RECENSIONS DE LIVRES

Ryan, C. (2019). Civilized to death. The price of progress. New York, NY : Avid Reader Press[Notice]

  • Léandre Bouffard

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  • Léandre Bouffard
    Université de Sherbrooke

De nos jours, un fort courant défend et prêche l’idée d’un « progrès constant » de l’humanité, progrès qui a débuté avec l’essor de l’agriculture (il y a 10-12 milles ans). Cette dernière a apporté la civilisation, la technologie et l’amélioration des conditions de vie de nos ancêtres (supposément malheureux) des millénaires précédents. Pourtant, ces chasseurs-cueilleurs ont vécu pendant des centaines de milliers d’années totalisant 95 % du passé de notre espèce. Cette vision pessimiste de nos ancêtres lointains était déjà présente chez le philosophe britannique Thomas Hobbes et s’est imposé malgré ses faibles fondements. En effet, en 1651, Hobbes affirmait qu’avant le développement de l’agriculture, la vie des fourrageurs était « solitaire, pauvre, difficile, brutale et brève », termes souvent répétés depuis. L’objectif de C. Ryan consiste à réviser ces impressions à propos des chasseurs-cueilleurs et à démontrer comment leur vie correspond au mieux à notre nature humaine et répond bien aux besoins de notre espèce, tandis que le progrès tant vanté de la civilisation comporte des coûts importants. Voilà un problème susceptible d’intéresser les psychologues. En effet, cet ouvrage contribue à un élargissement de la psychologie qui elle-même profite ces dernières années de l’apport des sciences de l’évolution. Nous allons donc suivre le plan de Ryan. Les chasseurs-cueilleurs vivaient en groupe pouvant compter de 25 personnes à environ 100. Leur mode de vie se caractérisait d’abord par l’égalitarisme dont les femmes bénéficiaient. Le partage, la cohésion et la générosité étaient essentiels à la survie du groupe. La hiérarchie était abhorrée; ceux qui voulaient s’imposer étaient ridiculisés et, à l’extrême, chassés. Deuxièmement, ces communautés étaient mobiles, déménageant selon les besoins en alimentation, par exemple. Troisièmement, un groupe pouvait se fusionner avec un autre ou se diviser si le nombre de personnes devenait trop élevé ou s’il y avait conflit. Quatrièmement, le soin et l’éducation des enfants étaient partagés par les membres de la tribu qui leur accordaient, même jeunes, beaucoup d’autonomie. Enfin, ces peuplades manifestaient gratitude et respect à l’endroit de la nature. À ces caractéristiques que les ethnologues ont observées un peu partout, il faut ajouter une bonne santé chez ces peuples. De plus, il est grossièrement faux de prétendre que leur longévité ne dépassait pas 35-40 ans. Cette affirmation provient d’une erreur statistique répandue où le calcul inclut la mortalité infantile (qui fait diminuer la moyenne de la longévité). Selon les anthropologues experts dans le domaine, c’est l’âge modal qu’il faut considérer; il se situerait autour de six ou sept décennies; il aurait donc assez peu changé au cours des époques. Dans un autre domaine, il est également inapproprié de parler de pauvreté chez les chasseurs-cueilleurs. Évidemment, leurs possessions se limitaient à ce qu’ils pouvaient transporter lors d’un déménagement. Est-ce de la pauvreté? L’auteur répond : « la pauvreté ne consiste pas en un petit nombre de biens. C’est par-dessus tout une relation entre les gens » (p. 172). Et l’anthropologue M. Sahlins d’ajouter : « La pauvreté, c’est un statut social […] une invention de la civilisation » (cité par Ryan, p. 172). Le peu de biens matériels peut être compensé par l’entraide et le partage. De nos jours, les 85 personnes les plus riches du monde contrôlent plus de richesses que la moitié pauvre de la population de la planète (près de quatre milliards de personnes). Et les études démontrent que l’accroissement de l’inégalité est associé à de nombreux problèmes psychologiques et sociaux. Il ne s’agit pas de considérer la vie des chasseurs-cueilleurs comme paradisiaque. Ces populations ont connu des famines, des conflits intra et inter groupes. Mais une abondante documentation provenant de l’anthropologie et …

Parties annexes