l’anxiété d’abandon des thérapeutes et les efforts mobilisés pour détecter les ruptures qui ont pour conséquence l'augmentation du nombre de ruptures signalées véritables et non véritables.

L’effet négatif de la réactivité émotionnelle chez les inexpérimentés concorde avec les résultats de l’étude de Takano et ses collègues (2011), réalisée auprès de 150 étudiants non gradués, selon laquelle l’introspection anxieuse est négativement corrélée avec les compétences interpersonnelles perçues. À ce titre, les inexpérimentés se laisseraient davantage envahir par les émotions suscitées dans la relation avec le client, plutôt que de les utiliser comme sources d’informations relatives à ce qui prend place dans cette dynamique relationnelle. En effet, les individus avec moins d’expérience clinique entretiennent souvent des préoccupations négatives à propos d’eux-mêmes dans la relation avec le client et demeurent peu conscients de la façon dont les clients les affectent (Fauth et Williams, 2005). Au contraire, les thérapeutes plus expérimentés sont plus aptes à prendre conscience de leur propre expérience émotionnelle sans se laisser envahir par leurs préoccupations à propos d’eux-mêmes (Hayes et Vinca, 2017). Cette distinction dans les effets, selon les groupes d’expérience, pourrait également s’expliquer par le fait que les thérapeutes expérimentés acquièrent avec le temps une certaine confiance en leur sens intuitif (Geller et Greenberg, 2012). De plus, la dimension affective de l’empathie générale, soit l’expérience vicariante, permettrait aux thérapeutes d’être connectés au vécu subjectif de leur client et ainsi de ressentir les tensions relationnelles survenant dans un processus thérapeutique (Wai et Tiliopoulos, 2012), ce qui pourrait favoriser la détection des ruptures de retrait.

En regard du facteur conscience émotionnelle, la première hypothèse stipule que l’introspection intellectuelle, les dimensions intra et interpersonnelles de l’intelligence émotionnelle et la dimension compréhension intuitive de l’empathie générale, sont positivement associées à l’habileté de détection des ruptures de retrait une fois l’expérience contrôlée. Les résultats montrent que le facteur conscience émotionnelle n’apparait pas lié à la performance de détection des ruptures de retrait. À la lumière de ces résultats, cette partie de la première hypothèse n’est pas corroborée. Une explication possible serait que la conscience émotionnelle, faisant principalement référence à des processus de réflexion délibérés, soit moins directement impliquée dans le processus de détection des indices souvent subtils de ruptures de retrait, qui peuvent parfois prendre la forme de pseudoalliance, contrairement aux ruptures de confrontation, qui elles sont habituellement plus manifestes (Safran et Muran, 2000).

Hypothèse 2 : ruptures de confrontation

En regard du facteur réactivité émotionnelle, la deuxième hypothèse stipule que les insécurités d’attachement anxieux et évitant, de même que l’introspection anxieuse, sont négativement associées à l’habileté de détection des ruptures de confrontation, tandis que la dimension expérience vicariante de l’empathie générale y est positivement associée, une fois l’expérience contrôlée. Les résultats montrent que le facteur réactivité émotionnelle tend à corréler positivement avec les indices de performance de détection des ruptures de confrontation chez les expérimentés (augmentation vrais positifs et diminution faux négatifs), mais tend plutôt à être corrélé négativement avec ces indices chez les inexpérimentés (diminution vrais positifs et augmentation faux négatifs). Encore ici, compte tenu de la faible représentation de l’évitement de l’intimité au sein du facteur réactivité émotionnelle, de l’effet contraire observé chez les expérimentés pour l’attachement anxieux et l’introspection anxieuse, et du fait que le facteur réactivité émotionnelle n’est pas associé au nombre de faux positif, cette partie de la seconde hypothèse se voit partiellement corroborée. Considérant que les résultats concernant l’effet de la réactivité émotionnelle sur la performance de détection des ruptures de confrontation vont dans le même sens que pour la première partie de l’hypothèse des ruptures de retrait, les mêmes explications peuvent s’appliquer.

En regard du facteur conscience émotionnelle, la deuxième hypothèse stipule que l’introspection intellectuelle, les dimensions intra et interpersonnelles de l’intelligence émotionnelle et la dimension compréhension intuitive de l’empathie générale, sont positivement associées à l’habileté de détection des ruptures de retrait une fois l’expérience contrôlée. Les résultats montrent que le facteur conscience émotionnelle est positivement associé à la sensibilité de détection des ruptures de confrontation (seulement pour l’indice faux négatif), mais que cet effet n’est signifiant que chez les expérimentés. Étant donné que les liens ne tendent à être conformes que pour les expérimentés et que ce facteur n’a pas d’effet sur deux des trois indices (vrai positif et faux positif), cette partie de la seconde hypothèse se voit très partiellement corroborée. Ces résultats concordent avec la recherche de Takano et ses collègues (2011) qui stipule que l’introspection intellectuelle est positivement associée avec des compétences interpersonnelles. Pour ce qui est de l’intelligence émotionnelle, la recherche de Kaplowitz et ses collègues (2011) montre que les thérapeutes avec des scores d'intelligence émotionnelle plus élevés ont obtenu de meilleurs résultats thérapeutiques et des taux d'abandon du traitement inférieurs aux thérapeutes avec des scores plus faibles. Des associations entre l’intelligence émotionnelle chez des non-thérapeutes et une plus faible utilisation de stratégies interpersonnelles destructives (Brackett et al., 2006) ont également été observées. L’intelligence émotionnelle pourrait donc inclure des compétences interpersonnelles potentiellement favorables à la sensibilité de détection chez les thérapeutes. La compréhension intuitive, composante cognitive de l’empathie générale référant à la conscience cognitive de l’état mental et émotionnel d’autrui, est négativement liée au nombre d’erreurs par omission de ruptures de confrontation véritables. Cela concorde avec la littérature qui suggère que les thérapeutes qui sont inattentifs à l’expérience du client risquent de ne pas détecter une impasse pouvant mener à une éventuelle rupture d’alliance (Ackerman et Hilsenroth, 2001).

Bien que les facteurs de réactivité et conscience émotionnelle ne soient pas associés à l’indice de détection des faux positifs, autant pour les ruptures de retrait et de confrontation, un effet de l’expérience clinique sur cet indice est toutefois noté. En effet, les expérimentés tendent à rapporter davantage de ruptures de retrait et de confrontation non avérées (faux positifs) que les inexpérimentés. L’étude de Talbot et ses collègues (2019) fait également mention de résultats soulignant le fait que l’expérience acquise des cliniciens pourrait augmenter leur sensibilité de détection des ruptures, mais diminuer leur spécificité. En ce sens, il est possible de croire que l'exercice de la psychothérapie puisse mener à une redéfinition du rapport coût/bénéfice associé à la détection des ruptures. Avec l’expérience, les thérapeutes peuvent apprendre que le coût d’une rupture non détectée peut potentiellement surpasser le coût d’un faux positif, car une rupture non détectée peut briser le lien de confiance avec le client, augmentant le risque d’une terminaison prématurée du traitement de la thérapie et empêchant toute possibilité de résolution.

Hypothèses 3 et 4 : empathie spécifique

La troisième hypothèse, stipulant que l’empathie spécifique soit positivement associée à l’habileté de détection des ruptures de retrait, et la quatrième hypothèse, stipulant la même relation entre cette variable et l’habileté de détection des ruptures de confrontation, sont partiellement confirmées. En effet, seule l’empathie spécifique au client de la première vidéo semble avoir une association positive avec la sensibilité de détection des deux types de ruptures, mais avec un effet moindre pour les ruptures de retrait. Cela se traduit par un nombre plus faible de ruptures véritables non rapporté (faux négatif) de retrait et de confrontation, ainsi que par un nombre plus élevé de ruptures de confrontation correctement signalé (vrai positif). L’empathie que ressent un thérapeute envers son client lui permet de porter une attention particulière à l’expérience immédiate de ce dernier et de comprendre les changements qui surviennent dans leur relation (Barrett-Lennard, 1962), telle que les ruptures d’alliance. Ainsi, dans certaines circonstances, l’empathie spécifique semble bel et bien participer à la performance de détection des ruptures. Toutefois, l’empathie spécifique n’est influente que pour le client de la première vidéo. Cela pourrait s’expliquer par un certain effet de contamination. En ce sens, le fait que les trois vidéos aient été présentées une à la suite de l’autre a pu faire en sorte que l’empathie spécifique aux clients de la deuxième et de la troisième vidéo soit teintée par l’empathie éprouvée à l’endroit des clients précédents.

Limites, forces et recommandations

La présente recherche comporte certaines limites qui doivent être prises en considération. Tout d’abord, en regard de l’échantillon restreint (N = 59), la généralisation des résultats demeure limitée. Considérant cette étude relativement longue à compléter pour les participants (environ une heure), cela a pu affecter la motivation de plusieurs, ce qui a contribué au nombre restreint de l’échantillon. Le contexte de pandémie mondiale a aussi pu influencer à la baisse le taux de participation dû aux nombreuses répercussions de cette crise sur tous et chacun. Les nouvelles modalités de travail, une perte d’emploi, les enfants à la maison sont des exemples de répercussions qui auraient pu entrainer une indisponibilité à participer à l’étude. Par ailleurs, la taille restreinte de l’échantillon n’a pas permis de bien nuancer la variable du niveau d’expérience, puisqu’il n’a seulement été possible que de créer deux groupes, soit un groupe n’ayant aucune expérience et un groupe avec de l’expérience. Ce faisant, le groupe des expérimentés est beaucoup plus hétérogène que le groupe des inexpérimentés en termes d’âge et de niveau d’expérience. De futures recherches pourraient notamment créer un troisième groupe intermédiaire pour préciser davantage l’association entre le niveau d’expérience, les caractéristiques personnelles du thérapeute et la capacité de détection des différents types de ruptures d’alliance.

De plus, en raison du nombre élevé de variables reflétant les dispositions personnelles des thérapeutes, et pour maintenir une puissance suffisante, il a fallu regrouper ces dernières en deux facteurs. Cela étant dit, de futures recherches pourraient reproduire cette étude avec un plus grand échantillon afin de tirer un portrait plus précis de l’influence des dispositions personnelles initiales impliquées dans la détection des ruptures d’alliance.

L'étude actuelle visait précisément des étudiants et professionnels en relation d’aide, ceux-ci pouvaient donc déjà être au courant des variables évaluées dans les questionnaires autorapportés et par le fait même augmenter le biais lié à la désirabilité sociale. De plus, les participants étaient recrutés sur une base volontaire, ce qui pouvait déjà démontrer de leur part un certain intérêt ou certaines compétences acquises envers les thèmes de la présente recherche et ainsi influencer les caractéristiques de l’échantillon.

Les vignettes vidéo présentées aux participants sont tirées d’une série télévisée grand public. Une autre limite résulte du fait qu’il n’a pas été vérifié si les participants avaient déjà visionné la série avant l’étude. La connaissance du contenu des vignettes, des personnages ou même des segments de l’émission non présentés dans les vignettes aurait pu influencer les réponses des participants. Pour pallier cette limite, de futures recherches pourraient reproduire cette étude en milieu naturel, où de réelles séances de thérapie sont enregistrées et par la suite analysées par des juges experts du concept de ruptures d’alliance. Le recours à de tels juges combiné à l'utilisation de la grille du 3RS permettrait d'assurer la fidélité et la validité du « corrigé » afin de mieux soutenir la généralisation des résultats.

Une limite à la généralisation des résultats de cette étude est la position d’observateur des participants lors de la tâche de détection des ruptures, qui est différente de la position du thérapeute qui doit composer avec les ruptures émergeant en session de thérapie. Il est cependant difficile de déterminer de quelle manière cette différence de positions affecte l’habileté de détection. D’un côté, la position d’observateur a pu favoriser la détection des ruptures, dans la mesure où les participants ont eu une formation sur cette détection juste avant la tâche, en plus d’être aux aguets lors de l’écoute des vidéos quant aux ruptures. De l’autre, cette position pourrait également entrainer un moindre degré d’investissement dans la relation, qui ne donne pas autant accès à l’information émotionnelle disponible au thérapeute qui est hautement impliqué dans la formation d’une rupture d’alliance. En effet, les ruptures découlent d’une déconnexion émotionnelle entre le client et le thérapeute qui amène un tournant négatif dans la qualité de l’alliance thérapeutique (Aspland et al., 2008).

À la connaissance des chercheurs, la présente étude est l’une des premières à explorer le lien entre certaines dispositions personnelles des thérapeutes et la capacité de détection des divers types de ruptures d’alliance. Elle met en lumière l’importance d’améliorer la formation universitaire sur les ruptures d’alliance des futurs thérapeutes, en plus de consolider la formation continue offerte aux professionnels. La formation pourrait guider les thérapeutes dans l’exploration de l’impact et de l’influence de leurs caractéristiques personnelles sur leurs relations thérapeutiques. Porter un nouveau regard sur le concept de l’alliance thérapeutique ainsi que sur le rôle de la personnalité du thérapeute dans celle-ci apparait comme une question importante afin de maximiser l’efficacité thérapeutique. Les thérapeutes pourraient en retirer une meilleure compréhension de la responsabilité qu’ils ont dans la dynamique relationnelle avec leur client. En outre, le client bénéficierait de l’expérience relationnelle du thérapeute en plus des interventions de ce dernier.