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Lors de la quinzième Conférence des Parties relative à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (COP15), qui s’est tenue à Montréal sous une présidence chinoise entre le 7 et le 19 décembre 2022, le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, s’est prononcé en faveur d’un pacte de paix avec la nature[1]. Il a prononcé les mots suivants : « Without nature, we are nothing. Humanity has, for hundreds of years, conducted a cacophony of chaos, played the instruments of destruction »[2]. Ces instruments de destruction conduisent à une perte de biodiversité sans précédent. Cette crise est telle que la communauté internationale craint pour la sécurité alimentaire, la santé des populations de toutes les régions et plus généralement pour l’état de la planète. D’ailleurs, cette crise a fait l’objet de vives négociations lors de la COP15. Les délégations y ont élaboré un Cadre mondial pour la biodiversité pour l’après-2020[3], pour donner suite aux objectifs et cibles d’Aichi, dont le résultat fut particulièrement décevant[4].
Les nouveaux objectifs sur la biodiversité englobent désormais des cibles dans des secteurs variés, de sorte que la mise en oeuvre doive également s’effectuer aux niveaux international, régional et local[5]. Cette mise en oeuvre était d’ailleurs un élément central des négociations du Cadre : cet élément fait l’objet d’un des quatre objectifs globaux de ce dernier[6]. Cette mise en oeuvre inclut de surcroit des éléments novateurs, comme la place des filles et des femmes[7], la participation des peuples autochtones et des communautés locales dans la prise de décisions[8], ou encore les modes de financement pour mettre en oeuvre le Cadre[9]. L’action concernant la biodiversité est abordée de manière holistique : secteur de l’agriculture, pêche, pollution, impact des changements climatiques et de l’acidification des océans, urbanisation, etc. Ces éléments intégrés au Cadre reflètent l’ampleur du phénomène de perte de biodiversité.
Cette crise de diminution de la biodiversité ponctue les premières pages de l’ouvrage Le droit international de la biodiversité[10], rédigé par Sandrine Maljean-Dubois. L’autrice a dévoué sa carrière à la recherche en droit international de l’environnement, ses domaines d’études privilégiés étant les changements climatiques et la biodiversité. Professeure à l’Université d’Aix-Marseille, en France, elle est également la directrice de recherche du Centre national de recherche scientifique et membre du Centre d’études et de recherches internationales et communautaires. Son ouvrage est une publication de la collection des livres de poche de l’Académie de droit international de La Haye, dont le contenu est issu du cours spécial dispensé par la professeure Maljean-Dubois à l’Académie durant l’été 2019.
Sandrine Maljean-Dubois a pensé à son ouvrage comme une contribution à la conceptualisation du droit international de la biodiversité, sans avoir souhaité en faire une présentation exhaustive[11]. Son ouvrage participe ainsi à l’étude des évolutions du droit international contemporain appliqué au domaine de la biodiversité, en abordant les thématiques de « l’institutionnalisation de la coopération, le développement dérivé, l’articulation entre règles coutumières et conventionnelles »[12]. L’objectif principal de l’ouvrage est donc « d’introduire le lecteur au droit international de la biodiversité »[13].
L’ouvrage est composé de six chapitres, chacun divisé en deux sections.
Le premier chapitre porte sur le cadre juridique et institutionnel de la biodiversité. Il est bâti de manière logique, afin de présenter l’émergence du droit international de la biodiversité à travers la construction d’un corpus juridique dédié aux questions de biodiversité — domaine appréhendé également par les institutions internationales. Au fil des pages, on découvre l’histoire de la création de ce droit, qui prend racine dans les premières conventions internationales dédiées à la question, ainsi que la création des premiers parcs et réserves naturels. L’auteure réfère d’emblée à l’adoption en 1885 du Traité relatif à la réglementation de la pêche au saumon dans le bassin du Rhin[14], qui fut le premier instrument international à intégrer une disposition institutionnelle[15], créant de fait une Commission de coopération et de suivi des quotas de pêche de chaque partie[16]. Ce droit s’est significativement développé à partir de la moitié du XXe siècle jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, décennie à partir de laquelle le droit international de la biodiversité se consolide.
Comme l’indique l’auteure, l’adoption en 1992 de la Convention des Nations Unies pour la diversité biologique[17] marque un tournant pour le droit international de la biodiversité[18]. Non seulement s’agit-il de la première convention internationale qui tend à s’appliquer de manière universelle, mais elle aborde aussi la biodiversité de manière englobante, de sorte qu’elle inclut les espaces et les espèces, mais également les activités de planification, de recherche et d’éducation. Plus encore, la Convention est fondée sur des éléments scientifiques, faisant d’elle une convention que l’auteure qualifie de « moderne »[19], et qui a par la suite permis de donner naissance à des protocoles[20]. Dans la deuxième section de ce premier chapitre, Sandrine Maljean-Dubois expose la variabilité des organisations internationales impliquées dans des missions liées à la biodiversité, tout en expliquant en quoi la Conférence des parties joue un rôle important dans le développement du droit international de la biodiversité. En plus de ce volet institutionnel, elle discute de la création et la difficile mise en place de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques[21], à laquelle on doit d’avoir mis sur le devant de la scène l’ampleur de la crise de la biodiversité actuelle[22].
Le deuxième chapitre s’articule autour du régime juridique et des valeurs de la biodiversité en droit international. Dans la première partie de ce dernier, l’auteure expose différentes considérations concernant le régime juridique de la biodiversité au sein des territoires des États, dans lesquels ils jouissent de leurs droits souverains, mais aussi en dehors de la juridiction des États[23]. Elle indique au sujet des valeurs de la biodiversité en droit international quelles sont multiples (instrumentale, patrimoniale, intrinsèque et l’approche écosystémique), ce qui permet de l’appréhender à différents niveaux[24].
Le chapitre trois présente le droit international de la biodiversité sous la loupe du concept de conservation. Maljean-Dubois renseigne d’abord sur les éléments qui composent l’objet de la conservation, à savoir la nature, la vie sauvage et la diversité culturelle — qu’elle classe sous « l’approche globalisante »[25] — et les espèces et les espaces particuliers et les zones protégées — qu’elle intègre dans la catégorie « approches ciblées »[26]. Ensuite, elle développe le contenu de la protection, en s’appuyant sur les obligations générales de prévention, en étayant entre autres sur la protection contre l’exploitation (chasse et pêche, commerce et transport) et sur les milieux protégés. Elle conclut son chapitre avec la présentation de nouvelles tendances en matière de conservation : la compensation des pertes et les approches par les droits — deux éléments qui ont fait l’objet de vives conversations lors de la COP15 sur la biodiversité en décembre 2022.
Les chapitres quatre et cinq portent sur deux thématiques qui suscitent toujours autant de débats dans les Conférences des parties sur la biodiversité — débats animés par des intérêts étatiques extrêmement divergents : la biosécurité[27] et le partage juste et équitable des avantages tirés de l’exploitation de la biodiversité[28].
Comme l’indique Maljean-Dubois, le développement exponentiel du génie génétique et de la biotechnologie pousse à « évaluer, prévenir et gérer les risques » qui y sont associés[29]. Cela a donné naissance au concept de « biosécurité », discuté dans le chapitre quatre. À l’intersection du droit international, de l’environnement et du droit du commerce international, ce sujet mérite toute l’attention du lecteur. Le thème est ancien, et pourtant, il demeure éminemment d’actualité. L’auteure mène ses lecteurs à travers des explications extrêmement claires des évolutions scientifiques et techniques qui sont à l’origine du développement de cette branche du droit international[30]. Elle relate notamment les tensions Nord/Sud qui ont eu cours, tout en spécifiant quels sont les enjeux financiers du secteur de la biotechnologie[31]. Cette démarche a le mérite de simplifier la compréhension du lecteur sur les enjeux sociaux et économiques qui nécessitent un encadrement par le droit, quelle développe plus tard dans son chapitre. Dans les pages qui y sont consacrées, l’auteure procède à une analyse de ce sujet, qui entretient une étroite relation entre gestion du commerce des organismes génétiquement modifiés et protection de l’environnement.
Le chapitre cinq est quant à lui consacré au partage juste et équitable de l’accès aux ressources génétiques[32]. Il s’agit d’une thématique qui est elle aussi insérée au sein d’un triptyque complexe : protection de l’environnement, droit du commerce international et protection des droits de la personne. La réflexion menée à ce sujet, dès les années quatre-vingt, a conduit les États en développement et les pays les moins avancés à adopter une position éminemment rigide sur la question du partage juste et équitable des ressources génétiques, qui jusqu’alors profitait aux prospecteurs de ressources. Pendant longtemps, les entreprises d’exploration et de prospection des pays développés se sont allègrement servies dans les territoires des pays en développement. La Convention sur la diversité biologique et le Protocole de Nagoya[33] sont venus rétablir les droits des pays hôtes de la diversité biologique, qui ont maintenant le droit de décider des accès, tout en s’engageant à faciliter ces derniers[34].
Le dernier chapitre porte sur les outils de mise en oeuvre dont les États disposent[35]. Cet angle d’accompagnement et de mise en oeuvre est souvent peu abordé dans les ouvrages de référence en matière de droit international de la biodiversité, ce qui le rend particulièrement pertinent. En effet, les États ont besoin d’un soutien accru pour mettre en oeuvre leurs obligations et adopter des plans d’action nationaux. Ce soutien peut s’opérer grâce à la coopération technique, mais aussi à des outils financiers nécessaires à la mise en oeuvre effective et efficace du droit international de la biodiversité.
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En conclusion, le format de l’ouvrage semble définitivement avoir été pensé pour répondre à une approche pédagogique. Au fil des pages, l’auteure a le souci de conduire son lecteur à appréhender et à comprendre les rouages du droit international de la biodiversité. Elle ponctue chacun de ses chapitres avec des éléments de compréhension factuels, statistiques et scientifiques qui aident le lecteur à saisir la portée du droit international de la biodiversité.
La capacité de la professeure Maljean-Dubois à retranscrire le difficile équilibre entre les impératifs commerciaux et la conservation de l’environnement et de la santé humaine au sein du droit international de la biodiversité est particulièrement utile au lecteur. Ce dernier, à la lecture de l’ouvrage, doit comprendre la complexité de cette branche du droit international, qui fait de plus en plus l’objet d’intérêt. Quand bien même cette branche juridique se classe dans le champ du droit international de l’environnement, les incitatifs économiques liés à l’exploration et à l’exploitation de la biodiversité impliquent souvent d’analyser son application sous différents angles. Maljean-Dubois fait donc la démonstration de l’existence d’un droit international de la biodiversité, tout en présentant les limites inhérentes à son corpus juridique et à sa mise en oeuvre. D’ailleurs, c’est ce que conclut l’auteure dans son ouvrage, en indiquant que « le droit international, ici, comme souvent, peut beaucoup, mais ne peut pas tout »[36]. Tous ces éléments font de l’ouvrage de la professeure Maljean-Dubois un incontournable, un véritable ouvrage de référence pour quiconque souhaite se plonger dans la découverte du droit international de la biodiversité.
Parties annexes
Notes
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[1]
António Guterres, « Secretary-General’s opening remarks at press conference at COP15 Biodiversity Conference », 15e Conférence des Nations Unies sur la biodiversité, présentée à Montréal, 7 décembre 2022, en ligne: ONU <www.un.org/sg/en/content/sg/speeches/2022-12-07/secretary-generals-opening-remarks-press-conference-cop15-biodiversity-conference>.
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[2]
Ibid.
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[3]
Cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal, Doc off CBD NU, 15th Meeting, Doc NU CBD/COP/15/L.25 (2022).
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[4]
Voir en ce sens Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique, Perspectives mondiales de la diversité biologique 5, Montréal, Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique, 2020.
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[5]
Cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal, supra note 3.
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[6]
Ibid à la p 8.
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[7]
Ibid, cible 23 à la p 12.
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[8]
Ibid, cible 22 à la p 12.
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[9]
Ibid, cible 19 à la p 11.
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[10]
Sandrine Maljean-Dubois, Le droit international de la biodiversité, Les livres de poche de l’Académie de droit international de La Haye, vol 43, La Haye, Brill-Nijhoff, 2021 aux pp 29-41 [Maljean-Dubois].
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[11]
Ibid à la p 42.
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[12]
Ibid.
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[13]
Ibid.
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[14]
Traité relatif à la réglementation de la pêche au saumon dans le bassin du Rhin, 30 juin 1885, art X (entrée en vigueur : 5 juin 1886); Maljean-Dubois, supra note 10 à la p 44.
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[15]
Alexandre Charles Kiss, « La protection internationale de la vie sauvage » (1980) 26 AFDI 663 à la p 673.
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[16]
Traité relatif à la réglementation de la pêche au saumon dans le bassin du Rhin, supra note 14.
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[17]
Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, 5 juin 1992, 79 RTNU 1760 (entrée en vigueur : 29 décembre 1993).
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[18]
Maljean-Dubois, supra note 10 à la p 60.
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[19]
Ibid à la p 67.
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[20]
Ibid à la p 70.
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[21]
Ibid à la p 94.
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[22]
La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a publié un rapport, élaboré par 145 experts issus de cinquante pays et avec la contribution additionnelle de 310 autres experts, basé sur 15 000 références scientifiques et sources gouvernementales, faisant état d’une perte de biodiversité sans précédent pendant cinq décennies et dont la tendance s’accélère actuellement. Voir IPBES, communiqué, « Le dangereux déclin de la nature : un taux d’extinction des espèces “sans précédent” et qui s’accélère » (5 mai 2019), en ligne : IPBES <ipbes.net/news/Media-Release-Global-Assessment-Fr>.
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[23]
Maljean-Dubois, supra note 10 aux pp 162-88.
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[24]
Ibid à la p 190.
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[25]
Ibid à la p 213.
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[26]
Ibid à la p 226.
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[27]
Maljean-Dubois, supra note 10 à la p 356.
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[28]
Ibid à la p 414.
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[29]
Ibid à la p 358.
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[30]
Ibid aux pp 356 et s.
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[31]
Ibid à la p 362.
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[32]
Ibid à la p 414.
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[33]
Protocole de Nagoya sur l'accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique, 29 octobre 2010, 3008 RTNU 3 (entrée en vigueur : 12 octobre 2014).
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[34]
Maljean-Dubois, supra note 10 à la p 417.
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[35]
Ibid à la p 460.
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[36]
Ibid à la p 523.