Revue québécoise de linguistique
Volume 17, numéro 1, 1988 Psychomécanique du langage
Sommaire (16 articles)
Articles
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La systématique de construction du vocable en français : contribution à l’étude typologique du langage
Guy Cornillac
p. 11–26
RésuméFR :
Le classement typologique des multiples manifestations du langage humain doit, en bonne méthode, reposer sur la connaissance des mécanismes de pensée, institués en langue, qui conditionnent l’émergence des différents types de vocables observables dans les langues du monde. Un premier pas en vue de ce classement consiste donc à dégager, avant d’aller plus loin, la systématique de construction du vocable dans les langues avec lesquelles nous sommes habitués à raisonner, à savoir les langues indo-européennes. C’est ce que l’auteur s’applique à faire en prenant le français pour exemple et en reconstituant, dans cette langue, le mécanisme de pensée inconscient responsable de la construction des vocables de type substantif.
EN :
The typological classification of the various manifestations of human language should be based on the knowledge of the mental mecanisms, established in tongue, which condition the appearance of the different types of words that can be observed in the different languages in the world. According to this principle, a first step towards such a classification consists in finding out the systematical basis upon which is founded the construction of the words belonging to the languages we are used to, i.e. the Indo-European languages. This is what the author tries to do in reconstituting the unconscious mecanism that makes possible the production of the substantives in French.
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Pluriel interne et système morphologique du nombre en français
Hervé Curat
p. 29–52
RésuméFR :
L’hypothèse guillaumienne d’un pluriel externe et d’un pluriel interne fait se côtoyer dans cette dernière catégorie le duel des langues anciennes et des faits très variés du français moderne. La consultation de sources secondaires (Meillet) m’amène à contester la nécessité du lien duel/pluriel interne et l’examen des données m’amène à rejeter l’amalgame de faits français hétérogènes. Seuls les pluriels doubles (oeil/oeils/yeux) semblent proposer une véritable opposition morphologique qui révèle à l’analyse une constante de sens. Mais faut-il en conclure que la morphologie du français connaît trois nombres?
EN :
The guillaumien hypothesis of an external plural and of an internal plural tends to approximate, in this last category, the dual of ancient languages to the varied facts of modern french. The consultation of secondary sources (Meillet) leads me to contest the necessity of the internal dual/plural link, and the investigation of data leads me to a rejection of heterogeneous amalgame of french facts. Only the double plurals (oeil, oeils/yeux) seem to propose a truly morphological opposition revealing, upon analysis, constancy of meaning. Must we conclude that french morphology recognizes three numbers?
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L’infinitif en anglais : to et la personne
Patrick Duffley
p. 55–70
RésuméFR :
On a l’habitude, en anglais comme en français, de distinguer entre des formes personnelles (modes indicatif et subjonctif) et non personnelles (infinitif et participes) du verbe. Or, une telle distinction, fondée sur la présence ou absence d’une désinence ou d’un substantif (pronom) indiquant le sujet, implique que la catégorie grammaticale de la personne est totalement absente de l’infinitif et des deux participes. Le présent article met en question le bien-fondé de cette présomption, essaie de démontrer que l’infinitif fait partie du paradigme grammatical de la personne et examine à la lumière de cette hypothèse l’emploi de la particule to devant l’infinitif en anglais.
EN :
It is customary in both English and French to draw a distinction between the personal (indicative and subjunctive) and non-personal (infinitive and participles) forms of the verb. While such a distinction is based on the presence or absence of a grammatical ending or a noun (pronoun) denoting the verb's subject, it nonetheless implies that the grammatical category of person is totally absent in the infinitive and the two participles. The author of the present article questions the soundness of this assumption and attempts to show not only that the infinitive does participate in the paradigm of grammatical person but that postulating person in the infinitive throws new light on the use of to with the infinitive in English.
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L’incidence interne du substantif
John Hewson
p. 73–83
RésuméFR :
Le terme d’incidence chez Guillaume recouvre un rapport de dépendance : l’adjectif est un apport qui trouve un support dans le substantif; l’adjectif est ainsi incident au substantif, un rapport d’incidence externe. Mais Guillaume a proposé que le substantif, lui aussi, a un apport, qui est incident à un support interne. De cette façon, il a réusi à distinguer adjectif et substantif, problème que Jespersen n’a pas su résoudre. Dans cet article on a essayé de préciser la nature de l’incidence interne du substantif, et de démontrer que ce rapport interne, distinctif pour le substantif, est en même temps la base non seulement des contrastes (1) singulier/pluriel, et (2) défini/indéfini, mais aussi du contraste de signification entre adjectif préposé et adjectif postposé dans les langues romanes.
EN :
The term incidence in the work of Gustave Guillaume represents a dependency relationship: a modifier is said to be incident to its head. By proposing that whereas adverbs and adjectives have external incidence, a noun has internal incidence, Guillaume succeeded in clarifying the difference between an adjective and a noun in a dependency grammar, a problem that Jespersen had struggled unsuccessfully to solve. The attempt is made in this paper to elucidate the fundamental nature of internal incidence, and to show that this internal relationship, distinctive to the noun, is also the basis not only for the following fundamental nominal contrasts: (1) singular/plural, (2) definite/indefinite, but also for the contrastive meanings of preposed and postposed adjectives in the Romance languages.
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Events, Time and the Simple Form
Walter H. Hirtle
p. 85–105
RésuméEN :
This is an attempt to discern more clearly the underlying or POTENTIAL meaning of the simple form of the English verb, described in Hirtle 1967 as 'perfective'. Vendler's widely accepted classification of events into ACCOMPLISHMENTS, ACHIEVEMENTS, ACTIVITIES, and STATES is examined from the point of view of the time necessarily contained between the beginning and end of any event, i.e. EVENT TIME as represented by the simple form. This examination justifies the well known dynamic/stative dichotomy by showing that event time is evoked in two different ways, that, in fact, the simple form has two ACTUAL significates. Further reflection on the difference between the two types thus expressed—developmental or action-like events and non-developmental or state-like events—leads to the conclusion that the simple form provides a representation of the time required to situate all the impressions involved in the notional or lexical import of the verb.
FR :
Le présent essai se propose de mieux définir le signifié de base, de PUISSANCE, de la forme simple du verbe anglais, décrit dans Hirtle 1967 comme ‘perfectif’. On y examine la classification très répandue de Vendler — ACCOMPLISHMENTS, ACHIEVEMENTS, ACTIVITIES, STATES — du point de vue du temps nécessairement contenu entre le commencement et la fin de tout événement, i.e. le TEMPS D’ÉVÉNEMENT tel que représenté par la forme simple. Cet examen justifie la dichotomie bien connue ‘DYNAMIC/STATIVE’ en montrant que le temps d’événement y est évoqué de deux façons différentes et que la forme simple produit deux signifiés d’effet différents. À partir de quelques réflexions sur la différence entre les deux types de discours — les événements qui impliquent un développement et ressemblent ainsi à une action et ceux qui ne comportent aucun développement et ressemblent plutôt à un état — on conclut que, dans tous les cas, la forme simple est porteuse d’une représentation du temps capable d’épouser toutes les impressions impliquées dans l’apport lexical du verbe.
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Réalité et fiction du temps opératif en psychomécanique
Claude-Daniel Le Flem
p. 107–135
RésuméFR :
Transformant la structure linguistique en procès et les oppositions en positions dans un continuum, le paramètre du temps opératif fait de la psychomécanique une théorie mentaliste et énonciative.
Son revers est que la durée, substrat des opérations mentales, est corvéable à merci. Les guillaumiens tendent à abuser de cette facilité, en y référant des différences de sens qui résultent en fait de la combinatoire discursive : d’où une polysémie généralisée qui viole la fonction sémiologique et alourdit les composantes morphologique et syntaxique. La nécessaire réaction est amorcée.
EN :
The parameter of operative time which transforms the linguistic structure into a process and the oppositions into positions in a continuum makes of psychomechanics a mentalist and enunciative theory.
The drawback is the fact that the duration, substratum of the mental operations, is exploitable ad infinitum. Guillaumians tend to abuse this facility by referring to it differences in meaning which actually are a result of the contextual interplay in discourse. As a consequence, polysemy is generalized, a fact which violates the semiological function and overloads the morphological and syntactical components. The required counter-movement has started.
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La forme déclarative et l’alternance des suffixes -VU- et -JU- dans les dialectes inuit de l’Arctique canadien de l’Est
Ronald Lowe
p. 137–164
RésuméFR :
Cet article présente une discussion portant sur la distribution des suffixes grammaticaux -VU- et -JU- que l’on retrouve, dans les dialectes inuit de l’Arctique de l’est, affectés à l’expression de la forme déclarative. Il est démontré, notamment, que contrairement à ce que croient la plupart des grammairiens de l’inuktitut, ces deux suffixes ont une représentation sémantique distincte en langue, observable à travers les emplois particuliers qu’on en fait en discours.
EN :
This article proposes a discussion of the distribution of the two grammatical suffixes -VU- et -JU-, which are both found, in the eastern arctic Inuit dialects, in verbs used in the declarative form. It shows, among others, that contrary to what most grammarians of inuktitut believe these two suffixes have a distinct semantic representation in tongue, observable through their particular uses in discourse.
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La concurrence du « Präteritum » et du « Konjunktiv II » dans les subordonnées finales en allemand
Christine Tessier
p. 167–183
RésuméFR :
Dans les subordonnées finales introduites par damit, on constate que le Präteritum allemand peut entrer en concurrence avec les formes subjonctives avec lesquelles il est alors commutable sans changement appréciable de sens :
Ich weckte sie, wenn sie verschlief, damit sie rechtzeitig zur Kirche kam.
Hauser-Suida, Hoppe-Beugel (1972:40)
+ damit sie rechtzeitig zur Kirche käme.
mais que dans ce cas, l’alternance du Präteritum avec le Perfekt — autrement très fréquente — est interdite. Qu’il y ait des traits communs entre le Konjunktiv II et le Präteritum est un fait que signale la synapse totale de ces deux formes de la conjugaison régulière :
Sie fragte ihn um Rat. (indicatif)
Er wäre der letzte, den ich um Rat fragte.
et la synapse partielle des formes irrégulières (voir exemple (a)).
Nous allons essayer de dégager les divers effets de sens qui découlent de l’emploi de l’une ou de l’autre forme dans la subordonnée finale introduite par damit, pour enfin réexaminer le signifié de puissance du Präteritum allemand, et proposer un lien avec le Konjunktiv II.
EN :
In final-clauses introduced by damit in German the Präteritum may be replaced by the Konjunktiv II without any major change in meaning:
Ich weckte sie, wenn sie verschlief, damit sie rechtzeitig zur Kirche kam.
Hauser-Suida, Hoppe-Beugel (1972:40)
+ damit sie rechtzeitig zur Kirche käme.
Unlike most other contents, however, the Perfekt cannot be substituted for the Präteritum here. This along with the fact that there is a total synapsis (i.e. identity of signs) between the past subjunctive and the preterite forms of the regular declension:
Sie fragte ihn um Rat.
Er wäre der letzte, den ich um Rat fragte.
and a partial synapsis of the irregular forms as in (a) above indicates that there must be common features underlyling both the Konjunktiv II and the Präteritum.
We will examine the impressions of discourse arising from the two forms in clauses expressing finality in order to revaluate the potential significate of the Präteritum in German and suggest a link with the past subjunctive.
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Fonction ordinatrice du temps opératif
Roch Valin
p. 185–192
RésuméFR :
Un certain nombre de guillaumiens ont, depuis quelque temps, tendance à ne voir dans le temps opératif qu’un paramètre d’analyse ingénieux et commode, certes, mais imaginaire, et qui, par conséquent, ne saurait être considéré comme correspondant à une réalité ontologiquement fondée. Il sera dans notre exposé démontré que, tout au contraire, le temps opératif s’identifie à une réalité phénoménologiquement primordiale sans laquelle, en quelque état existentiel de sa réalité qu’on le considère, jamais le langage humain n’aurait pu prendre existence. On montrera notamment comment, au niveau puissanciel de la réalité du langage, le temps opératif est le seul substrat concevable sur lequel la pensée puisse asseoir les systèmes d’ordination qui font de la langue, dans l’inconscient collectif, la concevabilité commune de l’expérience humaine commune que, pour pouvoir exister, elle est vouée, par nature et par fonction, à être.
EN :
For some time now, operative time has been regarded by a certain number of Guillaumiens as a most useful and ingenious parameter for analysis but as something imaginary, as something which cannot be considered to correspond to a reality with an ontological basis. The present article will show that, on the contrary, operative time is to be identified with a basic reality in the phenomenon of language; without it, human language, no matter which existential state of its reality one may consider, could never have come into being. In particular, it will be shown how, on the level of potentiality in language reality, operative time is the only conceivable foundation on which the mind could base the ordered systems which, in the collective unconscious, make up tongue, that common conceivability of common human experience which tongue must be by nature and function if it is to be at all.
Hors thème
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Génération automatique de rapports boursiers français et anglais
Chantal Contant
p. 197–221
RésuméFR :
Depuis peu de temps, il est possible, dans un sous-langage technique bien délimité, de créer des systèmes automatiques capables de générer, à partir d’une représentation sémantique, des textes linguistiquement bien formés. Un tel système existe pour le sous-langage boursier. En effet, à partir des données de la Bourse de New York, ce logiciel produit de façon automatique des résumés boursiers en anglais et en français. Le présent article présente le système anglais et français de génération automatique de texte et décrit brièvement les particularités du sous-langage boursier.
EN :
It has become possible over the last few years to create automatic systems that generate, from a semantic representation, linguistically well-formed texts in a well-defined technical sublanguage. Such a system exists for the sublanguage of stock market reports. The system produces English and French stock market reports from the same data coming from the New York Stock Exchange. This article presents this English and French automatic text generation system and briefly describes the particularities of the stock market sublanguage.
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Loi de position ou durée vocalique?
Nicol C. W. Spence
p. 223–234
RésuméFR :
Cet article défend la « loi de position », selon laquelle les voyelles françaises en syllabe fermée tendent à s’ouvrir, et les voyelles en syllabe ouverte, à se fermer, contre les arguments de Y.-C. Morin, pour qui la qualité des voyelles françaises se rapporte surtout à leur longueur en français moyen. Il est admis que si elle rend mieux compte du vocalisme de certains parlers français que la thèse de Morin, la soi-disante « loi » admet beaucoup d’exceptions en français académique. On peut pourtant dire la même chose de l’hypothèse Morin, et la « loi » se situe d’ailleurs sur un plan différent, puisqu’elle se rapporte au devenir de la langue, plutôt qu’à son état contemporain.
EN :
The "loi de position", according to which French vowels tend to open in closed syllables, and close in open ones, is defended against Y.-C. Morin's view that the quality of French vowels is above all related to their length in Middle French. It is admitted that although the "law" accounts more satisfactorily for the vowel-system of some French parlers, there are still many exceptions to it in contemporary standard French. However, the same is true of Morin's hypothesis, and in any case, the "law" operates on a different plane, since it relates to a continuing movement within the language, rather than to its present state.
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Loi de position?
Yves-Charles Morin
p. 237–242
RésuméFR :
La loi de position tire sa force de son imprécision, de son refus d’examiner avec rigueur les faits du passé et de son recours au futur pour ignorer les cas les plus récalcitrants. Spence (1988) se porte néanmoins à sa rescousse dans ce numéro. Son argumentation, cependant, est minée par de nombreuses généralisations hâtives, pour ne pas dire fausses. Il concède à mes remarques antérieures (Morin 1986) que la longueur pourrait avoir eu une influence, mais déforme souvent mes propos. En particulier, il m’attribue à tord la thèse que « la qualité des voyelles contemporaines [du français] se rattacherait […] à leur longueur en français moyen »— une thèse qui est clairement farfelue et qu’il n’a aucun mal à discréditer.
EN :
The loi de position draws its strength from its lack of precision, its cursory concern for historical facts, and its appeal to future evolution to set aside recalcitrant data. Spence (1988) will nevertheless champion its cause in this journal. His argumentation, however, suffers from being based on numerous hasty—not to say false—generalizations. He will concede that vocalic length might have had some influence, but to much less an extent than he claims I proposed (Morin 1986). He presents a distorted view of my analysis; in particular, he imputes me the thesis that "vowel quality in modern French would derive from vocalic length in middle French"—which is so obviously false that he has no difficulty in falsifying it.
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Thematic Roles Are Not Semantic Roles
Jan G. van Voorst
p. 245–259
RésuméEN :
This article discusses the value of thematic roles for the description of phenomena of grammar. Notions like agent, patient, etc. do not have any explanatory value in the grammar. For instance, there is no relationship between the middle, subject selection in English and the impersonal passive in Dutch and these roles. This makes it impossible for the language learner to distil them from the grammatical system. The notion of Event Structure creates a more explanatory link between the grammar and semantics. This notion explains the functioning of impersonal passive in Dutch. It is notions like this one that should play a principal role in a more explanatory semantic theory.
FR :
Cet article contient une discussion de la valeur des rôles thématiques pour la description de phénomènes grammaticaux. Des notions comme agent, patient, etc. n’ont pas de valeur explicative au domaine des phénomènes grammaticaux. Par exemple, une relation entre le moyen; la sélection du sujet en anglais et le passif impersonnel en néerlandais et ces rôles est absente. Ceci rend impossible leur apprentissage. La notion de Event Structure établi une relation plus claire entre la grammaire et la sémantique. Cette notion explique le fonctionnement du passif impersonnel en Néerlandais. C’est une telle notion, qui peut jouer un rôle principale dans une théorie sémantique plus explicative.