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Lancée par le président Donald J. Trump en août 2017, la renégociation de l’ALÉNA s’est achevée le 30 novembre 2018 par la signature de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ci-après Accord ou ACÉUM). Après l’adoption d’un Protocole d’amendement, résultant de demandes du Congrès américain, l’ACÉUM est entré en vigueur le 1er juillet 2020[1].

L’ACÉUM se distingue des autres accords de libre-échange par des clauses peu répandues. Par exemple, il est le premier accord de libre-échange conclu par le Canada à comprendre une disposition sur le seuil minimal à partir duquel les taxes et les droits de douane sont appliqués pour les envois par messager[2]. L’ACÉUM comprend également un article qui vise spécifiquement les accords de libre-échange que pourraient conclure le Canada, les États-Unis ou le Mexique avec des pays n’ayant pas une économie de marché[3]. Cela pourrait donc s’appliquer à la Chine, bien que cela ne soit pas explicitement précisé dans l’article. Des innovations sont aussi présentes dans les règles d’origine pour l’échange des marchandises, particulièrement celles relatives au secteur de l’automobile, où les parties ont intégré, entre autres, des obligations relatives aux conditions de travail des employés dans les usines de montage de véhicules automobiles[4]. Outre les changements relatifs au secteur de l’automobile, plusieurs autres catégories de produits ont connu un renforcement ou un assouplissement de leurs règles d’origine.

Au moment d’exporter vers un pays membre de l’Accord, c’est le respect des règles d’origine qui permet d’obtenir le traitement tarifaire préférentiel et de bénéficier ainsi d’un avantage concurrentiel par rapport aux pays tiers n’ayant pas d’accord de libre-échange avec les pays membres de l’Accord. En raison de leur complexité et de leur nombre (le chapitre 4 de l’ACÉUM sur les règles d’origine compte 289 pages), l’information sur les modifications apportées aux règles d’origine n’est pas largement diffusée, bien qu’elles puissent avoir des répercussions significatives sur les activités des entreprises touchées.

Le présent article a comme objectif de recenser les modifications apportées aux règles d’origine de l’ACÉUM. L’analyse qui suit est divisée en quatre grands thèmes, soit les règles d’origine générales, les règles d’origine spécifiques, le secteur de l’automobile ainsi que les textiles et vêtements.

I. Quelques définitions

Tout d’abord, quelques concepts clés doivent être définis, en débutant par celui de la règle d’origine elle-même. Les règles d’origine préférentielles, comme celles de l’ACÉUM, permettent de déterminer si les marchandises peuvent être considérées comme étant originaires d’une zone de libre-échange. Le respect des règles d’origine permet de bénéficier de tarifs douaniers réduits ou nuls, appelés « tarifs préférentiels ».

Il y a deux types de règles d’origine : les règles générales et les règles spécifiques. Dans l’ACÉUM, les règles d’origine générales se trouvent au chapitre 4 et les règles d’origine spécifiques sont décrites à l’annexe 4-B. Les règles d’origine générales regroupent des dispositions qui peuvent s’appliquer à toutes les marchandises échangées. Elles définissent ce qu’est un produit originaire et précisent d’autres règles telles que celle pour le traitement des matières utilisées pour l’emballage et les dispositions relatives au transit et au transbordement des produits.

Les règles d’origine générales de l’ACÉUM prévoient que la teneur en valeur régionale d’un produit peut être calculée en utilisant deux méthodes. La première méthode est celle du coût net, qui tient compte du coût total moins les frais de promotion des ventes, de commercialisation et de service après-vente, les redevances, les frais d’expédition et d’emballage et les frais d’intérêt non admissibles[5]. La seconde méthode est celle de la valeur transactionnelle. Elle fait référence au « prix effectivement payé ou à payer pour un produit ou une matière à l’égard d’une opération du producteur du produit »[6]. Dans certains cas, notamment pour certains produits automobiles, la méthode de la valeur transactionnelle ne peut pas être utilisée. Par exemple, celle-ci est considérée comme inacceptable lorsque le producteur établit le prix à payer pour le produit en le subordonnant à la condition que l’acheteur achète également d’autres produits en quantités déterminées[7].

Comme leur nom l’indique, les règles spécifiques visent des groupes de produits particuliers. On a recours aux règles d’origine spécifiques lorsqu’un bien est produit dans la zone de libre-échange et qu’il contient des matières non originaires[8]. Ces règles permettent d’évaluer le respect de différents critères spécifiques au produit échangé et de confirmer qu’il provient effectivement de la zone de libre-échange, c’est-à-dire qu’il y subit une transformation substantielle. Ces critères incluent, entre autres, des obligations liées : i) au changement de classification tarifaire, c’est-à-dire que le produit n’est plus classé dans la même catégorie, prouvant qu’il a subi une transformation substantielle[9]; ii) au pourcentage ad valorem de contenu régional, aussi appelé « teneur en valeur régionale »[10]; iii) à des exigences techniques (opérations de fabrication ou de transformation spécifiques, incluant des réactions chimiques) qui doivent avoir eu lieu sur le territoire de la zone de libre-échange[11]. Une règle d’origine spécifique peut aussi comprendre une combinaison de divers critères[12].

Les règles d’origine spécifiques sont classifiées selon le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (ci-après, SH) de l’Organisation mondiale des douanes. Ce système harmonisé est utilisé par plus de 200 économies pour la classification tarifaire des échanges de marchandises[13]. Il comprend plus de 5 000 groupes de biens, identifiés par un code à six chiffres[14]. Ces codes permettent de classer ensemble des produits ayant des fonctions et des usages similaires selon une logique et une nomenclature qui se veulent uniformes, quel que soit l’utilisateur. Le SH est révisé périodiquement tous les cinq à six ans pour tenir compte de l’évolution technologique et intégrer de nouveaux produits[15].

II. Changements aux règles d’origine générales

Un des éléments souvent dénoncés par les entreprises est le fardeau administratif nécessaire pour compléter les procédures d’origine des accords commerciaux[16]. C’est d’autant plus difficile lorsque les règles varient d’un accord à l’autre. Alors que certains changements apportés par l’ACÉUM contribuent à réduire la disparité entre les règles d’origine des accords commerciaux majeurs conclus par le Canada, d’autres ont plutôt tendance à complexifier le portrait des exigences à respecter par les entreprises. Comme nous le verrons plus loin, dans le secteur de l’automobile, les nouvelles règles de l’ACÉUM accentuent la disparité entre les accords de libre-échange.

A. Calcul de la teneur en valeur régionale

L’ACÉUM prévoit quelques changements au calcul de la teneur en valeur régionale[17]. Le premier est que le choix de la méthode de calcul (méthode de la valeur transactionnelle ou méthode du coût net) peut désormais être fait par l’importateur et non uniquement par l’exportateur ou le producteur. Cela est cohérent avec le fait que le certificat d’origine peut dorénavant être également complété par l’importateur, l’exportateur et le producteur[18]. Auparavant, seuls les deux derniers étaient autorisés[19].

Un second aspect des dispositions de l’ACÉUM offre une flexibilité supplémentaire pour le calcul de la teneur en valeur régionale. Contrairement au texte de l’ALÉNA, celui de l’ACÉUM prévoit que :

Si une matière non originaire est utilisée dans la production d’un produit, les éléments suivants puissent être considérés comme contenu originaire […] :

a) la valeur du traitement des matières non originaires effectué sur le territoire d’une ou de plusieurs Parties;

b) la valeur de toute matière originaire utilisée dans la production de la matière non originaire effectuée sur le territoire d’une ou de plusieurs Parties[20].

Ce changement s’inscrit dans la volonté de faciliter l’atteinte du seuil de teneur en valeur régionale requis. Il s’agit d’une disposition qui a également été intégrée à l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP)[21], conclu par le Canada en 2018.

B. Règle de minimis

L’ACÉUM modernise plusieurs dispositions, dont la règle de minimis. À l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AÉCG)[22] comme au PTPGP[23], la règle de minimis, aussi appelée la règle de tolérance, prévoit qu’un produit peut se qualifier comme originaire si la valeur des matières non originaires n’excède pas 10 % de la valeur du produit. À l’ALÉNA, ce seuil était de 7 %[24] et l’ACÉUM l’a rehaussé au même niveau que les autres accords majeurs du Canada[25]. La hausse du taux de 7 % à 10 % contribue à faciliter l’utilisation de cette règle puisque plus de matières non originaires peuvent entrer dans la composition du produit.

L’annexe 4-A de l’ACÉUM présente les exceptions à la règle de minimis. Pour ces exceptions, la règle de minimis ne peut pas être appliquée. C’est le cas de produits alimentaires comme les agrumes dans les jus de fruits ou le sucre dans la poudre de cacao[26]. Ces exceptions sont restées globalement les mêmes que dans l’ALÉNA.

C. Matières récupérées

L’ACÉUM intègre un article du PTPGP[27] sur le traitement des matières récupérées utilisées dans la production d’un produit remanufacturé qui ne se retrouvait pas à l’ALÉNA. Cet article permet aux parties de

[prendre] des dispositions afin qu’une matière récupérée provenant du territoire d’une ou de plusieurs Parties soit traitée comme matière originaire lorsqu’elle est utilisée dans la production d’un produit remanufacturé et incorporée à un tel produit[28].

Ce concept est également présent à l’AÉCG[29].

D. Transit

À l’ACÉUM, l’article sur le transit et le transbordement spécifie que le produit en transit dans un État tiers doit demeurer sous le contrôle des autorités douanières pour conserver son caractère originaire[30]. Cette disposition est similaire à celle équivalente du PTPGP[31]. Cette précision ne se trouvait pas explicitement dans le texte de l’ALÉNA, mais faisait déjà partie des réglementations américaine[32] et canadienne[33] sur le sujet.

III. Changements aux règles d’origine spécifiques

La plupart des règles d’origine spécifiques sont les mêmes qu’à l’ALÉNA. Outre les automobiles, les produits dont les règles d’origine spécifiques sont modifiées incluent certains minerais, des produits chimiques, des produits pharmaceutiques, des engrais, des produits cosmétiques, des explosifs et des biens cinématographiques[34]. Les produits bioalimentaires des chapitres 1 à 24 du SH sont très peu touchés par les changements.

Plusieurs produits pour lesquels les règles d’origine spécifiques ont été modifiées prévoient la franchise de droits en vertu du tarif de la nation la plus favorisée (NPF) aux États-Unis, au Canada et au Mexique. C’est notamment le cas de nombreux engrais du chapitre 31[35]. Outre l’obtention d’un traitement tarifaire préférentiel, il peut y avoir d’autres raisons d’utiliser les règles d’origine. En voici quelques-unes. D'une part, les produits originaires sont exclus de l’application des frais d’admission[36], soit la redevance pour le traitement des marchandises (RTM) aux États-Unis et le derecho de trámite aduanero (DTA) au Mexique. La RTM est une somme représentant 0,3464 % de la valeur des biens importés aux États-Unis qui doit être payée par l’importateur pour compenser les frais d’administration douaniers. La RTM a une valeur minimale de 27,23 dollars américains et maximale de 528,33 dollars américains par envoi[37]. De son côté, le DTA correspond généralement à 0,8 % de la valeur du produit[38]. D'autre part, le producteur d’un bien final qui souhaite respecter les règles de l’Accord peut demander à ses fournisseurs de biens intermédiaires de se qualifier également. En effet, la qualification des biens intermédiaires comme originaires permettra au bien final qu’ils constituent une fois assemblés de se qualifier plus facilement comme originaire. Ainsi, le producteur de ce bien pourra bénéficier des avantages qui découlent d’une telle qualification, notamment l’entrée en franchise de droits.

A. Produits à forte teneur en acier du chapitre 73

Un des chapitres du SH où il y a le plus de changements aux règles d’origine spécifiques est le chapitre 73, qui porte sur les ouvrages en fer, fonte ou acier. Les changements à l’ACEUM visent certains produits d’acier de ce chapitre, principalement ceux utilisés en construction, dont les accessoires de tuyauterie, les tours, les pylônes et les ponts.

Les nouvelles règles prévoient notamment les possibilités suivantes pour qu’un produit se qualifie d’originaire. Premièrement, respecter la même obligation de changement de classification tarifaire qu’à l’ALÉNA, mais en excluant la possibilité qu’il soit effectué à partir d’acier laminé non originaire (position 72.08 et suivantes). Certaines règles excluent aussi la possibilité d’utiliser d’autres biens du chapitre 73 qui ne seraient pas originaires de la zone de libre-échange. Deuxièmement, effectuer un changement à partir des sous-positions des produits en acier laminé (et autres produits en acier du chapitre 72), à condition qu’au moins 70 % du poids de ces matières soit originaire. Troisièmement, respecter une prescription de teneur en valeur régionale, qui varie de 60 à 75 % selon les produits lorsque la méthode de la valeur transactionnelle est utilisée (et de 50 à 65 % pour la méthode du coût net)[39].

Ces nouvelles règles font en sorte que pour être qualifiés d’originaires, les produits doivent respecter un certain seuil de contenu originaire en acier. Il s’agit donc de règles plus sévères, c’est-à-dire qui requièrent un contenu nord-américain plus élevé. Selon les codes SH concernés, les changements entrent en vigueur deux ou trois ans après l’entrée en vigueur de l’ACEUM[40].

B. Transformateurs électriques et produits liés au transport ferroviaire

La volonté d’utiliser davantage d’acier en provenance de l’Amérique du Nord, qui a influencé la rédaction des nouvelles règles d’origine de l’ACÉUM, a des impacts pour d’autres produits que ceux mentionnés dans la section précédente. Effectivement, les transformateurs électriques, les parties de véhicules pour voies ferrées ainsi que les cadres et conteneurs spécialement conçus et équipés pour un ou plusieurs modes de transport devront également utiliser de l’acier originaire ou respecter une prescription de teneur en valeur régionale plus élevée qu’à l’ALÉNA[41]. Ces produits se trouvent dans les chapitres 85 et 86 du SH. Les entreprises concernées ont une période de trois à cinq ans pour se conformer à ces nouvelles obligations.

C. Textiles et vêtements

Au sein de l’ACÉUM, les textiles et vêtements font l’objet d’un chapitre distinct qui leur est consacré et qui traite des règles d’origine et des procédures d’origine particulières s’appliquant à ces produits[42]. Par exemple, on y retrouve la disposition sur le seuil de minimis pour les textiles et vêtements, calculé selon le poids du produit, qui est passé de 7 % dans l’ALÉNA[43] à 10 % dans l’ACÉUM, avec un maximum de 7 % pour le contenu en élastomère[44].

Leurs règles d’origine spécifiques ont aussi été passablement modifiées, certaines de façon plus restrictive, alors que pour d’autres, des assouplissements ont été introduits. Parmi les règles d’origine qui ont été renforcées figurent, entre autres, celles concernant des parties spécifiques de vêtements qui doivent dorénavant utiliser des intrants fabriqués dans la zone de libre-échange afin que le vêtement fini puisse être considéré comme originaire. Ces parties sont : les poches de vêtements, le fil à coudre, les bandes élastiques étroites et les tissus enduits[45].

Dans le cas des vêtements, la règle d’origine fondamentale de l’ACÉUM est demeurée celle requérant la triple transformation (préférence fondée sur la provenance du fil ou yarn-forward en anglais)[46], mais plusieurs assouplissements ont été introduits. Par exemple, par l’ajout d’une note à la section XI, les filaments et fibres de rayonne (autre que de lyocell ou d’acétate) sont maintenant exclus de la détermination de l’origine des textiles et vêtements[47]. Aussi, les règles d’origine de l’ALÉNA qui s’appliquaient à la doublure visible de certains vêtements, qui se retrouvaient dans les notes des chapitres 61 et 62 de cet accord et qui constituaient une condition additionnelle à respecter[48], n’ont pas été reconduites dans le texte de l’ACÉUM. En outre, à titre d’assouplissement supplémentaire, l’ACÉUM permet dorénavant que certains fils et tissus d’origine végétale de niche proviennent de pays en dehors de l’Amérique du Nord[49].

Un autre élément de l’ACÉUM qui sera bénéfique aux exportateurs canadiens de textiles et vêtements aux États-Unis, et qui ne se retrouvait pas à l’ALÉNA, est l’exemption des frais de traitement des marchandises (Merchandise Processing Fee) lorsque ces produits sont importés aux États-Unis en vertu du mécanisme des niveaux de préférences tarifaires (NPT)[50]. Sous l’ALÉNA, ces produits étaient considérés comme étant non originaires[51], alors que sous l’ACÉUM, ils obtiennent le statut d’originaire.

D. Autres produits

Plusieurs autres produits ont vu leurs règles d’origine spécifiques modifiées à l’ACÉUM. C’est notamment le cas de certains minerais, de produits chimiques, d’engrais, de produits électroniques et de jeux. Par exemple, la prescription de teneur en valeur régionale pour les tricycles et les trottinettes de la position 95.03 est passée de 60 % à l’ALÉNA[52] à 45 % à l’ACÉUM selon la méthode de la valeur transactionnelle[53].

Dans le secteur bioalimentaire, il y a d’abord l’exemple de la margarine produite à partir d’huile de palme non originaire, qui peut désormais bénéficier d’un traitement tarifaire préférentiel entre le Canada et les États-Unis, ce qui n’était pas le cas sous la règle d’origine spécifique de l’ALÉNA pour ce produit[54]. On peut également mentionner l’assouplissement à la règle d’origine spécifique pour les vinaigrettes classées à la sous-position 2103.90, compte tenu que l’ACÉUM requiert uniquement un changement de toute autre sous-position[55]. Ce changement permet désormais de respecter la règle d’origine spécifique tout en utilisant, par exemple, des levures de la position 2102 qui seraient non originaires de la zone de libre-échange.

IV. Règles d’origine spécifiques s’appliquant au secteur de l’automobile

Avant même le lancement des négociations, le président américain de l’époque, Donald J. Trump, avait indiqué son intention de resserrer les règles d’origine déjà sévères de l’ALENA dans le secteur de l’automobile[56]. Son objectif s’est matérialisé, car l’ACEUM apporte des changements majeurs aux règles d’origine relatives aux véhicules automobiles, aux camions lourds et à leurs pièces. Ces nouvelles dispositions sont comprises dans l’appendice de l’annexe 4-B du chapitre sur les règles d’origine de l’ACEUM.

Rappelons que le secteur de l’automobile est d’une importance majeure en Amérique du Nord et que la zone de libre-échange régionale joue un rôle clé pour assurer sa compétitivité. En 2019, le Canada a exporté plus de 50 milliards de dollars en valeur de véhicules automobiles vers les États-Unis[57]; presque 100 % de ces exportations ont utilisé le tarif préférentiel de l’ALÉNA[58]. Pour ce faire, les véhicules devaient être conformes aux règles d’origine de l’ALÉNA et respecter une teneur en valeur régionale d’au moins 62,5 %[59]. Pour demeurer compétitives, les chaînes d’approvisionnement des fabricants doivent à la fois permettre de respecter les règles d’origine et d’obtenir les pièces adéquates aux meilleurs prix.

Les règles d’origine de l’ACÉUM qui ont connu les plus gros changements par rapport à celles de l’ALÉNA sont celles qui visent les véhicules automobiles dits « de promenade », les pick-up, les camions lourds, ainsi que les pièces de ces trois catégories. Les règles d’origine pour les autres catégories de véhicules, comme les autobus, les habitations motorisées, les motoneiges, les motocyclettes, les tracteurs, les véhicules à usages spéciaux et les véhicules tout-terrain[60], sont relativement similaires à celles de l’ALÉNA[61].

A. Augmentation de la teneur en valeur régionale pour les automobiles (véhicules de promenade) et les pick-up

Pour les automobiles et les pick-up, la prescription de teneur en valeur régionale augmente graduellement sur une période de trois ans, passant de 62,5 à 75 % selon la méthode du coût net[62]. L’utilisation de la méthode de la valeur transactionnelle n’est pas possible pour ces véhicules, bien qu’elle le soit pour leurs pièces.

Sur la même période, soit du 1er juillet 2020 au 1er juillet 2023, les pièces de ces véhicules voient également leur prescription de teneur en valeur régionale augmenter : i) à 75 % selon la méthode du coût net (85 % selon la méthode de la valeur transactionnelle) pour les composantes essentielles, soit le moteur, la transmission, la carrosserie, les châssis, l’essieu, les systèmes de suspension, la direction et la batterie de pointe[63]; ii) à 70 % selon la méthode du coût net (80 % selon la méthode de la valeur transactionnelle) pour les parties principales, comme les démarreurs et les freins[64]; iii) à 65 % selon la méthode du coût net (75 % selon la méthode de la valeur transactionnelle) pour les parties complémentaires, comme les tuyaux et les phares[65].

De plus, pour qu’une automobile ou un pick-up soit considéré comme originaire, les pièces dites essentielles doivent obligatoirement être originaires. Ces pièces doivent donc respecter la prescription de teneur en valeur régionale mentionnée plus haut[66]. Au choix du producteur du véhicule, cette exigence de contenu originaire de la zone de libre-échange pour les pièces essentielles peut être calculée : i) en additionnant la valeur de toutes les pièces essentielles pour les considérer comme un seul produit; ii) de manière séparée pour chaque pièce essentielle; iii) ou en vérifiant la valeur de toute composante majeure[67] non originaire utilisée dans la production des pièces essentielles[68].

Cependant, les batteries qui servent de source principale pour l’alimentation d’une automobile électrique bénéficient d’une règle alternative. En effet, la batterie peut satisfaire à la prescription de teneur en valeur régionale comme les autres pièces essentielles, mais elle peut également respecter les règles d’origine en satisfaisant à l’exigence de changement de classification tarifaire applicable[69].

Pour certaines pièces, les pneus par exemple, les règles d’origine demeurent globalement les mêmes à l’ACÉUM qu’à l’ALÉNA[70]. En 2019 et en 2020, 98 % des exportations canadiennes de pneus classés à la position 40.11 sont entrées aux États-Unis en bénéficiant du tarif préférentiel de l’ALÉNA ou de l’ACÉUM[71]. Les États-Unis appliquent un tarif NPF de 4 % à l’importation de pneus utilisés sur des automobiles, des camions ou des autobus[72]. Pour ces mêmes produits, le tarif NPF appliqué est de 7 % pour le Canada[73] et de 15 % pour le Mexique[74]. Ces tarifs relativement élevés appliqués par les trois pays partenaires confirment l’importance du respect des règles d’origine pour le commerce des pneus en Amérique du Nord.

B. Augmentation de la teneur en valeur régionale pour les camions lourds

À la différence des automobiles, pour lesquelles le tarif NPF américain est de 2,5 %, celui des camions lourds et des pick-up peut atteindre 25 %[75]. Le tarif canadien applicable à l’importation de ces produits est de 6,1 %[76] et celui du Mexique est généralement de 20 %[77]. Il est beaucoup plus difficile, voire impossible, pour un bien de rester concurrentiel après s’être vu imposer un droit de douane de 20 ou 25 %. Les conséquences de ne pas respecter les règles d’origine peuvent donc être significatives pour les fabricants de ces produits.

La période pour se conformer aux nouvelles prescriptions de teneur en valeur régionale, soit sept ans après l’entrée en vigueur de l’Accord, est plus longue que celle des automobiles. La prescription de teneur en valeur régionale augmente graduellement de 60 à 70 % pour les camions lourds et de la manière suivante pour les pièces de ceux-ci : i) à 70 % pour les parties principales utilisées, comme les moteurs et les systèmes de suspension; ii) à 60 % pour les parties complémentaires utilisées, comme les batteries et les systèmes de freinage[78].

C. Seuil minimal en aluminium et en acier

L’ACÉUM stipule que 70 % de l’aluminium et 70 % de l’acier acheté par les fabricants d’automobiles, de pick-up et de camions doivent être originaires d’Amérique du Nord. Ces achats d’acier et d’aluminium comprennent à la fois les achats directs, les achats effectués auprès d’un centre de services et les achats réalisés auprès d’un fournisseur[79].

De plus, en matière d'aluminium et d'acier, l'’ACÉUM prévoit que : i) les parties s’efforcent de fournir toute description complémentaire concernant l’acier et l’aluminium, s’il y a lieu, pour faciliter l’application de ces exigences; ii) à la demande d’une partie, les parties discutent et conviennent de toute modification qu’il y a lieu d’apporter à la description relative à l’acier et à l’aluminium; iii) les parties indiquent dans la réglementation uniforme[80] toute description complémentaire relativement à l’acier et l’aluminium[81].

Le 10 décembre 2019, les parties ont annoncé la conclusion d’un protocole d’amendement de l’ACÉUM, qui contient une définition de l’acier originaire[82]. Cette définition indique que :

pour que l’acier puisse être considéré comme étant originaire aux termes du présent article[83], tous les procédés de fabrication de l’acier doivent avoir lieu sur le territoire de l’une ou de plusieurs des Parties, à l’exception des procédés métallurgiques comportant l’affinage des additifs d’acier. Ces procédés englobent la première fusion et le premier brassage, jusqu’à l’étape de revêtement. La présente exigence ne s’applique pas aux matières premières utilisées dans la fabrication de l’acier, y compris les débris d’acier, les minerais de fer, les fontes brutes, les minerais de fer réduits, traités ou transformés en boulettes, ou les alliages bruts[84].

Cette définition, qui entrera en vigueur sept ans après l’entrée en vigueur de l’ACÉUM, est plus stricte que celles des règles d’origine spécifiques. Les règles d’origine spécifiques exigent des changements de classification tarifaire assez souples. Par exemple, ces changements permettent que de l’acier non allié en lingots (position 72.06), importé d’un pays hors de la zone de libre-échange, devienne de l’acier originaire s’il est transformé en produit laminé plat en acier non allié (position 72.11)[85]. Après sept ans, la définition du Protocole d’amendement ne permettra pas qu’un produit ayant subi un tel changement soit considéré comme originaire pour l’atteinte du seuil de 70 % d’achats en acier des fabricants d’automobiles, de pick-up et de camions lourds.

En ce qui concerne l’aluminium, le Protocole d’amendement prévoit que, dix ans après l’entrée en vigueur de l’ACÉUM, les parties examineront les exigences qui sont appropriées et dans l’intérêt des parties pour que l’aluminium puisse être considéré comme étant originaire[86]. Les parties ont précisé, dans la Réglementation uniforme, les pièces qui doivent être prises en considération pour respecter la teneur en valeur régionale de 70 % des achats d’acier et d’aluminium effectués par les producteurs automobiles[87]. Pour ce faire, les sous-positions appropriées du SH ont été convenues entre les parties. La Réglementation uniforme spécifie notamment que le calcul des achats des producteurs doit inclure « les achats d’acier et d’aluminium pour les estampages principaux servant à former la “caisse en blanc”, ou le cadre de châssis, peu importe que ce soit le producteur de véhicule ou le producteur de pièces qui fait ces achats »[88].

D. Exigences sur le salaire moyen

L’ACÉUM innove et intègre un seuil de teneur en valeur-travail de 40 % pour les automobiles qui doit être atteint à compter du 1er juillet 2023. Ce seuil, qui a débuté à 30 % le 1er juillet 2020, fonctionne au moyen d’un système de points de pourcentage qui comptabilise les dépenses effectuées par des travailleurs à rémunération élevée (dont le salaire moyen est d’au moins 16 dollars américains ou 20,88 dollars canadiens) et qui sont liées : i) à la fabrication de pièces ou de matières autoproduites par les producteurs automobiles ou encore importées ou achetées par ceux-ci; ii) à des activités de recherche et développement ou de technologies de l’information; iii) au montage des véhicules[89].

Pour les pick-up et les camions lourds, depuis le 1er juillet 2020, les producteurs de véhicules doivent certifier qu’ils respectent un seuil de teneur en valeur-travail de 45 %[90]. Pour les camions lourds dont la production respecte cette disposition, l’Accord prévoit la possibilité de transférer des « points de valeur-travail » à la prescription de teneur en valeur régionale et de faciliter ainsi l’atteinte de cette dernière[91]. Cette flexibilité ne s’applique pas aux pick-up. Ces exigences sur le salaire moyen ainsi que la flexibilité accordée pour les camions lourds favorisent le Canada et les États-Unis, où les salaires sont plus élevés qu’au Mexique[92].

***

Ce survol des modifications engendrées par l’ACÉUM illustre la manière dont la libéralisation prévue dans les accords de libre-échange est strictement encadrée par les règles d’origine, particulièrement en ce qui concerne les produits d’intérêt pour les États. Les produits d’acier, les produits du secteur bioalimentaire, les véhicules automobiles, ainsi que les textiles et vêtements sont des produits d’intérêt dont les échanges et la production sont balisés pour assurer à chaque État membre de l’Accord que ce dernier contribue à l’essor de leurs industries respectives.

Dans un article publié dans l’American Economic Review, les auteurs concluent, sur la base d’une analyse des règles d’origine de l’ALENA, que les règles d’origine préférentielles des accords commerciaux peuvent violer les règles commerciales multilatérales[93]. Ceux-ci soutiennent qu’elles augmentent considérablement le niveau de protection auquel sont confrontés les non membres, notamment les fournisseurs de biens intermédiaires intégrés dans des produits pour lesquels un traitement préférentiel sera demandé. Est-ce effectivement le cas? Ou est-ce que les règles d’origine de l’ACÉUM sont un simple produit de leur époque, influencées par une volonté de favoriser des chaînes d’approvisionnement nord-américaines stables et respectueuses de certaines valeurs?

Et si les règles d’origine sont un produit de leur époque, est-ce que celles de l’ACÉUM permettent effectivement un renforcement des chaînes d’approvisionnement nord-américaines? Si les coûts pour être conforme aux règles d’origines sont trop élevés, l’avantage comparatif d’obtenir un tarif préférentiel avec l’ACÉUM disparaît. L’ACÉUM contient des dispositions particulièrement complexes dont les coûts pourraient être élevés pour les utilisateurs. Les prochaines années mettront à l’épreuve les règles d’origine de l’ACÉUM et permettront l’évaluation de leurs impacts sur les chaînes d’approvisionnement des secteurs visés par des modifications par rapport à l’ALÉNA.

Rappelons aussi que les règles d’origine de l’ACÉUM peuvent être modifiées[94], comme l’ont été celles de l’ALÉNA, pour

mieux refléter les changements dans les méthodes de production et d'approvisionnement ainsi que pour être en accord avec les changements périodiques au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[95].

Il importe donc que les parties prenantes soient vigilantes pour s’assurer que les règles d’origine de l’ACÉUM demeurent actuelles malgré les évolutions technologiques qui affectent les processus de production et les changements environnementaux qui influencent la disponibilité de certaines ressources en Amérique du Nord. Une certaine vigilance est déjà requise pour suivre l’actuel conflit d’interprétation entre le Canada et le Mexique face aux États-Unis sur la méthode de comptabilisation de l’origine de certaines pièces essentielles dans le calcul du pourcentage d’un véhicule originaire de la zone nord-américaine[96]. Les règles d’origine semblent parfois arides et rébarbatives, mais elles peuvent générer des gains majeurs à ceux qui savent les utiliser et elles méritent d’être suivies au fil des ans puisqu’elles sont appelées à être ajustées pour s’adapter au contexte. Témoin évolutif des priorités des États, elles ont un rôle essentiel pour assurer des gains économiques aux pays qui prennent part à un accord de libre-échange régional.