Recensions

Anne Orford, Pensée critique et pratique du droit international, Paris, Éditions A Pedone, 2021[Notice]

  • Emmanuelle Bahary

Candidate à la maîtrise en droit international, Université du Québec à Montréal.

L’ouvrage étudié, Pensée critique et pratique du droit international, est un recueil d’articles d’Anne Orford publié en 2021, destiné à la traduction de plusieurs des articles de l’auteure. Peu nombreux sont ses écrits ayant été traduits en français. Les chapitres furent publiés à la fin des années quatre-vingt-dix, ou entre 2010 et 2015, au moment d’un fort interventionnisme militaire américain, de l’ONU et de l’OTAN, dans des régions déchirées par des conflits à l’origine de fortes crises humanitaires, comme le Rwanda et l’ex-Yougoslavie, et le Moyen-Orient. Comme l’indique le titre, il passe en revue plusieurs éléments des approches critiques. Ces théories, ayant émergé à la fin du XXe siècle et ayant pour fonction principale de remettre en question les structures, permettent de constater les limites de la perspective des experts du droit, c’est-à-dire les internationalistes impliqués dans l’utilisation du droit international. Celle-ci est guidée par un vocabulaire disciplinaire insuffisant, un langage juridique dirigeant une vision du monde particulière, limitant la possibilité de se représenter des alternatives aux modèles de pouvoir actuels. Ce livre s’adresse aux internationalistes dans l’objectif de corriger la reproduction d’une pratique contrainte par une vision cloîtrée. Orford se prête à un cadre théorique influencé par les Critical Legal Studies, mentionnant explicitement l’influence de Michel Foucault et de Duncan Kennedy. Ces intellectuels sont à l’origine d’une théorie du droit telle que ce dernier se traduirait en une prescription politique. On attribue à l’éducation juridique la reproduction du discours historique des juristes. L’introduction par Martti Koskenniemi est démonstrative de l’influence grandissante de l’auteure dans la communauté scientifique. Traitant entre autres de l’interventionnisme et de la rhétorique accompagnant le terme de responsabilité de protéger, cet ouvrage est indéniablement pertinent aujourd’hui considérant les débats concernant la place que devraient occuper les États-Unis et l’Occident dans la guerre en Ukraine, et les tensions entre la Chine et Taïwan. Anne Orford est une professeure de l’Université de Melbourne. Elle spécialise sa recherche sur la révision du discours historique du droit international, la théorie du droit, le règlement de différends et le droit international économique. Elle a écrit des monographies comme International Law and the Politics of History, International Authority and the Responsibility to Protect et Reading Humanitarian Intervention. L’auteure emprunte une méthodologie destinée à déconstruire les affirmations internalisées par une certaine communauté scientifique et de pratique. Le travail d’Orford permet de dégager le politique des pratiques des internationalistes, administratives et technocratiques et qui s’autodécrivent comme objectives et impartiales. Pour elle, il faut prendre l’habitude de corriger ces pratiques au moment même de leur formulation prescriptive, avant la création des institutions internationales qui traduisent les modes de pensée associés. L’objectif de l’ouvrage est d’explorer le rôle qu’a joué le droit international dans la création, au cours de l’histoire, des rapports de force de natures économique et politique. Cela passe autant par l’utilisation de normes que par la théorisation de l’ordre mondial. L’hégémonie régionale est reproduite perpétuellement par l’utilisation courante de présupposés politiques néolibéraux peu ou jamais contestés. Ainsi, l’universalisme auquel on prétend contribue à réaliser l’idéologie dans les sphères économique, diplomatique et juridique, pour affecter gravement les directions de la gouvernance mondiale. La thèse de l’ouvrage, démontrée à travers diverses thématiques, est que le droit international fut central dans la mise en place d’une rhétorique internationale légitimant l’action des internationalistes. L’utilisation d’expressions et de termes tels que la responsabilité de protéger et la démocratie impose aux dynamiques mondiales une perspective historiquement constituée, et détermine du même coup l’économie politique mondiale. Les fausses nécessités présentes dans le discours des internationalistes, relatives à l’histoire et à la pensée économique, se …

Parties annexes