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Permettez-moi d’abord de prendre quelques lignes pour remercier et féliciter un confrère exceptionnel. Bernard Duhaime a non seulement été un grand lauréat pour la Fondation Pierre Elliott Trudeau de 2017 à 2021, mais également un guide inspirant et un membre actif de notre comité consultatif sur les impacts de la COVID-19. Il a partagé et contribué grandement à la démocratisation du savoir et nous lui en sommes très reconnaissants. Je suis donc ravie de pouvoir souligner ici la pertinence de son travail des dernières années et le rôle exceptionnel qu’il joue dans le domaine de la justice sociale et des droits de la personne. Cet ouvrage remarquable témoigne des liens créés entre l’Amérique latine et le Canada, auxquels le professeur Duhaime a grandement contribué, non seulement à titre de chercheur sur le terrain, mais aussi d’intermédiaire, parvenant à établir des relations entre des langues et des cultures différentes ainsi qu’entre divers enjeux complexes de justice sociale.
I. La mission de la Fondation Pierre Elliott Trudeau et de sa communauté de chercheurs et de chercheuses
La Fondation Pierre Elliott Trudeau (Fondation) prône les valeurs de l’excellence en recherche, la pluralité de perspectives et le leadership engagé. Prenant activement part à un dialogue multidisciplinaire et transversal avec le public et privilégiant la participation citoyenne dans l’avancement de nos sociétés, elle met en outre de l’avant la démocratisation du savoir.
La Fondation centre ses interventions sur quatre grands thèmes : la citoyenneté responsable, le Canada et le monde, les populations et leur environnement naturel ainsi que les droits de la personne et la dignité humaine. L’ouvrage qui nous occupe s’inscrit tout particulièrement dans ce dernier.
Les êtres humains doivent être en mesure de mener au sein de la société une vie où se reflètent leurs valeurs et aspirations communes, et ce, en dépit des différences et des inégalités. Cette position éthique exige que nous trouvions de nouvelles possibilités d’inclusion et de participation afin de multiplier les possibilités qui s’offrent à tous et toutes et de réduire les écarts entre individus et groupes. La mise en oeuvre de droits civils, politiques, économiques et sociaux a donc pour objet le maintien et la promotion de toutes les facettes et dimensions de la dignité humaine. Conséquemment, la question des droits de la personne ne se limite pas à des enjeux de nature juridique : elle est directement liée à la justice sociale. Plus précisément, la Fondation s’intéresse aux études portant sur les efforts d’émancipation de groupes ou de particuliers ou, inversement, à l’analyse des pratiques d’exclusion et des groupes marginalisés. Les questions de violence, de pauvreté, de santé, d’enseignement et d’éducation, d’emploi, d’inégalités entre les générations ainsi que d’échecs dans l’identification des problèmes, dans le choix des actions et dans les actions elles-mêmes sont l’objet, dans l’immédiat, d’une attention toute particulière.
Un des engagements importants de la Fondation consiste à assurer le partage de connaissances et d’idées de notre communauté avec le grand public, dans une optique de mobilisation et de diffusion des connaissances. L’ouvrage qui suit s’inscrit parfaitement dans cette volonté de vulgariser la science et de la rendre accessible à de multiples auditoires tout en y intégrant le principe clé d'excellence inclusive qui est au coeur de notre plan stratégique quinquennal.
Le thème qui fera l’objet des chapitres ci-après reproduits, soit les droits de la personne, constitue un des thèmes centraux de la Fondation depuis ses débuts et revêt une importance particulière pour notre programme de développement du leadership. D’une part, parmi les valeurs associées à notre conception du leadership engagé se trouve le principe de responsabilité active. D’autre part, la thématique le Canada et le monde nous confronte à certains des problèmes les plus urgents de notre époque dans une perspective de globalisation et d’interdépendance des personnes, des systèmes et des savoirs. Or, la Fondation a justement pour mandat de développer des leaders engagés qui contribueront à mettre de l’avant des solutions à ce type d’enjeux complexes. Le professeur Duhaime a grandement contribué à enrichir nos débats et nos perspectives sur la question depuis son arrivée au sein de la Fondation et il le fait encore ici avec brio.
II. Enjeux de justice sociale au Canada
La pandémie a mis en lumière de nombreuses défaillances dans le filet social, y compris des enjeux fondamentaux de justice sociale. Selon Cindy Blackstock et la très honorable Beverley McLachlin, respectivement mentores 2012 et 2020 de la Fondation et membre du Comité consultatif sur les impacts de la COVID-19 aux côtés du professeur Duhaime, l’inégalité marquée en matière d’accès aux services sanitaires et juridiques, notamment pour les communautés autochtones du Canada, ainsi que les défis en matière d’accessibilité à la justice en temps de pandémie pour les groupes défavorisés[1], sont deux éléments essentiels à considérer pour envisager la justice sociale au Canada.
Au cours des deux dernières décennies, le gouvernement canadien a progressé relativement à certains enjeux de justice sociale entourant les Premières Nations, les Métis et Inuits. On en veut pour preuve des projets d’envergure comme la Commission Vérité et Réconciliation de 2007 (CVR) et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées de 2016 (répondant directement à un appel à l’action de la CVR) lesquels, s’ils émergent peut-être encore trop lentement, n’en sont pas moins le signe d’un grand changement sur le plan de la réconciliation.
De nouvelles étapes ont émergé récemment dans la reconnaissance des peuples autochtones au sein du Canada, aussi bien sur le plan culturel qu’en ce qui concerne les éléments constitutifs de l’identité, notamment la création d’un Bureau canadien du commissaire aux langues autochtones en 2021. Ce dernier reconnaît « que les peuples autochtones sont les mieux placés pour diriger les efforts en ce qui touche la réappropriation [la] revitalisation, le maintien et le renforcement de leurs langues[2] ».
Pour ce qui est des droits humains, nous vivons actuellement une tragédie nationale dont les répercussions moduleront l’avenir de la justice sociale au Canada. Les découvertes des restes humains retrouvés sur les sites d’anciens pensionnats autochtones, d’un bout à l’autre du pays, ont bouleversé les esprits par l’horreur de ce passé revenu nous hanter. Déjà, à partir de 2020, la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis[3] modifie la prise en charge et renforce l’autodétermination des communautés autochtones sur le plan familial. En juillet 2021, la Première Nation de Cowessess, en Saskatchewan, reprend le contrôle de ses services à l’enfance. Cette tragédie constituera sans doute le point de départ d’une prochaine vague de changements dans l’approche de notre société envers la justice sociale.
III. Promouvoir les liens d’un bout à l’autre des Amériques
De nombreux liens peuvent être tissés, consolidés et maintenus entre les diverses régions des Amériques. L’Amérique latine apporte au Canada son expérience en matière de revendications et de dénonciations des violations des droits de la personne, dont une grande partie se concentre sur les groupes vulnérables faisant souvent l’objet de discrimination systémique. Par ses recherches sur les disparitions forcées en contexte de migrations, par exemple, le professeur Duhaime a su mettre de l’avant l’expérience importante des sociétés latino-américaines, tant sur le plan de leur lutte contre ces disparitions forcées qu’en matière de protection des droits humains en contexte de migrations[4]. Ses apprentissages et ses travaux contribuent également à nous fournir des outils pour prévenir et mieux comprendre les disparitions de femmes autochtones canadiennes et à mieux protéger les droits des migrants et des migrantes qui veulent s’établir au Canada.
L’angle comparatif latino-américain nous fait également profiter de l’expérience concrète de politiques et de programmes qui mettent en oeuvre les obligations par les États de mieux promouvoir et protéger ces droits, notamment le système interaméricain de protection des droits humains (SIADH). En effet, après des décennies d’instabilité politique et de conflits, l’Amérique latine fait maintenant de grands progrès dans le domaine des droits de la personne. En particulier, on note une consolidation de la démocratisation et des innovations en matière de justice transitionnelle et de lutte contre le terrorisme. Plusieurs pays de la région ont créé des commissions visant à mettre les victimes de disparitions forcées au centre d’un processus accessible au public. Au Canada, la Commission vérité et réconciliation est une instance semblable au service des victimes des pensionnats autochtones.
Ainsi, le savoir-faire des pays d’Amérique latine et la collaboration entre États américains pourront donner lieu à une protection prometteuse des droits des autochtones qui tirera profit de la mise en commun des expériences de chaque pays ou région et permettra ainsi d’envisager la question à partir d’une perspective transcontinentale.
Les dernières décennies ont démontré que l’intégration du Canada à l’expérience interaméricaine de la justice transitionnelle et des droits de la personne dans un contexte de réconciliation donnait des résultats probants, comme la création de plusieurs instances importantes. La collaboration – entre États, institutions et instances juridiques – ne peut être que fructueuse et c’est grâce à des initiatives comme celle-ci qu’une réflexion collaborative, menée à la fois sur le terrain et en contexte universitaire, peut mener à une réconciliation, pourvu que les gouvernements emboîtent le pas.
Le projet S’ouvrir aux Amériques propose des perspectives innovantes sur la protection des droits humains, aussi bien sur le plan des communautés autochtones et des migrants et des migrantes que des autres groupes marginalisés, notamment dans le contexte du filet social fragilisé par la crise sanitaire de la COVID-19. Il s’inscrit dans les valeurs fondamentales de la Fondation Pierre Elliott Trudeau en permettant aux Canadiens et aux Canadiennes de mieux comprendre les enjeux liés à la justice sociale et en proposant des solutions visant à protéger les droits humains.
Et pour cela, nous saluons le travail de l’auteur, la pertinence de son questionnement et de son analyse fine d’un sujet complexe, fondamentale pour une meilleure compréhension et un appel à la réconciliation pour toutes les nations.
Parties annexes
Notes
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[1]
Cindy Blackstock, « Les impacts sociaux de la COVID : la duplicité du gouvernement en matière de racisme systémique » (février 2021) aux pp 27-29; Beverly McLachlin, « On ne peut plus ignorer la crise de la justice » (février 2021) aux pp 63-65, en ligne (pdf) : Fondation Pierre Elliott Trudeau <https://www.trudeaufoundation.ca/sites/default/files/2021-02/COVID-19%20Compendium-FR-Double-Page-Feb-18.pdf>.
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[2]
« Bureau du commissaire aux langues autochtone » (21 juillet 2021), en ligne : Gouvernement du Canada https://www.canada.ca/fr/services/culture/identite-canadienne-societe/langues/autochtones/commissaire.html. Voir aussi Loi sur les langues autochtones, LC 2019, c 23.
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[3]
Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, LC 2019, c 24.
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[4]
Bernard Duhaime, « Les disparitions forcées dans les Amériques, la mémoire, la vérité et le droit international », dans Leila Celis et Martin Hébert, dir, Perspectives sociales et théoriques sur la vérité, la justice et la réconciliation dans les Amériques, Presses de l’Université Laval, 2020, 203-218; Bernard Duhaime et Andréanne Thibault,« Protection of migrants from enforced disappearance : A human rights perspective » (2017) 99:905 Intl Rev Red Cross 569.