Résumés
Résumé
Certaines thérapies complémentaires, comme le yoga, ont démontré leur efficacité pour intervenir sur les symptômes associés au trouble du spectre de l’autisme (TSA) et ceux découlant des troubles concomitants à ce diagnostic. L’objectif de cette recherche est d’explorer les effets de la pratique du yoga sur les comportements attentionnels d’adolescents ayant un TSA. Pour ce faire, douze élèves fréquentant une école secondaire de Montréal ont rempli un questionnaire visant à évaluer leurs comportements d’attention, puis ont participé à des séances de yoga à l’école. Également, la fréquence des comportements d’attention à une tâche en classe a été rapportée, avant et après chacune des séances de yoga. Les résultats font ressortir une augmentation significative de la fréquence des comportements d’attention des adolescents après leur participation à une séance de yoga. Cette recherche exploratoire suggère que la pratique du yoga peut être une intervention pouvant améliorer la concentration des élèves en classe.
Mots-clés :
- trouble du spectre de l’autisme,
- yoga,
- adolescents,
- milieu scolaire,
- comportements attentionnels
Abstract
Complementary therapies, such as yoga, have been shown to be effective in intervening on the core symptoms of ASD and on the symptoms associated to concomitant disorder. The purpose of this research is to explore the effects of yoga on the attention behaviors of adolescents with ASD. First, twelve students attending a high school in Montreal completed a questionnaire to assess their attention behaviors problems, then they participated to yoga sessions at school. In addition, the frequency of attention behaviors to a task completed in class was reported before and after each yoga session. The results show a significant increase in the frequency of adolescent attention behaviors after participating in a yoga session. This exploratory research suggests that the practice of yoga can be an intervention to be used to increase the concentration of students in class.
Keywords:
- autism spectrum disorder,
- yoga,
- adolescent,
- school,
- attention behaviors
Corps de l’article
INTRODUCTION
Le récent rapport publié par le Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) : Plan d’action sur le trouble du spectre de l’autisme 2017-2022, indique qu’il est important de développer plus de services pour les adolescents présentant un trouble du spectre de l’autisme (TSA) (MSSS, 2017). Ce plan d’action soulève d’abord le manque de ressources à l’adolescence pour dépister le TSA ensuite, le manque d’interventions pouvant répondre aux besoins de ces adolescents. Plus précisément, il est indiqué qu’en milieu scolaire, les services offerts aux élèves du secondaire présentant un TSA varient en intensité et en diversité selon les établissements. Par exemple, le service de soutien professionnel d’une école pour aider les adolescents ayant un TSA à conjuguer avec un trouble de comportement, des symptômes anxieux ou des symptômes dépressifs, sont parfois difficilement accessibles. Cette problématique fait ressortir la pertinence de développer et d’évaluer des interventions complémentaires qui seront efficaces à offrir aux adolescents ayant un TSA dans un contexte scolaire. Dans les dernières années, des chercheurs se sont intéressés notamment aux effets bénéfiques de la thérapie complémentaire basée sur le yoga pour les enfants et les adolescents ayant un TSA (Semple, 2019). D’ailleurs, dans sa revue de littérature scientifique, Semple (2019) indique que les thérapies complémentaires basées sur le yoga sont des interventions qui peuvent, entre autres, améliorer les habiletés sociales des enfants et des adolescents présentant un TSA. Les études scientifiques réalisées sur ce sujet se sont intéressées principalement aux effets de la pratique du yoga sur les particularités sociales et sur les comportements adaptatifs des enfants et des adolescents ayant un TSA (Goldberg, 2004; Kenny, 2002; Koenig, Buckley-Reen et Garg, 2012; Rosenblatt et al., 2011). Pourtant, le yoga en tant qu’intervention complémentaire axée sur la pleine conscience du corps, met un accent particulier sur la régulation attentionnelle (Schmalzl, Powers et Blom, 2015). Ainsi, il est intéressant d’élargir la recherche et d’étudier ce principe inhérent au yoga chez les adolescents présentant un TSA, en analysant leurs comportements attentionnels après avoir participé à une séance.
Trouble du spectre de l’autisme
Le trouble du spectre de l’autisme (TSA) est un trouble neurodéveloppemental qui se caractérise par des comportements, des activités ou des intérêts restreints ou répétitifs, ainsi qu’un déficit persistant de la communication sociale, et ce, dans différents contextes (American Psychiatric Association [APA], 2013/2015). Généralement, ces manifestations surviennent au cours de la petite enfance, mais elles peuvent aussi être observées lorsque la demande sociale excède les capacités de l’enfant ou de l'adolescent. Selon les critères diagnostiques de la cinquième version traduite du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) (APA, 2013/2015), une altération du fonctionnement quotidien doit également être présente, occasionnant un retentissement cliniquement significatif dans le domaine social, scolaire ou professionnel (APA, 2013/2015). Afin de nuancer le degré d’atteinte, le DSM-5 (APA, 2013/2015) propose trois niveaux de sévérité basés sur les besoins de soutien de la personne. Ainsi, le niveau 1 de sévérité requiert peu de soutien, le niveau 2 nécessite un soutien important et le niveau 3 réfère à un soutien très important. L’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) (2018) relève un taux de prévalence du TSA, incluant le Québec, équivalent à 1 enfant sur 66 âgé de 5 à 17 ans.
L’APA (2013/2015) spécifie que le diagnostic de TSA peut être concomitant à un autre trouble à l’adolescence, notamment le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) ayant un taux de prévalence de 28,2 % chez ceux âgés de 10 à 14 ans (Simonoff, Pickles, Charman, Chandler, Loucas et Braid, 2008). Également, l’INSPQ (2017) indique une prévalence de 42 % d’un TDAH associé au TSA chez les enfants et les adolescents au Québec. Selon le DSM-5, les anomalies attentionnelles et l’hyperactivité sont fréquentes chez les personnes ayant un TSA, autant pour un enfant, qu’un adolescent. En revanche, c’est lorsque ces symptômes deviennent trop prépondérants pour l’âge développemental qu’un diagnostic concomitant sera posé (APA, 2013/2015).
Dans les études scientifiques, afin de relever le taux de difficultés attentionnelles chez les adolescents ayant un TSA, des questionnaires standardisés adressés aux parents ou aux enseignants sont majoritairement utilisés (Leyfer, Folstein, Bacalman, Davis, Dinh, Morgan et Lainhart, 2006; Simonoff et al., 2008). Peu d’études se sont centrées sur la perception des adolescents ayant un TSA quant à leurs difficultés attentionnelles. Toutefois, certaines études concluent qu’il est bénéfique d’analyser la perception qu’ont les adolescents présentant un TSA de leurs difficultés (Hurtig et al., 2009; Keith, Jamieson et Benneto, 2018; White et Roberson-Nay, 2009). Selon Keith et ses collaborateurs (2018), les adolescents ayant un TSA ont leur propre perception de leurs expériences interne, ainsi leur auto-évaluation permet d’obtenir une compréhension plus approfondie de leurs forces et de leurs faiblesses. Dans l’étude scientifique de Hurtig et ses collaborateurs (2009), les adolescents présentant un TSA ont rapporté un niveau plus élevé de problèmes attentionnels que le groupe contrôle d’adolescents typiques. Leurs conclusions indiquent que certains adolescents ayant un TSA sont capables de reconnaître la présence de difficultés attentionnelles (Hurtig et al., 2009). Puisque la présence de déficits attentionnels peut entraîner des répercussions sur le plan de la réussite scolaire (Frazier, Youngstrom, Glutting et Watkins, 2007), le fait que les élèves du secondaire soient en mesure de cibler leurs difficultés peut être un élément positif dans un dispositif scolaire afin de travailler en concertation avec ceux-ci.
TSA en milieu scolaire à l’adolescence
Dans les milieux scolaires du Québec, les services offerts pour soutenir la réussite scolaire des adolescents ayant un TSA se concentrent principalement sur l’adaptation de différentes matières, la mise à disposition de services professionnels et l’aménagement de l’environnement (MSSS, 2017). C’est l’évaluation des capacités et des besoins des élèves présentant un TSA qui permet de déterminer si ceux-ci doivent bénéficier de services scolaires adaptés. Pour les élèves présentant un TSA, c’est l’intégration en classe ordinaire qui est d’abord privilégiée. Dans certains cas, si les besoins de soutien sont trop importants pour rester en classe ordinaire, les élèves présentant un TSA peuvent intégrer une classe spéciale. Pour d’autres, si le niveau d’aide est évalué comme trop important pour être en classe spéciale, les élèves ayant un TSA peuvent alors être orientés dans une école spéciale afin de répondre à leurs besoins. Dans les écoles ordinaires, les classes spéciales ont un nombre d’élèves réduit, et l’enseignement ainsi que le soutien, sont généralement octroyés par un enseignant en adaptation scolaire et un technicien en éducation spécialisée (MELS, 2007). Selon le rapport du MELS (2014), 49 % des élèves ayant un TSA fréquentent une classe spéciale. Malgré le fait qu’il y ait des mesures prises pour soutenir les élèves dans leurs apprentissages, les services professionnels, pour les adolescents présentant un TSA dans le milieu scolaire, restent parfois insuffisants (MSSS, 2017). Pour cette raison, l’intégration d’interventions complémentaires, applicable facilement dans le milieu scolaire et soutenue par des données probantes, semble une avenue intéressante à explorer.
Thérapie cognitive comportementale
En milieu scolaire, pour aider les élèves du secondaire ayant un TSA à conjuguer avec leurs difficultés, la thérapie cognitive comportementale (TCC) peut être utilisée (Turgeon et Parent, 2012; Wood, 2015). La TCC s’est développée en trois vagues, dont la plus récente est la troisième qui met l'accent sur les émotions, l'acceptation et l'importance de se centrer sur le moment présent (Hayes, 2004). La pleine conscience est une intervention thérapeutique qui découle des principes de la TCC de troisième vague. Les interventions basées sur la pleine conscience peuvent être utilisées auprès des adolescents ayant un TSA (Semple, 2019). Certaines études suggèrent que ces interventions sont efficaces pour agir sur les symptômes associés au TSA, dont les déficits de la communication sociale (Bögels, Hoogstad, Dun, De Schutter et Restifo, 2008; Semple 2019). Avec l’arrivée de la pleine conscience, quelques programmes d’interventions se sont développés en intégrant des pratiques complémentaires telles que la relaxation, la méditation et le yoga (Jeter, Slutsky, Singh, et Khalsa, 2015; Semple, 2018). Par exemple, le programme MYmind, qui s’adresse aux adolescents présentant un TSA et à un de leur parent, mixte la pratique du yoga et de la pleine conscience (deBruin, Blom, Smit, Steensel et Bögels, 2015). Dans l’étude de deBruin et de ses collaborateurs (2015), les adolescents qui ont participé à ce programme ont rapporté une amélioration de leur qualité de vie, ainsi qu’une diminution de leurs pensées récurrentes. De leur côté, les parents de ces adolescents ont rapporté que leur enfant démontrait, après leur participation au programme, de meilleures habiletés sociales (deBruin et al., 2015).
Yoga comme pratique complémentaire
Le yoga est une discipline originaire de l'Inde qui combine des périodes de respiration et de mouvements permettant l'atteinte d'un état de relaxation et de concentration (Jeter et al., 2015). Le yoga met l’accent sur la régulation attentionnelle en entraînant les personnes à développer leur attention soutenue et sélective durant la pratique (Schmalzl et al., 2015). Ainsi, les personnes pratiquant le yoga vont être en mesure de porter attention de manière soutenue, à des informations pertinentes, telles que le positionnement du corps ainsi que d’éviter d’être attentives à des distracteurs, comme les pensées récurrentes (Gard, Noggle, Park, Vago et Wilson, 2014). La littérature scientifique met en évidence plusieurs bienfaits du yoga dans la population d’enfants et d’adolescents typiques, entre autres, la diminution de l’anxiété (Weaver et Darragh, 2015) ainsi que l'augmentation de l’attention, de l’estime de soi (Sethi, Nagendra et Ganpat, 2013) et du bien-être psychologique (Noggle, Steiner, Minami et Khalsa, 2012). Le yoga est une pratique utilisée dans les écoles pour augmenter la santé psychologique et physique et pour développer les habiletés de gestion du stress des élèves (Srewacki et Cook-Cottone, 2012). En santé mentale, la pratique complémentaire basée sur le yoga peut être utilisée notamment, pour aider à réduire certains symptômes associés au trouble du déficit d’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) (Abadi, Venkatesan et Madgaonkar, 2008; Harrison, Manocha, et Rubia, 2004) ou à la dépression (Duan-Porter et al., 2016).
Le yoga peut également être utilisé comme pratique complémentaire auprès d'une clientèle ayant un TSA (Goldberg, 2004; Kenny, 2002; Koenig et al., 2012; Rosenblatt et al., 2011). D’ailleurs, quelques programmes développés principalement aux États-Unis ont rapporté, par le biais d’études scientifiques, des effets positifs du yoga sur les habiletés de communication sociale (Radhakrishna, 2010), les comportements inadaptés (Rosenblatt et al., 2011) et les comportements d’irritabilité (Koenig et al., 2012) des enfants et des adolescents ayant un TSA. En revanche, ces programmes ne sont pas exclusivement adressés aux adolescents présentant un TSA. Un seul de ces programmes est intégré en milieu scolaire, soit le programme Get Ready To Learn (GRTL) qui est développé aux États-Unis où des élèves ayant un TSA, âgés entre 5 ans et 12 ans, font une activité de yoga à l’école avant de débuter leur journée (Koenig et al., 2012). Ceux-ci participent à une séance de yoga par jour, d’une durée approximative de 15 minutes, pendant 16 semaines. Les séances de yoga sont dispensées par vidéo. Par le biais d’un questionnaire, les enseignants ont rapporté une diminution des comportements d'irritabilité des élèves après leur participation au programme GRTL (Koenig et al., 2012). En se basant sur la perception des enseignants, Koenig et de ses collaborateurs (2012), suggèrent que la pratique du yoga à l’école puisse avoir des répercussions positives sur les comportements en classe des enfants ayant un TSA. En revanche, ils n’indiquent pas les mécanismes associés au yoga qui peuvent expliquer leurs résultats. Selon Goldberg (2004), ce sont certains éléments de la pratique du yoga (par exemple: les postures d’étirement, le rythme de la respiration et l’ambiance du local) qui peuvent expliquer le fait que les enfants ayant un TSA, développent un état de calme et qui, à long terme, vont permettre d’améliorer leur concentration.
Jeter et ses collaborateurs (2015), relèvent une forte augmentation des études scientifiques sur les effets de la pratique du yoga. Cependant, peu d’études scientifiques se sont intéressées à l’effet de cette pratique sur les comportements attentionnels des adolescents ayant un TSA. Ainsi, cette étude pilote vise à pallier ce manque, en fournissant des données probantes sur les effets du yoga, intégré en contexte scolaire, sur les comportements d’attention des élèves du secondaire présentant un TSA par le biais d’observations directes.
OBJECTIFS
Cette étude exploratoire vise : 1) à obtenir la perception des adolescents quant à leurs comportements d’attention par le biais d’un questionnaire standardisé et 2) à comparer les comportements d’attention à une tâche, avant et après des séances de yoga offertes en milieu scolaire.
MÉTHODES
Devis
L’étude repose sur un devis de recherche quasi-expérimental à groupe unique où des mesures prétests et post-tests ont été prisent de manière répétée. Ce projet est une étude pilote ayant comme objectif d’explorer les effets du yoga sur l’attention des élèves en classe en considérant leurs particularités comportementales et leur diagnostic de TSA.
Participants
Les participants sont douze élèves (filles n = 5; garçons n = 7) âgés de 12 à 16 ans qui fréquentent une classe spéciale dans une école secondaire francophone ordinaire de l’Île de Montréal. Tous les élèves ont un diagnostic de TSA validé par le MELS. Les participants ont tous accès au langage parlé et ils comprennent les consignes verbales émises par les adultes dans leurs activités quotidiennes. Aucun des participants ne présente de limites physiques pour réaliser les postures de yoga. Ils ont été recrutés par le biais d’une collaboration entre l’école secondaire et l’équipe de recherche. Les élèves et les parents ont donné leur consentement libre et éclairé en signant un formulaire après avoir reçu toutes les informations relatives à leur participation.
Instruments
Système d’évaluation de comportements de l’enfant (BASC2-SRP)
Tous les élèves ont rempli le questionnaire autorapporté du Système d’évaluation du comportement de l’enfant, deuxième édition, version pour les francophones du Canada (BASC2-SRP, destiné aux adolescents âgés de 12 et 21 ans). Le BASC2-SRP est un outil de dépistage qui comporte 12 échelles cliniques, soit l’anxiété, la dépression, le stress social, la somatisation, l’attitude face à l’école, l’attitude face aux enseignants, les problèmes d’attention, l’hyperactivité, les comportements atypiques, le sentiment d’inadaptation, le locus de contrôle et les recherches de sensations. Le questionnaire a été rempli une semaine avant le début des séances de yoga. Une première section se répond par des choix de « vrai » ou « faux ». Puis, une deuxième section utilise une échelle de Likert de quatre points, soit « jamais », « parfois », « souvent » et « presque toujours ». En moyenne, un temps de 30 minutes est prévu pour remplir cet outil.
Lors de l’expérimentation, toutes les échelles ont été remplies, mais pour cet article, seule l’échelle clinique de problèmes d’attention a été analysée. Les items associés à cette échelle ont pour objectif d’évaluer la perception des adolescents quant à leurs difficultés attentionnelles. L’échelle clinique de problèmes d’attention fournie un score T qui se situe entre 60 et 69 est considéré comme à risque et un score T égal ou plus grand que 70 est considéré comme cliniquement significatif. Un niveau au-dessus de 60 indique que l’adolescent rapporte des déficits attentionnels pouvant interférer avec des tâches demandant de la concentration et de l’attention, notamment une tâche scolaire. Également, un score T qui se situe entre 41 et 59 est considéré comme comparable à la moyenne et un score T entre 40 et 31 ou plus bas que 30 indique que le niveau de symptômes cliniques rapportés est faible. Ainsi, les scores inférieurs à 60 réfèrent à une probabilité relativement faible qu'un adolescent présente un problème attentionnel.
Observation directe
Une mesure d’observation directe des comportements des élèves est prise à l’aide d’une grille d’observation, utilisée par Rivard et Forget (2006) ainsi que par Vallée-Ouimet et Poirier (2017), visant à comptabiliser la fréquence des comportements d’attention et d’inattention des élèves. L’observation est réalisée en classe, 20 minutes avant le cours de yoga et 20 minutes après. Les comportements d’attention réfèrent à tous les comportements indiquant que l’élève effectue la tâche demandée par l’enseignante. Les comportements d’inattention réfèrent à tous les comportements indiquant que l’élève n’effectue pas la tâche demandée par l’enseignante (par exemple, se déplacer, réaliser des activités motrices, faire une activité étrangère à la tâche, s’adonner à de l’autostimulation, déranger des pairs de façon non verbale, faire des commentaires, émettre des bruits vocaux).
Procédure
Pour cette étude, l’activité offerte aux élèves est dérivée du yoga, où des postures de yoga sont réalisées durant la séance et un temps est pris à la fin de celle-ci pour faire un exercice de relaxation. Les séances de yoga sont animées par une professeure certifiée en yoga thérapeutique. Au total, 8 séances de yoga sont offertes aux élèves, chacune d’une durée approximative de 40 minutes et dispensée une fois par semaine. Les séances sont données dans un local situé près des classes. Les lumières du local sont tamisées, des miroirs sont accessibles pour aider les élèves à ajuster leurs postures et chaque élève possède son tapis de yoga. Un outil visuel est fourni aux élèves permettant à ceux-ci de suivre les postures en les réalisant. La professeure de yoga est assistée en tout temps par la technicienne en éducation spécialisée ou l'enseignante des élèves. Les participants ont tous rempli le BASC-2 une semaine avant le début des séances de yoga. Les observations comportementales ont été réalisées avant et après chacune des séances de yoga. La chercheuse principale accompagnée d’une assistante formée ont pris les mesures d’observation directe en classe. Un indice de Kappa de Cohen de 0,95 a été obtenu par l’accord interjuge.
Analyse des résultats
Toutes les analyses ont été réalisées à l’aide du logiciel SPSS version 25. Une analyse descriptive et de fréquence est faite pour relever les résultats des participants au questionnaire du BASC2-SRP pour l’échelle clinique des problèmes d’attention. Une comparaison de moyennes à l'aide d'un test-t est effectuée afin de comparer les comportements observés d’attention et d’inattention à la tâche, avant et après chaque séance de yoga. Finalement, une comparaison de moyennes à l’aide d’un test à mesures répétées est produite dans le but de comparer les comportements observés d’attention et d’inattention à la tâche selon les temps de mesure en fonction des problèmes d’attention rapportés par l’adolescent au BASC2-SRP. Puisque la taille de l’échantillon est petite, les tailles d’effet ont aussi été rapportées avec la valeur d de Cohen. Une valeur approximative de 0,8 réfère à une grande taille d’effet (Rice et Harris, 2005).
RÉSULTATS
Profil comportemental
Les analyses descriptives de la composante de problème d’attention du BASC2-SRP indiquent qu’en moyenne les adolescents de l’échantillon ne rapportent pas de problèmes d’attention (M = 55,3, ET = 10,78). Les analyses de fréquences, présentées dans le Tableau 1, indiquent que 50 % (n = 6) des participants rapportent que leur niveau de symptômes de problèmes d’attention est comparable à la moyenne des jeunes du même âge (score T 41-59), 33,3 % (n = 4) des participants perçoivent que leur niveau de symptômes de problèmes d’attention est élevé, ce qui indique un risque clinique (score T entre 60-69), 8,3 % (n = 1) des participants perçoivent que leur niveau de symptômes de problèmes d’attention est élevé et cliniquement significatif (score T ≥ 70), et 8,3 % (n = 1) des participants perçoivent leur niveau de symptômes de problèmes d’attention est faible (score T ≤ 40). Ainsi, 41,6 % (n = 5) des participants rapportent qu'ils présentent des problèmes attentionnels se caractérisant notamment, par des difficultés à maintenir leur attention pour accomplir une tâche, des difficultés à écouter l’enseignante en classe et par le fait d’être distrait durant les conversations. Le Tableau 2 énumère les énoncés du BASC2-SRP qui sont retenus pour déterminer si un participant rapporte un niveau élevé de symptômes de problèmes d’attention.
Comportements d’attention à la tâche
Les résultats rapportés dans cette section doivent être analysés comme des fréquences moyennes de comportements observés. De manière générale, l’analyse des observations réalisées en classe fait ressortir que les participants manifestent plus de comportements d’attention (M = 9,00, ET = 2,7) que de comportements d’inattention (M = 2,98, ET = 2,68), t(125) = 12,59, p < 0,001. En ce qui a trait aux comparaisons entre les comportements d’attention et d’inattention, avant et après chaque séance de yoga, le Tableau 3 résume les résultats. Pour chaque séance de yoga, la moyenne des comportements d’attention des adolescents après la séance de yoga (M = 7,97, ET = 2,83) est significativement plus élevée que la moyenne des comportements d’attention des adolescents avant la séance de yoga (M = 10,25, ET = 1,75), t(60) = 5,94, p < 0,001, avec une taille d’effet acceptable (d = 0,78) (voir Figure 1). La moyenne de comportements d’inattention des adolescents avant la séance de yoga (M = 4,00, ET = 2,80) est significativement plus élevée que la moyenne de comportements d’inattention des adolescents après la séance de yoga (M = 1,75, ET = 1,74), t(60) = -6,04, p < 0,001, avec une taille d’effet acceptable (d = 0,79) (voir Figure 2).
La fréquence cumulée des comportements observés a été utilisée afin de comparer la manifestation des comportements d’attention et d’inattention, avant ainsi qu’après les séances de yoga, selon la perception des adolescents quant à leurs problèmes d’attention (Tableau 4). Les analyses indiquent que l’augmentation de la fréquence de comportements d’attention, suite à la participation au yoga, ne diffère pas en fonction de la perception des adolescents quant à leurs problèmes d’attention, F(3) = 1,63, n.s., dont la taille d’effet est petite (d = 0,38). Également, les analyses relèvent que la diminution des comportements observés d’inattention ne diffère pas suite à la participation au yoga en fonction de la perception rapportée par les adolescents quant aux problèmes d’attention, F(3) = 1,57, n.s., dont la taille d’effet est petite (d = 0,37).
DISCUSSION
Les adolescents ayant un TSA doivent conjuguer avec plusieurs difficultés, outre celles associées au TSA, des troubles concomitants, tels que le TDAH, peuvent amener d’autres problématiques à cet âge (Simonoff et al., 2008; White et Roberson-Nay, 2009). Ainsi, le premier objectif de cette recherche vise à rapporter la perception qu’ont les adolescents de leurs comportements attentionnels. D’abord, les analyses descriptives font ressortir une moyenne à l’échelle clinique de problèmes d’attention du BASC2-SRP corroborant avec les données rapportées par Nicpon, Doobay et Assouline (2006). Ensuite, les analyses de fréquences démontrent qu’un peu moins de la moitié des participants indiquent présenter des déficits attentionnels. Ces participants perçoivent que leurs difficultés attentionnelles sont assez importantes pour interférer, par exemple, dans la réalisation d’une tâche en classe. Ce résultat est cohérent avec les données révélées dans l’étude de Hurtig et ses collaborateurs (2009), où un taux élevé d’adolescents ayant un TSA indique avoir des problèmes d’attention cliniquement significatifs, et ce, par le biais d’un questionnaire autorapport. La proportion des adolescents percevant des déficits attentionnels n’est pas représentative du taux de prévalence rapporté dans l’étude américaine de Simonoff et ses collaborateurs (2008), citée dans l’APA (2013), alors que ces auteurs se basent sur la perception des parents. Cette différence peut s’expliquer par le fait que ce sont les adolescents, pour la présente étude, qui ont évalué leurs difficultés attentionnelles plutôt que leurs parents. De plus, cet écart peut être dû au fait que le taux rapporté par Simonoff et ses collaborateurs (2008) d’une part ne représente pas la population décrite selon leur niveau de sévérité et d’autre part, que celle-ci provient d’un échantillon d’enfants et d’adolescents américain plutôt que québécois. Toutefois, le rapport de l’INSPQ (2017) relève un taux de déficits attentionnels associés au TSA similaire à ce qui est rapporté par les adolescents de l’échantillon de la présente étude. Les résultats de ce projet démontrent que les adolescents ayant un TSA sont en mesure d’évaluer certains de leurs comportements, tels que l’attention, par le biais d’un questionnaire standardisé. Ainsi, cela suggère qu’il est possible d’agir en concertation avec ces adolescents et de les considérer comme des acteurs centraux dans le processus d’évaluation. À la lumière de ces résultats, il semble également qu’à l’adolescence, l’évaluation comportementale permet de cibler d’une part les difficultés liées au TSA et d’autre part, de déterminer les interventions appropriées aux problématiques relevées.
Au Québec à ce jour, il n’y a pas beaucoup de recherches scientifiques qui ont inclus les adolescents présentant un TSA dans une étude portant sur le yoga en milieu scolaire. Quelques études, réalisées principalement aux États-Unis, ont démontré que la pratique du yoga peut avoir des effets bénéfiques sur les comportements des jeunes ayant un TSA (Kenny, 2002; Koenig et al., 2012; Rosenblatt et al., 2011). Celles-ci incluent majoritairement des jeunes enfants et utilisent pour la plupart des questionnaires standardisés remplis par les parents ou les enseignants, pour explorer les effets de la pratique du yoga (Semple, 2019). Rosenblatt et ses collaborateurs (2011) indiquent que le fait d’avoir évalué les comportements des élèves ayant participé à leur programme de yoga, à l’aide de questionnaires remplis par les enseignants, a certainement amené des biais puisque ceux-ci connaissaient les objectifs des interventions. Dans le cas de la présente étude, les données relevées n’ont pas été soumises à ce genre de biais, puisque les effets du yoga ont été rapportés à l’aide d’une observation directe des comportements des élèves, qui a été faite en classe par l’équipe de recherche. Dans l’ensemble, l’analyse des observations comportementales indique que les adolescents de l’échantillon de cette étude manifestent généralement plus de comportements d’attention que de comportements d’inattention lorsqu’ils réalisent une tâche en classe.
Les élèves de l’étude ont participé à des séances de yoga sur une base hebdomadaire qui ont été offertes à l’école et dispensées par une professeure certifiée en yoga thérapeutique. Dans la revue de littérature de Serwacki et Cook-Cottone (2012), il est proposé que le yoga soit une intervention scolaire ayant le potentiel de développer certaines compétences chez les élèves ayant un TSA ce qui peut résulter, par exemple, en l’amélioration de leur concentration lors d’activités académiques. Pour la présente étude, les résultats ont mis en évidence une augmentation des comportements d’attention des participants après chaque séance de yoga. Ce résultat appuie les données citées par Serwacki et Cook-Cottonne (2012) en démontrant que l’intégration du yoga dans le milieu scolaire des adolescents de l’étude, a pu contribuer à rehausser leur concentration lorsqu’ils réalisent une tâche en classe tout de suite après la séance. En tant qu’intervention, le yoga est reconnu comme une pratique permettant d’atteindre un état de relaxation et de concentration (Goldberg, 2004; Kenny, 2002; Jeter et al., 2015; Serwacki et Cook-Cottone, 2012). De plus, le yoga met beaucoup d’accent sur la régulation attentionnelle durant la pratique en amenant les participants à mettre à profil leurs habiletés attentionnelles, pour se concentrer sur leurs sensations corporelles et sur leur respiration dans le moment présent (Garg et al., 2014; Schmalzl et al., 2015). Ainsi, ces principes inhérents au yoga sont des explications probables de l’augmentation des comportements d’attention des participants de l’étude.
Un résultat intéressant de la présente recherche est le fait que les comportements d’attention à la tâche ont augmenté, et ce, peu importe la perception rapportée des adolescents, quant à leurs problèmes d’attention. Cela suggère que les adolescents de l’échantillon percevant des déficits attentionnels ont bénéficié de leur participation aux séances de yoga, tout comme les adolescents ne percevant pas ces déficits. Ce résultat corrobore ceux de certaines études qui ont intégré la pratique du yoga auprès des jeunes ayant des déficits attentionnels, démontrant que cette intervention peut être bénéfique pour cette clientèle autant que pour la clientèle sans déficit attentionnel (Abadi et al., 2008; Duan-Porter et al., 2016; Harrison et al., 2004).
APPORTS ET CONCLUSION
Ce projet innove en proposant d’abord une intervention basée sur le yoga pour les adolescents ayant un TSA, en plus d’intégrer cette intervention dans le milieu scolaire des adolescents durant les heures de cours. Également, cette étude se démarque en utilisant des mesures concrètes n’étant pas soumises à des biais, afin de relever les effets du yoga sur les comportements des élèves. Finalement, le fait que les adolescents aient été au centre de leur évaluation comportementale, afin de relever leur perception quant à leurs difficultés, démontre que ceux-ci sont capables de rapporter leurs forces et leurs faiblesses. Cette étude pilote suggère que les adolescents ayant un TSA peuvent, dans certains cas, présenter des déficits attentionnels pouvant interférer à la réalisation d’une tâche en classe. En considérant les résultats, il semble que la pratique du yoga permette aux élèves présentant un TSA de manifester plus de comportements d’attention pour une tâche réalisée en classe, et ce, tout de suite après avoir participé à une séance. Ce constat est un apport intéressant pour les enseignants qui voudraient utiliser ce type d’intervention auprès de leurs élèves présentant un TSA. Ainsi, en se basant sur les recommandations proposées dans le plan d’action du MSSS (2017), cette intervention pourrait être une avenue intéressante à implémenter dans les milieux scolaires auprès des adolescents ayant un TSA.
LIMITES ET RECOMMANDATIONS
Une limite de l’étude est la petite taille de l’échantillon. Toutefois, il faut noter que plusieurs analyses ont fait ressortir des tailles d’effet acceptables, ce qui suggère que les variables analysées ont un effet observable sur les comportements des adolescents de l’échantillon. Pour ce projet, il n’a pas été possible d’inclure de groupe contrôle. Le fait d’ajouter un groupe contrôle permettrait d’augmenter la portée analytique de ce type de recherche. Par ailleurs, puisque la recherche se faisait en milieu scolaire, les circonstances de recueillent de données ont été instables, ce qui a occasionné des limites quant à l’obtention des données descriptives des participants. Ainsi, certaines différences individuelles des élèves ayant participé n’ont pas pu être ajoutées aux analyses. Finalement, lors des observations, il faut noter que les tâches réalisées en classe par les élèves ont différé d’une séance de yoga à l’autre. Donc, les élèves ont pu être soumis à un biais, si la tâche réalisée rejoignait leurs intérêts. Néanmoins, dans une perspective exploratoire, cette recherche offre une direction intéressante pour l’élaboration de nouvelles avenues d’intervention applicable auprès d’adolescents ayant un TSA fréquentant une classe spéciale. Pour les recherches futures, il serait intéressant de contrôler le type de tâches réalisées par les participants, avant et après les séances de yoga, ainsi que de prendre une mesure relative aux différences individuelles des adolescents. En plus, l’ajout d’une mesure d’évaluation du comportement par un informant, tel qu’un parent, pourrait être recommandé.
Parties annexes
Note
-
[1]
Adresse de correspondance : Département de psychologie, UQAM, C.P. 8888, succ. Centre-ville, Montréal (QC), H3C 3P8. Téléphone : 514-987-3000, poste 4359. Courriel : poirier.nathalie@uqam.ca
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