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L'intimidation est une agression répétée comprenant un ou plusieurs agresseurs infligeant intentionnellement une blessure physique ou psychologique à une victime (Olweus, 1993). Elle implique un déséquilibre dans le rapport de force, les personnes exposées à des comportements blessants ayant de la difficulté à se défendre (Olweus, 1994). Au Canada, au moins un adolescent sur trois serait victime d'intimidation à l'école (Gouvernement du Canada, 2017; Molcho, Craig, Due, Pickett, Harel-Fisch, Overpeck et HBSC Bullying Writing Group, 2009). Les jeunes qui en sont victimes peuvent manifester des symptômes de dépression et d'anxiété, des problèmes de concentration et de faibles résultats scolaires (Ma, Phelps, Lerner et Lerner, 2009). Ainsi, l’intimidation entraîne de sérieuses conséquences justifiant l’importance de trouver des moyens d’y remédier.

En 2012, le Gouvernement du Québec a adopté la Loi visant à prévenir et à combattre l'intimidation et la violence à l'école qui prévoit l’adoption et la mise en oeuvre d’un plan de lutte dans les établissements d’enseignement publics et privés, ayant : « principalement pour objet de prévenir et de contrer toute forme d’intimidation et de violence à l’endroit d’un élève, d’un enseignant et de tout autre membre du personnel de l’école » (Gouvernement du Québec, 2012, p. 4). Ainsi, les commissions scolaires doivent : « veiller à ce que chacune de ses écoles offre un milieu d’apprentissage sain et sécuritaire, de manière à ce que tout élève, qui la fréquente, puisse y développer son plein potentiel à l’abri de toute forme d’intimidation » (Gouvernement du Québec, 2012, p. 2). Afin de maintenir un milieu scolaire sain et sécuritaire, les professionnels des services éducatifs complémentaires[2], dont le psychologue scolaire, peuvent être appelés à intervenir auprès des victimes, des agresseurs et des témoins d’actes d’intimidation. Selon l’Ordre des psychologues du Québec (OPQ, 2007), le psychologue scolaire peut offrir une variété d’interventions auprès des élèves lorsqu’ils vivent du stress ou des situations difficiles sur les plans sociaux, affectifs et familiaux. Il utilise des interventions basées sur les résultats de son évaluation clinique ou psychométrique, ainsi qu’avec les objectifs de traitement. En ce sens, il peut offrir des services d’intervention, entre autres, en relation d’aide, en counselling, en soutien familial, en accompagnement, en éducation, en réadaptation ou en psychothérapie. Ce professionnel intervient contre l’intimidation dans toutes ses formes :

le psychologue scolaire s’engage dans des activités qui favorisent, restaurent, maintiennent ou développent le fonctionnement positif et le bien-être de l’élève, qui le soutiennent dans son cheminement scolaire et qui lui permettent de s’épanouir sur les plans personnel et social

OPQ, 2007, p.13-14

L’intimidation peut cibler les élèves appartenant à la diversité sexuelle et de genre (ÉDSG). Les ÉDSG sont de jeunes personnes qui s'identifient comme lesbienne, gaie, bisexuelle, transsexuelle, transgenre ou non binaire [American Psychological Association, 2012; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPJQ), 2007]. Dans le même ordre d’idées, la définition de l’homophobie adoptée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPJQ, 2007) s’appuie sur la construction sociale de la masculinité et de la féminité : « l’homophobie renvoie aux sentiments de peur et d’aversion que ressentent certaines personnes, à l’égard de toute personne dont l’apparence ou le comportement ne se conforme pas aux stéréotypes de la masculinité ou de la féminité » (p. 12). Dans le cadre de la présente étude, la définition de l’intimidation à caractère homophobe (ICH) s’appuie sur celle d’O’Higgins-Norman, Goldrick et Harrison (2010), soit toute forme d’intimidation envers un élève appartenant à la diversité sexuelle et de genre (ÉDSG) ou un langage utilisé, qui pourrait être dénigrant envers tout élève, en raison de son orientation sexuelle réelle ou perçue, ou son expression de genre non conforme aux stéréotypes traditionnels (Boucher et al., 2013).

Une enquête canadienne sur l'homophobie et le climat scolaire révèle que 64 % des ÉDSG ne se sentent pas en sécurité à l’école (Taylor, Peter, McMinn, Elliott, Beldom, Ferry et al., 2011). Selon l’enquête américaine National School Climate Survey menée par le Gay, Lesbian and Straight Education Network, parmi les 7261 participants ÉDSG âgés de 13 à 21 ans, 90 % déclarent avoir été harcelés verbalement et 40 % physiquement (Kosciw, Greytak, Diaz et Bartkiewicz, 2010). Dans leur étude canadienne auprès de 3607 élèves au secondaire, Taylor et Peter (2011) soulèvent que 50,8 % des ÉDSG disent avoir été victimes de harcèlement verbal et 20,8 % de harcèlement physique en raison de leur orientation sexuelle. Une enquête menée auprès de plus de 4000 élèves québécois au secondaire et au collégial (Chamberland, Émond, Julien, Otis et Ryan, 2010), révèle que 39 % des participants du secondaire disent avoir été victimes d’ICH, peu importe leur orientation sexuelle. Parmi les ÉDSG de l’enquête, 69 % rapportent avoir été la cible d’ICH.

L’ICH dans les écoles entraîne des conséquences majeures chez les victimes, particulièrement les ÉDSG (Friedman, Marshal, Guadamuz, Wei, Wong, Saewyc et Stall, 2011). Les ÉDSG victimes, sont susceptibles d’éprouver des difficultés d’ordre psychosocial, notamment de l’isolement, des troubles anxieux ou de l’humeur, une faible estime de soi, de l’automutilation, ainsi que des idéations et des comportements suicidaires (Chamberland, Richard et Bernier, 2013; Johnson, Kidd, Dunn, Green, Corliss et Bowen, 2011; Kosciw et al., 2010). De plus, ces élèves présentent des taux élevés d'absentéisme et de décrochage scolaire. Ils sont également enclins à avoir des aspirations scolaires limitées ou de faibles sentiments d’appartenance à leur établissement scolaire (Chamberland et al., 2010; 2013).

Notre recension des écrits répertoriés sur plusieurs bases de données soit Education Resources Information Center, Google Scholar, PsycInfo et PsycArticles, à l’aide de mots-clés (school psychologist, bullying, homophobia, sexual identity et mental health), selon les années de publication 2005 à 2017, révèle que peu d’études abordent l’implication du psychologue scolaire relativement à l’ICH. De plus, il ne semble pas y avoir d’études québécoises qui ont été publiées concernant l’implication des psychologues scolaires dans les situations d’intimidation. En effet, les principaux écrits québécois sur le sujet proviennent de la Revue québécoise de psychologie (Leclerc et Beaumont, 2014) ainsi que du journal Psychologie Québec (Gagné, 2005, 2010). Aussi, l’OPQ (2007) ne spécifie pas si le psychologue scolaire est obligé d’intervenir contre l’intimidation. En ce sens, cette étude s’intéresse à l’implication des psychologues scolaires, relativement à la promotion de la santé mentale des élèves affectés par l’intimidation générale et l’ICH.

OBJECTIFS DE L’ÉTUDE

La présente étude vise à dresser un premier portrait des expériences rapportées de psychologues scolaires québécois, concernant leur implication dans la lutte contre l’intimidation générale et l’ICH dans les écoles secondaires. Spécifiquement, cette étude vise à répondre aux questions suivantes : (a) quel est le taux d’implication des psychologues scolaires dans la lutte contre l’intimidation générale et l’ICH, auprès des garçons, des filles, des agresseurs et des victimes; (b) quelle formation initiale et continue reçoivent-ils par rapport à l’intimidation générale et à l’ICH.

MÉTHODE

Participants

Notre échantillon de convenance comprend quarante-trois psychologues participants volontaires. Neuf hommes et 34 femmes, âgés en moyenne de 43,12 ans (ÉT = 9,26) ont participé à cette étude. Les participants ont travaillé à temps plein (n = 21) ou à temps partiel (n = 22) au secondaire depuis en moyenne 9,64 ans (ÉT = 7,34). Trente-sept participants possèdent une maîtrise en psychologie, alors que six détiennent un doctorat. Le critère d’inclusion est d’oeuvrer à titre de psychologue dans une école secondaire québécoise depuis au moins deux ans. Aucun critère d’exclusion n’est utilisé dans cette étude.

Questionnaire

Les participants ont répondu à un questionnaire constitué de 24 questions fermées à réponses brèves (incluant les données sociodémographiques), regroupées en trois sections et élaborées par le chercheur de cette étude, à partir de données théoriques et empiriques sur l'intimidation. La première section (huit questions) porte sur les données sociodémographiques. Elle comprend aussi une question portant sur les acteurs scolaires jugés les plus souvent impliqués dans la lutte contre l’intimidation. La deuxième section (12 questions et quatre sous-questions) examine les taux d’implication et de prévention des participants concernant l’intimidation. La troisième section (quatre questions) porte sur la formation universitaire et continue reçue en matière d’intimidation. Un comité composé de cinq experts en psychologie de l'éducation (quatre professeurs universitaires et un psychologue exerçant dans une école secondaire) a effectué une validation de contenu du questionnaire. Les commentaires des experts ont servi à modifier quelques items pour clarifier leur sens. Par la suite, une préexpérimentation a été effectuée auprès de trois psychologues, menant à quelques reformulations.

Mode de recrutement des participants

D’abord, le comité d’éthique de la recherche avec des êtres humains de la Faculté des sciences humaines de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a approuvé le projet de recherche, par le biais d’un certificat d’éthique. Par la suite, le chercheur de cette étude et une étudiante au doctorat en psychologie ont recruté les psychologues scolaires en personne, lors d’un congrès annuel de l’Association québécoise des psychologues scolaires (AQPS), en vue de leur faire remplir anonymement le questionnaire sur les lieux. Le chercheur de l’étude a aussi envoyé un courrier électronique contenant le questionnaire à certains psychologues membres de l’AQPS qui le préféraient. Les participants possédant deux années (ou plus) de pratique professionnelle comme psychologue en milieu scolaire ont été retenus pour l’étude. Le chercheur a fourni une définition ou un exemple des termes centraux de l'étude aux participants tels: intimidation générale et intimidation à caractère homophobe, pour assurer une compréhension uniforme. Ces termes sont présentés dans le Tableau 1. Notons qu’au moment du recrutement des participants de l’étude, l’AQPS comprenait 514 membres inscrits travaillant au primaire, au secondaire ou dans les deux milieux, dont 90 hommes et 424 femmes [R. Pelletier (AQPS), communication personnelle, 28 juin 2013].

Analyse de données

Dans un premier temps, les données descriptives compilées à l’aide du logiciel Excel ont permis d’obtenir des fréquences, des moyennes et des écarts types sur l’intervention directe et indirecte, les actions de prévention et la formation relative à l’intimidation. Dans un deuxième temps, des corrélations de Pearson (r) ont mis en relation le nombre d’années d’expérience professionnelle des participants et leurs taux d’implication directe en matière d’intimidation. Des comparaisons entre les psychologues concernant leur niveau de scolarité (maîtrise ou doctorat) n’ont pas été effectuées en raison du faible nombre de participants qui possèdent un doctorat en psychologie (n = 6). De plus, en raison du nombre restreint d’hommes (n = 9), des comparaisons selon le sexe des participants, n’ont pu faire objet d’une analyse statistique.

RÉSULTATS

Cette section aborde les résultats de l’étude en relation avec les deux grands thèmes, soit a) le taux d’implication (intervention directe, intervention indirecte et prévention) des psychologues scolaires et b) la formation initiale et continue des psychologues scolaires. Chaque sous-section présente des résultats au sujet de l’intimidation générale et l’ICH.

Acteurs scolaires qui interviennent le plus souvent contre l’intimidation

Les participants ont répondu à la question suivante : « À votre connaissance, quels acteurs scolaires interviennent le plus souvent contre l’intimidation (les psychologues, les psychoéducateurs, les directions scolaires, les travailleurs sociaux, les conseillers d’orientation, les enseignants, ou autres)? Une ou plusieurs réponses sont possibles ». Selon les participants de notre étude, les psychoéducateurs seraient les acteurs scolaires qui interviennent le plus souvent en cas d’intimidation (n = 24). Pour leur part, les psychologues scolaires évaluent leur taux d’implication, quant à l’intervention en cas d’intimidation, comme étant légèrement moins élevé (n = 18). Le Tableau 2 présente plus précisément leurs expériences rapportées à cet égard.

Tableau 1

Définitions et exemples de termes centraux à cette étude fournis aux participants

Définitions et exemples de termes centraux à cette étude fournis aux participants

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Tableau 2

Nombre de mentions rapportées par les psychologues scolaires (N = 43) sur les acteurs scolaires intervenant le plus souvent en cas d’intimidation

Nombre de mentions rapportées par les psychologues scolaires (N = 43) sur les acteurs scolaires intervenant le plus souvent en cas d’intimidation

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Intervention directe

La présente section réfère aux taux d’implication des psychologues scolaires relativement à l’intervention directe. Les participants ont répondu à la question « À quelle fréquence annuelle estimez-vous avoir fait une activité d'intervention directe, concernant l'intimidation dans les écoles secondaires? » et ont spécifié leur réponse selon des sous-catégories (auprès d’un agresseur-garçon, auprès d’une victime-garçon, auprès d’une agresseur-fille, auprès d’une victime-fille). Il en ressort, entre autres, que 39 psychologues scolaires posent des actions d’intervention directe sur l’intimidation générale, alors que 24 en posent sur l’ICH. Le Tableau 3 présente l’ensemble des statistiques descriptives sur la fréquence annuelle d’interventions directes, pour contrer l’intimidation parmi les participants ayant posé au moins une fois une telle action.

Le nombre d'années d'expérience professionnelle du psychologue corrèle positivement avec la fréquence annuelle d’intervention directe auprès de victimes-garçons en intimidation générale (r(41) = 0,35, p < 0,05). C’est-à-dire, plus le psychologue a accumulé d’années d’expérience, plus il intervient auprès de victimes-garçons en intimidation générale. Par ailleurs, le nombre d'années d'expérience professionnelle des psychologues corrèle positivement avec la fréquence annuelle d'intervention directe en ICH auprès de victimes-garçons (r(41) = 0,35, p < .05), et de victimes-filles (r(41) = 0,38, p < 0,05). Ainsi, plus le psychologue a accumulé d’années d’expérience, plus il intervient auprès de victimes (garçons et filles) d’ICH.

Intervention indirecte

Cette section présente les taux d’implication des psychologues scolaires en ce qui concerne l’intervention indirecte. Les participants ont répondu à la question suivante : « À quelle fréquence annuelle estimez-vous avoir fait de l’intervention indirecte, concernant l'intimidation dans les écoles secondaires? (p. ex., de la consultation auprès du personnel scolaire pour un cas d’intimidation générale) ». Trente-neuf (90,7 %) participants disent avoir posé, au moins une fois par année, des actions d’intervention indirecte sur l’intimidation générale. En moyenne, ces derniers posent 12,8 de ces actions annuellement (ÉT = 13,2; médiane = 6; étendue = 1-50). En ce qui a trait à l’ICH, 23 (53,5 %) participants effectuent, au moins une fois par année, des actions d’intervention indirecte, avec une moyenne annuelle de 5,8 actions (ÉT = 7,5; médiane = 2, étendue = 1-25). Ces actions comprennent, par exemple, l’offre de formation axée sur l’ICH auprès du personnel scolaire.

Prévention

Les participants décrivent leurs actions de prévention à l’aide de la question suivante : « À quelle fréquence annuelle estimez-vous avoir fait de la prévention en relation avec l'intimidation dans les écoles secondaires? ». Vingt et un (48,9 %) participants soutiennent avoir contribué, au moins une fois annuellement, à une initiative de prévention relative à l’intimidation générale. En moyenne, ces derniers posent 5,6 de ces actions au cours d’une année (ÉT = 10,0; médiane = 2; Étendue = 1-40). En ce qui concerne l’ICH, 9 (21,0 %) participants disent avoir contribué, au moins une fois annuellement, à des actions de prévention avec une moyenne de 3,9 actions (ÉT = 6,5; médiane = 1, Étendue = 1-21).

Tableau 3

Nombre annuel et pourcentages de psychologues scolaires (N = 43) qui posent des actions d’intervention directe sur l’intimidation et fréquence annuelle de ces actions

Nombre annuel et pourcentages de psychologues scolaires (N = 43) qui posent des actions d’intervention directe sur l’intimidation et fréquence annuelle de ces actions

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Formation initiale et continue

Les participants ont répondu aux deux questions suivantes : « Dans le cadre du cursus académique menant à l'obtention du diplôme qui vous a permis de joindre l'Ordre des psychologues du Québec, combien d’heures de formation abordant l’intimidation vous ont été offertes? » et « Combien d’heures de formation abordant l’intimidation vous ont été offertes au cours des deux dernières années? ». Les résultats démontrent que 30 psychologues scolaires mentionnent avoir reçu de la formation en ce qui concerne l’intimidation générale, alors que 11 mentionnent en avoir reçu sur l’ICH. Il est intéressant de noter qu’aucun psychologue n’a reçu de formation quant à l’ICH durant son parcours universitaire. Le Tableau 4 présente, de façon plus approfondie, le nombre d’heures de formation concernant l’intimidation générale et l’ICH reçue parmi les participants qui ont eu au moins une heure de formation.

Tableau 4

Nombre annuel et pourcentages de psychologues scolaires (N = 43) ayant reçu de la formation sur l’intimidation et nombre d’heures moyen de formation

Nombre annuel et pourcentages de psychologues scolaires (N = 43) ayant reçu de la formation sur l’intimidation et nombre d’heures moyen de formation

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DISCUSSION

Cette étude avait pour objectif de décrire l’implication des psychologues scolaires relativement à l'intimidation générale et l’ICH dans les écoles secondaires. Les participants de la présente étude perçoivent le psychoéducateur, le technicien en éducation spécialisée et le psychologue, comme étant les plus souvent impliqués dans la lutte contre l’intimidation dans les écoles. Selon l’Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec (2018), ce professionnel intervient dans le quotidien des personnes qui éprouvent des difficultés d’adaptation, notamment sur le plan comportemental, et il favorise l’action sur le terrain. Pour sa part, le technicien en éducation spécialisée intervient directement auprès des élèves présentant, entre autres, des troubles de comportement, afin de les outiller et favoriser leur intégration sociale, en leur enseignant des habiletés sociales (Commission scolaire de la Baie-James, 2018). Étant donné que les psychoéducateurs et les techniciens en éducation spécialisée sont souvent engagés pour les problèmes de comportement, il est logique qu’ils interviennent dans de telles situations. De plus, ils travaillent souvent à plein temps dans l’école, et l’on retrouve souvent plusieurs techniciens en éducation spécialisée au sein d’une même école. Par ailleurs, les participants jugent que les travailleurs sociaux et les enseignants sont moins souvent impliqués dans ce dossier. Les travailleurs sociaux relèvent plutôt des Centres locaux de services communautaires (CLSC) ou des hôpitaux, ce qui expliquerait le faible nombre de mentions de ces intervenants. Il se peut que les enseignants reçoivent des plaintes des élèves relativement à l’intimidation générale ou l’ICH et qu’ils les transmettent directement à la direction scolaire. En ce sens, ils n’offriraient pas eux-mêmes de l’intervention, et ce, pour diverses raisons, telles que le manque de formation ou de temps dans leurs horaires. Il est plausible que les écoles choisissent d’assigner des professionnels des services éducatifs complémentaires, tels que le psychologue scolaire, dans ces situations, plutôt que l’enseignant. Alors que certains enseignants peuvent se considérer outillés pour intervenir auprès d’élèves à l’égard des enjeux psychosociaux, d’autres peuvent éprouver un manque de confiance dans ce contexte (Graham, Phelps, Madison et Fitzgerald, 2011). Plusieurs enseignants ne reconnaissent pas la présence ou les effets de l’intimidation sur les victimes et ainsi, éprouvent de la difficulté à identifier des actes d’intimidation (Espelage, Polanin et Low, 2014). Comme l’enseignant est constamment en présence d’élèves, le fait d’intervenir et de s’impliquer dans ces questions pourrait-il entraver son travail quotidien et créer des conflits avec les élèves?

La majorité des psychologues participant à cette étude (90,7 %) ont offert de l'intervention directe ou indirecte pour contrer l'intimidation générale au cours des deux dernières années, tandis que seulement la moitié en a offert contre l’ICH. Le faible taux d’implication contre l’ICH pourrait signifier que cette forme d’intimidation est moins fréquente que l’intimidation générale. De plus, il se peut que les demandes soient acheminées à d’autres professionnels des services éducatifs complémentaires, tels que les psychoéducateurs et les techniciens en éducation spécialisée, qui sont présents plus de jours par semaine dans l’école. Ces autres professionnels semblent être plus souvent présents dans les lieux de l’école où se déroulent ces actes, par exemple sur la cour de récréation. Selon le First National Climate Survey on Homophobia in Canadian Schools (Taylor, Peter, McMinn, Schachter, Beldom, Ferry et al., 2010), 73 % des ÉDSG déclarent ne pas se sentir en sécurité à l’école. Ainsi, il est possible que ces élèves n’osent pas révéler l’aspect homophobe des actes d’intimidation lors des signalements par peur d’être incompris ou de ne pas recevoir de soutien. En ce sens, une intervention directe pour contrer l’intimidation générale offerte par un intervenant pourrait découler d’un problème d’ICH, sans que celui-ci ne soit explicitement déclaré par l’élève.

Il est à noter que l’écart-type pour chacune des catégories en intervention directe et indirecte, tant pour l’intimidation générale que l’ICH, toutes sous-catégories confondues (agresseurs, victimes, garçons, filles), est plus élevé que sa moyenne correspondante. Comme les étendues sont larges, dans certains tableaux, elles s’élèvent à 40 interventions par année, ces données extrêmes expliqueraient ce grand écart type. En ce sens, comme les étendues sont très larges, cela implique que certains psychologues scolaires feraient beaucoup d’interventions (n = 40), alors que d’autres n’en feraient aucune (n = 0). Cette donnée pourrait aussi signifier que les taux d’intimidation soient plus importants dans certaines écoles. Ainsi, il est possible que la région dans laquelle est située chaque école influence le niveau d’ouverture des élèves, quant à la diversité sexuelle. Plusieurs ressources communautaires qui favorisent le respect des différences sexuelles et d’expression de genre sont situées dans les milieux québécois urbains. Par exemple, les Groupes de recherche et d’intervention sociale gaie et lesbienne (GRIS) offrent des stratégies éducatives qui visent à informer les élèves de la réalité de l’homosexualité, et pour accompagner les démarches de changement dans les milieux scolaires (GRIS-Montréal, 2008).

L’expérience professionnelle des psychologues

Les analyses révèlent une faible corrélation, soit que plus les psychologues ont accumulé d'années d'expérience professionnelle, plus ils interviennent directement auprès de victimes lors d’actes d’intimidation générale (r(41) = 0,35, p < 0,05) et d’ICH (r(41) = 0,38, p < 0,05). Cette donnée pourrait indiquer que le milieu scolaire, dans lequel de nombreux systèmes interagissent, est complexe. Ainsi, des auteurs s’appuient sur le modèle écologique de Bronfenbrenner (1979) dans l’analyse de l’ICH et l’intimidation générale comme des phénomènes sociaux (Espelage, 2014; Hong et Garbarino, 2012; Hong, Lee, Lee, Lee et Garbarino, 2013). Ce modèle s’intéresse aux différents systèmes de la vie d’une personne, tels que les éléments individuels, familiaux et sociétaux. Selon ce modèle, l’ICH et l’intimidation générale interagissent avec d’autres phénomènes qui ont lieu dans les écoles, tels que les politiques du milieu ainsi que les valeurs de l’école et de la communauté dans laquelle elle est située. Malgré le fait que le psychologue scolaire se retrouve théoriquement dans ce modèle, il semblerait que cela ne reflète pas la réalité de terrain, dans le sens où il ne serait pas nécessairement sollicité dans les cas d’intimidation.

La formation à l’intimidation

Comme indiqué dans le Code d'éthique de l'American Psychological Association (2002), les psychologues sont appelés à être « conscients et à respecter les différences culturelles et individuelles, y compris l'orientation sexuelle, et essayer d'éliminer l'effet de leurs propres biais relatifs à ces facteurs » (p.1063). Pareillement, le guide explicatif du Code de déontologie des psychologues du Québec publié par l’OPQ (2008) mentionne que « le psychologue exerce sa profession dans le respect de la dignité et de la liberté de la personne […] qui ne sont pas modifiées par des différences, telles que […] l’orientation sexuelle » (p. 5). Malgré l’évolution des normes socioculturelles de l’expression de genre et la conscientisation sur la diversité dans la société québécoise (Susset, 2015), aucun participant de la présente étude n’a reçu de formation à propos de l’ICH pendant ses études universitaires et peu (25,6 %) en ont reçu en formation continue. Il semble que si les psychologues scolaires n’ont pas reçu de formation sur la diversité sexuelle et de genre, ils ne seraient pas nécessairement portés à intervenir contre l’ICH. Selon Lewis (2008), une brève formation de trois heures sur le développement de compétences en ce qui a trait à la diversité sexuelle et de genre, pourrait améliorer le sentiment de compétence, les connaissances et les attitudes des intervenants. En effet, le sentiment de compétence des psychologues scolaires concernant la diversité sexuelle est supérieur lorsqu’ils ont reçu au moins une séance de formation à cet effet (Perry, 2010). Ainsi, il paraît nécessaire d’intégrer au sein des programmes universitaires de psychologie de la formation au sujet de l’intimidation générale et de l’ICH, mais également sur la diversité sexuelle spécifiquement. Plus précisément, des cours sur la diversité dans toutes ses formes (sexuelle, culturelle, religieuse, etc.), les manifestations d’intimidation et l’ICH semblent essentiels.

Par ailleurs, des études menées dans divers pays ont mis en évidence l’effet positif du programme d’Olweus pour réduire les taux d’intimidation dans les écoles, et soutenir les élèves à risque (Olweus, 2001; Olweus et Limber, 2010). Le programme d’Olweus vise également à prévenir l’apparition d’actes d’intimidation et à améliorer les relations entre les élèves. Ce programme offre des interventions ciblées à la largeur de l’école, la salle de classe, l’individu, et dans certains cas, la communauté de l’élève (Olweus et Limber, 2010). De plus, des programmes d’habiletés sociales et de résolution de conflits en milieux scolaires sont utilisés dans plusieurs écoles au Québec. Des connaissances sur les programmes d’intervention qui prônent une approche mettant à contribution toute l’école, ce qui provoque souvent une réduction importante des taux d’intimidation, pourraient être diffusées auprès des étudiants universitaires de programmes de psychologie en éducation (Bauer, Lozano et Rivara, 2007). Ensuite, le premier stage clinique supervisé pour les étudiants universitaires de doctorat en psychologie a généralement lieu dans le centre de services de consultation des universités. Lors de ce stage, il pourrait être pertinent d’offrir une formation sur l’ICH et l’intimidation générale, et d’amener les stagiaires à offrir un soutien auprès des jeunes ayant vécu ce type de problème. Effectivement, la présence d’une telle formation pourrait contribuer au développement des connaissances et du sentiment de compétence professionnelle des étudiants en psychologie, et des psychologues scolaires en début de carrière.

Apports et limites de l’étude

Cette étude a permis de dresser un premier portrait de l’implication des psychologues scolaires relativement à l’intimidation générale et l’ICH, leur formation à cet égard et l’effet de leur quantité d’expérience professionnelle sur ces données. Les résultats ont aussi révélé qu’il semble n'exister que peu de formation destinée aux interventions contre l’ICH.

La présente étude comporte une limite qui a rapport aux résultats. Il est possible que des participants aient répondu au questionnaire de façon socialement acceptable, plutôt qu'en fonction de leur réalité sur le terrain. En ce sens, les taux d'implication des psychologues scolaires lors de situations d'intimidation ou d'ICH, rapportés dans cette étude, pourraient être surreprésentés. D'autres limites de l'étude portent sur le questionnaire. D’abord, la question sur les expériences rapportées des acteurs scolaires, le plus souvent impliqués dans la lutte contre l’intimidation, permet aux participants d’indiquer un ou plusieurs choix de réponse. Si les participants avaient été limités à un choix de réponse, il est possible que les résultats aient été plus représentatifs des taux réels d’implication. Ensuite, la définition de l'intimidation ne spécifiait pas si elle englobait ou non l’aspect « à caractère homophobe ». Il est alors possible que certains participants aient répondu au questionnaire de sorte que les résultats à certains énoncés se répètent. Aussi, une définition des termes activité et intervention n’a pas été offerte aux participants. Il est donc possible que ces derniers aient interprété différemment le sens de ces énoncés (une rencontre ponctuelle formelle ou informelle, plusieurs rencontres qui portent sur un thème particulier, un suivi complet auprès d’un élève, etc.) affectant la fréquence des réponses. Comme notre étude consiste en un bref sondage, les participants n’ont pas été demandés de définir le milieu dans lequel ils évoluent (rural ou urbain, défavorisé ou non, public ou privé). Toutefois, cette information aurait pu être pertinente dans l’interprétation des résultats. Finalement, les résultats de cette étude témoignent de la pénurie de formation universitaire et professionnelle des psychologues sur l’intimidation générale et l’ICH. Cette étude n’a pas permis d’obtenir d’information sur les moyens par lesquels les psychologues sont arrivés à suivre une formation (de façon volontaire ou imposée par le milieu), ce qui aurait pu apporter des éclaircissements sur cette question.

Pistes de recherche

L’ICH, un phénomène auquel la littérature scientifique s’est récemment intéressée, est reconnu comme affectant la santé mentale des élèves, et plus particulièrement celle des ÉDSG (CDPJQ, 2007). Comme recommandation clinique, il paraît pertinent d'offrir aux psychologues et aux autres intervenants en milieu scolaire, des formations initiales et continues relatives aux conséquences de l’ICH sur l'élève et aux interventions efficaces pour lutter contre ce problème. Ces formations, offertes en personne ou en ligne, pourraient être accréditées par l’Ordre des psychologues du Québec. Il faudrait baser ces formations sur l’expertise des organismes communautaires qui en offrent sur ce sujet tel L’homophobie entre jeunes : passer à l’action donnée par la Coalition des familles homoparentales (2017). Par ailleurs, les membres de l'Association québécoise des psychologues scolaires bénéficieraient de lire des textes publiés par le Bulletin de liaison des psychologues scolaires, portant sur ces sujets et constituant une base importante de formation continue. Cette publication est surtout composée d'une adaptation d'études publiées en anglais dans différents périodiques de psychologie scolaire.

Ensuite, la réalisation d’études qualitatives, sur les expériences rapportées des psychologues scolaires sur les actions faites par les équipes-écoles, leur sentiment de compétence professionnelle ainsi que leurs recommandations sur les « meilleures pratiques » pour contrer l’intimidation paraissent primordiales, dans le but d’éclairer la recherche dans ce domaine, et de soutenir les milieux scolaires. De plus, il semble important que les diverses commissions scolaires, les professionnels des services éducatifs complémentaires et les chercheurs dans le domaine poursuivent leurs démarches, dans le but d’assurer des services accessibles aux élèves et à leurs familles.

Enfin, les résultats de la présente étude ouvrent sur des horizons plus larges quant aux rôles en santé mentale et psychosociaux des psychologues scolaires. Sachant que les psychologues scolaires desservent généralement plusieurs écoles, il paraît donc urgent de mener des recherches sur la répartition du temps de ces professionnels selon leurs diverses fonctions, ainsi que sur les variables, telles que le nombre d’écoles desservies et les demandes administratives qui peuvent influencer ce qu’ils font dans les écoles.