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INTRODUCTION

Le terme « clientèle difficile » est largement utilisé par les professionnels de différentes disciplines de la santé et des services sociaux. Des chercheurs ont tenté, par le biais de diverses publications, de définir ce concept depuis le début des années 50 (Ndengeyingoma et al., 2018), mais il demeure peu étudié de façon empirique et sa définition ne fait pas consensus (Manning et Gagnon, 2017). Or, l’identification de ce qui caractérise ces clientèles est importante, surtout considérant les impasses thérapeutiques et organisationnelles qu’elles soulèvent. En effet, le travail auprès des clientèles difficiles engendre des défis tant en ce qui a trait aux services cliniques (abandon et résistance au traitement, sévérité des problématiques, comorbidité, etc.), qu’à l’organisation de ces services (offre de services limitée, critères d’admissibilité stricts, coûts sociaux et financiers élevés, etc.) (Bordeleau et Leblanc, 2017; McAlinden et al., 2013; Moreau et Léveillée, 2018). L’utilisation du concept « clientèles difficiles » peut engendrer certains risques de stigmatisation. Toutefois, le manque de connaissances à l’égard de ces clientèles et de leurs besoins spécifiques représente un danger tout aussi important, qui les met à risque de ne pas recevoir les soins appropriés. Un intérêt à la fois clinique et scientifique porté sur le concept de clientèles difficiles est susceptible de favoriser un dialogue entre les divers professionnels et les organisations, afin que tous mettent en commun leurs expertises respectives pour répondre aux besoins de ces clientèles vulnérables.

La définition de Moreau et Ndengeyingoma (2018) s’avère utile, puisqu’elle découle d’une recension de la littérature et d’entrevues auprès de divers professionnels de la santé et des services sociaux oeuvrant dans les établissements du système public et auprès des gestionnaires de ces établissements. Leur étude leur permet de formuler une définition des clientèles difficiles qui tient compte à la fois de leurs caractéristiques et des impacts de celles-ci, sur le système de la santé et des services sociaux. Cette définition permet de souligner les besoins de cette clientèle et les défis qu’elle représente pour les intervenants et les systèmes :

Une clientèle de tout âge présentant de multiples problématiques d’ordre développemental, physiologique, psychologique, social, environnemental ou leurs combinaisons. Elle se caractérise par l’adoption de comportements pouvant nuire à son traitement, à sa réadaptation et à son rétablissement. Elle est aussi reconnue comme étant une grande utilisatrice des services, éprouvant des défis à trouver une réponse ajustée à ses besoins au sein du réseau de la santé et des services sociaux. Cette clientèle est identifiée comme ayant un profil « multiproblématique » au moment où elle devient, à la fois, tributaire d’impasses cliniques et d’impasses organisationnelles, quant à sa prestation de service.

Moreau et Ndengeyingoma, 2018

Le présent article vise à mieux circonscrire et définir le concept de clientèles difficiles et d’en documenter les défis, tant pour la pratique, la qualité des services, que pour les clientèles elles-mêmes. Il vise également à offrir quelques pistes de réflexion pour orienter l’intervention. D’abord, nous explorerons les caractéristiques des clientèles difficiles et le risque de stigmatisation auquel elles font face. Ensuite, nous examinerons les impasses cliniques et organisationnelles que peuvent entraîner ces caractéristiques des clientèles difficiles, notamment au niveau de l’alliance thérapeutique et du contre-transfert vécu par les professionnels. Finalement, nous aborderons la nécessaire collaboration interdisciplinaire ainsi que les limites des organisations dans la prise en charge de ces clientèles difficiles.

LES CLIENTÈLES DIFFICILES

Leurs caractéristiques individuelles

Les clientèles peuvent être qualifiées de difficiles de par la complexité de leur pathologie et les comorbidités multiples qu'elles présentent (p.ex. troubles de santé mentale graves ou sévères, troubles de la personnalité, déficience intellectuelle) (Moreau et Léveillé, 2018). D’ailleurs, l’établissement d’un diagnostic précis et consensuel représente un grand défi auprès de ces clientèles et il est plutôt fréquent d’observer une absence de consensus quant à leur problématique, ainsi que la présence de diagnostics multiples à travers le temps (Moreau, 2017; Weinberger et al., 2015). De plus, la complexité de ces clientèles peut être exacerbée par l’atteinte significative de plusieurs sphères de fonctionnement, la présence de limitations au plan cognitif et de l’autonomie, les problèmes de consommation et l’adoption de comportements criminels. Les clientèles difficiles se caractérisent aussi par la présence de traumas personnels non résolus et un historique important d’adversité (Milot et al., 2021; Ndengeyingoma et al., 2018; Ozkaynak et al., 2015; Terradas et al., 2021). En effet, une grande proportion de ces clientèles ont vécu une enfance marquée par des difficultés familiales et nécessitent des services psychosociaux depuis leur jeune âge. De plus, ces clientèles tendent à avoir un faible réseau social (Moreau et Léveillée, 2018) ou un manque de soutien adéquat de la part de leur famille et la présence de conflits familiaux risque d’amplifier les difficultés déjà existantes (Aimé et al., 2021; McAlinden et al., 2013).

Ces clientèles sont susceptibles de présenter des comportements perturbateurs et difficiles à gérer, à encadrer ou à soutenir pour les intervenants (p. ex., de l'impulsivité, de l’hostilité, des comportements d'agression envers elle-même, autrui ou envers l'intervenant, de la désorganisation, de la passivité, etc.) (Aimé et al., 2021; Otis et Maheux, 2021; Poitras et al., 2019). De plus, ces clientèles tendent à résister au traitement et à mettre en échec les services traditionnels offerts (Houston et al., 2017; McAlinden et al., 2013; Moreau, 2017; Ndengeyingoma et al., 2018). Or, elles nécessitent généralement une prise en charge continue et à long terme par le réseau, notamment en ce qui a trait à l’hébergement et au suivi de médication. En effet, les clientèles difficiles se caractérisent par une tendance à multiplier les demandes de soins, à nécessiter une intensité de services et à utiliser fréquemment les services d’urgence et d’hospitalisation (Moreau, 2017). Ainsi, il peut être difficile d’identifier le traitement à offrir à ces clientèles, compte tenu de l’absence de solution unique et généralisée aux difficultés qu’elles présentent et de l’absence de services spécialisés répondant à leurs besoins particuliers (Grant et al., 2011). En outre, ces clientèles tendent à être impliquées davantage dans des litiges quant aux services qui leur sont offerts et ont plus souvent des démêlés avec le système de justice (Moreau et Léveillée, 2018; Poitras et al., 2017, 2020; Saini et al., 2013).

La stigmatisation des clientèles difficiles

Les clientèles difficiles présentent des diagnostics multiples et ont des comportements perturbateurs qui sont susceptibles d’être la cible de préjugés par les professionnels et les organisations leur offrant des services (Wahl et Aroesty-Cohen, 2010, Poitras et al., 2019). En effet, la méta-analyse réalisée par Wahl et Aroesty-Cohen (2010) révèle que les professionnels décrivent les clientèles difficiles comme étant imprévisibles, indésirables, dangereuses et usant de manipulation. Il ressort également que les professionnels ont tendance à vouloir garder une certaine distance face à ces clientèles et entretiennent de faibles attentes, quant à leur rétablissement, comparées aux clientèles plus conventionnelles. D’autres études portant sur les perceptions des professionnels intervenant auprès des clientèles difficiles révèlent des résultats similaires quant à la prédominance d’attitudes négatives et pessimistes à l’égard de celles-ci (Treolar, 2009; Hansson et al., 2013; Hugo, 2001; Imbeau et al., 2014; Westwood et Baker, 2010). Ces études exposent également que les attitudes négatives des professionnels sont associées à une moins bonne alliance thérapeutique, à des soins offerts à l’individu de moindre qualité, de même qu’à des résultats moins significatifs de l’intervention (Kealy et Ogrodniczuk, 2010; Rondeau-Boulanger et Drolet, 2016). Finalement, une revue systématique récente (Ring et Lawn, 2019) relève aussi le caractère interactionnel des perceptions négatives que peuvent entretenir le client et le professionnel l’un envers l’autre. Ainsi, le sentiment d’impuissance de l’intervenant nourrirait le sentiment d’impuissance du patient à se faire comprendre et cela engendrerait une boucle de perceptions négatives qui nuirait à l’intervention.

Ces études rappellent l’importance pour les professionnels de tenir compte de leurs propres biais et préjugés compte tenu de l’impact de ceux-ci sur la relation thérapeutique et l’efficacité de l’intervention. La stigmatisation de certains troubles de santé mentale est d’ailleurs identifiée comme pouvant mener à des interventions moins sensibles à l’égard des clients (Finfgeld-Connett, 2009) et faisant obstacle à la collaboration entre les professionnels, issus des services de santé mentale, et ceux issus d’autres disciplines (Chong et al., 2013; Rondeau-Boulanger et Drolet, 2016). De plus, des auteurs suggèrent que certains patients difficiles seraient identifiés à tort en raison des fortes réactions émotionnelles qu’elles peuvent induire, du manque de ressources professionnelles disponibles, des contraintes administratives des organisations, incluant la pression de rendement et le manque de personnel (Ndengeyingoma et al., 2018; Poitras et al., 2019).

En somme, le client dit difficile présente généralement une grande vulnérabilité, une histoire marquée par l’adversité, des diagnostics multiples, ainsi que des comportements perturbateurs. Ces facteurs individuels peuvent être source de préjugés et mettre à rude épreuve la sensibilité et l’empathie des professionnels qui gravitent autour de ces clientèles et, conséquemment, la qualité de la relation thérapeutique. Or, les difficultés du client pourraient aussi être exacerbées par certaines caractéristiques des interactions avec les professionnels impliqués, ainsi que par les défis inhérents à l’organisation des services psychosociaux. À ce sujet, de nombreuses publications mentionnent la nécessité de revoir l’organisation et la gestion des services offerts, afin de répondre aux besoins particuliers de ces clientèles et soutenir le travail des intervenants. En effet, la spécialisation et la fragmentation des services et l’insuffisante collaboration entre les professionnels de disciplines variées sont reconnues comme étant des freins à l’efficacité des interventions auprès de ces clients et à la continuité des services qui leur sont offerts (Ndengeyingoma et al., 2018; Rondeau-Boulanger et Drolet, 2016). Nous suggérons ainsi d’explorer les impasses susceptibles d’émerger dans l’intervention auprès des clientèles difficiles, plus particulièrement en soulignant comment les interactions entre les caractéristiques du client, celles du professionnel et de l’organisation, peuvent contribuer à créer ou exacerber ces impasses.

IMPASSES CLINIQUES ET ORGANISATIONNELLES AUPRÈS DES CLIENTÈLES DIFFICILES

L’alliance thérapeutique : apport du client et du psychothérapeute

Il est largement établi dans la littérature scientifique que l’alliance thérapeutique établie entre le client et le psychothérapeute est le plus grand facteur d’efficacité des psychothérapies, toute approche et type de clientèle confondue (Castonguay et al., 2015; Flückiger et al., 2018; Horvath et al., 2011; Lambert et Barley, 2001; Lecomte et al., 2004; Rodgers et al., 2010). Dans l’intervention auprès des enfants et des adolescents, l’alliance thérapeutique établie à la fois avec le client et ses parents s’avère également incontournable pour observer un apaisement des difficultés (Karver et al. 2018). L’établissement d’une relation thérapeutique authentique et sincère faciliterait les interventions lors des moments de crise (Goodman et al., 2020), en plus de favoriser la participation parentale et la complétion du suivi auprès des enfants et des adolescents (Shirk et al., 2011). L’alliance thérapeutique serait aussi positivement associée à l’adhérence du client au traitement et à une diminution de ses résistances face à l’intervention (Kuluski et al., 2017). Or, certaines caractéristiques du client sont associées significativement à des difficultés en ce qui a trait à l’établissement de l’alliance thérapeutique. En effet, la sévérité des symptômes, la motivation au changement, le style d’attachement et la capacité à réguler ses émotions sont des caractéristiques individuelles du client qui ont été démontrées comme étant associées à la qualité de l’alliance établie avec un professionnel (Rodgers et al., 2010).

Les défis à établir une alliance thérapeutique sont bien documentés auprès de clientèles jugées difficiles telles que les individus souffrant de troubles de personnalité limite (Grenier Gauvin et al., 2021; Ligiéro et Gelso, 2002), de troubles alimentaires (Graves et al., 2017) et de situations familiales conflictuelles (Cyr et al., 2021). Des études suggèrent d’ailleurs que ces clientèles présentent généralement une grande vulnérabilité, un attachement insécurisé et une propension à l’agir qui viennent interférer dans leur capacité à entrer en contact avec autrui et influencer la façon qu’ils ont d’exprimer leurs besoins (Bakermans-Kranenburg et Van Ijzendoorn, 2009; Leblanc et al., 2011). Ces difficultés sont associées à des déficits de mentalisation et de régulation émotionnelle qui contribuent aussi à rendre plus difficile l’établissement d’une alliance thérapeutique optimale (Leblanc et al., 2011). Enfin, une méta-analyse suggère également que les profils d’attachement insécurisé sont associés à une moins bonne alliance thérapeutique de façon générale, à davantage de résistances et de débordements manifestés par le client et à plus d’émotions négatives vécues par le psychothérapeute (Djillali et al., 2019). La capacité du thérapeute à établir une alliance soutenue dans le temps, et ce, malgré la présence d’émotions intenses, devient particulièrement importante auprès de clientèles dites difficiles, afin de favoriser leur engagement au processus thérapeutique.

Par ailleurs, certains psychothérapeutes auraient plus de facilité à composer avec les exigences relationnelles des clientèles difficiles. En effet, les caractéristiques individuelles du psychothérapeute, ainsi que sa capacité à établir une relation positive avec le client, peuvent influencer la qualité de l’alliance thérapeutique. Notamment, les capacités de mentalisation du psychothérapeute lui permettent de mieux réguler ses émotions dans le contexte de l’intervention et de demeurer sensible et accordé aux états du client (Carsky et Yeomans, 2012; Fonagy et Target, 2002; Karlsson et Kermott, 2006; Markowitz et Milrod, 2011). Ainsi, la flexibilité, le respect, l’intérêt et l’ouverture, face à la diversité des clients et des expériences et émotions exprimées, la capacité de s’ajuster aux particularités du client, en plus de la capacité à demeurer empathique, constituent des caractéristiques essentielles du psychothérapeute pour l’établissement d’une alliance positive avec le client (Lecomte et al., 2004). Il est également reconnu qu’une attitude non défensive de la part du psychothérapeute face à la négativité et l’hostilité exprimées par le client est essentielle au maintien d’une bonne alliance thérapeutique (Horvath et al., 2011). Enfin, il semblerait que les psychothérapeutes les plus efficaces auprès des clientèles difficiles sont ceux qui seraient en mesure de percevoir les impasses thérapeutiques et les ruptures d’alliance, de les adresser dans une perspective interactionnelle, d’ajuster ses interventions au style d’attachement du client et de bien gérer ses réactions contre-transférentielles, afin d’éviter les interventions impulsives (Hayes et al., 2018; Larocque et al., 2012; Miller-Bottome et al., 2018; Safran et Muran, 2000).

En somme, la capacité du psychothérapeute à favoriser un environnement sécurisant et accueillant, à soutenir la régulation émotionnelle du client et à détecter et réparer les ruptures ou microruptures d’alliance avec celui-ci devient un incontournable pour accompagner les clients difficiles de façon optimale. Or, ce travail peut être particulièrement ardu avec les clientèles difficiles qui présentent des comportements troublants de façon répétée, qui sont susceptibles d’induire diverses émotions et réactions chez les professionnels et qui peuvent épuiser ces derniers à long terme.

Enjeux contre-transférentiels, fatigue de compassion et traumatisme vicariant

Les clients vivant avec des troubles de santé mentale sévères tendent à manifester plusieurs comportements constituant des menaces au cadre thérapeutique et au processus de psychothérapie. Par exemple, ils tendent à être moins assidus aux rencontres (Oldham et al., 2012), à mentir sur la sévérité de leurs symptômes ou sur leur satisfaction (Blanchard et Farber, 2016, 2020) et à multiplier les insinuations sur la vie personnelle de ce dernier (Thibaut et al., 2019). De même, ces clients peuvent également se mettre à risque et présenter des comportements suicidaires ou parasuicidaires qui demandent une gestion du risque plus grande au psychothérapeute (Grant et Lusk, 2015; Hagen et al., 2017). Enfin, ils peuvent aussi se montrer explicitement menaçants, s’engager dans des comportements violents envers le professionnel (Erickson Cornish et al., 2019; Thibaut et al., 2019), et même recourir aux plaintes professionnelles pour manifester leurs insatisfactions (Blanchet et Poitras, 2018; Moreau et Léveillée, 2018). L’intervention auprès des clients difficiles est ainsi généralement ponctuée de nombreuses impasses et de mouvements d’avancées et de régressions qui sont exigeants pour le professionnel (Bessette, 2010). Les progrès thérapeutiques peuvent donc prendre du temps à émerger et cela est susceptible d’influencer l’attitude et les sentiments de compétence et de pouvoir du professionnel (Bessette, 2010).

Ensuite, les difficultés importantes du client font que le professionnel se retrouve parfois à devoir adopter un rôle plus actif qui sort du cadre habituel de son travail et il se retrouve également confronté, de façon récurrente, à des prises de décisions importantes et délicates quant aux démarches à entreprendre auprès du client et à l’intensité de services à lui offrir (Poitras et al., 2019). Ces clients tendent ainsi à tester les limites et à franchir les frontières de la relation professionnelle, ce qui place parfois le psychothérapeute à risque de fautes professionnelles. Le travail auprès d’eux demande donc une attention particulière et les psychothérapeutes se retrouvent à devoir négocier le cadre thérapeutique de façon régulière (Leblanc et al., 2011). Face à ces expériences difficiles, les professionnels peuvent avoir tendance à se détacher, à intervenir de façon laxiste et à maintenir une certaine distance avec le client, dans le but de se protéger contre un vécu d’impuissance et d’échec (Finfgeld-Connett, 2009; Reyre et al. 2017; Tanzilli et al., 2020). D’autres professionnels développent plutôt des réponses de peur et d’hypervigilance auprès de ce type de clientèle (Tanzilli et al., 2020), ou deviennent surinvestis dans l’intervention, ce qui est susceptible de contribuer à l’épuisement émotionnel des psychothérapeutes (Rose et al., 2019). Enfin, certains professionnels, lorsqu’ils vivent du stress et de l’épuisement, lorsqu’ils font face à un refus de collaboration ou lorsqu’ils possèdent une expérience limitée, peuvent aussi avoir tendance à vouloir reprendre le contrôle en adoptant des pratiques plus coercitives (Drolet, 2019; Finfgeld-Connett, 2009; Larue et al., 2009; Reyre et al. 2017). Or, il est reconnu que ces façons d’intervenir engendrent des conséquences tant pour le client que pour le professionnel, notamment de l’impuissance et une plus grande méfiance (Finfgeld-Connett, 2009; Reyre et al. 2017).

Une méta-analyse sur les effets de travailler auprès d’une clientèle traumatique, suggère d’ailleurs que les professionnels rapportent de nombreuses réponses émotives et somatiques lorsque confrontés à de tels discours (Cohen et Collens, 2013). Ils rapportent ainsi pouvoir se sentir impuissants, incompétents, isolés, tristes, en colère, apeurés, désespérés et fatigués. Le travail auprès d’une clientèle ayant vécu des traumas importants peut également avoir des effets à long terme sur le professionnel qui peut vivre de l’insomnie, de l’irritabilité, voire même développer des manifestations traumatiques secondaires et vivre un épuisement professionnel (Brillon, 2020; Cohen et Collens, 2013; Sprang et al., 2011). Les concepts de fatigue de compassion et de traumatisme vicariant ont d'ailleurs été élaborés pour expliquer le vécu des professionnels confrontés à l’adversité clinique (Figley, 2002; Tabor, 2011). La fatigue de compassion est un état d'épuisement caractérisé par de la fatigue physique et émotionnelle, d'un effritement de l'empathie et de la sensibilité, d'un sentiment d'impuissance et d'une remise en question de ses propres compétences. Le traumatisme vicariant, quant à lui, est un état de détresse psychologique caractérisé par un niveau élevé de stress, d'anxiété ou de symptômes post-traumatiques qui survient, suite à une exposition indirecte, à des situations traumatiques chez les patients. Ces concepts permettent d’expliquer comment la sensibilité, l’empathie et la disponibilité des professionnels peuvent être compromises face à des clientèles difficiles.

En somme, l’intensité affective vécue au contact du client, les difficultés de régulation émotionnelle de ce dernier, ainsi que ses modes relationnels, sont susceptibles d’induire aussi un état de dérégulation émotionnelle chez le psychothérapeute (Soma et al., 2020). Cette intensité peut ainsi diminuer l’accès aux capacités de mentalisation du psychothérapeute, ce qui peut interférer avec sa capacité à réfléchir et à intervenir de façon sensible et efficace (Muran et Eubanks, 2020; Sharp et al., 2020). Il est d’ailleurs reconnu que la mentalisation soit un processus impliquant à la fois les capacités du client et du thérapeute en constante interaction (Fonagy et Allison, 2014). L’intervention auprès de cette clientèle demande donc un travail continue de la part du psychothérapeute qui doit arriver à être conscient de ses réactions affectives face au client, à les réguler, à les différencier de celles appartenant au client et à les utiliser pour mieux répondre aux difficultés du client (Bessette, 2010; Ensink et al., 2013; Soma et al., 2020). Ces éléments mettent à l’épreuve les professionnels et défient leurs pratiques habituelles. Or, les habiletés du psychothérapeute ne peuvent être, à elles seules, garantes de l’alliance établie avec le client et de sa capacité à réguler les affects soulevés par le suivi. La prise en charge des clientèles difficiles nécessite donc un dispositif qui préserve le psychothérapeute, notamment en privilégiant le travail d’équipe, la supervision, la formation, un environnement de travail agréable et positif, de même qu’une charge de cas adaptée à la lourdeur de la clientèle (Bell et al., 2003; Boucher, 2019; Fortin, 2014; Laporte et al., 2014). Il importe toutefois de mentionner que la supervision doit être réalisée de manière adéquate afin d’apporter le soutien espéré, ce qui sous-entend des rencontres fréquentes et qui permettent au professionnel, de s’exprimer dans un environnement respectueux, soutenant et non jugeant (Newell et MacNeil, 2010). Les programmes d’entrainement à la mentalisation sont également prometteurs dans la formation des jeunes professionnels et leur mise en place est judicieuse pour favoriser les meilleures pratiques auprès de clientèles difficiles (Ensink et al., 2013).

La nécessité et les défis de la collaboration interdisciplinaire

De façon générale, les clientèles difficiles sont reconnues comme étant des utilisateurs importants des services psychosociaux et de la santé et comme requérant une intensité de services plus grande que les clientèles traditionnelles. D’abord, la comorbidité fréquente, qui se manifeste soit par de multiples diagnostics ou par des problèmes importants dans plusieurs sphères de la vie du client, fait en sorte que ce dernier peut se retrouver à consulter divers professionnels de façon concomitante. Toutefois, ces clientèles auraient également tendance à multiplier les demandes de services, à avoir plus de contacts avec la police et avec le système de justice et à fréquenter davantage les services d’urgence (Ndengeyingoma et al., 2018; Saini et al., 2013).

L’organisation des établissements de santé et de services sociaux peut expliquer en partie la grande utilisation des services que font les clientèles difficiles, notamment par le cloisonnement et la surspécialisation des services offerts, de même que par le manque de continuité dans les services spécialisés (Rondeau-Boulanger et Drolet, 2016). Les mesures de performance des organisations et leurs priorités administratives peuvent entrer en contradiction avec les besoins des clients et les pratiques optimales à privilégier pour y répondre (Kuluski et al., 2017). Notamment, compte tenu de la méfiance de ces clientèles et de leurs multiples problématiques, les soins nécessitent du temps et des ressources humaines et financières importantes afin d’obtenir des résultats satisfaisants et d’observer une évolution chez ces clients (Kuluski et al., 2017). De plus, la rigidité des critères d’inclusion des services psychosociaux limite l’adhésion de ces clients à des programmes qui pourraient leur être utiles (Poitras et al., 2019). Notamment, certains clients se voient refuser l’accès à certains services psychosociaux en raison de leurs problèmes de consommation ou de leur hygiène de vie déficiente, alors que ces éléments pourraient justement être travaillés et amenuisés à travers un suivi psychosocial (Kuluski et al., 2017). Cette tendance à orienter le traitement sur des problématiques, des symptômes et des diagnostics précis, plutôt que sur la personne de façon globale, ne peut que morceler la prise en charge et engendrer une discontinuité et un dédoublement des services. Ainsi, les organisations peinent à offrir des services adaptés aux besoins spécifiques des clientèles difficiles, en termes de stabilité et de continuité, ce qui risque d’engendrer un vide de services ou de la confusion entre les divers partenaires pour la prise en charge de ces clients. En effet, peu de services spécialisés sont disponibles et l’individu et sa famille en viennent à devoir utiliser les services traditionnels, malgré que ceux-ci ne correspondent pas aux interventions appropriées à leurs besoins (Kuluski et al., 2017).

Il est largement reconnu que les clientèles difficiles nécessitent des soins spécialisés qu’une seule discipline ne peut prendre en charge à elle seule. La collaboration interdisciplinaire s’avère être un ingrédient clé dans l’intervention auprès de ces clientèles. Elle sous-entend une coordination des pratiques, c’est-à-dire que chacun intervient dans le but d’atteindre des objectifs communs, de même qu’une coopération des pratiques où chacun contribue à l’intervention, valorise la contribution des autres professionnels, à travers une prise de décision partagée reposant sur l’ouverture et le respect, ainsi qu’un esprit de partenariat entre tous les membres de l’équipe, incluant le client lui-même (Morley et Cashell, 2017).

Pour le client, la collaboration interdisciplinaire est associée à une réduction significative des symptômes cliniques, à moins de comportements perturbateurs, à une plus grande efficacité des services, à une meilleure adhérence au traitement, à une plus grande satisfaction et à une diminution des coûts et du temps de traitement (Fernandes et Flak, 2012; Finfgeld-Connett, 2009; Fuller et al., 2011; Morely et Cashell, 2017), comparés aux services offerts de manière traditionnelle (Van Orden et al., 2009). Or, la collaboration interdisciplinaire profite également aux professionnels, notamment, elle leur permet d’avoir une perception plus positive des soins offerts en santé mentale, un plus grand sentiment de compétence et une plus grande satisfaction professionnelle (Rousseau et al., 2017; Strolin-Goltzman et al., 2020). De la même façon, le travail d’équipe, la supervision et le soutien entre collègues sont également associés à moins de symptômes d’épuisement professionnel et de fatigue de compassion chez les professionnels (Choi, 2011).

La collaboration interdisciplinaire peut d’ailleurs prendre différentes formes et devrait être établie avec le client, qui devrait aussi être considéré comme un membre à part entière de l’équipe. La compréhension de la problématique et les solutions envisagées devraient donc s’élaborer en fonction du projet de vie du client et de sa famille, en considérant le contexte de vie et le réalisme des services proposés (Careau et al., 2015). Ainsi, dans les cas les moins complexes, la pratique indépendante, la pratique parallèle et la consultation entre professionnels peuvent suffire afin de favoriser l’échange d’informations et la mise en commun des objectifs d’intervention. Pour les clientèles difficiles, qui présentent des problématiques très complexes qui justifient une implication soutenue des professionnels, les pratiques concertées et les pratiques partagées deviennent essentielles pour viser le rétablissement du client. Ces pratiques requièrent une communication constante entre les professionnels et une mise en commun des expertises de chacun, pour éclairer les besoins du client et répondre à ceux-ci de façon optimale et coordonnée. Plusieurs auteurs rappellent ainsi qu’il n’y a pas de solution formatée pour tous les clients ou tous les milieux d’intervention, et soulignent ainsi l’importance d’une évaluation rigoureuse et continue dans le temps afin de suivre l’évolution des besoins du client, et d’identifier la contribution nécessaire de chaque professionnel (Careau et al., 2015; Muth et al., 2018).

La reconnaissance de la richesse et de l’importance du travail interdisciplinaire n’est pas sans poser des défis quant à la mise en application concrète de celui-ci au sein des milieux d’intervention. Comme les lignes directrices des services psychosociaux encouragent généralement le travail multidisciplinaire et interdisciplinaire, il convient de distinguer la définition de chacun de ces concepts. D’une part, la multidisciplinarité sous-entend une juxtaposition et une complémentarité de différentes disciplines, approches ou théories et favorise l’élargissement du savoir, de l’information et des méthodes. Cependant, la multidisciplinarité sous-entend que les disciplines travaillent de façon distincte et parallèle, ce qui limite la mise en commun des forces de chacun. De son côté, l’interdisciplinarité fait plutôt référence à l’intégration, l’interaction et la mise en relation des différentes théories et expertises et sous-entend ainsi une restructuration des approches existantes (Thompson Klein, 2011). Or, la tendance clinique actuelle est plutôt que chaque professionnel intervient de façon indépendante et que le client est référé à un service précis en fonction d’un diagnostic donné. L’applicabilité du travail interdisciplinaire semble donc poser de nombreux défis dans les services psychosociaux actuels et la littérature scientifique fait état de nombreux éléments qui peuvent faire obstacle à une réelle collaboration interdisciplinaire (Muth et al., 2018).

D’abord, le travail interdisciplinaire engendre des coûts, du temps, de même que des ressources humaines qui se doivent d’être stables, spécialisées et en nombre suffisant. Son implantation et son bon fonctionnement exigent également du temps et des espaces appropriés. Or, les ressources financières, de même que les politiques institutionnelles et gouvernementales, peuvent parfois rendre difficile l’application de l’interdisciplinarité telle qu’elle se définit. À titre d’exemple, les coupures budgétaires, l’exode des intervenants spécialisés en santé mentale, la perte d’autonomie des professionnels (imposition d’approches cliniques, limitation du nombre de séances du service rendu ou exigences de justification en cas de services supplémentaires rendus) sont des exemples de conditions défavorables pour offrir les services requis par les clientèles difficiles (Charest, 2010). De plus, l’accès aux soins publics en santé mentale est reconnu pour être de plus en plus difficile (Dezetter et Briffault, 2015; Lapalme et al., 2018; Nadeau-Grenier et Poirier-Veilleux, 2021). Le contexte actuel de la pandémie de Covid-19 risque même d’exacerber les lacunes et les manques en ce qui a trait aux conditions dans lesquelles les services en santé mentale sont offerts, notamment ceux offerts aux populations plus vulnérables (Dezetter et Briffault, 2015; Direction régionale de santé publique de Montréal, 2021; Perreault et al., 2013). Dans de telles circonstances, la responsabilité de l’interdisciplinarité repose sur les professionnels qui ne bénéficient pourtant pas des conditions nécessaires pour l’appliquer. Sans le soutien des organisations, il est plus hasardeux de penser que les services appropriés pourront être offerts aux clientèles difficiles.

Certains auteurs soulignent également le manque d’habiletés de certains professionnels à travailler en équipe et à communiquer avec d’autres professionnels, de même que le manque de formation à la pratique interdisciplinaire (Doucet et al., 2012; Pauzé et Reeves, 2010). La méconnaissance des compétences spécifiques de chacun et la crainte de ne pas être reconnu et respecté dans son rôle et ses responsabilités spécifiques, peuvent aussi rendre difficile l’établissement d’une collaboration positive entre les professionnels (Karam et al., 2018). Enfin, les luttes de pouvoir qui peuvent émerger entre les professionnels et la présence d’iniquités dans les conditions de travail qui engendrent des rivalités entre les professionnels sont d’autres exemples d’obstacles pouvant nuire à la collaboration interdisciplinaire (Karam et al., 2018). La spécialisation accrue des disciplines et l’approfondissement des connaissances scientifiques sur des problématiques précises sont évidemment des avancées. Toutefois, ils peuvent également mener à des difficultés de communication entre les professionnels et créer des rivalités qui l’emportent sur une mise en commun des savoirs et une nécessaire collaboration auprès des clientèles difficiles (Darbellay, 2011). Ces difficultés peuvent également nuire à l’établissement d’une alliance thérapeutique positive et venir augmenter les risques d’impasses dans l’intervention, notamment en raison des pratiques, des cultures et des valeurs qui varient d’une discipline à l’autre (Bordeleau et Leblanc, 2017).

Dans le but de surmonter ces obstacles potentiels, de nombreux auteurs soulignent l’importance d’instaurer un environnement de travail dans lequel règne, la confiance, le respect mutuel et un sentiment d’interdépendance entre chacun des professionnels, afin de favoriser une communication fluide et constante entre tous les membres de l’équipe (Bordeleau et Leblanc, 2017; Cyr et al., 2021; Karam et al., 2018). Le climat de travail positif, la capacité à intégrer le savoir des autres collègues et la capacité de garder son identité propre dans une équipe sont les éléments essentiels pour favoriser la collaboration entre les professionnels (Kebe et al., 2020). Pour ce faire, la définition des rôles et responsabilités de chacun s’avère essentielle, afin de limiter le plus possible les inconforts, les insatisfactions et les conflits, quant à la gestion des priorités et des pouvoirs (Morley et Cashell, 2017). De plus, la formation à la collaboration interdisciplinaire dès les études postsecondaires s’avère également être une voie à suivre afin de préparer les professionnels à travailler en équipe (Karam et al., 2018; Marcussen et al., 2019). D’ailleurs, des études suggèrent que les étudiants ayant reçu une formation à la collaboration interdisciplinaire se distinguent de ceux ayant reçu une formation traditionnelle, notamment au niveau de leur motivation à travailler en équipe et de leur niveau de coopération rapporté (Guraya et Barr, 2018; Marcussen et al., 2019; Pauzé et Reeves, 2010). Une autre étude suggère que cette formation augmente la sensibilité et l’empathie dans les échanges entre les professionnels (Museux et al., 2016). Ainsi, il n’est pas réaliste de penser que la collaboration interdisciplinaire s’instaurera naturellement dans les équipes de travail. Les professionnels doivent d’abord être dûment formés, mais également motivés à adopter une position réflective et à s’ajuster en fonction de ce qui est jugé nécessaire pour répondre aux besoins du client (Careau et al., 2015; Chong et al., 2013; D’Amour et Oandasan, 2005).

Dans la littérature sur la collaboration interdisciplinaire, de nombreux auteurs soulignent également les impacts positifs de l’implication du client et de son entourage immédiat dans les prises de décisions, notamment une meilleure alliance thérapeutique, une augmentation du sentiment de pouvoir du client, une meilleure adhérence au traitement, de même qu’une plus grande satisfaction du client envers les professionnels et les services offerts (Muth et al., 2018; Poitras et al., 2019). La satisfaction du client est d’ailleurs reconnue comme étant un facteur important dans son rétablissement (Ungar et al., 2013). Or, des auteurs soulignent que parfois certaines caractéristiques, attitudes ou comportements du client et de sa famille, peuvent venir limiter les possibilités de l’inclure dans les prises de décisions, par exemple des limitations cognitives, le déni de ses difficultés ou des traits de personnalité paranoïaque (Chong et al., 2013).

En somme, la façon dont les services psychosociaux sont organisés peut affecter le rétablissement des clientèles difficiles, et peut aussi affecter le bien-être des professionnels qui y travaillent. En effet, de nombreuses études insistent sur l’importance pour les professionnels d’obtenir du soutien de la part de leur organisation dans leur travail auprès des clientèles difficiles (Boucher, 2019, Laporte et al., 2014, Lundberg et Moloney, 2010). Il est notamment reconnu qu’une organisation privilégiant une approche de soutien, d’encouragement et de compréhension auprès de ses employés favorise le bien-être des professionnels (Lundberg et Moloney, 2010). De plus, une organisation qui offre la possibilité de faire de la co-intervention et des espaces de supervision et dans laquelle, la formation continue est soutenue et valorisée, représente une valeur ajoutée pour les professionnels (Lundberg et Moloney, 2010).

CONCLUSION

L’identification des clientèles difficiles est cruciale, considérant les défis qui s’imposent aux professionnels qui interviennent auprès d’elles et aux organisations qui doivent déployer des services spécialisés de façon efficace et efficiente. Dans le cadre de cet article, nous avons défini ces clientèles difficiles et souligné les défis qu’elles soulèvent, tant au niveau de la relation thérapeutique qu’au niveau de l’organisation des services. Alors que l’utilisation du concept de clientèles difficiles peut engendrer certains risques de stigmatisation, il peut aussi provoquer un dialogue nécessaire entre les divers professionnels et les organisations, afin que tous mettent en commun, leurs expertises respectives pour répondre aux besoins d’une clientèle particulièrement vulnérable.

Les clientèles difficiles présentent des profils hétérogènes et complexes qui demandent aux professionnels de l’empathie, de la tolérance et de l’ouverture, tant envers le client qu’envers les autres professionnels impliqués. En effet, auprès de ces clientèles, il est nécessaire de dépasser les cloisonnements inhérents à l’organisation disciplinaire, de développer une tolérance et une empathie réciproques et une capacité à s’écouter et à s’entraider, dans l’objectif commun de soutenir le client dans l’apaisement de ses difficultés (Darbellay, 2011).

Cet article souligne également la nécessité de bien former, soutenir et encadrer les jeunes professionnels. D’abord, les professionnels doivent développer des capacités de mentalisation afin de pouvoir bien se réguler devant des clientèles difficiles qui suscitent généralement des réactions contre-transférentielles massives (Ensink et al., 2013; Maheux et al. (accepté); Satran et al., 2020; Sharp et al., 2020). Certains psychothérapeutes sont plus habiles à intervenir auprès de ces clientèles et la formation professionnelle et continue, sont cruciaux pour développer et préserver ces compétences relationnelles. La fatigue de compassion et le traumatisme vicariant guettent les professionnels pratiquant avec des clientèles difficiles. Le soutien clinique, la consultation et la supervision sont des facteurs de protection déterminants à cet égard (Fortin, 2014). Ensuite, les professionnels doivent être sensibilisés à l’importance de la collaboration interdisciplinaire dans la prise en charge des clientèles difficiles. Ainsi, des formations leur permettant de développer leurs habiletés de communication, de même que des exercices les faisant pratiquer in vivo leur capacité à collaborer avec des professionnels d’autres disciplines, devraient être accessibles dès les études postsecondaires (Karam et al., 2018; Marcussen et al., 2019).

Enfin, bien qu’elle soit généralement promue dans les lignes directrices des organisations, l’interdisciplinarité telle qu’elle se définit, est difficile à mettre en place et à maintenir. En effet, certaines politiques institutionnelles et gouvernementales visant l’optimisation des services peuvent faire obstacle à l’interdisciplinarité (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2020). Notamment, le manque de ressources humaines et financières et les contraintes administratives sont identifiés comme des freins à la collaboration interdisciplinaire (Chong et al., 2013). De la même façon, les besoins de supervision et de formation qui sont préalables à l’application de services interdisciplinaires sont onéreux et peuvent être négligés. L’attraction et la rétention des professionnels dans les services spécialisés doivent devenir une condition prioritaire pour la mise en place de l’interdisciplinarité.

En somme, les meilleures pratiques pour la prise en charge des clientèles difficiles et complexes devraient miser, en tout premier lieu, sur la qualité de la relation humaine puisqu’elle prévaut sur la quantité et la spécificité des services. Ceci est autant corroboré par la clinique que par la recherche (Ungar et al., 2013) et devrait donc être la prémisse de base dans les soins en santé mentale. L’importance de la continuité, de la multimodalité et de la gradation des interventions, de la coordination des services et de la place donnée au client ont été démontrées comme étant des piliers sur lesquels la construction des continuums de service peut s’appuyer (Ungar et al., 2014). Si on ajoute à cela des partenariats avec le milieu communautaire et les autres institutions, de même qu’une collaboration étroite avec la famille, une réelle prise en charge peut s’opérer, où la personne est placée au coeur des services qui sont pensés en fonction de ses besoins propres. Le concept d’intervenant pivot est d’ailleurs fort prometteur pour coordonner le projet thérapeutique des clients nécessitant de multiples services (Wasser et al., 2005).

Cet article introduit le numéro thématique « Clientèles difficiles : Points de vue des professionnels et interdisciplinarité » de la Revue québécoise de psychologie. Les articles qui composent ce numéro thématique révèlent la diversité des clientèles dites difficiles, le vécu des professionnels face aux besoins complexes qu’elles soulèvent et les innovations exceptionnelles qui ont été développées récemment au Québec. Les programmes qui y sont présentés exposent la créativité des professionnels voulant offrir les services les plus près des besoins complexes de ces clientèles, de même que les efforts déployés pour susciter une réflexion interdisciplinaire.