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Auréolées d’une ferveur médiatique que l’on ne peut que saluer, deux rencontres internationales afférentes à des problématiques environnementales intrinsèquement liées ont ponctué l’année 2022. Aux négociations climatiques organisées en Égypte au mois de novembre dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC)[1] est venue se greffer la 15e réunion de la Conférence des Parties (COP) à la Convention sur la diversité biologique[2], encore appelée conférence internationale pour la biodiversité, organisée à Montréal quelques semaines plus tard. Très attendue, cette dernière rencontre a abouti à l’adoption d’un nouveau plan stratégique pour la biodiversité à l’horizon 2030, intitulé Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal[3] qui, dans un contexte d’urgence écologique sans précédent, fait presque figure de plan de la dernière chance. S’inscrivant dans la vision globale de parvenir à une vie harmonieuse avec la nature d’ici 2050, le Cadre appelle à « une action urgente et transformatrice » et définit, à cet effet, toute une série de cibles multisectorielles à atteindre d’ici 2030, à travers une mobilisation à grande échelle intégrant toutes les parties prenantes[4].

Forte de près de trente années d’ancrage dans le paysage du droit international de l’environnement, la Convention-cadre sur la diversité biologique, ci-après la Convention-cadre, s’attèle ainsi d’un nouveau programme de travail, susceptible de répondre aux défis protéiformes entourant la conservation de notre biodiversité. Celui-ci doit pouvoir, enfin, conférer une réalité pratique aux trois objectifs phares de la Convention, tenant à la conservation de la diversité biologique dans son ensemble, son utilisation durable, ainsi qu’au partage juste et équitable des avantages découlant de son exploitation[5]. Il vise corollairement à assurer une effectivité aux deux accords additionnels à la convention : le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages[6] et le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques[7].

Définissant tout un ensemble de normes, de principes et de procédures venant encadrer la pluralité des enjeux inhérents à la protection de la biodiversité, ces instruments juridiques sont nécessairement porteurs d’une dynamique politique visant à assurer le parfait équilibre entre d’une part, l’exigence de préservation des ressources naturelles, et d’autre part, une exploitation de ces mêmes ressources, d’une manière raisonnée, durable et profitable à tous, incluant les communautés autochtones et les communautés locales[8].

Ce régime international a encouragé le développement de normes nationales diverses encadrant la protection des espèces sauvages et de leurs habitats, soumettant à des procédures d’évaluation environnementale certains projets d’activité économique, établissant des aires terrestres et marines protégées. Il a également favorisé l’adoption de stratégies et plans d’action pour assurer la protection de la biodiversité, ainsi qu’une meilleure information et sensibilisation aux enjeux environnementaux, et ce conformément aux obligations mêmes fixées par la Convention-cadre[9].

Ces avancées ne sauraient, toutefois, occulter les tendances toujours aussi alarmantes tenant au déclin de la biodiversité; des tendances dument confirmées par la Plateforme Intergouvernementale Scientifique et Politique sur la Biodiversité et les Services Écosystémiques (IPBES)[10], dont les conclusions ont servi de référentiel à l’élaboration du nouveau Cadre mondial[11]. Les principaux vecteurs de l’érosion de la biodiversité sont désormais connus et largement documentés : changement dans l’affectation des terres, prolifération des espèces exotiques envahissantes, surexploitation des ressources naturelles, pollution de nature diverse et changement climatique[12]. Ce triste bilan atteste, de toute évidence, d’un déficit de politiques nationales ambitieuses, coordonnées et cohérentes à même de répondre efficacement à l’impératif d’ordre tout à la fois écologique, économique et plus globalement humanitaire tenant à la préservation de notre milieu naturel. Tentant de combler ces lacunes, le nouveau cadre vient ainsi formuler de nouvelles orientations affectées de nouveaux critères quantitatifs, valeurs, seuils et points de référence.

Prenant le relais du plan stratégique 2011-2020, plus connu sous le nom des Objectifs d’Aichi, adopté en 2010 à l’occasion de 10e réunion de la Conférence des Parties[13], le nouveau Cadre mondial de la biodiversité Kunming-Montréal ne saurait constituer, en tant que tel, une nouveauté juridique. Pour autant, il cristallise tous les espoirs d’un inversement de tendance sans lequel la réalisation des Objectifs de développement durable pour 2030 serait illusoire. Intégrant de nouveaux objectifs assortis de nouveaux critères quantitatifs, valeurs seuils et points de référence, à respecter d’ici 2030, il invite de manière générale à repenser notre matière de produire, consommer, bâtir et circuler et exhortent les États, les entités non étatiques et infra- étatiques à travailler plus que jamais main dans la main.

Quel regard devons-nous porter sur ce nouveau plan? Est-il susceptible d’insuffler une dynamique nouvelle en faveur d’une inversion de tendance ou s’inscrit-il dans la continuité des stratégies antérieures, empreintes de bonnes intentions, mais aux effets pratiques limités? Peut-il constituer ainsi une réelle différence et permettre une réduction drastique des facteurs multiples responsables de l’érosion de la biodiversité? La question mérite véritablement d’être posée en tenant compte tout d’abord de la dimension sanitaire et humaine attachée à l’exigence de protection de la biodiversité. Si la pandémie liée à la COVID-19 a indéniablement marqué les esprits, elle est aussi susceptible d’influencer une plus large effectivité de ce nouveau plan stratégique. Cette crise sanitaire aura, en effet, clairement montré que l’exigence de préservation de notre biodiversité ne saurait être considérée comme un enjeu cloisonné. Les répercussions sanitaires sont bien réelles et d’ailleurs clairement établies par un récent rapport de l’IPBES. Celui-ci souligne qu’entre 631 000 et 827 000 virus présents dans la nature pourraient infecter les êtres humains et qu’à défaut de modifications dans les activités humaines, des pandémies plus fréquentes, plus mortelles et plus coûteuses sont à prévoir[14].

Comme l’a, à juste titre, rappelé Antonio Guterres, à l’occasion du discours d’ouverture de la conférence, « la guerre de l’humanité contre la nature est finalement une guerre contre nous-mêmes »[15]; des mots indéniablement empreints de gravité et porteurs d’une exigence de transformations profondes dont nous portons tous collectivement la responsabilité.

L’intérêt de notre questionnement réside également dans l’étroite corrélation entre l’exigence de préservation de la biodiversité et la réalisation même des Objectifs de développement durable[16]. L’IPBES a ainsi évalué que 80 % des Objectifs de développement durable pour 2030 pourraient ne pas être atteints si la dégradation de la biodiversité se poursuit[17]. En d’autres termes, à défaut de mesures ambitieuses pour contrer la crise de la biodiversité, l’Agenda 2030 pour le développement durable relèverait d’une simple vue de l’esprit[18].

Enfin, le plan met à l’épreuve la capacité des États à organiser des modalités de gouvernance élargies et plus inclusives, capables de prendre en compte des intérêts des associations environnementales, des communautés autochtones, des collectivités territoriales, des acteurs économiques et toute autre entité directement affectée par l’érosion de la biodiversité[19]. Une approche de bon sens par excellence. Érigée en « [p] réoccupation commune de l’humanité »[20], la protection de la biodiversité doit pouvoir reposer sur des mécanismes participatifs de gouvernance au profit de l’ensemble des parties prenantes. Corollairement, ce nouveau Cadre mondial met également à l’épreuve la capacité des États signataires à organiser des mécanismes de contrôle et de suivi susceptibles de garantir l’effectivité et l’efficacité de ce nouveau plan d’action. Celui-ci s’invite en définitive dans le débat actuel relatif aux conditions d’une bonne gouvernance internationale de l’environnement, un débat articulé notamment autour des questions de participation et d’efficacité des normes environnementales[21]. Ce nouveau cadre d’action décennal fait même figure de banc d’essai à des modalités de gouvernance qui puissent répondre rapidement et adéquatement à la crise de la biodiversité.

Toutes ces interrogations justifient amplement un coup de projecteur sur ce nouveau Cadre mondial de la biodiversité. Plus précisément, elles invitent ainsi à procéder à une analyse tout à la fois de l’adéquation de ce nouveau plan aux enjeux protéiformes liés à la déperdition de la biodiversité, de sa capacité à fédérer l’ensemble des parties prenantes autour de cette vision commune d’une vie en harmonie avec la nature d’ici 2050[22], ainsi que de la faisabilité politique des engagements dont il est porteur. Dans cette optique, il convient, à titre liminaire, de nous pencher sur la qualification juridique du Cadre mondial et sur son articulation avec le régime international de protection de la biodiversité. Cette même première partie examinera dans quelle mesure les acquis générés par l’approche stratégique développée depuis plusieurs années par les États parties à la Convention tendent à susciter de l’optimisme quant à l’adoption de politiques nationales ambitieuses susceptibles de concourir à la pleine réalisation de ce nouveau programme d’action (I). Un regard sera ensuite porté sur l’approche structurelle et le contenu du Cadre mondial lui-même. Il sera, ainsi, procédé à une analyse des potentialités mêmes attachées aux nouvelles cibles multisectorielles à atteindre d’ici 2030, mais également des réserves et interrogations que certaines d’entre elles peuvent susciter (II).

I. Le Cadre mondial de la biodiversité Kunming-Montréal : mise en contexte

A. L’approche stratégique comme instrument d’appui à la mise en oeuvre du régime international de protection de la biodiversité

Au nom évocateur d’un itinéraire de route, le nouveau Cadre mondial prend acte dans son intitulé des travaux et démarches préparatoires ayant entouré la tenue de cette 15e réunion de la Conférence des 196 Parties à la Convention sur la diversité biologique. Fortement perturbée par la crise sanitaire liée à la COVID-19, cette conférence internationale a fait l’objet de quelques aménagements organisationnels. Initialement programmée en octobre 2020 dans la ville chinoise de Kunming, cette 15e COP fut, par la suite, reportée et scindée en deux phases. Ainsi, la tenue d’un segment de haut niveau, rassemblant les dirigeants et ministres de l’Environnement de plusieurs pays signataires ainsi que des représentants d’organisations nationales et internationales, d’autorités locales, de gouvernements infranationaux, du secteur privé, de peuples autochtones et de la société civile, fut organisée en ligne en octobre 2021[23]. Celui-ci avait pour objectif de mener des discussions élargies et d’encourager le partage d’expériences en vue de l’élaboration d’un futur cadre mondial de la biodiversité post -2020[24]. La seconde réunion des Parties, planifiée en présentiel à Montréal en décembre 2022, devait précisément permettre la finalisation et l’adoption de ce nouveau Cadre mondial[25].

En réalité, les discussions autour de l’élaboration d’un nouveau plan d’action à l’horizon 2030 avaient été amorcées, en amont, à l’occasion de la 14e réunion de la Conférence des Parties organisée à Charm El-Cheikh, en Égypte, au mois de novembre 2018[26]. Celle-ci invitait déjà à réfléchir à l’élaboration d’un plan stratégique pour la biodiversité qui prendrait le relais des Objectifs d’Aichi. S’appuyant notamment sur les principes de visibilité, de transparence, d’inclusivité et de souplesse, un processus préparatoire fut, à cet effet, adopté[27] et s’est traduit par la mise sur pied d’un groupe de travail à composition non limitée, associant notamment des gouvernements, des organisations non gouvernementales, des municipalités, le grand public[28]; chacune de ces entités devant apporter sa contribution à l’élaboration d’un nouveau programme pour contrer le déclin de la biodiversité.

Au soutien de ce processus préparatoire, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), organisation multipartite ayant joué un rôle phare dans la promotion du droit international de l’environnement[29] et plus spécifiquement dans l’élaboration de la Convention sur la diversité biologique, a d’ailleurs appelé lors de son congrès mondial sur la Nature, tenu en France en septembre 2021 à l’élaboration d’un Cadre mondial qui soit véritablement transformateur, efficace et ambitieux[30]. Le ton était ainsi donné quant à l’esprit et à la direction générale de ce futur plan.

Une étape additionnelle fut franchie avec l’adoption de la Déclaration de Kunming à l’occasion de la première rencontre virtuelle d’octobre 2021. Ce texte pose les fondements factuels et juridiques du nouveau plan d’action à travers dix-sept engagements visant au rétablissement de la diversité biologique d’ici 2030. Formulés dans des termes très généraux et consensuels, ces engagements tendent surtout à tracer les contours et grandes lignes directrices du nouveau cadre[31].

La Conférence internationale de Montréal au mois de décembre 2022 fut l’occasion d’affiner cette ébauche : les États parties étant, en effet, amenés à négocier la trame et la substance même de ce nouveau plan et à parvenir à des compromis sur des actions sectorielles déterminées, assorties de seuils et de quantum précis, susceptibles de doter ce nouveau Cadre mondial tout à la fois d’une crédibilité politique et d’une efficacité juridique. Fruit de ces négociations, le Cadre mondial constitue, de manière générale, une version réactualisée de la stratégie d’action à mener pour restaurer la nature dans toutes ses composantes d’ici la fin de la prochaine décennie, tenant compte d’une situation environnementale toujours aussi critique. Le nouveau programme reprend, à cet égard, le même credo que les Objectifs d’Aichi, celui de parvenir à vivre en harmonie avec la nature d’ici 2050[32].

Cette vision commune s’articule autour de quatre objectifs généraux à atteindre d’ici 2050, axés sur l’accroissement de la superficie des écosystèmes naturels, incluant une division par dix du taux d’extinction des espèces sauvages, la préservation des services écosystémiques, le partage effectif juste et équitable des avantages financiers liés à l’exploitation des ressources génétiques au profit notamment des communautés autochtones et des communautés locales et enfin le renforcement du soutien financier au profit des pays en développement[33]. Ces quatre objectifs généraux pour 2050 sont eux-mêmes assortis de 23 cibles d’actions sectorielles à atteindre à l’horizon 2030, devant contribuer à la réalisation de l’Agenda 2030 pour le développement durable[34].

Les médias relayés par les réseaux sociaux n’ont eu de cesse de faire état de la signature d’un « accord historique »[35]. Loin d’être anodine, la terminologie employée tend à traduire une forme de désespérance doublée d’une profonde attente de gestes politiques ambitieux et concrets en faveur de la biodiversité. Certes, dans son acception générale, il n’est pas exagéré de parler d’accord; les Parties s’étant, en effet, entendus sur le contenu d’un programme commun d’actions à entreprendre d’ici 2030, ce qui constitue en soi, une victoire au regard des conflits d’intérêts opposant les pays du nord et ceux du sud en matière notamment d’exploitation des ressources génétiques[36].

Pour autant, la réalité juridique entourant ce nouveau Cadre est toute autre; celui-ci ne relevant pas des accords internationaux tels que définis et encadrés par la Convention internationale de Vienne sur le droit des traités[37]. Il n’en présente, en effet, aucune des caractéristiques formelles et n’obéit pas aux règles procédurales d’élaboration des traités internationaux. Expressément désigné comme un nouveau plan stratégique pour la période 2022-2030[38], ce Cadre mondial s’analyse davantage en un accord non juridiquement contraignant devant accompagner la mise en oeuvre de la Convention et de ses protocoles. Il relève, aux termes mêmes, de la Convention-cadre, des mesures susceptibles d’être prises par la Conférence des Parties aux fins d’assurer « la poursuite des objectifs de la Convention en fonction des enseignements tirés de son application »[39]. Ainsi, on ne saurait y voir un accord additionnel venant se juxtaposer à la Convention sur la diversité biologique, ou même à un texte venant amender la Convention ou l’un de ses protocoles[40]. Ce nouvel instrument de régulation présente, en définitive, toutes les caractéristiques d’une norme de la Soft Law : une adoption dans le cadre d’une conférence internationale, une apparence de Droit et une absence de force obligatoire[41].

L’approche est judicieuse bien qu’en définitive peu mise en oeuvre à l’échelle de l’ensemble des accords multilatéraux environnementaux[42]. À titre d’exemple, si la Convention-cadre sur les changements climatiques donne la faculté à la Conférence des Parties de prendre les décisions nécessaires pour favoriser l’application effective de la Convention[43], ces dispositions n’ont à ce jour pas donné lieu à l’élaboration de plan stratégique à l’échelle internationale listant une panoplie d’actions sectorielles à mener pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, force est d’observer que, dans le cadre global des normes internationales de l’environnement, ce plan stratégique fait presque figure de spécificité juridique propre au régime international de protection de la biodiversité.

Complémentaire à la norme conventionnelle, la démarche offre ainsi de la souplesse aux États dans la définition de solutions appropriées pour contrer le déclin de la biodiversité à l’horizon 2030 tout en favorisant un dialogue élargi avec des entités traditionnellement non impliquées dans le droit international conventionnel, mais pour autant directement affectées par l’érosion de la biodiversité, ce qui permet, dès lors, d’entretenir une conscience juridique collective sur les enjeux de la biodiversité.

Cette approche stratégique tend même à pallier les faiblesses du régime conventionnel, en dotant celui-ci d’une méthodologie opératoire pour le moins appréciable, étant rappelé que la Convention-cadre et ses protocoles se déclinent principalement sous forme d’objectifs généraux, mais s’abstiennent de définir un échéancier et des modalités précises d’actions. Au demeurant classique au sein des accords multilatéraux environnementaux, cette absence de mode opératoire est, indéniablement, de nature à nuire à la compréhension, à la lisibilité et surtout à l’effectivité du régime[44]. Agissant un peu comme une béquille de soutien aux engagements internationaux, la démarche permet également de suppléer aux lacunes du régime quant à l’organisation de dispositifs de contrôle visant à suivre et à évaluer la progression des politiques correctrices mises en oeuvre par les gouvernements. Elle peut, à cet effet, définir des mesures de recadrage appropriées. Rappelons, à cet égard, qu’au-delà de l’obligation faite aux États de transmettre au Secrétariat de la Convention un rapport sur la mise en oeuvre des engagements pris, se déclinant sous la forme de Stratégie et Plan d’Action National pour la Biodiversité (SPANB)[45], la Convention-cadre n’organise aucun mécanisme de surveillance précis.

Enfin, l’utilité de cette approche stratégique réside dans l’effet d’entrainement qu’elle peut provoquer : sa réalisation pouvant générer des retombées positives sur la mise en oeuvre d’autres conventions internationales liées à la protection de la biodiversité[46].

Annexé à la Convention sur la diversité biologique et à ses protocoles, le Cadre mondial Kunming-Montréal s’analyse en une feuille de route, mue par des objectifs et cibles pour lesquels des résultats sont attendus d’ici 2030. On relèvera, à cet égard, le paradoxe entourant l’emploi de l’expression de « plan stratégique », qui renvoie à un mécanisme opératoire traditionnellement usité dans le monde de l’entreprise et des affaires[47], celui-ci même considéré comme étant responsable de bon nombre de maux environnementaux. Désormais transposée dans le régime international de protection de la nature, cette approche stratégique doit guider les États dans l’adoption de politiques nationales et donner ainsi une consistante pratique à leurs engagements internationaux.

Notons qu’en tant qu’instrument d’appui à la Convention-cadre, le nouveau Cadre mondial ne constitue pas un premier coup d’essai. Plusieurs plans, de même nature, ont antérieurement été initiés par les Parties aux fins d’orienter les travaux des différents organes de la Convention et du Secrétariat comme cela est, d’ailleurs, rappelé par le Cadre lui-même[48]. La nouvelle version tend à corriger les lacunes et défaillances ayant concouru à l’inefficacité des deux précédents plans stratégiques, dont le premier a été adopté en avril 2002 à La Haye à l’occasion de la 6e Conférence des Parties. Il avait pour objectif la mise en oeuvre de façon plus « efficace et plus cohérente les trois objectifs de la Convention en vue d’assurer d’ici à 2010 une forte réduction du rythme actuel de perte de diversité biologique aux niveaux mondial, régional et national […] au profit de toutes les formes de vie sur la planète »[49]. Formulé en termes très généraux et dénué d’objectifs ou de cibles précises, ce premier format de plan est relativement allégé, quant aux modalités opératoires. Il tend surtout à s’analyser comme une forme de réitération des engagements pris par les États au titre de la Convention et de ses protocoles. Ce premier plan stratégique était principalement articulé autour de quatre buts généraux, axés sur l’amélioration des capacités financières et techniques au profit des pays en développement, l’élaboration de stratégies et de plans d’action nationaux et une meilleure compréhension de l’importance de la diversité biologique conjuguée à une plus grande participation des acteurs non étatiques dans la mise en oeuvre du plan. La démarche visait surtout à contrer les obstacles politique, économique et juridique qui entravaient la mise en oeuvre de la Convention, ainsi que le manque de connaissance et d’information, et ce à travers une coopération multipartite[50]. Il est vrai que la décennie qui avait suivi l’adoption de la Convention permettait de dresser un premier bilan général et de mesurer précisément les facteurs de nature diverse qui freinaient l’application du régime.

Pâtissant d’un rayonnement académique et médiatique pour le moins discret, ce premier plan aura surtout eu le mérite d’amorcer une approche de travail plus inclusive et holistique[51], complétant ainsi, sous une forme nouvelle de régulation, l’ensemble des approches sectorielles ou écosystémiques développées par la Convention depuis son adoption[52].

À la différence de ce premier cadre d’action, le second plan stratégique adopté à Aichi lors de la 10e réunion de la Conférence des Parties a fait l’objet de nombreuses réflexions et contributions académiques[53] et a constitué un référentiel de taille pour les États, la communauté scientifique et plus globalement les acteurs non étatiques. Plus élaboré que le précédent tant dans sa structure, sa finalité et son contenu, il intègre pour la première fois cette vision à long terme de vivre en harmonie avec la nature, sans fixer toutefois d’échéancier. Celui-ci définit 20 objectifs, articulés autour de 5 buts stratégiques à atteindre d’ici 2015 ou 2020 : la gestion des causes sous-jacentes de l’appauvrissement de la biodiversité, la réduction des pressions directes exercées par les secteurs industriel, agricole, forestier et autres, l’amélioration de l’état de la biodiversité dans son ensemble, le renforcement des avantages retirés de la biodiversité et le renforcement des capacités de mise en oeuvre du régime[54]. Ce second plan innovait en abordant, pour la première fois, la notion de services écosystémiques, c’est-à-dire les bénéfices directement ou indirectement fournis par les écosystèmes[55], qui tout comme la biodiversité devaient faire l’objet de mesures de restauration et de préservation. Quelques valeurs seuils étaient affectées aux Objectifs d’Aichi, dont la conservation, d’ici 2020, d’au moins 17 % des zones terrestres et des eaux intérieures et de 10 % des zones marines et côtières, y compris les zones qui sont particulièrement importantes[56].

S’imposant désormais comme la nouvelle feuille de route des États parties pour la décennie à venir, le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal organise tout un programme de travail tenant compte des « réalisations, des lacunes et les enseignements tirés » des Objectifs d’Aichi[57]. Or, la tâche s’annonce rude au regard du bilan globalement négatif, attaché à la réalisation du précédent plan. Catalyseurs de changements, les Objectifs d’Aichi n’ont toutefois pas abouti aux résultats escomptés. Quelques progrès ont pu être constatés tenant notamment à la mise en oeuvre du Protocole de Nagoya, qui, quatre années après sa signature, a pu recueillir un nombre suffisant de ratifications permettant son entrée en vigueur en 2014, à l’adjonction depuis 2010 de 42 % de superficie faisant l’objet d’aires protégées ou d’autres mesures de conservation[58], à la mise à jour des stratégies nationales sur la biodiversité, à la hiérarchisation des espèces envahissantes ainsi qu’à une meilleure évaluation et diffusion des connaissances sur la biodiversité. Mais, en dépit de ces quelques avancées, l’état des lieux demeure négatif et les indicateurs sont toujours au rouge[59].

B. Des acquis comme vecteurs d’action

Les termes introductifs de ce nouveau plan d’action ne sauraient être plus clairs; nous sommes en présence d’une « perte continue de la biodiversité; celle-ci représentant une menace pour la nature et le bien-être humain »[60]. Ce constat sans équivoque induit une question centrale : dans quelle mesure le nouveau Cadre mondial pour la biodiversité peut-il réussir, là où les précédents plans stratégiques ont échoué? Si la question oblige nécessairement de procéder à un examen des modalités opératoires établies par le nouveau Cadre lui-même, elle invite également à tenir compte des influences positives extérieures, auxquelles l’approche stratégique développée depuis 2002 a contribué.

Plusieurs raisons tendent à nourrir un certain optimisme quant aux retombées positives de ce nouveau plan. Tout d’abord, si les Objectifs d’Aichi n’ont pas été porteurs de changements profonds, ils ont tout de même encouragé une compréhension plus affinée des facteurs multiples contribuant au déclin persistant de la biodiversité; une compréhension, de surcroit, partagée et discutée avec l’ensemble des parties prenantes à l’occasion des réunions et des groupes de travail préparatoire, permettant graduellement de développer une autre approche de travail moins stato-centrée. Cette même compréhension constitue un tremplin à la définition de réponses politiques plus adaptées.

L’optimisme à laquelle invite le nouveau plan d’action post -2020 réside également dans l’augmentation de la visibilité des défis à relever, une visibilité accrue à laquelle les travaux de l’IPBES ont amplement contribué à travers ses rapports d’évaluation; institué deux années après l’adoption des Objectifs d’Aichi, l’IPBES fournit désormais de précieux indicateurs sur la progression des objectifs fixés par les Parties à la Convention[61]. Ces travaux viennent, d’ailleurs, compléter les évaluations mondiales parallèlement publiées dans le contexte de la Convention-cadre depuis l’adoption du 1er plan stratégique en 2002[62]. Véritables tableaux de bord à l’attention des gouvernements et du grand public, ces évaluations sont de nature à favoriser la compréhension des multiples chantiers d’actions requis pour assurer la restauration de la biodiversité et de leur interconnexion avec la lutte contre le réchauffement climatique, deux enjeux environnementaux qui ont longtemps été dissociés et qui tendent aujourd’hui à se rejoindre et à nourrir un même débat et une même force de mobilisation.

Il importe, en effet, d’observer que les marches citoyennes et mobilisations judiciaires qui se sont multipliées ces dernières années autour de la question du réchauffement climatique tendent à s’élargir et à jouer également en faveur de la préservation de la biodiversité[63]. Ainsi, aux termes d’une décision rendue le 23 juin 2023, le Tribunal administratif de Paris a, sur la demande de plusieurs associations environnementales, dont l’association, Notre Affaire à Tous, condamné l’État français à réparer le préjudice écologique liée à l’utilisation massive de pesticides[64]. Le jugement reconnait, plus précisément, l’existence d’un préjudice écologique « résultant de la contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les substances actives de produits phytopharmaceutiques », contribuant au « déclin de la biodiversité et de la biomasse et de l’atteinte aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement »[65]. Au Canada, plusieurs décisions récentes démontrent que les instances judiciaires prennent dorénavant très au sérieux la protection de la biodiversité. En 2021, suite au recours introduit devant la Cour fédérale par le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) et de la Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP), les ministres des Pêches et Océans Canada et le ministre d’Environnement et Changement climatique ont fini par adopter, conformément aux dispositions de la Loi fédérale sur les espèces en péril (LEP) de 2002, un arrêté ministériel protégeant juridiquement l’habitat du chevalier cuivré, une espèce menacée par le projet d’expansion du Port de Montréal[66]. Aux termes d’une longue bataille judiciaire opposant des groupes environnementaux à un promoteur immobilier, la Cour d’appel fédérale a, en outre, confirmé en mai 2020 qu’un décret d’urgence adopté en application de la LEP par le gouvernement fédéral visant à protéger la rainette faux-grillon ne pouvait être analysé comme une expropriation déguisée et avait refusé d’entendre l’appel du promoteur[67]

Ainsi, en dépit même de résultats concrets encore trop limités, l’approche stratégique développée depuis 2002 aura eu le mérite, par le biais de ces outils d’évaluation et d’information, de nourrir une sensibilisation accrue à la protection de la biodiversité. Cette même sensibilisation est aujourd’hui susceptible d’enclencher les transformations profondes auxquelles appelle précisément le nouveau Cadre mondial pour la biodiversité.

Notons que les acteurs économiques eux-mêmes semblent vouloir également -et c’est le cas de le dire- sortir du bois. Longtemps stigmatisés pour leur implication directe dans la crise de la biodiversité, ces derniers semblent avoir pris la mesure du risque économique attachée à la perte de la biodiversité. Face à une crise étroitement liée aux activités des secteurs industriel, pétrolier, minier, agricole, pharmaceutique et autres, axés pendant bon nombre de décennies sur une exploitation des ressources naturelles exclusive de toute considération de durabilité, l’acteur économique fait désormais figure d’arroseur arrosé.

Ainsi, on assiste depuis plusieurs années à un foisonnement de coalitions, de partenariats, et d’organisations non gouvernementales regroupant des entités économiques aux activités diverses. Ces derniers tendent à assurer une présence croissante au sein des conférences environnementales, par le biais de leur délégation nationale, sur laquelle certains d’entre eux n’hésitent, d’ailleurs, pas, à exercer une pression aux fins de préserver leurs intérêts économiques[68]. Dans le même temps, bon nombre d’entreprises multiplient ostensiblement la communication de rapports compilant toute une série d’engagements en faveur de la nature[69]. Démarche sincère en faveur d’un autre modèle d’affaires ou simple stratégie de communication visant à rassurer consommateurs, investisseurs et actionnaires de plus en plus sensibilisés aux questions environnementales, mais sans remise en cause de leur modèle économique? Le doute subsiste, mais la démarche stratégique tend à faire évoluer les choses.

Ainsi, par le biais de ses New Nature Economy Reports (NNER), le Forum économique mondial affiche clairement sa volonté d’implication dans l’élaboration du nouveau Cadre mondial pour la biodiversité en formulant des propositions en faveur d’activités économiques moins dévoreuses des ressources naturelles. Aux termes de son dernier rapport, le forum fait ainsi état de l’exigence d’opérer « un virage critique vers des modèles positifs pour la nature en matière notamment d’alimentation, d’utilisation des terres et des océans, d’infrastructure et industries extractives et d’énergie »[70]. Des solutions alternatives sont d’ailleurs proposées, telles que la mise à profit de l’agriculture régénératrice, la promotion de l’économie circulaire et la mise en place de chaines d’approvisionnement durables axées sur la transparence et la traçabilité[71]. Les conclusions du Global Risk sur lesquelles s’appuient ces rapports environnementaux tendent à accréditer les engagements pris par les décideurs économiques. Celles-ci confirment que l’érosion de la nature aura inévitablement un impact sur les résultats financiers des entreprises, en raison de perturbations dans les chaines d’approvisionnement en matières premières ou de catastrophes telles que des inondations. Les secteurs de l’extraction, de la construction, de l’énergie, ainsi que celui de la mode et du textile font partie des secteurs particulièrement vulnérables à la destruction écologique[72].

D’aucuns diront que ces rapports ne sont que de la poudre aux yeux et que bon nombre d’entreprises, se réclamant précisément de ces nouvelles coalitions, persistent dans des pratiques destructrices de la biodiversité. Citons les impacts environnementaux liés au projet très controversé de construction de l’oléoduc East African Crude Oil Pipeline (EACOP) actuellement menée en Afrique de l’Est par le groupe français TotalEnergie. Menaçant dans son tracé une surface importante de réserves naturelles riches en biodiversité, le projet fait l’objet de plusieurs poursuites judiciaires initiées par des organisations environnementales[73]. La compagnie TotalEnergie est paradoxalement membre du Conseil Mondial des Entreprises pour le Développement Durable[74]. Indéniablement, cette mobilisation des acteurs économiques, à laquelle les plans stratégiques ont contribué, constitue en soi une avancée. Certes, celle-ci est perfectible considérant notamment l’absence de mécanisme permettant de suivre l’effectivité des mesures annoncées; les différents plans stratégiques, adoptés jusqu’alors, encourageant, en effet, la participation des entreprises[75], sans toutefois définir de modalités de contrôle quant à la mise en oeuvre effective des plans proposés.

Néanmoins, des garde-fous se mettent graduellement en place grâce à la mobilisation des associations environnementales qui appellent à plus de rectitude de la part des entreprises via l’élaboration d’un cadre normatif de contrôle. En témoignent au Canada les débats actuels entourant l’encadrement juridique des pratiques d’écoblanchiment[76]. Certaines associations, telles que Friends of the Earth International, appellent même à l’établissement, par le système des Nations Unies, d’un cadre d’obligations juridiquement contraignantes visant notamment à rendre les entreprises responsables du respect des législations environnementales et définissant des mécanismes renforçant la transparence en matière de lobbying[77]. Tous ces débats tendent à tirer les acteurs économiques vers le haut et à les amener concrètement vers des stratégies de production plus écologiquement vertueuses et inventives.

C’est d’ailleurs la direction que semble vouloir prendre le Leader Pledge’s for Nature, un engagement visant à lutter contre la perte de la biodiversité d’ici 2030, adopté en septembre 2020 par les chefs d’État et de gouvernement de 94 pays de toutes les régions du monde[78]. Il s’agit d’un éventail d’engagements tous azimuts et consensuels portant notamment sur la réorientation de l’utilisation des sols, la fin des crimes environnementaux, et intégrant précisément un engagement spécifique relatif à la modification des mécanismes de gouvernance actuels aux fins de garantir la redevabilité et l’introduction de mécanismes d’examen robustes et efficaces[79].

Ainsi, si les Objectifs d’Aichi n’ont aucunement abouti aux résultats escomptés, ils ont, tout de même, encouragé une approche de travail plus inclusive et contribué à un élan de mobilisation de la part tout à la fois des États, des organisations environnementales et des acteurs économiques. De prime abord, les rencontres et les initiatives diverses portées par cette mobilisation ont pavé la voie à l’élaboration d’un plan stratégique post -2020, plus sérieux et muri, laissant présager des gestes politiques concrets en faveur de la restauration de la biodiversité.

II. Le nouveau Cadre mondial pour la biodiversité : entre optimisme et réserves

A. Un cadre stratégique étoffé et doté d’une dimension humaine plus affirmée

Galvanisé par des ardeurs politiques nouvelles porteuses d’espoirs et de changement, le Cadre mondial Kunming Montréal s’annonce sous les meilleurs auspices quant à la portée pratique de ses nouvelles orientations. Au-delà des bonnes volontés affichées, il convient néanmoins de s’interroger sur la pertinence et l’adéquation de ce nouveau plan d’action à la multitude des enjeux entourant l’exigence de préservation de notre biodiversité. La teneur même du Cadre Kunming-Montréal est-elle à la hauteur de la tâche? À cette question, une réponse de bon sens s’impose : à la pluralité des facteurs impliqués dans le déclin de la biodiversité doit pouvoir répondre un plan d’action qui est lui-même multidimensionnel et intégré, encourageant la mise en place de politiques économique, agricole et financière, plus respectueuses de la biodiversité dont l’Humanité tout entière dépend. Aucun aspect ne doit être laissé pour compte. Considérant, de surcroit, la réalisation des Objectifs de développement durable à laquelle le nouveau plan stratégique doit nécessairement concourir, celui-ci doit également être capable de fédérer efficacement les gouvernements, le secteur privé et la société civile à travers des partenariats[80], et organiser des mécanismes de suivi efficaces permettant de mesurer et de contrer les éventuelles inerties étatiques.

Force est, tout d’abord, d’observer que les États parties à la convention ont, de toute évidence, souhaité consolider la mise en oeuvre du nouveau Cadre mondial à travers l’adoption parallèle d’une palette de décisions faisant corps avec le Cadre lui-même. Celles-ci instituent des stratégies et plans d’actions spécifiques sur des questions essentielles venant conditionner la pleine réalisation des nouvelles cibles, tenant notamment à la mobilisation des ressources financières, au renforcement des capacités en faveur des pays en développement, à la coopération scientifique et technique ainsi qu’au suivi et contrôle de la mise en oeuvre et de la réalisation du Cadre[81]. Axées sur la définition de principes, lignes directrices, modèles ainsi que de mécanismes institutionnels d’appui, ces décisions tendent à soutenir et faciliter la mise en oeuvre du nouveau plan stratégique mondial. Elles traduisent une volonté de ne rien laisser au hasard et de donner au Cadre mondial toutes les chances de se réaliser. Celui-ci s’en trouve d’autant plus renforcé.

Les États peuvent ainsi s’appuyer sur la Stratégie de mobilisation des ressources, parallèlement mise en place. Supervisée par un tout nouveau comité consultatif sur la mobilisation des ressources, la stratégie fournit des orientations sur l’identification de solutions innovantes de financement qui soient aisément accessibles et adaptées à l’atteinte de chaque cible[82]. Dans le même esprit, les États disposent désormais d’un modèle leur permettant d’intégrer adéquatement le suivi et la surveillance de la réalisation de chaque cible dans leurs Stratégie et plans d’action nationaux pour la biodiversité[83]. Celles-ci doivent ainsi s’appuyer sur toute une combinaison d’indicateurs de suivi dument explicités et détaillés pour chacune des cibles visées par le Cadre[84].

Si le flou juridique est généralement vecteur d’inaction, on peut penser que cette nouvelle forme de paramétrage, sur laquelle s’appuie le Cadre mondial sera au contraire propice à l’action et à des engagements effectifs de la part des États.

De manière générale, on observera que le nouveau programme d’action s’est, par ailleurs, étoffé et affiné tant au niveau des objectifs et des cibles à atteindre qu’au niveau de l’exposé des fondements factuels et juridiques motivant le bien-fondé des actions à entreprendre.

Une simple mise en parallèle des Objectifs d’Aichi et du nouveau Cadre mondial permet, tout d’abord, de relever que ce dernier intègre davantage de quantua, de points de référence, et de valeurs seuils à respecter d’ici 2030. Ainsi, des seuils précis sont définis en matière de pollution et de risques associés aux pesticides et produits chimiques, en matière également de consommation alimentaire, d’introduction d’espèces exotiques envahissantes, de subventions nuisibles à la biodiversité et concernant également l’octroi de ressources financières[85]. Dans sa consistance générale, le nouveau plan semble renforcé, plus affirmé et incisif, décelant une volonté de la part des États parties, de s’affranchir des formulations floues et imprécises qui caractérisaient la grande majorité des Objectifs d’Aichi; ces derniers invitant simplement « à une gestion ou à une utilisation durable », ou encore à « une réduction au minimum » ou à « une amélioration », sans définir de seuil précis[86]. Dans le cadre du précédent plan, l’objectif de conservation d’ici à 2020, d’au moins 17 % des zones terrestres et d’eaux intérieures et de 10 % des zones marines et côtières, faisait presque figure d’exception[87].

Au-delà de la pertinence des seuils définis, cette augmentation de cibles quantifiées ou chiffrées tend à favoriser une progression dans l’action et permet de prévenir le risque d’inertie ou tout au moins de stagnation des politiques mises en oeuvre.

Le nouveau Cadre mondial liste ainsi toute une série d’actions ciblées devant répondre à une situation d’urgence écologique; celle-ci constituant, d’ailleurs, le point cardinal de ce nouveau plan stratégique. À la différence du plan précédent, elle est, en effet, au coeur même de la vision d’une vie harmonieuse avec la nature à l’horizon 2050; celle-ci reposant expressément sur la mission « de prendre d’ici 2030 des mesures urgentes pour enrayer et inverser la perte de biodiversité afin de mettre la nature sur la voie de la reconstitution dans l’intérêt des personnes et de la planète »[88]. Cet appel à une réactivité à grande échelle ressort de la sémantique même employée. Ainsi aux cinq buts stratégiques du plan de 2010 se sont substitués quatre objectifs généraux à l’horizon 2050 et les vingt Objectifs d’Aichi se sont transformés en 23 cibles à atteindre d’ici 2030. Certes, ces modifications sémantiques ne remettent pas en cause l’approche structurelle globale. Pour autant, l’emploi du terme cible n’en est pas moins symbolique et dénote une forme de détermination à obtenir des résultats précis et rapides à travers des actions circonstanciées. Le terme invite à des réactions ciblées et immédiates, exclusives de toute tergiversation politique. En bref, plus que jamais, il s’agit désormais d’aller de l’avant.

Cette exigence de réactivité immédiate est, d’ailleurs, inscrite dans l’objet même du Cadre mondial. Tout en réaffirmant notre étroite dépendance à la biodiversité, celui-ci réaffirme, son objectif de « stimuler, faciliter et promouvoir une action urgente et transformatrice de la part des gouvernements et des autorités locales et infranationales, avec la participation de l’ensemble de la société afin d’arrêter et d’inverser la perte de biodiversité »[89]. Là encore, le Cadre ne semble plus laisser de place aux hésitations et actions en demi-teinte et appelle tout à la fois à l’effort collectif vers lequel nous devons nous engager, mais également à l’exigence d’une gouvernance plus inclusive et participative en faveur notamment des communautés locales.

À cet égard, le nouveau plan stratégique se singularise positivement en introduisant un socle de principes directeurs et de valeurs qui doivent guider l’ensemble des parties prenantes dans l’interprétation et la mise en oeuvre du nouveau plan[90]. Parmi ceux-ci figurent l’équité intergénérationnelle, le respect des droits humains, la reconnaissance des contributions importantes des peuples autochtones et des communautés locales, l’allocation de ressources financières appropriées et facilement accessibles, la promotion d’une éducation transformatrice, la coopération de tous les niveaux de gouvernance et de tous les acteurs de la société. Ainsi, l’ensemble des acteurs concernés bénéficient d’une grille de lecture quant aux actions ciblées à atteindre : celles-ci devant respecter un certain nombre de jalons incontournables, qui à l’image de murs porteurs, doivent soutenir efficacement l’ensemble du plan. Sur ce point, la référence aux principes de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement [91] est pertinente en ce qu’elle vient rattacher ce cadre mondial à un texte fondateur du droit international de l’environnement tout en venant élargir la grille de lecture en y intégrant tous les principes clés élaborés par la Déclaration[92].

Au soutien de cette grille de lecture, le Cadre offre également, sur la forme, une meilleure lisibilité et compréhension des objectifs et des cibles associées. Mieux structurés, ceux-ci apparaissent, agencés sous forme d’entonnoir : une première catégorie de cibles portant sur la préservation des écosystèmes, une seconde sur la préservation des espèces sauvages au regard des droits et des besoins des populations et une dernière s’intéressant plus spécifiquement aux instruments politiques administratifs financiers, ainsi qu’aux modalités d’information et de participation de toutes les entités concernées[93].

Ces considérations formelles et méthodologiques sont accrocheuses et tendent à instiller un intérêt quant à la substance même de ce nouveau plan.

Précisément, un examen général des objectifs et cibles fait clairement ressortir une volonté d’assoir ce nouveau programme tout à la fois sur le respect des droits humains et plus spécifiquement sur les droits des communautés autochtones et locales, ainsi que sur la reconnaissance des systèmes coutumiers aux fins d’une utilisation durable de la biodiversité. La participation accrue des communautés autochtones à cette conférence aura vraisemblablement concouru à cette avancée[94].

Pour le moins absente dans le cadre des Objectifs d’Aichi, l’exigence de respecter les droits des communautés autochtones est, en effet, ici, beaucoup plus marquée et tend à irradier l’ensemble des orientations du plan. En font notamment expressément référence les cibles afférentes à l’affectation et la conversation des terres et des mers, à l’utilisation durable des espèces sauvages, aux modes de production agricole, à la sécurité alimentaire, l’aménagement urbain, ainsi qu’à l’accès à l’information[95]. Intégrée de manière quasi transversale, l’exigence du respect des droits des communautés autochtones et de leurs pratiques traditionnelles tend à conférer au nouveau plan une dimension générale plus juste et plus humaine, que l’on ne peut que saluer.

Certes, les formulations demeurent bien silencieuses s’agissant des modalités opératoires propres à assurer le respect de ces droits. Pour autant, cette reconnaissance n’en constitue pas moins une avancée appréciable. Elle vient, tout d’abord, réhabiliter les composantes humaines, culturelles et spirituelles attachées à la biodiversité et replacer ainsi celle-ci dans sa juste et complexe réalité. Cette intégration tend, par ailleurs, à consolider les règles internationales de protection des droits des communautés autochtones, notamment consacrées par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones[96], dont plusieurs dispositions interfèrent directement avec les objectifs et cibles définis par le Cadre[97]. Celles-ci se retrouvent ainsi transposées, de manière plus significative, dans le régime international de protection de la biodiversité. On peut espérer que cette mise en cohérence permettra d’améliorer la visibilité des droits des communautés autochtones tout en assurant, corollairement, une prise en compte effective de leurs intérêts, eux-mêmes fortement entremêlés aux enjeux et intérêts environnementaux. Enfin, cette reconnaissance est susceptible de conférer une assise scientifique plus solide à ce nouveau cadre juridique. Les études et rapports scientifiques ne font aujourd’hui plus mystère de l’impact du déclin de la biodiversité sur les droits des communautés autochtones et parallèlement sur les contributions positives de ces derniers dans la mise en oeuvre d’approches solutionnelles[98]. Cette réalité trouve désormais un point d’ancrage dans le nouveau programme.

Notons que sur la question des droits humains, dans son sens plus global, le Cadre semble prendre acte des évolutions récentes du droit international reconnaissant l’impact du réchauffement climatique et du déclin de la biodiversité sur les droits humains. Aux termes de sa résolution du 26 juillet 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a affirmé que :

l’utilisation non viable des ressources naturelles, la pollution de l’air, des sols et de l’eau, la mauvaise gestion des produits chimiques et des déchets, l’appauvrissement de la biodiversité qui en résulte et le déclin des services fournis par les écosystèmes […] ont des effets négatifs, directs et indirects, sur l’exercice effectif de tous les droits humains[99].

On relèvera, en outre, que la question du respect des droits des communautés est appréhendée de manière indissociée de celle relative au respect de leurs pratiques traditionnelles. Le Cadre mondial renforce, en effet, l’exigence de garantir le respect et la protection des pratiques traditionnelles des communautés autochtones et locales en matière tout à la fois d’utilisation durable de la biodiversité et de participation dans les processus décisionnels[100]. Cette prise en compte vient, ainsi, redonner force et vigueur aux dispositions de l’article 10 de la Convention-cadre qui reconnait l’efficacité écologique des modes de vie traditionnels[101] étant, de surcroit, rappelé que si les terres autochtones n’occupent environ que 20 % du territoire de la planète, ces mêmes 20 % regorgent de 80 % de la biodiversité du monde[102].

Dans le prolongement de cet engagement, le gouvernement fédéral a d’ailleurs annoncé l’établissement du Réseau des gardiens des Premières Nations. Celui-ci vise plusieurs objectifs : soutenir, notamment au niveau financier, les différentes initiatives de gardiens des Premières Nations, favoriser les liens entre ces mêmes Nations aux fins d’encourager une approche de gestion plus globale, et enfin encourager l’adoption d’un autre modèle de gouvernance au profit des communautés autochtones davantage axé sur l’autodétermination[103].

À la lumière des efforts importants déployés par les gouvernements en matière d’établissement d’aires protégées ou d’autres mesures de conservation, le Cadre mondial de la biodiversité vient rehausser d’au moins 30 % le niveau de la restauration des écosystèmes terrestres, marins et côtiers d’ici 2030[104]. Les démarches positives ayant permis l’atteinte d’un niveau des 17 % fixés par les Objectifs d’Aichi sont ainsi appelées à être accentuées et généralisées. Certes, cette mesure ne saurait suffire à elle seule à fléchir la courbe du déclin de la biodiversité. Elle n’est, en effet, porteuse d’effets positifs à l’échelle globale que dans sa synergie avec la réalisation d’autres actions. Pour autant, dans son principe, la mesure a le mérite d’exister et d’être mise à profit par les États. Tout en générant un effet domino appréciable[105], elle demeure, jusqu’à preuve du contraire, un outil pertinent pour éviter la fragmentation des espaces naturels qui perturbent le développement des espèces sauvages, favorisent le développement de maladies infectieuses, menacent la sécurité alimentaire et contribuent aux émissions de gaz à effet de serre[106].

Dans son contenu, ce nouveau programme mérite également d’être salué en ce qu’il intègre une cible spécifique relative à la suppression des incitations financières et des subventions néfastes pour la biodiversité. Celle-ci est assortie d’un objectif précis de réduction d’au moins 500 millions de dollars par an d’ici 2030[107] avec une réaffectation vers la protection de la biodiversité. On se réjouira de la fixation d’un quantum, qui était totalement absent dans le cadre des Objectifs d’Aichi[108]. Cette cible fait écho au rapport de l’IPBES qui précisément dénonce les mesures d’incitations économiques associées à des pratiques non durables dans les secteurs de la pêche, de l’élevage, de l’activité minière et de l’énergie[109]. Le rapport chiffre à 345 milliards de dollars le volume actuel des subventions aux combustibles fossiles[110]. Cette mesure, pour la première fois quantifiée, vient appuyer l’engagement tenant à l’élimination des subventions nuisibles prévu par l’agenda 2030 pour le développement durable[111].

D’autres nouveautés viennent combler les déficits d’actions dans des secteurs ou domaines participant à l’érosion de la biodiversité, mais nullement pris en compte par les Objectifs d’Aichi.

Le nouveau Cadre mondial invite, ainsi, à revoir nos choix et modes de consommation, une composante importante de développement durable, sur laquelle le précédent plan stratégique était demeuré silencieux. Il invite, plus précisément, les populations à réduire leur empreinte mondiale de consommation, notamment par une diminution de moitié du gaspillage alimentaire mondial[112]. Cette cible nouvelle et quantifiée est véritablement à souligner. Au-delà de ses incidences évidentes sur la sécurité alimentaire, le gaspillage, qui s’opère au niveau des récoltes, des processus de vente par la grande distribution et dans notre consommation, constitue un vecteur important de dégradation des écosystèmes naturels et d’appauvrissement de la biodiversité[113]. Ce nouvel engagement vient, de surcroit, poursuivre à l’échelle internationale les démarches entreprises par de nombreux États aux fins d’encadrer juridiquement le gaspillage alimentaire. La France a ainsi adopté en 2016 la Loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire qui intéresse les producteurs, les transformateurs et les distributeurs de denrées alimentaires, les consommateurs et les associations[114]. L’Italie a suivi le pas la même année[115] et le Québec a déposé en 2020 un projet de loi 491 invitant notamment le gouvernement à établir, par règlement, « les indicateurs nécessaires à l’atteinte de l’objectif de réduction de 50 % du gaspillage alimentaire au Québec d’ici 2025 »[116]. L’intégration d’une cible spécifique est de nature à accentuer cette dynamique normative.

Notons également l’introduction, pour la première fois, d’une cible visant à « l’augmentation significative de la superficie, la qualité et la connectivité des espaces verts et bleus dans les zones urbaines et densément peuplées, ainsi que l’accès à ces espaces »[117]. Celle-ci vise un double objectif : assurer la protection de la biodiversité à l’échelle urbaine, mais mettre également à profit les services écosystèmes qu’elle nous fournit notamment en termes de régulation des températures. Les canicules qui se sont succédé ces dernières années ont montré la préciosité de ces services et corollairement l’impératif de repenser la planification urbaine.

Enfin, une forme de gouvernance améliorée est encouragée par la nouvelle stratégie. Celle-ci invite à une participation pleine et entière aux processus décisionnels toute en réaffirmant l’exigence d’assurer l’accès à l’information et à la justice[118]. Il s’agit désormais d’inclure :

les communautés autochtones, les femmes et les filles, les enfants et les jeunes, ainsi que les personnes handicapées, et garantir la pleine protection des défenseurs et défenseuses des droits de l’homme en matière d’environnement[119].

Certes, les modalités pratiques ne sont aucunement définies et laissent donc une grande marge de manoeuvre aux États quant à leur réalisation. Pour autant, c’est la première fois, que les garanties procédurales et juridictionnelles attachées au droit à un environnement sain telles que notamment consacrées par la Convention d’Aarhus[120] sont intégrées dans la démarche stratégique du régime international de protection de la biodiversité.

Aux termes du Cadre mondial, cet appel à une plus grande intégration des parties prenantes concerne également les mécanismes de suivi et d’évaluation des progrès accomplis dans la mise en oeuvre des objectifs et l’atteinte des cibles. Il est vrai que, sur ce point, le plan stratégique de 2010 était plutôt sommaire. Il reprenait les mêmes modalités de suivi que celles afférentes à la Convention-cadre. Ainsi, l’élaboration de rapports nationaux définissant les mesures politiques prises pour parvenir aux objectifs, outre un examen par la Conférence des Parties constituaient les principaux axes de contrôle prévus par les Objectifs d’Aichi[121].

De manière novatrice, le Cadre mondial prône une approche de suivi axée sur la responsabilité et la transparence et définit, de manière détaillée, plusieurs composantes désormais associées à l’évaluation des politiques nationales mises en oeuvre en vue de l’atteinte des cibles[122]. Bien que n’étant pas hiérarchisées, ces composantes témoignent d’une forme de rigueur dans les modalités de contrôle et parallèlement d’une préoccupation d’intégration des parties prenantes dans les mécanismes de suivi. Ainsi, les États doivent, désormais, communiquer, au côté des stratégies et plans d’action nationaux, « une analyse globale de ces mêmes rapports et des cibles nationales définies ». Il est également prévu « un examen mondial des progrès collectifs réalisés, à partir de la transmission des rapports nationaux ». Il faut reconnaître que cette dernière composante ne brille pas véritablement par sa clarté, mais une approche optimiste tend à l’interpréter comme un examen effectué à l’échelle des États et des entités non étatiques. Par ailleurs, ce nouveau plan suscite beaucoup d’intérêt en ce qu’il prévoit la « mise à l’essai d’un groupe de discussion à composition non limitée chargé de l’examen facultatif des pays »[123]. Certes, la formulation employée traduit une forme de frilosité et d’hésitation dans la démarche d’association d’acteurs non étatiques dans le processus d’évaluation. Pour autant, le mécanisme a le mérite d’être, pour la première fois, acté dans la démarche stratégique.

Ainsi, nous sommes en présence d’un plan stratégique à l’horizon 2030 qui, du fait de sa teneur générale, semble avoir pris la mesure de l’ensemble des politiques sectorielles qui s’imposent aux fins de contrer le déclin de la biodiversité et qui tend à mettre sur place des modalités de gouvernance plus inclusives. Cette maturité nouvelle n’en cache pas moins des interrogations quant à la cohérence et l’efficacité de certaines cibles d’actions.

B. Un nouveau cadre mondial sujet à quelques réserves

Si l’optimisme est de mise, le scepticisme l’est tout autant…

Plusieurs points d’ombre demeurent au tableau. Une ombre d’ordre symbolique tout d’abord : les États-Unis n’ont toujours pas ratifié la Convention-cadre et n’ont à ce jour aucunement signé les Protocoles de Nagoya et de Carthagène[124]. C’est d’ailleurs le seul État qui n’a pas ratifié la Convention. Ainsi, leur participation à la dernière Conférence sur la biodiversité ne s’est faite qu’à titre de simple observateur. Certes, les États-Unis ne sont pas en reste en matière de réglementation environnementale. Depuis l’adoption du National Environmental Policy Act en 1969, les États-Unis ont multiplié les normes en matière notamment de protection des espèces en danger, d’accès à l’eau potable, de protection et de contrôle des substances toxiques[125]. Ils ont su, de surcroit, promouvoir l’inclusion de dispositions environnementales dans bon nombre d’accords commerciaux. L’Accord Nord-Américain de Coopération dans le domaine de l’Environnement signé en 1993 avec le Mexique et le Canada (ANACDE)[126] est venu démontrer, tout à la fois, la sensibilisation politique des États-Unis aux enjeux environnementaux, ainsi que leur capacité à initier des mécanismes participatifs de surveillance du respect des normes environnementales dans le cadre des échanges commerciaux[127]. En témoigne également l’accord de libre-échange signé le 12 avril 2006 avec le Pérou, qui intègre, de manière novatrice, une annexe spécifique sur la gouvernance des forêts, avec pour objectif de combattre l’exploitation forestière illégale et le commerce illégal de la faune[128]. Ces initiatives environnementales pertinentes suscitent, dès lors, un questionnement légitime quant à l’isolationnisme des États-Unis vis-à-vis du régime international de protection de la biodiversité; un isolationnisme de nature à générer une mise en oeuvre un peu boiteuse de ce nouveau Cadre tout en venant souligner davantage la fragmentation normative du droit international de l’environnement dans son ensemble[129].

À la lumière des débats du Congrès américain sur la question de la ratification de la Convention, la distanciation des États-Unis à l’égard de la Convention et de ses protocoles trouve plusieurs justifications; les États-Unis ont toujours vu dans les dispositions de la Convention-cadre une menace pour l’industrie américaine et ses emplois, ainsi qu’une remise en cause de la légitimité des entreprises biotechnologiques américaines à percevoir exclusivement les bénéfices d’exploitation des ressources génétiques, conformément à son propre droit de la propriété intellectuelle[130]. Aux termes de la Convention, les bénéfices devront désormais être partagés avec le pays fournisseur et les communautés autochtones, dont les connaissances et savoirs traditionnels ont pu être utilisés aux fins de comprendre et mettre à profit les ressources biologiques[131]. Il est vrai que l’enjeu est de taille considérant la manne financière importante générée par l’industrie biotechnologique pour laquelle les États-Unis font partie des principaux chefs de file[132]. Les États-Unis justifient également leur position par l’obligation d’octroyer des ressources financières au profit des pays en développement et craignent, à cet égard, une escalade dans la demande de financement[133]. Ainsi, à défaut de ratification, les États-Unis ne sont théoriquement pas redevables de ces nouveaux engagements, ce qui peut laisser planer un doute quant à une volonté politique du gouvernement américain d’initier des politiques ambitieuses dans le cadre d’une approche d’action collective et coordonnée.

Or, le Cadre mondial gagnerait à bénéficier du leadership international des États-Unis et à tirer profit des retours d’expérience sur ces cadres réglementaires régionaux que le gouvernement américain a su habilement mettre en place. Cela aurait pour effet de procéder aux ajustements nécessaires et augmenter ainsi les chances de succès de ce nouveau plan[134] tout en favorisant véritablement une dynamique d’actions politiques à grande échelle, considérant l’influence politique des États-Unis. Ces derniers eux-mêmes ne perdraient aucunement au change. Une ratification de la Convention par le gouvernement américain aurait notamment pour effet de conforter davantage son leadership affiché en matière de lutte contre le dérèglement climatique, tenant compte de l’étroite interconnexion entre les deux enjeux[135]. En consentant à ne plus faire cavalier seul, les États-Unis envoient, en outre, à la communauté internationale un message clair et sans équivoque quant à l’exigence de faire front commun face au déclin de la biodiversité. Enfin, une ratification de la Convention trouve tout son sens au regard de la propre réalité environnementale des États-Unis, caractérisée par des écosystèmes dont plus de 40 % sont en risque d’effondrement[136]. De surcroit, le contexte généralisé d’érosion de la biodiversité génétique, en lien étroit avec la tendance mondiale à la diminution des écosystèmes forestiers, soulève nécessairement des questions sur la pérennité à long terme de l’industrie biotechnologique dans son ensemble[137]. La disparition de plusieurs dizaines de milliers de plantes médicinales et de champignons est d’ores et déjà constatée. Celle-ci menace l’accès aux médicaments et commence même à assombrir à l’avenir de l’activité biopharmaceutique[138]. Dans ses impacts, le déclin de la biodiversité ne souffre ainsi d’aucune exception, ce qui devrait d’autant plus encourager une ratification de la part des États-Unis.

Force est, par ailleurs, de constater que plusieurs cibles du Cadre mondial soulèvent des interrogations quant à leur cohérence et leur adéquation aux défis divers attachés à la crise de la biodiversité et plus globalement à la réalisation des objectifs de développement durable.

Au demeurant indispensable, la cible relative à une restauration des zones d’écosystèmes terrestres et marins à hauteur de 30 %, conteste la capacité de celle-ci à contribuer aux « changements transformateurs » prônée par le plan. Il est vrai que la mise en pratique des aires protégées, qui a connu un essor considérable depuis la signature de la Convention[139], a mis en lumière plusieurs retombées économiques positives en termes d’attractivité des territoires, de création d’emplois et de développement de l’écotourisme[140]. Toutefois, ces aspects positifs ne sauraient occulter un certain nombre de failles concernant principalement les modalités de financement et de gouvernance, qui, à défaut de corrections appropriées, peuvent à terme compromettre l’efficacité de cet outil dans une perspective de conservation durable des écosystèmes[141]. L’expérience a ainsi montré que l’organisation et la surveillance des aires protégées implique l’intervention de plusieurs organes de l’État ainsi que des collectivités locales, générant ainsi des dépenses importantes de personnel. En France, par exemple, le budget global des 11 parcs nationaux qui en 2020 s’établissait à 80 millions d’euros doit composer avec une masse salariale représentant 68 % du total des dépenses, dépenses qui d’ailleurs ne cessent d’augmenter[142]. À l’échelle régionale, le réseau européen Natura 2000[143], qui recouvre 27 000 sites répartis dans 27 États de l’Union européenne, soit 18,5 % de la surface terrestre du territoire de l’Union et 8,9 % de la surface marine des eaux européennes est confrontée à une même problématique. Un récent rapport de la Cour des comptes européenne fait état de mécanismes de financement non circonstanciés, ne prenant pas suffisamment en compte les spécificités propres à chaque site[144].

Cette même cible aurait mérité une meilleure prise en considération des recommandations formulées par l’IPBES et par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) tendant à encourager une plus grande participation des acteurs locaux dans la gestion des aires protégées[145]. Il convient d’admettre que dans sa formulation, cette Cible 2 semble inaboutie alors que les valeurs d’équité, de solidarité et le principe de participation véhiculées par les Objectifs de développementale durable, sur lesquels s’appuient précisément le Cadre mondial, méritaient de trouver ici leur consécration expresse. Cela permettait d’éviter toute ambiguïté quant à la volonté des États d’organiser des modalités de gouvernance plus inclusives, modalités qui s’inscrivent d’ailleurs dans un courant doctrinal dominant[146].

Par ailleurs, dans un contexte caractérisé par des positions inégales en matière de capacité à mettre en oeuvre la Convention-cadre et ses protocoles, la question financière n’a pas manqué de susciter des crispations de la part des États signataires[147]. Ces derniers sont néanmoins parvenus à s’entendre sur une augmentation des ressources financières en faveur des pays en développement; celle-ci devant, aux termes de la Cible 19, atteindre 200 milliards de dollars d’ici 2025 et 30 milliards d’ici 2030[148], avec une participation du secteur privé. Or, ce chiffre de 200 milliards laisse perplexe à la lumière du récent rapport des Nations Unies sur la situation de financement pour la nature. Celui-ci souligne, en effet, que les investissements dans les solutions fondées sur la nature (SFN) devraient au moins tripler en termes réels d’ici 2030 et quadrupler d’ici 2050 si le monde veut atteindre ses objectifs en matière de changement climatique et de biodiversité, et ce contre 133 milliards par an actuellement[149].

Notons, par ailleurs, que les dispositions du Cadre ne fournissent aucune indication quant aux modalités d’accès à ces ressources laissant supposer que le Fonds pour l’environnement mondial sera l’organisme responsable de la collecte et de la redistribution des fonds[150]. Celui-ci se voit, toutefois, confier la mission nouvelle d’instituer un Fonds du cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal qui devrait être accessible en 2023 et capable de mobiliser des ressources additionnelles pour assurer la mise en oeuvre du Cadre[151]. On notera l’absence de précision quant à l’accès au financement pour les communautés locales et autochtones. Le Cadre invite simplement à l’élaboration et à la mise en oeuvre de « plans nationaux de financement » de la biodiversité ou « d’instruments similaires en tenant compte des besoins, des priorités et du contexte des pays » [152]. Aux termes du nouveau plan stratégique, il s’agit également « d’améliorer l’efficacité, l’efficience et la transparence en matière de fourniture et d’utilisation des ressources ». Ces imprécisions sont véritablement à déplorer. Il est à craindre que ces dispositions ouvrent la voie à des interprétations divergentes et des tensions susceptibles de freiner l’atteinte des objectifs.

Il convient, par ailleurs, de relever l’absence d’avancée particulière concernant la mise en place des procédures visant à assurer l’Accès et le Partage des Avantages (APA) découlant de l’exploitation des ressources génétiques en application du Protocole de Nagoya[153]; le nouveau plan appelant simplement à « renforcer les capacités pour assurer le partage juste et efficace des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques et d’ici à 2030, faciliter une augmentation significative des avantages partagés »[154]. On ne peut que s’interroger sur l’utilité et l’efficacité juridique de ces dispositions. Celles-ci esquivent, de toute évidence, les difficultés pratiques entourant la mise en oeuvre des mécanismes d’accès et partage des retombées économiques liées à l’exploitation des ressources génétiques, comme mesurées sur la décennie ayant suivi l’entrée en vigueur du Protocole de Nagoya.

Pour rappel, la procédure d’accès et de Partage s’articule autour du principe selon lequel les États fournisseurs de ressources ainsi que les communautés autochtones et locales bénéficient, au même titre que les entreprises biotechnologiques des pays du Nord des revenus résultant de l’exploitation des ressources biologiques. La procédure s’appuie désormais sur la contractualisation des rapports entre les compagnies étrangères de bioprospection, laboratoires, instituts de recherche et autres, et l’État pourvoyeur des ressources génétiques, dont le consentement préalable est désormais requis au même titre que celui des communautés autochtones et locales détentrices de connaissances ou de pratiques ayant pu être utilisées aux fins d’exploitation[155].

Or, la mise en pratique du dispositif d’Accès et de Partage, affiche un bilan pour le moins morose. Les facteurs concourant à cette situation sont multiples ; des réglementations nationales d’application encore trop insuffisantes et floues[156], la tendance accrue à une exploitation de ressources génétiques désormais dématérialisée, favorisée par le développement de la bio-informatique, ayant abouti à la mise en place de bases internationales de données numériques de séquences génétiques. D’accès libre, ces bases de données permettent, en définitive, de contourner le régime APA[157]. À cela s’ajoutent les questions entourant la définition et l’application de mécanismes de protection juridiques adéquats au profit des savoirs et des connaissances autochtones.

Cette situation est confortée par le Protocole lui-même, dont les objectifs sont dépourvus de dispositifs précis concernant notamment l’utilisation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles[158]. Celui-ci souffre également de déficiences conceptuelles relativement à un certain nombre de notions clés du Protocole, telles que « communautés autochtones et locales » ou encore « connaissances traditionnelles », laissant beaucoup de marge de manoeuvre aux États signataires[159].

Le Cadre mondial ne semble pas tirer de leçon de ce bilan et proposer des correctifs adaptés. Il reprend, ainsi, les mêmes incertitudes, mais aussi les mêmes contradictions attachées au Protocole de Nagoya. Au coeur de ces contradictions, réside notamment la question de la conciliation entre d’une part, l’exigence de conversation des savoirs coutumiers autochtones[160] et d’autre part, le partage équitable des avantages découlant de leur l’utilisation, induisant nécessairement l’attribution d’une valeur marchande à ces connaissances et conséquemment le risque d’une dilution de l’exigence de conversation[161].

Comme évoqué précédemment, le Cadre s’abstient de se prononcer sur les conditions de l’articulation du régime de protection juridique des inventions basées sur les savoirs traditionnels, institué par la Convention-cadre et son protocole avec les dispositions rigides des articles 27 à 29 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPCI)[162]. N’abordant aucunement la protection juridique des connaissances autochtones, ces dernières conditionnent, en effet, l’octroi de brevet à des critères de nouveauté, d’inventivité et d’application industrielle[163]. Trop rigides, ces critères de brevetabilité s’accordent mal avec le caractère culturel des connaissances autochtones, véhiculées de génération en génération[164] et susceptibles de relever de la propriété de plusieurs communautés situées dans différents endroits du monde[165]. Sur ce point, le Cadre n’apporte aucun élément de réponse.

En 2016, l’affaire médiatisée de la Quassia Amara est venue précisément cristalliser l’ensemble de ces épineuses questions; une opposition avait été introduite par la Fondation France Libertés au brevet déposé par un institut de recherche devant l’Office européen des brevets. L’institut avait pu, dans le cadre d’un programme de recherche sur le paludisme menée en Guyane française, identifier une molécule à partir des feuilles du Quassia Amara, dont les propriétés antipaludiques étaient connues des communautés autochtones et partagées avec l’institut[166]. Sans se positionner sur la violation des règles en matière d’accès et de partage, l’Office européen a validé le brevet considérant que le respect des mécanismes APA n’est pas défini comme une des conditions de brevetabilité par le droit européen des brevets et renvoyé ainsi le traitement de cette problématique spécifique aux droits nationaux. Seules les conditions légales d’octroi du brevet ont été analysées. L’Office européen a, sur ce point, considéré que les remèdes traditionnels partagés avec l’organisme de recherche ne présentaient aucunement les caractères de nouveauté et d’inventivité[167].

Incontestablement, le Cadre aurait mérité davantage d’introspection sur les limites des mécanismes d’APA et proposé corollairement une réflexion nouvelle sur la définition de mécanismes adéquats de partage, peut-être moins axée sur la logique classique d’appropriation ou de privatisation à laquelle la double exigence de conservation et de partage semble très mal se prêter.

De manière plus générale, on relèvera que beaucoup de cibles ne sont aucunement assorties de seuls quantitatifs chiffrés, ou souffrent d’imprécision. Notons notamment le timide engagement de réduction de « moitié du risque global lié aux pesticides et des produits hautement dangereux »[168]. Un même constat s’impose concernant le sort des espèces en péril; le nouveau cadre invitant simplement « à réduire significativement le risque d’extinction » des espèces menacées connues [169]. En tant que cause spécifique d’extinction, le trafic illicite juteux qui continue à sévir dans bon nombre de pays d’Asie et d’Afrique[170] aurait mérité des engagements plus circonstanciés prenant notamment appui sur les partenariats et alliances ONG/organisations internationales gouvernementales mis en place depuis plusieurs années et qui privilégient une approche véritablement intégrée. Celles-ci visent à contrer les facteurs juridique, politique et économique et culturel qui entretiennent ce commerce[171] et que les mécanismes de la Convention sur le commerce des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) peinent à contrer[172]. Le réseau de surveillance du commerce de la faune et de la flore sauvages (TRAFFIC) ainsi que le Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (ICCWC) constituent de beaux exemples d’alliances entre ONG et organisations gouvernementales qui ont montré des effets positifs dans certains pays d’Afrique notamment[173]. Il est dommage que ces apports n’aient pas été intégrés aux cibles de manière à donner une direction plus précise des actions à mener.

Les incohérences, incertitudes ou imprécisions attachées à l’énoncé de certaines cibles témoignent de la difficulté des États parties à parvenir à des compromis sur des enjeux à forte implication économique. Il a fallu, de toute évidence, ménager la chèvre et le chou sur de nombreux secteurs clés qui impactent la biodiversité, et ce au détriment de cibles ambitieuses et véritablement transformatrices. Ainsi, l’appel à des transformations profondes lancé par le nouveau Cadre mondial[174] ne semble pas toujours trouver de ramification au niveau de certaines cibles, qui de surcroit, ne s’inscrivent pas véritablement dans un effort global d’intégration avec une politique économique plus globale. Or, la réalisation des objectifs de développement durable auquel participe le nouveau plan stratégique repose précisément sur cette exigence d’intégration[175]. Et c’est peut-être là où le bât blesse…

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Le Cadre mondial de la biodiversité Kunming-Montréal adopté, lors de la 15e réunion de la Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique, nourrit tous les espoirs d’une inversion du déclin de notre biodiversité à l’horizon 2030 avec la perspective que nos sociétés puissent d’ici 2050 vivre enfin en harmonie avec la nature. Plusieurs aspects entretiennent un sentiment de confiance quant au succès de ce plan. S’inscrivant dans une approche stratégique développée par les États parties à la Convention depuis 2002, ce Cadre offre, tout d’abord, par son caractère non juridiquement contraignant, une souplesse d’actions et des possibilités de créer des synergies avec des entités non étatiques ou infraétatiques dans l’esprit des valeurs et principes prônés par le Programme de développement Durable pour 2030. Par ailleurs, si les Objectifs d’Aichi, auxquels succède le Cadre mondial, n’ont pas été couronnés de succès, ils ont néanmoins impulsé des débats, réflexions et contributions quant aux correctifs à apporter. Ainsi, plusieurs enjeux, qui étaient plus ou moins occultés par les Objectifs d’Aichi ont été intégrés ou précisés dans le cadre du nouveau plan. Citons la prise en compte de la protection de la biodiversité et des services écosystémiques dans la planification urbaine, la réduction du gaspillage alimentaire, l’exigence d’une plus grande participation, notamment des communautés autochtones et locales dans l’atteinte des cibles ainsi que dans le contrôle de leur mise en oeuvre. Par ailleurs, les mécanismes de surveillance ont été renforcés au profit de dispositifs, certes encore embryonnaires, favorisant un droit de regard de l’ensemble des parties prenantes sur les politiques adoptées par les États. De surcroit, le respect des droits humains et notamment des droits des communautés autochtones tend, pour la première fois, à faire figure de socle juridique à ce nouveau cadre, lui conférant une solidité et légitimité nouvelle propice à des actions mobilisatrices. Un regard moins positif nous amène, en revanche, à tenir compte de plusieurs zones d’ombres, d’incohérences ou de contradictions entourant certaines cibles. Ainsi, le nouveau plan stratégique encourage une augmentation de la préservation des zones terrestres à hauteur de 30 % sans apporter d’élément de réponse aux difficultés de financement que rencontrent actuellement de nombreuses aires protégées ainsi que sur les modalités de gouvernance qui souffrent d’un déficit de participation de la part des communautés autochtones. Se pose également la question de l’adéquation du montant du financement devant être alloué aux pays en développement d’ici 2030 au regard des besoins réels chiffrés par les Nations Unies. Enfin, on est en droit de s’interroger sur la portée pratique de la cible, pour le moins imprécise, visant à encourager la mise en oeuvre du partage des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques, à défaut notamment d’une réelle intégration des mécanismes de protection juridique définis par la Convention-cadre et le Protocole de Nagoya, en matière de savoirs et connaissances traditionnels dans le cadre des règles relatives à la propriété intellectuelle fixées dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce. De par sa teneur générale, le nouveau Cadre mondial Kunming-Montréal n’en constitue pas moins une avancée. Adoptons une perspective optimiste et considérons que les faiblesses attachées à ce cadre se corrigeront d’elles-mêmes dans un contexte de mobilisation croissante en faveur d’une biodiversité restaurée et respirable. Sur ce point, le gouvernement fédéral a clairement annoncé son engagement en faveur d’une nouvelle stratégie pour la biodiversité à l’horizon 2030[176]. Nous sommes tous invités à participer à son élaboration. Ne nous en privons pas.