Parlée dans les quatre coins du monde par environ 80 millions de locuteurs natifs, la langue française – ou devrions-nous dire plutôt les langues françaises? – varie selon différents paramètres et modalités. Cette variation peut être analysée de deux façons différentes : de façon interne (c’est-à-dire en tenant compte uniquement des variables linguistiques) et de façon externe (c’est-à-dire en tenant compte des variables interactionnelles et sociales). L’originalité des études sociolinguistiques inspirées de Labov consiste à analyser la variation à la fois d’un point de vue interne et externe, ce qui permet de mieux comprendre les différentes valeurs associées à chacune des variétés d’une même langue. Déjà dans les travaux de Labov, ces différences de valeur sont reliées à un sentiment de malaise par rapport à sa propre façon de parler, malaise qui est susceptible de causer un sentiment d’insécurité linguistique (IL). Le présent ouvrage est à replacer dans ce contexte : le public enquêté par Ledegen – en l’occurrence des étudiants français et belges en langue et linguistique françaises – manifeste-t-il, dans son discours épilinguistique, un sentiment d’insécurité ou plutôt l’absence d’un tel sentiment? Les hypothèses de l’auteure sont doubles. Du point de vue de la variation diatopique, il est tout à fait légitime de penser qu’il puisse exister une différence manifeste dans les attitudes linguistiques des locuteurs du «centre» et de la «périphérie» de la francophonie. Les locuteurs situés dans le centre (en l’occurrence, les étudiants français provenant de la ville de Tours) manifesteraient-ils une autoévaluation plus positive à l’égard de leur maîtrise de la langue que les locuteurs dits périphériques (les étudiants belges de Louvain-la-Neuve)? La différence de niveau d’étude, qualifiée par Ledegen de variation professionnelle, aboutit à la seconde hypothèse : plus le niveau scolaire est élevé, plus les locuteurs font preuve de sécurité linguistique. Qu’on songe ici à la corrélation de Francard 1993, qui relie lui aussi (in)sécurité linguistique et niveau de scolarité. Le bon français : les étudiants et la norme linguistique prend en compte ces deux types de variation. Préfacé par Nicole Gueunier, elle-même impliquée dans la recherche sur les représentations linguistiques (cf. Gueunier et coll. 1978), l’ouvrage se compose de deux parties. La première partie («Le dispositif d’enquête. Choix théoriques et méthodologiques», pp. 17-80) comprend deux chapitres. Dans le premier («Quelle norme pour une population de “spécialistes”?», pp. 21-40), l’auteure précise son cadre théorique en insistant sur le concept de norme. Elle rappelle, à cet égard, les grandes étapes de la standardisation du français. Puis, elle précise ce qu’elle entend par norme. Ledegen fait également des commentaires sur la population visée par son enquête, composée d’étudiants en langue et linguistique françaises. Au total, l’enquête a été effectuée auprès de 281 étudiants, dont 164 étudiants universitaires français et 117 étudiants belges (à savoir 61 étudiants à l’université et 56 étudiants à l’école normale). Sa méthodologie est présentée en détail dans le deuxième chapitre («Les étudiants et la norme : quelle méthodologie?», pp. 41-80). Dans la mesure où Ledegen s’intéresse à la fois à l’étude des pratiques langagières et aux attitudes linguistiques des personnes enquêtées, son approche combine les points de vue quantitatif et qualitatif. Signalons que l’auteure se base sur des pratiques rapportées et non observées. Ledegen complète ce chapitre en approfondissant la notion d’insécurité linguistique. Elle présente finalement de façon détaillée le contenu des tests linguistiques de son enquête. Les résultats de ces tests sont abordés dans la deuxième partie («Résultats de l’enquête», pp. 81-162), dont le premier chapitre est la simple présentation quantitative des résultats obtenus («Résultats aux quatre tests linguistiques», pp. 85-109). L’interprétation de ces données, qui fait l’objet du chapitre …
Parties annexes
Références
- Deprez, K. 1987 «Le néerlandais en Belgique», dans J. Maurais, Politique et aménagement linguistiques (Coll. L’ordre des mots), Québec et Paris, Conseil de la langue française et Le Robert, p. 47-120.
- Francard, M. 1993 L’insécurité linguistique en Communauté française de Belgique (Coll. Français et Société, no 6), Bruxelles, Service de la langue française.
- Gueunier, N., É. Genouvrier et A. Khomsi 1978 Les français devant la norme. Contribution à une étude de la norme du français parlé (Coll. Créoles et français régionaux), Paris, Champion.
- Moreau, M.-L. 1996 «Insécurité linguistique : pourrions-nous être plus ambitieux? Réflexions au départ de données camerounaises, sénégalaises et zaïroises», dans Cl. Bavoux, Français régionaux et insécurité linguistique. Approches lexicographoques [sic], interactionnelles et textuelles. Actes de la deuxième table ronde du Moufia, 23-25 septembre 1994 (Coll. Espaces francophones), Paris et Saint-Denis, L’Harmattan et Université de la Réunion, p. 103-115.