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INTRODUCTION

Les troubles du spectre de l’alcoolisation foetale (TSAF) regroupent les manifestations qui peuvent survenir chez un individu dont la mère a consommé de l’alcool durant la grossesse (Haute autorité de santé, 2013). Il est maintenant bien établi que cette exposition prénatale à l'alcool produit une gamme de déficits cognitifs sur l’enfant en développement (Cook et al., 2016; Taylor et Enns, 2018). L’objectif de cet article est de proposer une synthèse des principaux résultats des études examinant ces déficits. Cette revue de la littérature se veut être un support d’appui à destination des cliniciens lors de suspicions de troubles neuropsychologiques liés aux TSAF. Si des revues de littérature sur les TSAF existent déjà en anglais (Davis, Gagnier, Moore et Todorow, 2013; Kodituwakku, 2009; Riley, Infante et Warren, 2011; Sokol, Delaney-Black et Nordstrom, 2003), notre revue constitue la première rédigée en français qui s’intéresse en particulier aux déficits cognitifs dans les TSAF.

Les TSAF sont un terme « parapluie » qui recouvre aujourd’hui un vaste ensemble de symptômes qui ont des répercussions sur le plan physique, mental, comportemental et social (Aronson et Hagberg, 1998; Kelly, Day et Streissguth, 2000; Kodituwaku, 2009; Mattson, Crocker et Nguyen, 2011; Nanson et Hiscock, 1990; Roebuck, Mattson et Riley, 1999). Bien qu'entièrement évitables, les TSAF sont la principale cause non génétique de déficience intellectuelle dans le monde (Popova, Lange, Probst, Gmel et Rehm, 2017). Les facteurs de risque principaux comprennent la quantité d’alcool consommé, la fréquence de consommation, la manière dont il a été consommé, la santé et l’âge de la mère, la santé du foetus et les stades de grossesse (Jacobson, Jacobson, Sokol et Ager, 1998; Maier et West, 2001; Roozen et al., 2016). Les enfants les plus sévèrement touchés sur le spectre montrent un profil caractéristique de ce qu’on appelle le Syndrome d’Alcoolisation Foetale (SAF) avec ou sans confirmation de l’exposition de la mère à l’alcool. Le SAF se manifeste par un retard de croissance prénatal et/ou postnatal (en taille, en poids ou périmètre crânien), des dysmorphies craniofaciales caractéristiques (microcéphalie, fentes palpébrales étroites, hypoplasie de l’étage moyen de la face, philtrum allongé ou absent, lèvre supérieure fine, racine du nez effondrée, menton petit ou en retrait) et des anomalies du système nerveux central (Stratton, Howe et Battaglia, 1996). D’autres formes incomplètes du syndrome, comme le SAF partiel (SAFp), les troubles neurologiques du développement liés à l’alcool (TNDA), ou les anomalies congénitales liées à l’alcool (ACLA), se traduisent par des difficultés dans les apprentissages ou un trouble des facultés d’adaptation et des conduites sociales (Carmichael-Olson, Feldman, Streissguth et Gonzales, 1992). Cette classification en cinq catégories (SAF avec consommation de l’exposition de la mère à l’alcool, SAF sans confirmation de l’exposition de la mère à l’alcool, SAFp, TNDA et ACLA) a été établie par The Institute of Medicine et constitue la base de référence pour le diagnostic des TSAF (Stratton et al., 1996). Au Canada, la prévalence des TSAF est estimée entre 2 et 3 % chez les élèves âgés de 7 à 9 ans (Popova et al., 2019). Selon Popova et ses collaborateurs (2019), ce taux dépasse celui d’autres anomalies congénitales telles que le syndrome de Down, la spina bifida ou encore le trouble du spectre de l’autisme. En France, les TSAF représentent 3 000 à 7 000 nouveaux-nés par an (Inserm, 2001).

Si le diagnostic de SAF semble relativement aisé au regard des anomalies physiques typiques, il est pourtant trop peu diagnostiqué à la naissance. Seule l’incertitude de l’alcoolisation maternelle pose problème puisque devant la dysmorphie faciale, l’expertise d’un généticien permettra d’éliminer la confusion avec des maladies rares. Par ailleurs, le diagnostic des formes incomplètes est encore plus difficile à réaliser. D’abord, les professionnels de santé ne disposent pas des outils, ni de la formation nécessaire, à l’établissement du diagnostic. Ensuite, la difficulté à recueillir un historique de la consommation d'alcool s’ajoute à la complexité de ce diagnostic. De fait, les parents, le système scolaire, les services médicaux et sociaux sont souvent alertés par un développement atypique de l’enfant. Même si notre revue n’a pas pour visée de parler des critères diagnostiques des TSAF, le lecteur pourra consulter avec profit les autres classifications qui existent et également reconnues par la Haute autorité de santé (2013) telles que les Lignes directrices de l’agence de santé publique du Canada (Chudley et al., 2005) ou encore The fetal alcohol Syndrome: guidelines for referral and diagnosis (Centers for Disease Control and Prevention, 2004).

MÉTHODE

Les articles intégrés dans cette revue de la littérature ont été sélectionnés en utilisant les bases de données internationales Medline et PsycINFO à partir des mots clés suivants : « cognition and fetal alcohol syndrome », « neuropsychology and fetal alcohol spectrum disorders », « psychopathology and fetal alcohol spectrum disorders », « language and fetal alcohol spectrum disorders  » et « memory and fetal alcohol spectrum disorders» et « executive functionning and fetal alcohol spectrum disorders ». Seuls les articles utilisant une approche expérimentale allant de 1990 à 2019 ont été intégrés dans cette revue de la littérature.

LES TROUBLES COGNITIFS DANS LES TSAF

La littérature sur les troubles cognitifs dans les TSAF est conséquente, révélant l’importance du questionnement autour des difficultés que rencontrent ces patients. Les études d’imagerie cérébrale ont permis d’identifier des anomalies structurales dans diverses régions du cerveau comprenant l’hippocampe, le cervelet, le noyau caudé, les ganglions de la base, le corps calleux et le cortex (Mattson et Riley, 1999; Riikonen, Salonen, Partanen et Verho, 1999). Ces atteintes cérébrales peuvent expliquer les déficits neuropsychologiques que présentent les individus; et de l’ensemble de la littérature, il émerge plusieurs domaines cognitifs déficitaires : le raisonnement intellectuel, le langage, la mémoire et les apprentissages, les fonctions exécutives et attentionnelles et enfin le fonctionnement adaptatif et social.

Le raisonnement intellectuel

La plupart des études ont révélé la présence de déficits intellectuels chez les personnes présentant un TSAF (Adnams et al., 2001; Jacobson, Jacobson, Sokol, Chiodo et Corobana, 2004; Mattson, Riley, Gramling, Delis et Jones, 1997; Mattson et Riley, 1998). Ces déficits intellectuels ont été mis en lien avec le taux de consommation d’alcool évalué chez les mères : plus l’enfant a été exposé, moins le QI est élevé (Mattson et al., 1997; Streissguth et al., 1991). Par ailleurs, plusieurs travaux ont indiqué que le niveau intellectuel constituait un facteur de vulnérabilité à l’apparition de déficiences secondaires et de troubles d’ordre psychiatrique (Rasmussen, Andrew, Zwaigenbaum et Tough, 2008; Streissguth, Barr, Kogan et Bookstein, 1996). En ce qui concerne les troubles neuropsychologiques, les études montrent qu’ils ne sont pas prédits par les scores de QI des personnes présentant un TSAF (Connor, Sampson, Bookstein, Barr et Streissguth, 2000; Kerns, Don, Mateer et Streissguth, 1997; Rasmussen et al., 2013). À titre d’exemple, en comparant les scores de QI total aux scores obtenus à la batterie d’évaluation des fonctions cognitives NEPSY II (Davis et Matthews, 2010), Rasmussen et al. (2013) ont observé une absence de corrélation. Plus précisément, les performances à la batterie NEPSY II étaient en deçà de celles prédites par le QI. En outre, cette batterie apparaissait être un outil de mesure fiable et efficace pour identifier l’ensemble des déficits neuropsychologiques des individus présentant un TSAF.

Les habiletés langagières

Le développement langagier des enfants atteints de TSAF est affecté de façon significative par l’exposition prénatale à l’alcool (Church et Kaltenbach, 1997; Janzen, Nanson et Block, 1995; Mattson, Schoenfeld et Riley, 2001; McGee, Bjorkquist, Riley et Mattson, 2009). En utilisant une méthodologie d’examen rétrospectif des dossiers d’enfants atteints de TSAF de 5 à 18 ans, Proven, Ens et Beaudin (2014) ont observé que près de 70  % d’entre eux présentaient d’importantes difficultés langagières au test CELF d’évaluation clinique des notions langagières fondamentales (CELF : Semel, Wiig et Secord, 2003). Si les troubles de la parole et de l’articulation ont été décrits en lien avec les anomalies faciales typiques du SAF (McGee et al., 2009), les travaux menés jusqu’à présent suggèrent également des atteintes langagières expressives et réceptives, ce en lien avec les dysfonctions du système nerveux central.

Sur le plan expressif, il a été montré que les enfants atteints de TSAF produisent des discours moins complexes et moins complets que les enfants non touchés (Kodituwaki, 2009). La dénomination verbale (Mattson et al., 1997) ainsi que la fluidité verbale sont aussi affectées (Mattson et Riley, 1999; Schoenfeld et al., 2001). Sur le plan réceptif, plusieurs études mentionnent des difficultés grammaticales et sémantiques (Adnams et al., 2001; Conry, 1990; Kodituwakku et al., 2006). Enfin, concernant les aspects pragmatiques du langage, ils semblent les plus touchés par l’exposition prénatale à l’alcool (Abkarian et al., 1992; Kodituwakku, Handmaker, Cutler, Weathersby et Handmaker, 1995). Coggins, Timler et Olswang (2007) ont en effet observé une utilisation inappropriée du langage chez des enfants de 6 à 12 ans entraînant d’importantes difficultés sur le plan social. À noter, comme le souligne Kodituwaki (2009), que les tâches langagières utilisées dans l’ensemble des études mentionnées impliquent bien souvent la mémoire de travail verbale. Pour l’auteur, l’interprétation des déficits langagiers est donc à nuancer au regard des performances en mémoire de travail. Il est donc clair que les psychologues devront porter un intérêt tout particulier à ce point important du bilan neuropsychologique. De fait, que ces atteintes soient mnésiques ou langagières elles retarderont inévitablement l’acquisition de la lecture et de l’écriture ou encore du raisonnement mathématique (Howell, Lynch, Platzman, Smith et Coles, 2006; Kopera-Frye, Dehaene et Streissguth, 1996), lesquelles doivent être systématiquement évaluées.

Mémoire et apprentissage

Plusieurs études ont relevé des difficultés d’apprentissage et de mémoire chez les patients présentant un TSAF (Mattson, Riley, Delis, Stern et Jones, 1996; Mattson et Riley, 1999; Roebuck-Spencer et Mattson, 2004). Par ailleurs, notons que la recherche animale a confirmé la présence d'impacts de l’exposition prénatale à l’alcool dans les régions clés du cerveau impliquées dans le fonctionnement mnésique (Maier et West, 2001). Les données des études montrent que les déficits en mémoire verbale sont plus fréquents que ceux en mémoire visuelle (Hamilton, Kodituwakku, Sutherland et Savage, 2003; Mattson et al., 1996, 1998). Cependant, ce constat traduirait plutôt la fréquence avec laquelle les deux sphères verbale et visuelle sont évaluées dans les travaux, qu’une véritable dissociation pour ces deux types de mémoires (Mattson et Roebuck, 2002; Uecker et Nadel, 1996).

Pour autant, au test California Verbal Learning Test-Children’s version (Delis, Kramer, Kaplan et Ober, 1994), Mattson et Riley (1999) ont observé que le rappel libre des informations, qui implique l'utilisation de stratégies de récupération, est déficitaire chez les enfants présentant un TSAF. À ce même test, Lewis et al. (2015) ont confirmé que ces patients présentent d’importantes difficultés pour élaborer des stratégies impliquant en l’occurrence des catégories sémantiques. De fait, d’autres travaux suggèrent que l’absence de stratégies d’apprentissage durant l’encodage des informations est responsable du déficit mnésique (Mattson et Roebuck, 2002; Willford, Richardson, Leech et Day, 2004). Willford et al. (2004) ont proposé à des patients deux épreuves de mémoire : une épreuve de rappel de paires de mots et une autre de rappel d’une histoire. Les résultats ont montré d’importantes difficultés dans le rappel des paires de mots, tandis que le rappel de l’histoire était préservé. Cette constatation suggérait que lorsqu’est offerte une structure de rappel (i.e. dans le rappel d’une histoire), la récupération des informations est efficiente. Une explication possible d’une telle constatation suggère un enracinement du trouble mnésique dans un dysfonctionnement plus large qui se situerait au niveau exécutif.

Fonctions exécutives et attentionnelles

Les processus exécutifs peuvent être définis comme les processus cognitifs qui contrôlent et régulent les autres activités cognitives. Le déficit exécutif est un symptôme caractéristique des TSAF (pour une revue voir Green et al., 2009; Khoury, Milligan et Girard, 2015). Sur le plan cérébral, des études confirment l’impact de l’exposition prénatale à l’alcool sur le développement du cortex frontal et préfrontal (Rasmussen et Bisanz, 2009). À noter ici, l’absence de lien entre les déficits exécutifs et la présence d’une dysmorphie faciale caractéristique du SAF (Connor et al., 2000; Mattson et Riley, 1999). À titre d’exemple, à l’ensemble des sous-tests de l’échelle NEPSY II, les personnes présentant un TSAF montraient des difficultés importantes par rapport au groupe contrôle; et en particulier en ce qui concerne la formation de concepts, la planification, l'inhibition et la flexibilité (Enns et Taylor, 2016; Mattson et Riley, 1999; Rasmussen et al., 2013). Ces résultats concordent avec d’autres études ayant montré des difficultés de résolution de problèmes à l’échelle D-KEFS (Delis, Kaplan et Kramer, 2001) ou encore au test Wisconsin Card Sorting Test (Heaton, Chelune, Talley, Kay et Curtis, 1993) (voir Kodituwakku, Kalberg et May, 2001; Rasmussen et Bisanz, 2009). À la batterie d’évaluation des fonctions exécutives CANTAB (Cambridge Cognition, 2006), Green et al. (2009) ont observé des difficultés dans la prise de décision et également dans l'utilisation et la planification de stratégies chez des patients de 8 à 15 ans. De manière générale, ces patients présentaient des temps de réaction et de décision plus longs que la norme de leur groupe d’âge. Ainsi, des difficultés plus importantes ont été rapportées dans les échelles complétées par les parents – comme à l’inventaire d'évaluation comportementale des fonctions exécutives BRIEF (Rai et al., 2017). Un autre point intéressant qui ressort des études concerne les difficultés des patients à décrire verbalement les actions entreprises pour réussir un test (McGee et al., 2008; Rasmussen et Bisanz, 2009). Aussi, de telles observations poussent le clinicien à considérer ces habiletés d’ordre métacognitives au cours de l’évaluation neuropsychologique, lesquelles doivent faire l’objet d’une attention toute particulière.

Sur le plan de l’attention, la majorité des personnes présentant un TSAF manifestent une comorbidité avec un Trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) (Fryer, McGee, Matt, Riley et Mattson, 2007; Lee, Mattson et Riley, 2004; Nanson et Hiscock, 1990; O’Malley, 2008). Si la vigilance n’est généralement pas atteinte chez les enfants atteints de TSAF (Carmichael-Olson et al., 1998; Coles et al., 1997), les déficits d’attention dirigée et soutenue sont au premier plan (Coles et al.,1997; Lee et al., 2004). En effet, des difficultés importantes ont été retrouvées dans l’allocution des ressources attentionnelles et leur maintien dans le temps (Nanson et Hiscock, 1990). Cependant, Coles et al. (1997) ont noté qu’en dépit des difficultés significatives de l’attention dirigée des enfants atteints de TSAF, ces participants obtenaient des performances supérieures à celles d’enfants présentant un TDAH. Selon Coles et al. (1997), ces symptômes d’inattention seraient dus aux contextes sociaux et environnementaux dans lesquels évoluent les enfants atteints de TSAF.

Fonctionnement adaptatif et social

Des déficits significatifs dans les sphères adaptatives et sociales ont systématiquement été retrouvés dans les TSAF (Jirikowic, Kartin et Carmichael-Olson, 2008; O’Connor et Paley, 2006; Popova, Lange, Probst et Rehm, 2017; Whaley, O’Connor et Gunderson, 2001). À l’échelle d’évaluation du fonctionnement adaptatif VINELAND (Sparrow, Balla et Cicchetti, 1984), les dysfonctionnements touchent en particulier les domaines de la socialisation et des compétences interpersonnelles. Chez des adolescents atteints d’un TSAF, Carmichael-Olson et al. (1992) ont en effet observé une altération des habiletés sociales et en particulier de la capacité à se conformer aux conventions sociales. Les problèmes les plus importants concernaient l’incapacité à considérer les conséquences de ses actions, le manque de réactivité aux signaux sociaux et les mauvaises relations interpersonnelles (Streissguth et al., 1991). Par ailleurs, une variété de déficiences secondaires sont évoquées dans le quotidien des patients (Mattson et Riley, 1999; Spohr, Willms et Steinhausen, 2007). À titre d’exemple, dans l’étude de Green et al. (2009), parmi les patients atteints de TSAF, l’auteur retrouvait en premier lieu des troubles du sommeil (61,7  %), de l’hyperactivité (59,6 %), des troubles de l’opposition (21,3 %), et enfin, des troubles anxieux (16,9 %) et dépressifs (11,2 %). L’ensemble de ces troubles constituent un défi pour les intervenants médico-sociaux, mais également pour les acteurs judiciaires, puisque les patients se retrouvent bien souvent impliqués dans des affaires criminelles, jusqu’à 60 % d’entre eux (Fast et Conry, 2009; Moore et Green, 2004; Parkinson et McLean, 2013).

DISCUSSION

La revue de la littérature a mis en évidence un éventail de déficits cognitifs chez les patients atteints de TSAF (Kodituwakku, 2009; Mattson et al., 2011), dont un nombre important de conséquences dans le fonctionnement de la vie quotidienne (Steinhausen et Spohr, 1998; Streissguth et al., 2004). Aucun profil cognitif n’a pu être clairement dégagé jusqu’à présent, ce qui complique l’aide au diagnostic des formes de TSAF sans caractéristiques faciales. Une des raisons de l’absence de profil caractéristique est la difficulté à constituer des sous-groupes cliniques dans les recherches scientifiques (Rasmussen, 2013). Une autre raison concerne les critères d’inclusion et d’exclusion choisis dans ces études. Selon les critères choisis, on retrouve des troubles comorbides tels que des troubles du sommeil, des troubles anxieux ou encore des TDAH (Green et al., 2009). Ces troubles constituent des facteurs confondants au diagnostic de TSAF. De fait, la comorbidité associée au TSAF est une limite méthodologique classique dans les études qui visent à préciser le profil cognitif de ce syndrome. Pourtant, il y a bien certaines fonctions cognitives qui apparaissent plus touchées que d’autres. En effet, l’ensemble des travaux tend à montrer que les difficultés les plus importantes émergent lors de la réalisation de tâches faisant appel aux fonctions exécutives et attentionnelles (Mattson et al., 2011). Kodituwakku (2007) a observé que, dans la plupart des tâches cognitives simples, les patients atteints de TSAF présentaient des performances intactes tandis qu’il notait « un déficit généralisé dans le traitement de l’information complexe » (p. 199). Selon l’auteur, le faible niveau intellectuel associé à un ralentissement de la vitesse de traitement était consistant avec ce déficit généralisé. En pratique clinique, ces considérations sont toutefois difficiles à observer pour plusieurs raisons, comme le soulignent Kerns et Carmichael-Olson (2010). D’abord le niveau de complexité des tâches n’est pas un construit mesurable en tant que tel. Ensuite, il est possible que les difficultés retrouvées aux tâches dites complexes soient tout au plus, le simple reflet d’un trouble cognitif global et diffus.

Un autre point concerne les trajectoires développementales liées au TSAF. Au vu de l’ensemble des travaux répertoriés, il apparaît essentiel d’examiner les trajectoires sur lesquelles s’engagent les enfants et adolescents atteints d’un TSAF. De très récents travaux se sont intéressés à cette question (Carter et al., 2016), mais la difficulté de préciser ces trajectoires subsiste dans l’intrication complexe entre les différents facteurs impliqués dans le développement de l’enfant et également du type de prises en charge thérapeutique proposées (Domeij et al., 2018; Singal et al., 2018).

CONCLUSION

Au total, l’ensemble de ces difficultés cognitives et comportementales suggère que l'alcool est un tératogène puissant qui affecte les sphères scolaires, professionnelles et sociales pour lesquelles des mesures de prises en charge sont essentielles. Deux points constituent des leviers fondamentaux pour accroitre la sensibilisation aux TSAF : la prévention et la reconnaissance précoces du diagnostic.

Concernant la prévention, un enjeu crucial concerne le repérage précoce de la consommation d’alcool dès la conception de l’enfant. En effet, l’exposition prénatale à l’alcool continue d’être sous-évaluée et par ce biais, les TSAF manquent trop souvent d’être reconnus. Pourtant, l’obtention de cette information doit représenter une étape initiale à toute démarche évaluative pour les cliniciens. Sans cette information, l’étiologie des troubles est incertaine. Selon Manriquez et ses collaborateurs (2019), il convient donc d’informer toute femme enceinte, ou désirant le devenir, sur les dangers d’une consommation, même modérée, d’alcool. Différents programmes de prévention mis en place au Canada (Pei et al., 2019) ou encore en Australie (NIDAC, 2012) montrent des résultats prometteurs. A titre d’exemple, Pei et ses collaborateurs (2019) ont évalué les effets des programmes d'aide aux parents et aux enfants instaurés dans la province de l’Alberta au Canada. Les auteurs ont montré que les différents programmes de prévention axés sur les relations parent-enfant, ou encore sur la communauté, avaient des répercussions positives sur le devenir des enfants présentant un TSAF.

Si la prévention a échoué, on sait désormais qu’une reconnaissance précoce du diagnostic est un facteur favorable de réhabilitation cognitive, adaptative ou sociale. L’évaluation neuropsychologique approfondie est donc cruciale dans le diagnostic précoce, mais également pour l’établissement de recommandations appropriées quant aux services et supports à apporter aux patients et à leur entourage. La plupart des enfants présentant un TSAF rencontrent des difficultés scolaires ou comportementales, en lien avec leurs troubles cognitifs. Aussi, une meilleure compréhension de la nature et du degré de sévérité des symptômes, permettra un développement favorable de l’enfant présentant un TSAF. Ainsi, on retiendra que devant un retard de croissance, une dysmorphie, une microcéphalie, un retard psychomoteur, une déficience intellectuelle, des troubles des apprentissages et/ou du comportement, il est important de penser à une alcoolisation prénatale. Si l’exposition prénatale à l’alcool est confirmée, l’évaluation devra tenir compte du moment de consommation au cours de la grossesse, de l’âge de l’enfant, des facteurs de vulnérabilités et des traitements mis en route (Chudley et al., 2005; Jacobson et al., 1998; Maier et West, 2001). Le repérage précoce et systématique des éléments somatiques, sociaux ou psychoaffectifs permettra également de favoriser la protection et la sécurité de l’enfant. Par ailleurs, on sait désormais que la reconnaissance d’un diagnostic permet d’atténuer le sentiment de responsabilité de l’enfant dans ses troubles.

Finalement, c’est à partir de cette évaluation que des aménagements pourront être mis en place de façon cohérente entre les différents partenaires (famille, école, services médico-sociaux). La littérature a mis en évidence un certain nombre d’interventions encourageantes (Paley et O'Connor, 2011; Peadon, Rhys-Jones, Bower et Elliott, 2009). Ces interventions comprennent les programmes de réhabilitation cognitive (Wells, Chasnoff, Schmidt, Telford et Schwartz, 2012), les thérapies comportementales (Paley et O'Connor, 2011), ou encore la formation des parents (Peadon et al., 2009). L’ensemble de ces interventions offrent des bénéfices sur le plan de la santé, mais elles permettent également d’atténuer le sentiment de stigmatisation et de dévalorisation dont souffrent les parents et les enfants.