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Le 11 juillet 1990, la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Organisation de l’unité africaine (OUA)[1] adoptait la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant[2] (CADBE), aujourd’hui « considérée et reconnue comme le principal traité relatif [à la protection des] enfants sur le continent africain »[3]. Par la suite, au fil des années, l’organisation régionale africaine a adopté plusieurs autres instruments réaffirmant et complétant certaines protections énoncées par la CADBE. Il en est ainsi de la Résolution sur la condition des enfants africains en situation de conflits armés[4] du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes[5] (Protocole de Maputo), de la Charte africaine de la jeunesse[6], de la Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique[7] (Convention de Kampala) ou encore du Protocole portant amendements au Protocole portant Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme[8] (Protocole relatif à la CAJDHP). L’année 2020 marque donc le trentième anniversaire du début de la construction en Afrique d’un régime juridique spécifique de protection de l’enfant[9], dont la CADBE constitue la pierre angulaire. Ce moment historique offre l’occasion de réfléchir sur l’apport du régime juridique ainsi établi en Afrique au régime juridique de protection de l’enfant en vigueur au niveau international, mais aussi de souligner l’importance de ce régime juridique régional pour la protection et l’épanouissement de l’enfant africain qui continue d’être victime de multiples violations, particulièrement en période de conflit armé[10].

La présente contribution a précisément pour objectif de déterminer, d’analyser et de mettre en lumière la contribution de la CADBE et des autres instruments régionaux africains qui s’inscrivent dans sa continuité[11] au développement des règles du droit international humanitaire (DIH)[12] qui assurent une protection spéciale à l’enfant en temps de conflit armé[13]. En d’autres termes, cette analyse cherche à montrer comment et dans quelle mesure les règles régionales africaines régissant spécifiquement la protection de l’enfant en temps de conflit armé[14] complètent et renforcent les règles équivalentes du DIH en vigueur au niveau universel, leur permettant ainsi de répondre de manière suffisante aux besoins des enfants victimes des conflits armés en Afrique. À notre connaissance, il n’existe pas dans la littérature d’étude spécifiquement consacrée à cette question. Les quelques rares études qui jusqu’ici ont abordé la question de l’apport des règles régionales africaines au régime juridique de DIH qui protège l’enfant en période de conflit armé l’ont fait de manière parcellaire et très sommaire[15]. De plus, ces études remontent à longtemps et ne prennent donc pas en compte les récentes évolutions observées au sein de l’ordre juridique de l’Union africaine (UA)[16], lesquelles renforcent le régime juridique régional de protection de l’enfant dans les conflits armés. Il est donc question ici de tenter de combler ce vide en proposant dans la littérature une analyse approfondie et actuelle de la contribution africaine au renforcement du régime juridique de la protection de l’enfant en période de conflit armé, sans toutefois prétendre à l’exhaustivité[17]. Une telle analyse apportera trois avantages majeurs. Premièrement, elle permettra de mettre en lumière le fait que les règles régionales africaines relatives à la protection de l’enfant en temps de conflit armé offrent des solutions adéquates et originales de nature à combler certaines lacunes du DIH et, partant, à permettre à ce cadre juridique de répondre de manière satisfaisante aux problèmes humanitaires liés à la protection des enfants dans les conflits armés. Deuxièmement, elle permettra de mettre en évidence la relation symbiotique qui existe entre les règles régionales et les règles universelles de DIH. On pourra ainsi démontrer que les craintes parfois évoquées par certains commentateurs quant au risque que des mesures régionales en lien avec le droit humanitaire puissent remettre en cause la dimension universelle ainsi que la cohérence de ce droit[18] n’ont pas lieu d’être, du moins en ce qui concerne les règles régionales africaines se rapportant à la protection des enfants en temps de conflit armé. Troisièmement, la présente étude s’inscrit dans le cadre des efforts visant à assurer une vulgarisation des règles de droit humanitaire qui assurent une protection à l’enfant dans les conflits et, ainsi, contribuer aussi modestement qu’il puisse être à l’amélioration du sort de cette catégorie de personnes particulièrement vulnérables. En effet, compte tenu du fait que les enfants représentent l’une des couches de la population la plus affectée par les conflits armés en Afrique[19], il paraît être plus que jamais nécessaire de renforcer la diffusion des protections que le droit humanitaire offre à cette catégorie de la population, et ce, d’autant plus que les enfants sont appelés à être « les moteurs de la renaissance de l’Afrique »[20]. Si l’on souhaite véritablement « leur permettre de prendre en main l’avenir de l’Afrique »[21], il est essentiel que les protections qui leur sont dues soient connues et respectées de tous.

La démonstration de la contribution africaine au développement du régime du DIH assurant une protection à l’enfant s’articulera en trois temps. On démontrera d’abord que les instruments régionaux africains ainsi que le droit coutumier africain formulent une définition juridique précise et uniforme du terme « enfant », laquelle définition a des implications positives pour le renforcement de la protection juridique des enfants dans les conflits armés (I). Ensuite, à travers une interprétation systématique et évolutive des règles régionales et universelles ayant pour objectif d’assurer une protection à l’enfant en période de conflit armé, on démontrera que les règles produites au niveau régional africain réaffirment les règles équivalentes du DIH tout en préservant l’intégrité et la cohérence de ces dernières (II). Enfin, on s’intéressera spécifiquement au phénomène des enfants soldats en raison notamment des défis persistants que ce phénomène continue de poser en Afrique. En ayant recours à une démarche comparative et analytique, on démontrera que les normes régionales africaines qui règlementent l’interdiction du recrutement et de l’utilisation des enfants dans les conflits armés sont plus protectrices que les règles équivalentes du DIH, en ce sens qu’elles formulent des mesures de protection progressistes, dont le respect et la mise en oeuvre, pourraient permettre de mettre tous les enfants à l’abri de toute forme d’implication dans les conflits armés (III).

I. La formulation d’une définition univoque du terme « enfant » pertinente à l’égard du DIH

Alors que le DIH énonce de nombreuses mesures de protection en faveur des enfants, il ne consacre pas une définition générale et commune du terme « enfant » applicable à l’ensemble de ces mesures de protection (A). Le droit en vigueur au niveau régional africain présente quant à lui l’avantage de formuler, tant sur le plan conventionnel que sur le plan coutumier (B), une définition juridique précise et uniforme du terme « enfant » pertinente pour l’application à tous les enfants des garanties spéciales qu’énoncent le DIH en faveur de cette catégorie de personnes vulnérables (C).

A. L’absence en DIH d’une définition générale et commune du terme « enfant »

On retrouve dans les principaux instruments juridiques conventionnels du DIH, en particulier les quatre Conventions de Genève et leurs deux Protocoles additionnels, de nombreuses dispositions énonçant des protections spéciales en faveur des enfants[22]. Si ces instruments consacrent plusieurs mesures de protection au bénéfice des enfants, ils ne fournissent cependant pas de définition générale et uniforme du terme « enfant ». En lieu et place d’une définition générale de la notion d'« enfant », ces instruments se contentent, dans certains cas de figure, de fixer diverses limites d’âge dans leurs dispositions instituant une protection spéciale en faveur des enfants[23]. Dans d’autres cas de figure, les dispositions relatives à la protection spéciale des enfants ne sont assorties d’aucune spécification quant à la limite d’âge à prendre en compte pour qualifier une personne comme étant un enfant[24]. Cette spécification est pourtant fondamentale, puisque l’application des mesures de protection que prévoient ces dispositions dépend notamment de la qualification d’une personne en tant qu’enfant.

Une analyse des travaux préparatoires ayant conduit à l’adoption des quatre Conventions de Genève et de ceux ayant conduit à l’adoption des deux Protocoles additionnels révèle que l’absence de définition précise et générale de la notion d'« enfant » dans ces instruments qui forment le socle du DIH s’explique par le fait qu’au moment de leur élaboration, les conceptions socioculturelles et philosophiques quant au début et à la fin de l’enfance étaient largement divergentes[25]. De plus, la vulnérabilité pouvant justifier l’octroi des mesures spéciales de protection de l’enfance incluses dans ces instruments était diversement appréciée[26]. C’est ce qui paraît justifier le fait que les États avaient fixé diverses limites d’âge en fonction des circonstances et, dans les situations dans lesquelles ils n’avaient pas pu s’entendre sur une limite d’âge précise, avaient préféré laisser la question de la détermination du seuil de l’enfance à l’appréciation individuelle des États[27].

Un effort de définition du terme « enfant » a certes été fait plus tard dans le cadre de la Convention relative aux droits de l’enfant[28] qui énonce des dispositions spécifiquement applicables aux enfants en temps de conflit armé[29]. Toutefois, la définition qu’énonce cette Convention renvoie essentiellement à la législation nationale des États qui y sont parties. L’article premier de cette Convention dispose en effet qu’« un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable » [nos soulignements]. Cette disposition pose certes d’entrée de jeu que l’enfant est une personne âgée de moins de 18 ans, mais elle introduit ensuite une exception voulant que la définition générale ainsi énoncée ne s’applique que lorsque la majorité n’est pas fixée avant 18 ans par une législation nationale spécifique. Autrement dit, une personne ne peut être considérée comme enfant aux fins de la jouissance des protections énoncées par la Convention relative aux droits de l’enfant qu’à la condition que l’âge de la majorité ne soit pas fixé avant 18 ans par la législation nationale de l’État duquel elle relève. Dans le cas contraire, cette personne ne saurait se prévaloir des protections énoncées dans la Convention relative aux droits de l’enfant. C’est donc dire que cette définition laisse également la discrétion à chaque État partie de définir la limite d’âge de l’enfant.

Du point de vue du droit coutumier[30], il paraît difficile, voire impossible de soutenir que le DIH coutumier consacre une définition précise et uniforme de la notion d'« enfant », en raison notamment du fait que les principaux instruments juridiques du DIH qui sont censés constituer la base pour le développement d’une coutume générale à cet égard ne formulent pas de définition précise du terme « enfant ». Par ailleurs, et comme relevé plus haut, la pratique des États au moment de l’élaboration des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels était largement divergente quant à la définition du terme « enfant » et paraît l’être encore aujourd’hui. Le fait que l’Étude du Comité international de la Croix-Rouge sur le droit international humanitaire coutumier[31] (Étude du CICR sur le DIH coutumier) se garde de se prononcer sur l’existence d’une définition précise du terme « enfant » en DIH coutumier conforte davantage cette position.

En conséquence, on peut conclure que les règles internationales régissant la protection de l’enfant en temps de conflit armé ne consacrent pas à proprement parler une définition uniforme et commune du terme « enfant » aux fins de la mise en oeuvre des protections spéciales qu’elles offrent à cette catégorie de personnes. Cette situation n’est pas de nature à favoriser une harmonisation en matière de traitement des enfants, puisque le traitement préférentiel à octroyer à cette catégorie de personnes est appelé à varier en fonction du type de protection énoncée et de la législation en vigueur dans chaque État. Par ailleurs, le fait que certaines dispositions ne précisent pas la limite d’âge des enfants auxquels elles s’appliquent peut faire naître une certaine insécurité juridique pour les enfants. Pour tenter de remédier à cette lacune, la doctrine propose que l’âge de 15 ans soit retenu lorsque les dispositions protectrices du DIH ne sont assorties d’aucune spécification quant au seuil de l’enfance[32]. Une telle solution repose notamment sur le fait que la grande majorité des dispositions du DIH fixant un seuil spécifique de l’enfance retiennent l’âge de 15 ans[33]. Quoiqu’intéressante, cette solution n’empêcherait cependant pas un État de retenir, dans ces cas de figure, une limite inférieure à 15 ans, conformément à sa législation nationale. Bien plus, l’âge limite de 15 ans fixé par plusieurs dispositions du DIH et suggéré par certains observateurs n’est pas nécessairement de nature à garantir une protection efficace aux enfants. En effet, ce seuil avait été retenu sur la présomption selon laquelle « l’âge de 15 ans correspond, le plus souvent, à un développement des facultés tel que des mesures spéciales ne s’imposent plus avec la même nécessité »[34]. Si cette perception des aptitudes et des capacités de l’enfant n’est pas nécessairement erronée, il convient toutefois de ne pas perdre de vue qu’il est également tout à fait possible de trouver des personnes qui, même au-delà de 15 ans, présentent une vulnérabilité pouvant justifier que les protections que le DIH réserve aux enfants de moins de 15 ans leur soient étendues. Ainsi considéré, on peut donc avancer que la détermination des personnes au bénéfice de la protection spéciale que les principaux instruments de DIH reconnaissent à l’enfant repose parfois sur un critère formaliste et très schématique qui ne tient pas nécessairement compte de l’état de développement des facultés physiques et mentales des personnes en cause[35]. La définition retenue au niveau régional est, quant à elle, plus précise et ne repose pas sur un tel critère.

B. La consécration conventionnelle et coutumière d’une définition univoque du terme « enfant » au niveau régional africain

Après avoir démontré que les instruments juridiques régionaux africains qui énoncent des mesures de protection spéciales en faveur des enfants en situation de conflit armé formulent une définition précise et uniforme du terme « enfant » (1), on démontrera que la définition formulée par ces instruments peut aujourd’hui être considérée comme faisant partie du droit coutumier africain (2).

1. La définition conventionnelle du terme « enfant » au niveau régional africain

Les instruments juridiques régionaux africains énonçant des dispositions de protection de l’enfant en temps de conflit armé pallient, du moins sur le plan régional africain, l’absence de définition uniforme et précise de l’enfant pertinente à l’égard du DIH. La CADBE, qui est l’instrument de référence en la matière, définit en effet de manière claire et précise le terme « enfant » comme désignant « tout être humain âgé de moins de 18 ans »[36]. Cette définition a été réaffirmée dans d’autres instruments juridiques régionaux qui énoncent des protections en faveur de l’enfant victime des conflits armés. C’est le cas notamment de la Convention de Kampala[37] et du Protocole relatif à la CAJDHP[38] qui définissent également de manière explicite l’enfant comme étant une personne âgée de moins de 18 ans. Le Protocole de Maputo[39] et la Charte africaine de la jeunesse[40], qui contiennent également des dispositions octroyant une protection spéciale aux enfants en temps de conflit armé, ne définissent certes pas expressément le terme « enfant ». Toutefois, les références qui y sont faites à la CADBE, ainsi que la mention de l’âge minimum de 18 ans dans la formulation de certaines interdictions spécifiques que ces deux instruments énoncent en faveur des enfants peuvent être interprétées comme une indication à l'effet que le terme « enfant », tel qu’il y est utilisé, devrait être défini en référence à la définition contenue dans la CADBE.

Ainsi, à la différence de la définition fournie par la Convention relative aux droits de l’enfant, la définition de l’enfant telle qu’énoncée dans les instruments juridiques élaborés par l’organisation régionale africaine ne souffre d’aucune exception[41]. S’il est vrai que la possibilité pour les États de formuler des réserves à cette définition demeure ouverte[42], il convient de préciser qu’à ce jour, un seul État africain a formulé une réserve à la définition de l’enfant formulée dans la CADBE, laquelle réserve semble ne pas être pertinente aux fins de l’application des protections énoncées par cet instrument en faveur des enfants victimes des conflits armés[43].

La définition de l’enfant comme une personne âgée de moins de 18 ans a aujourd’hui acquis un caractère coutumier sur le plan africain.

2. La définition coutumière du terme « enfant » au niveau régional africain

Aux termes du paragraphe 1b) de l’article 38 du Statut de la Cour internationale de justice[44], la coutume désigne la « preuve d’une pratique générale, acceptée comme étant le droit ». Même si cette disposition ne fait allusion qu’aux règles coutumières générales, la possibilité de l’émergence de coutumes d’une portée géographique limitée n’a jamais été contestée[45]. L’existence de coutumes régionales est en effet largement admise, tant par la pratique que par la jurisprudence[46]. Pour démontrer l’existence de la coutume régionale ici invoquée, on aura recours à la méthode classique définie par la Cour internationale de justice (CIJ), en particulier dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord[47]. Dans ces affaires, la CIJ a affirmé que pour prouver qu’une coutume existe, il faut démontrer que

la pratique des États, y compris ceux qui sont particulièrement intéressés, a été fréquente et pratiquement uniforme dans le sens de la disposition invoquée et [qu’elle s’est] manifestée de manière à établir une reconnaissance générale du fait qu’une règle de droit ou une obligation juridique est en jeu[48].

Deux éléments spécifiques sont de ce fait requis pour établir l’existence d’une norme coutumière : la pratique des États qui désigne le comportement de ceux-ci dans l’exercice de leurs fonctions exécutive, législative, judiciaire ou autre[49] et l’opinio juris, qui « signifie que la pratique en question doit être menée avec le sentiment de l’existence d’une obligation juridique ou d’un droit »[50]. Bien que ces deux éléments doivent être établis différemment[51], un même acte peut refléter à la fois la pratique et l’opinio juris[52]. Les lignes qui suivent analysent respectivement la pratique (a) et l’opinio juris (b) qui sous-tendent la coutume régionale qui considère que le terme « enfant » désigne une personne âgée de moins de 18 ans.

a) La pratique

Trois principaux éléments seront utilisés pour justifier l’existence d’une pratique générale au niveau régional africain reconnaissant que le terme « enfant » désigne une personne âgée de moins de 18 ans : l’existence dans l’ordre juridique de l’UA de nombreux instruments juridiques consacrant pareille définition, la large participation des États africains auxdits traités et l’adoption par ces États de mesures nationales énonçant une définition de l’enfant conforme à celle consacrée dans les instruments régionaux africains.

En ce qui concerne le premier point annoncé, comme relevé et analysé ci-dessus, outre la CADBE, plusieurs autres instruments régionaux africains définissent expressément l’enfant comme étant une personne âgée de moins de 18 ans.

Ensuite, les traités régionaux mentionnés ci-dessus ont, pour la plupart, été signés et ratifiés par la quasi-totalité des États membres de l’UA[53]. À l’exception du Maroc, tous les États africains ont au moins signé et ratifié l’un de ces instruments juridiques. De plus, tous les États africains, y compris le Maroc, sont parties à la Convention (n° 182) sur les pires formes de travail des enfants[54], laquelle définit l’enfant comme étant une personne âgée de moins de 18 ans[55].

Enfin, en ce qui concerne l’adoption de mesures nationales définissant l’enfant comme étant une personne âgée de moins de 18 ans, il convient d’entrée de jeu de relever que la définition du terme « enfant » telle que retenue dans les instruments mentionnés ci-dessus est d’application immédiate dans la mesure où elle n’exige pas de mesures législatives spécifiques aux fins de son application. Ainsi, en ratifiant ces instruments conformément à leurs procédures constitutionnelles, les États africains ont intégré dans leur législation nationale la définition de l’enfant qu’ils retiennent. Par ailleurs, la quasi-totalité des États africains dispose de législations qui considèrent que le terme « enfant » désigne toute personne âgée de moins de 18 ans, conformément à l’article 2 de la CADBE[56].

La pratique ainsi établie est confortée par l’existence, au niveau régional africain, d’une véritable reconnaissance qu’une règle juridique est en jeu.

b) L’opinio juris

Trois principaux éléments seront utilisés pour démontrer et établir l’existence au niveau régional africain d’une opinio juris quant au fait que le terme « enfant » désigne toute personne âgée de moins de 18 ans. Il s'agit de : l’absence d’exception à la définition de l’enfant formulée au niveau régional africain, la large participation des États africains aux traités définissant l’enfant comme une personne âgée de moins de 18 ans et la quasi-absence de réserve à la définition de l’enfant comme un enfant de moins de 18 ans aux fins de la jouissance de la protection spéciale qui lui est due en vertu du DIH, ainsi que l’existence de déclarations faites par les États africains et l’UA quant au fait que l’enfant est une personne âgée de moins de 18 ans.

En ce qui concerne le premier point, comme relevé ci-dessus, la définition de l’enfant telle qu’énoncée dans la CADBE, qui constitue le « premier instrument juridique et normatif [relatif aux enfants en Afrique] »[57], n’admet aucune exception. Cette définition a par ailleurs été reprise in extenso dans des instruments juridiques successifs adoptés par l’UA. Cela est un indicateur de ce que la définition ainsi formulée dans ces instruments est largement admise au niveau régional africain.

Deuxièmement, les instruments régionaux évoqués ici bénéficient, pour la plupart, d’une large adhésion de la part des États africains. De même, à l’exception du Botswana, les États africains n’ont pas formulé de réserve à la définition de l’enfant que formulent ces instruments. Cela est également révélateur du fait que cette définition est largement considérée comme faisant autorité.

Troisièmement, il existe des déclarations de la part des institutions africaines et des États africains qui peuvent être interprétées comme une reconnaissance que la définition de l’enfant comme une personne âgée de moins de 18 ans a valeur de norme. À titre d’illustration, le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être des enfants (Comité africain des droits de l’enfant), auquel les États africains ont expressément conféré le mandat d’assurer la promotion et la protection des droits de l’enfant en Afrique[58], affirme dans l’Étude continentale sur l’impact des conflits et des crises sur les enfants en Afrique[59] qu’« il est maintenant admis que l’enfant est une personne de moins de 18 ans »[60]. Il ajoute que cette définition constitue sa « position définitive et [doit être considérée comme] faisant autorité »[61]. De même, dans son rapport de mise en oeuvre de la CADBE soumis au Comité africain des droits de l’enfant, l’Angola déclare ce qui suit : « [t]he national legislations [of Angola] are in accordance with provisions of article 2 of the Charter, in which the child is described, in a generic manner, as “every human being aged below the age 18 years” »[62]. La formulation « [t]he national legislations are in accordance with provisions of article 2 of the Charter », que l’on retrouve également dans des termes quasi similaires dans des rapports soumis au Comité africain des droits de l’enfant par d’autres États[63], est révélatrice de ce que le caractère juridique de cette définition ne soit pas remis en cause en Afrique.

En somme, à la différence des règles de DIH, les règles régionales africaines énoncent une définition précise et uniforme du terme « enfant ». Cette définition ainsi consacrée au niveau régional africain présente des enjeux positifs pour le renforcement de la protection juridique des enfants victimes des conflits armés.

c) L’incidence positive de la définition régionale du terme « enfant » sur le renforcement de la protection juridique des enfants dans les conflits armés

La définition précise et uniforme du terme « enfant » en vigueur au niveau régional présente quatre enjeux pour le renforcement de la protection juridique des enfants en période de conflit armé.

Premièrement, cette définition offre l’avantage de fournir un âge élevé comme point de repère précis dans les cas de figure où aucune limite d’âge n’est fixée ou prévue par les dispositions du DIH relatives aux enfants. La prise en compte de cette définition aux fins de l’application des dispositions de DIH ne fixant aucun seuil au terme « enfant » permet donc de garantir la jouissance des protections prévues par ces dispositions à tous les enfants, peu importe leur âge, et non pas uniquement à ceux âgés de 15 ans comme le suggèrent certains auteurs.

Deuxièmement, cette définition permet de rompre avec le système de pluralité des âges qui est retenu dans les principaux instruments de DIH et, en conséquence, d’octroyer à toute personne âgée de moins de 18 ans les mesures de protection de l’enfance énoncées par le DIH. En effet, étant donné que la diversité des seuils d’âge prévus par certaines dispositions du DIH se rapportant aux enfants était due à l’incapacité des États à s’entendre sur une définition commune de l’enfant qui serait applicable en toute situation, il est possible de soutenir que la définition de l’enfant aujourd’hui communément admise au plan régional africain constitue un incitatif important pour étendre, dans la mesure du possible, les protections réservées aux enfants d’un certain âge spécifique par les instruments de DIH à tous les enfants, peu importe leur âge. Une telle mesure ne serait pas contraire aux dispositions du DIH, qui n’établissent qu’un « standard minimum »[64] et n’empêchent par conséquent pas les parties belligérantes d’octroyer un traitement plus favorable aux victimes des conflits armés. Cela participerait par ailleurs de la mise en oeuvre de l’engagement des États africains à assurer une protection optimale à l’enfant qui, comme le précise la CADBE, occupe une place unique et privilégiée dans la société africaine[65].

Troisièmement, la définition de l’enfant en vigueur au niveau régional africain ne lie pas uniquement les États africains qui seraient parties à la CADBE ou ceux qui sont parties aux autres instruments régionaux qui la complètent. Par sa valeur coutumière, elle lie également les États qui ne seraient pas parties à ces instruments ainsi que les groupes armés non étatiques[66] (GANE) qui constituent l’un des principaux protagonistes des conflits armés non internationaux (CANI). Ceux-ci devraient donc également s’y référer aux fins de l’application des obligations que le DIH leur impose en matière de protection des enfants.

Enfin, la pratique ayant donné naissance à la coutume régionale qui considère l’enfant comme une personne âgée de moins de 18 ans pourrait contribuer à l’émergence d’une coutume générale équivalente, pertinente pour l’application des dispositions du DIH relatives à la protection des enfants. L’émergence d’une telle coutume au niveau universel contribuerait certainement à résoudre les incertitudes juridiques liées à l’imprécision du champ d’application personnel des mesures de protection énoncées par le DIH en faveur des enfants.

Outre la formulation d’une définition précise du terme « enfant » pertinente à l’égard du DIH, les règles régionales africaines réaffirment et renforcent les protections spécifiques dont jouissent les enfants en période de conflit armé.

II. La réaffirmation et la sauvegarde de l’intégrité des mesures de protection énoncées par le DIH en faveur des enfants

D’entrée de jeu, il convient de rappeler que le DIH consacre un régime de protection étoffé en faveur de l’enfant. Les garanties de traitement qui sont dues à l’enfant aux termes du DIH sont en effet tellement nombreuses qu’il serait difficile d’en faire l’économie complète ici. On peut tout de même relever qu’en tant que membre de la population civile[67], l’enfant bénéficie tout d’abord de la protection générale que le DIH reconnaît à tous les civils qui ne participent pas directement aux hostilités[68]. À ce titre, il bénéficie notamment de toutes les protections énoncées par la quatrième Convention de Genève[69]. Ces protections englobent le principe fondamental du traitement humain en toutes circonstances, lequel principe comprend l’exigence du respect de la vie et de l’intégrité physique et morale, l’interdiction des sévices, de la torture et autres traitements inhumains et dégradants, l’interdiction de la contrainte et des peines collectives, ainsi que l’interdiction des représailles, le droit des enfants blessées et malades d’être respectés, soignés et protégés et le droit à l’assistance humanitaire. Il bénéficie également des protections énoncées par les règles de DIH relatives à la conduite des hostilités, en l’occurrence les protections découlant du principe de distinction et, notamment, l’interdiction de diriger des attaques contre les civils[70], du principe de proportionnalité[71], du principe de précaution[72], ainsi que de toutes les protections découlant des règles régissant l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes[73].

Les règles de DIH tiennent également compte de la vulnérabilité particulière des enfants en période de conflit armé et aménagent en faveur de ceux-ci un régime de protection spécial censé tenir compte de leurs besoins spécifiques[74]. Les mesures particulières dont les enfants doivent faire l’objet comprennent principalement la possibilité d’être accueillis dans des zones sanitaires et de sécurité[75], l’obligation pour des parties belligérantes d’autoriser le libre passage de secours destinés aux enfants de moins de 15 ans et aux femmes en couches[76], l’obligation pour les puissances occupantes d’assurer le bon fonctionnement des établissements consacrés aux soins et à l’éducation des enfants se trouvant en territoire occupé[77], le droit des enfants de moins de 15 ans de recevoir des suppléments de nourriture lorsqu’ils sont internés[78] ainsi que l’obligation de donner priorité à ces derniers lors de la distribution d’envois de secours[79], le droit à la protection du lien familial[80], le droit de l’enfant arrêté, interné ou détenu d’être gardé dans des locaux séparés de ceux des adultes, sauf dans les cas où il loge avec sa famille[81], l’interdiction de recruter les enfants de moins de 15 ans dans les forces et groupes armés et de les faire participer aux hostilités[82] et l’interdiction d’infliger la peine de mort aux enfants de moins de 18 ans[83].

L’on retrouve des réaffirmations[84] de ces protections offertes à l’enfant par le DIH dans des instruments élaborés sous l’égide de l’UA, en particulier la CADBE. L’article 22 de cet instrument dispose notamment que :

1. [l]es États parties à la présente Charte s’engagent à respecter, et à faire respecter les règles du Droit international humanitaire applicables en cas de conflits armés qui affectent particulièrement les enfants.

2. Les États parties à la présente Charte prennent toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu’aucun enfant ne prenne directement part aux hostilités et en particulier, à ce qu’aucun enfant ne soit enrôlé sous les drapeaux.

3. Les États parties à la présente Charte doivent, conformément aux obligations qui leur incombent en vertu du Droit International Humanitaire, protéger la population civile en cas de conflit armé et prendre toutes les mesures possibles pour assurer la protection et le soin des enfants qui sont affectés par un conflit armé. Ces dispositions s’appliquent aussi aux enfants dans des situations de conflits armés internes, de tensions ou de troubles civils[85].

Ces dispositions appellent quatre commentaires.

A. La réaffirmation de la responsabilité première des États de respecter et de faire respecter les protections dues aux enfants en temps de conflit armé

Premièrement, les dispositions ainsi énoncées peuvent être analysées comme constituant une réaffirmation de l’obligation première des États de garantir aux enfants l’ensemble des protections qui leur sont offertes par le DIH. Ces dispositions commencent par réaffirmer l’obligation des États de respecter et de faire respecter le DIH consacrée à l’article 1 commun aux quatre Conventions de Genève[86]. Compte tenu de l’objet spécifique de la CADBE, on peut avancer que l’obligation ici réaffirmée se rapporte de manière spécifique aux règles du DIH assurant une protection aux enfants en temps de conflit armé. La disposition réaffirme ainsi d’une part l’obligation première des États de respecter l’ensemble des règles du DIH, mais aussi, de manière spécifique, l’ensemble des mesures spéciales de protection de l’enfant énoncées ci-dessus. D’autre part, elle réaffirme l’obligation des États de veiller à ce que d’autres personnes ou acteurs, dont les GANE, les personnes privées et même les organisations internationales qui seraient parties à un conflit armé respectent les protections qui sont dues à l’enfant en temps de conflit armé[87]. Par la suite, la disposition précise que les États doivent prendre toutes les mesures possibles pour assurer la protection et les soins des enfants affectés par un conflit armé conformément aux obligations que leur impose le DIH. Le renvoi aux obligations qu’impose le DIH aux États peut être considéré comme une réaffirmation, sous une forme générique, de l’ensemble des obligations que le DIH impose aux États dans l’intérêt des enfants.

B. L’article 22 a un champ d’application personnel limité, une lacune cependant comblée par d’autres instruments régionaux africains

Deuxièmement, bien que les dispositions de l’article 22 soient également applicables aux situations de conflits armés non internationaux auxquels sont également parties les GANE, l’utilisation explicite de l’expression « [l]es États parties » dans la formulation des obligations qui y sont consacrées indique que ces dispositions lient uniquement les États. Une telle interprétation paraît être confortée par l’Observation générale du Comité africain des droits de l’enfant sur l’article 22[88] qui, bien qu’insistant sur le fait que les dispositions de cet article s’appliquent également dans les CANI, utilisent essentiellement les expressions suivantes dans les commentaires qu’elle formule : « les États parties, doivent »[89], « les États parties, ont l’obligation »[90], « L’obligation d’“assurer le respect”, exige que les États parties »[91], confirmant ainsi que les destinataires des obligations de l’article 22 sont les États et pas les GANE. Cela paraît quelque peu regrettable eu égard au fait que les GANE sont l’un des principaux protagonistes des CANI et compte tenu du fait que de nombreuses violations des droits fondamentaux des enfants sont très souvent reprochées à plusieurs de ces acteurs dans le cadre de conflits qui ont eu lieu ou qui ont cours sur le continent africain[92]. Le fait que la CADBE ne fasse en aucun cas mention de l’obligation des GANE de reconnaître aux enfants certaines garanties fondamentales est certainement intentionnel et s’explique probablement par le souci qu’avaient les rédacteurs de cet instrument d’éviter que toute référence aux GANE soit perçue comme une forme de reconnaissance légale des GANE, ou alors que cela puisse être invoqué pour porter atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale d’un État. Si cette crainte paraît légitime, il convient tout de même d’admettre que si l’on souhaite assurer une protection efficace aux enfants, on ne saurait ignorer le fait que la grande majorité des conflits armés prévalant sur le continent africain sont des CANI auxquels sont parties des GANE, et qu’en conséquence, il est tout aussi important de réaffirmer les obligations internationales qui lient ces derniers en matière de protection des enfants. La réaffirmation, même sous une forme générique, des obligations qui incombent également aux GANE dans le cadre de la formulation de l’article 22 de la CADBE n’aurait en aucune façon constitué une forme de légitimation de ces groupes dans la mesure où le DIH auquel renvoie expressément cet article impose des obligations égales aux États et aux GANE dans le contexte des CANI, tout en prenant soin de préciser que les dispositions qu’il énonce à l’égard des GANE n’ont aucun effet sur le statut juridique de ces derniers[93].

Cela étant dit, il convient de préciser que l’omission de la CADBE de faire cas des obligations des GANE de respecter et de protéger l’enfant a été comblée dans le cadre d’instruments juridiques régionaux africains ultérieurs. À titre d’exemple, la Résolution sur la condition des enfants africains en situation de conflits armés énonce des dispositions qui réaffirment les obligations que le DIH impose à toutes les parties aux différentes catégories de conflits armés. Elle demande notamment à

toutes les parties belligérantes, gouvernements et autres [de] démobiliser immédiatement les enfants soldats, [de] leur assurer une éducation et une formation appropriées, [de] les réhabiliter et les intégrer dans la société civile afin qu’ils redeviennent des citoyens productifs et responsables dans leurs pays respectifs[94].

La Résolution invite par ailleurs « les parties belligérantes à accorder une attention particulière à la protection des filles et femmes »[95]. De même, en marge des obligations qu’elle impose aux États, la Convention de Kampala interdit aux GANE de procéder aux déplacements arbitraires, l’expression « déplacements arbitraires »[96] étant définie de manière large[97] et pouvant de ce fait être interprétée comme incluant les interdictions qu’énonce le DIH à l’égard de toutes les parties belligérantes dans l’intérêt des enfants[98]. De plus, cette Convention dispose qu’il est interdit aux GANE de recruter des enfants ou de leur demander de participer aux hostilités[99], ce qui peut être considéré comme un complément de l’interdiction équivalente que la CADBE impose aux États. On reviendra plus loin sur la question de l’interdiction du recrutement et de l’utilisation des enfants dans les conflits armés.

C. Les dispositions de l’article 22 ne portent pas préjudice au DIH

Troisièmement, le fait que l’article 22 précise que les dispositions qu’il énonce s’appliquent également aux situations de tensions ou de troubles civils qui ne répondent pas à la qualification de conflit armé, pourrait d’emblée conduire à conclure que l’article 22 a pour effet d’étendre l’application du DIH à ces types de situations. Cela signifierait que l’article 22 de la CADBE constitue une entorse au DIH dans la mesure où ce corpus juridique n’a pas été conçu pour être appliqué à des situations autres que les conflits armés. Ce cadre juridique précise d’ailleurs clairement qu’il ne s’applique pas à des situations de violence n’atteignant pas le seuil de conflit armé, en l’occurrence les situations « de tensions internes, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues »[100]. En lieu et place d’une telle interprétation susceptible de favoriser une remise en cause de l’intégrité du DIH, il nous semble que cette disposition de l’article 22 devrait plutôt être interprétée de manière évolutive, en référence à l’objectif de la CADBE qui consiste notamment à renforcer la protection des enfants africains[101]. Une telle démarche permettrait de considérer que l’objectif de cette disposition est davantage de permettre que l’enfant jouisse de la plus haute protection possible dans ces types de situations et non en tant que tel de permettre l’application des règles de DIH à des situations pour lesquelles elles n’ont pas été prévues. Cette position est confirmée par la récente Observation générale sur l’article 22 de la CADBE, dans laquelle le Comité africain des droits de l’enfant souligne à juste titre qu’appliquer les règles de DIH relatives à la conduite des hostilités aux situations de tensions internes « permettrait à tort de cibler des objectifs militaires ainsi que des dommages aux civils qui soient proportionnels à l’avantage militaire d’une attaque, et cela pourrait entraîner une protection moindre pour les enfants »[102]. Ainsi, il conviendrait plutôt de considérer que la précision selon laquelle les dispositions de l’article 22 s’appliquent dans des situations de tensions ou de troubles civils implique tout au plus d’appliquer par analogie dans de telles situations les protections que prévoient les règles de DIH relatives au traitement des personnes, pour autant que l’application par analogie de ces protections permette effectivement aux enfants de jouir de la meilleure protection possible. Cette disposition ne porte donc pas atteinte au DIH. À ce sujet, il convient d’ailleurs de relever que la CADBE s’articule harmonieusement avec le DIH et prend bien soin de sauvegarder l’intégrité et la cohérence de ce corpus juridique. En effet, outre le fait qu’elle précise que les dispositions qu’elles énoncent doivent être respectées et mises en oeuvre conformément aux exigences du DIH, elle souligne expressément qu’aucune des dispositions qu’elle énonce n’

a d’effet sur une quelconque disposition plus favorable à la réalisation des droits et de la protection de l’enfant figurant dans la législation d’un État partie ou dans toute autre convention ou accord international en vigueur dans ledit État[103].

L’on retrouve une disposition similaire dans les autres instruments régionaux africains qui énoncent des mesures de protection en faveur des enfants victimes des conflits armés[104]. Cela signifie que les dispositions des instruments régionaux africains relatives à la protection de l’enfant en temps de conflit armé, y compris l’article 22 de CADBE, ne sauraient être interprétées comme réduisant, restreignant, modifiant ou entravant les protections offertes aux enfants dans le cadre d’autres instruments juridiques internationaux, y compris les instruments de DIH auxquels sont parties la quasi-totalité des États africains[105]. Ainsi, dans l’hypothèse où une disposition de ces instruments aurait pour effet de réduire la portée de l’une des protections que les instruments de DIH octroient à l’enfant, l’application de cette disposition devra être impérativement écartée au profit des dispositions des instruments de DIH.

D. L’importance de la réaffirmation régionale des protections prévues par le DIH en faveur des enfants

Quatrièmement, la réaffirmation par les instruments régionaux africains des protections que le DIH énonce en faveur de l’enfant revêt des enjeux majeurs. Tout d’abord, la réaffirmation de la responsabilité première des États de protéger et de secourir les enfants en période de conflit armé comme prévu par le DIH témoigne de l’engagement de l’Afrique à veiller à ce que les enfants bénéficient de la protection qui leur est due en temps de conflit armé. Elle peut être également analysée comme un signe de l’attachement des États africains aux règles contenues dans les principaux instruments juridiques de DIH à l’élaboration desquels ils n’ont pas participé[106]. En effet, en 1949, date d’adoption des quatre Conventions de Genève, la grande majorité des États africains n’étaient pas encore souverains et n’avaient donc pas pris part à la Conférence diplomatique ayant mené à l’adoption de ces instruments qui constituent le socle du DIH[107]. Le DIH est à cet égard parfois présenté comme étant un droit essentiellement européen[108]. Certains auteurs ont d’ailleurs fait valoir que l’échec de la propagation du DIH en Afrique était dû à la méfiance des États africains et de leurs populations à l’égard d’un cadre juridique d’inspiration européenne qui n’aurait pas véritablement joué un rôle de garde-fou lors des guerres de décolonisation[109]. La réaffirmation de l’obligation première des États de mettre en oeuvre les dispositions que prévoient ces Conventions invalide donc cette thèse et « démontre l’adhésion et l’attachement de l’Afrique aux garanties de traitement énoncées dans ces instruments »[110], y compris celles au bénéfice de l’enfant.

De plus, les dispositions réaffirmant les protections conférées aux enfants en temps de conflit armé constituent une importante pratique qui enrichit la pratique générale qui sous-tend les règles coutumières de DIH qui protègent l’enfant en temps de conflit armé. Elles participent ainsi à la consolidation et au renforcement de ces coutumes générales. À cet égard, il convient de relever que dans l’Étude du CICR sur le DIH coutumier, le CICR s’appuie sur certaines des mesures régionales énoncées ci-dessus pour étayer l’existence de quelques règles coutumières de DIH relatives à la protection des enfants[111].

III. Le renforcement des règles de DIH régissant l’interdiction du recrutement et de l’utilisation des enfants dans les conflits armés

Le phénomène du recrutement et de l’utilisation des enfants dans les conflits armés remonte à longtemps[112]. Ce phénomène a cependant pris des proportions alarmantes au cours des années quatre-vingt-dix et demeure jusqu’aujourd’hui une préoccupation majeure dans les conflits armés contemporains[113]. En Afrique plus spécifiquement, il est encore très courant de voir des parties belligérantes recruter des enfants dans leurs troupes et les faire participer de diverses manières aux hostilités[114]. Entre 2018 et 2020, par exemple, les plus grands nombres de cas de recrutement et d’utilisation des enfants dans les conflits armés ont été recensés dans des conflits armés ayant cours sur le continent africain[115]. Or, l’implication des enfants dans les conflits, qu’elle soit volontaire ou forcée, entraîne des conséquences dramatiques pour les enfants[116]. De fait, « [n]ombreux sont ceux qui sont tués au premier engagement. D’autres sont mutilés pour la vie, leurs jeunes corps estropiés avant même d’avoir atteint leur taille d’adultes »[117]. Même dans l’hypothèse où ils échapperaient à toute blessure, les enfants soldats restent marqués à vie par des traumatismes psychologiques qui ne causent pas moins d’importantes souffrances[118].

Bien que le DIH consacre des dispositions pouvant permettre de limiter et de faire face à ce fléau, il convient de relever que ces dispositions présentent quelques faiblesses, lesquelles faiblesses ont été comblées par des dispositions équivalentes en vigueur au niveau régional africain. En effet, comme on le démontrera dans les lignes qui suivent, les règles conventionnelles (A) et coutumières (B) régionales africaines qui régissent le phénomène du recrutement et de l’utilisation des enfants dans les conflits armés sont plus protectrices que les règles équivalentes qui existent au niveau universel et permettent de ce fait à l’Afrique de disposer des outils ou moyens adéquats pour mettre tous les enfants à l’abri de ce fléau.

A. Le renforcement de l’interdiction conventionnelle du recrutement et de l’utilisation des enfants dans les conflits armés

Les instruments régionaux africains énonçant des interdictions contre le recrutement et l’utilisation des enfants dans les conflits armés renforcent les dispositions conventionnelles équivalentes du DIH à deux égards. Tout d’abord, elles relèvent l’âge limite auquel s’applique l’interdiction, sous quelque forme que ce soit, du recrutement et de l’utilisation des enfants dans les conflits armés (1). Ensuite, elles formulent une interdiction du recrutement et de l’utilisation des enfants dans les conflits armés internationaux (CAI) plus contraignante que celle prévue dans les instruments juridiques conventionnels de DIH (2).

1. Le relèvement du seuil d’âge auquel s’applique l’interdiction du recrutement et de l’utilisation sous quelque forme que ce soit des enfants dans les conflits armés

Une analyse combinée des règles du DIH interdisant le recrutement et l’utilisation des enfants dans les conflits armés révèle que celles-ci fixent de manière générale l’âge limite de l’interdiction, sous quelque forme que ce soit, du recrutement et de la participation des enfants dans les conflits armés à 15 ans[119]. Cela est d’ailleurs confirmé par la doctrine[120]. C’est donc dire qu’en vertu des règles universelles de DIH, les enfants d’un âge compris entre 15 et 18 ans ne sont pas véritablement protégés de manière absolue contre un recrutement dans les forces ou les groupes armés[121]. Ils ne sont pas non plus véritablement à l’abri d’une utilisation dans les hostilités par ceux-ci[122]. Pourtant, il peut être avancé que les enfants âgés entre 15 et 18 ans n’ont pas tous la maturité biologique et psychique nécessaire pour faire face aux hostilités[123]. Les règles de droit humanitaire produites sous l’égide de l’organisation continentale africaine prennent en compte cette réalité et imposent de manière absolue aux parties aux conflits armés de s’abstenir de recruter et de faire participer, sous quelque forme que ce soit, les enfants dans les conflits armés, peu importe leur âge[124]. Il en est ainsi de la CADBE qui dispose que

[l]es États parties […] prennent toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu’aucun enfant ne prenne directement part aux hostilités et en particulier, à ce qu’aucun enfant ne soit enrôlé sous les drapeaux[125].

L’expression « [enrôlement] sous les drapeaux » utilisée dans la formulation de cette disposition est assez générique pour inclure aussi bien le recrutement obligatoire que l’engagement volontaire[126]. Une telle interprétation est confirmée par la version anglaise de cette disposition qui énonce que “States Parties to the present Charter shall […] refrain in particular, from recruiting any child” [nos soulignements]. Dans le même sens, la Convention de Kampala interdit spécifiquement aux GANE de « [r]ecruter, en quelque circonstance que ce soit, des enfants, de leur demander ou de leur permettre de participer aux hostilités »[127], l’enfant étant défini aux termes de cette Convention comme étant une personne âgée de moins de 18 ans[128].

En ce qui concerne la participation aux hostilités, bien que le CICR ait toujours insisté sur le fait que l’interdiction de la seule « participation directe »[129] est de nature à affaiblir la protection des enfants, et en dépit de ses efforts en faveur de la suppression du terme « directement » lors des négociations du Protocole additionnel I[130], les résistances à l’abandon du terme « directement » contenu dans le Protocole additionnel I ont persisté lors de l’élaboration de la Convention relative aux droits de l’enfant et de son Protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés. Pourtant, même une participation indirecte expose l’enfant à des risques importants de blessures, qu’elles soient physiques ou psychologiques. Comme le relève pertinemment le CICR,

un enfant qui est membre des forces armées ou d’un groupe armé et qui participe indirectement aux hostilités est, dans la pratique, difficilement dissociable du reste des forces ou groupes armés. Il n’est donc pas protégé contre une attaque de l’ennemi et court les mêmes risques qu’un autre (ou adulte) qui participe directement aux hostilités[131].

La CADBE contient certes, au même titre que les instruments précédemment évoqués, l’expression « directement », mais cette lacune a été comblée dans le cadre d’instruments juridiques ultérieurs adoptés par l’UA. C’est le cas notamment du Protocole de Maputo qui dispose explicitement que « [l]es États prennent toutes les mesures nécessaires pour qu’aucun enfant […] ne prenne part aux hostilités » [nos soulignements][132]. De même, la Charte africaine de la jeunesse, qui s’applique aux plus âgés des enfants, en l’occurrence ceux âgés entre 15 et 18 ans[133], dispose que les États doivent « [c]ondamner par tous les moyens possibles […] la participation, l’implication, le recrutement de jeunes dans les conflits armés »[134]. Plusieurs instruments de soft law adoptées sous l’égide de l’UA réaffirment également en des termes fermes l’interdiction de l’utilisation sous quelque forme que ce soit des enfants dans les conflits armés[135]. C’est le cas par exemple du Cadre d’orientation sur la réforme du secteur de la sécurité de l’UA[136] qui dispose ce qui suit : « [l]a présente politique interdit […] l’utilisation des enfants âgés de moins de dix-huit (18) ans en général et dans les forces et groupes armés en particulier »[137]. L’expression « utilisation des enfants » est assez large pour inclure tant la participation directe que la participation indirecte. Ainsi, à la différence des instruments juridiques conventionnels de DIH qui imposent aux États de s’abstenir uniquement de faire participer directement les enfants dans les conflits, les règles élaborées par l’organisation régionale africaine imposent aux États de s’abstenir de faire participer, tant directement qu’indirectement, les enfants dans les conflits armés, y compris dans les CAI, et participe de ce fait au renforcement de la protection des enfants dans les conflits armés. Quant aux GANE, la Convention de Kampala leur interdit également de demander ou de permettre aux enfants de participer aux hostilités. On retrouve certes une interdiction similaire dans le Protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, qui dispose que « [l]es groupes armés qui sont distincts des forces armées d’un État ne devraient en aucune circonstance enrôler ni utiliser dans les hostilités des personnes âgées de moins de 18 ans » [nos soulignements][138]. Toutefois, l’emploi du terme devoir au conditionnel dans la formulation de cette disposition affaiblit quelque peu l’obligation qui y est consacrée. Elle donne en effet l’impression qu’il s’agit là davantage d’une obligation d’ordre morale plutôt que d’une obligation d’ordre juridique[139].

2. Le caractère ferme et absolu de l’interdiction régionale de faire participer les enfants aux hostilités dans les CAI

Les règles conventionnelles en vigueur au plan africain renforcent par ailleurs les règles de DIH relatives à l’interdiction de faire participer des enfants dans les CAI. En effet, les dispositions régionales qui formulent une interdiction de faire participer les enfants dans les conflits à l’égard des États sont formulées en des termes plus stricts et contraignants comparativement aux dispositions équivalentes prévues par le DIH. Le paragraphe 2 de l’article 77 du Protocole additionnel I dispose que les États parties au conflit « prendront toutes les mesures possibles dans la pratique pour que les enfants de moins de quinze ans ne participent pas directement aux hostilités, notamment en s’abstenant de les recruter dans leurs forces armées ». L’expression « mesures possibles dans la pratique » utilisée dans la formulation de cette disposition indique qu’il s’agit là d’une obligation de moyens « ayant pour objet un certain comportement et non le résultat de ce comportement »[140]. Il en résulte que l’État n’est pas absolument tenu d’empêcher la participation des enfants de moins de 15 ans aux hostilités. Il est simplement tenu de prendre des mesures qui sont à sa portée pour empêcher cette participation. Il ne violerait donc pas cette obligation si les mesures ainsi prises se révélaient être infructueuses. Si des efforts en faveur du renforcement de cette disposition ont été consentis dans le cadre d’instruments juridiques ultérieurs, l’expression « mesures possibles » y a cependant été maintenue dans les formulations successives de cette obligation[141]. À titre d’exemple, le Protocole concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés dispose que :

Les États Parties prennent toutes les mesures possibles pour veiller à ce que les membres de leurs forces armées qui n’ont pas atteint l’âge de 18 ans ne participent pas directement aux hostilités [nos soulignements] [142].

Ainsi, dans les CAI, les États ne sont tenus que par une obligation de moyen formulée de manière moins contraignante en ce qui concerne la participation des enfants aux conflits armés. La CADBE, quant à elle, est plus protectrice puisqu’elle énonce une obligation plus contraignante en matière d’interdiction de la participation des enfants aux CAI. En effet, aux termes de cet instrument, en lieu et place des « mesures possibles dans la pratique »[143], les États sont tenus de prendre « toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu’aucun enfant »[144] [nos soulignements] ne prenne part aux hostilités. L’État ne saurait donc se contenter de prendre les mesures pratiquement possibles pour empêcher la participation des enfants aux CAI. Tel que l’indique l’expression « toutes les mesures nécessaires », l’État est tenu de prendre toutes les mesures qui s’imposent, c’est-à-dire les mesures pertinentes ou efficaces pour parvenir à un tel résultat, soit empêcher que les enfants ne prennent part aux hostilités. Il s’agit donc ici d’une obligation de résultat et non d’une simple obligation de moyen. À titre d’illustration, les mesures que peuvent prendre les États pour mettre en oeuvre cette obligation peuvent inclure, sans y être limitées, l’adoption des mesures législatives interdisant et criminalisant le fait de faire participer les enfants de moins de 18 ans aux hostilités, l’établissement de la compétence des juridictions nationales pour connaître des violations de cette interdiction, la formation continue et renforcée des forces de défense en matière de respect des normes relatives à la protection de l’enfant et le contrôle systématique de l’âge de personnes qui souhaitent s’engager dans les forces armées.

B. Le renforcement de l’interdiction coutumière du recrutement et de l’utilisation des enfants dans les conflits armés : l’existence d’une coutume régionale plus protectrice

Il est aujourd’hui admis que l’interdiction de recruter les enfants de moins de 15 ans dans les forces ou les groupes armés et de les faire participer aux hostilités fait partie du DIH coutumier[145]. On soutient ici qu’il existe au niveau régional africain une coutume équivalente qui est plus protectrice que la coutume générale équivalente. Cette coutume régionale prévoit en substance ce qui suit : il est interdit de procéder au recrutement des enfants de moins de 18 ans dans les forces ou les groupes armés ou de les faire participer directement aux hostilités. Ainsi, alors que tant la participation directe que la participation indirecte sont interdites sur le plan conventionnel, seule la participation directe des enfants de moins de 18 ans est interdite sur le plan coutumier en Afrique. Toutefois, conformément à la coutume générale, la participation tant directe qu’indirecte des enfants âgés de moins de 15 ans est interdite par la coutume régionale recensée ici. Les lignes qui suivent analysent la pratique (1) et l’opinio juris (2) qui sous-tendent cette coutume.

1. La pratique

Pour établir et justifier l’existence d’une pratique générale conforme à la coutume régionale énoncée ci-dessus, on analysera quatre éléments : l’existence en Afrique d’instruments juridiques consacrant des normes allant dans le même sens que la coutume ici invoquée, l’état de la participation des États africains à des traités régionaux et universels interdisant le recrutement ou la participation des enfants dans les conflits armés, l’adoption par ces États des mesures nationales pour mettre en oeuvre les obligations que leur imposent à cet effet ces instruments et la baisse considérable du nombre de cas d’utilisation des enfants dans les conflits armés par les forces armées des États africains.

En ce qui concerne le premier point annoncé, plusieurs instruments juridiques régionaux africains interdisent le recrutement et la participation des enfants de moins de 18 ans dans les conflits armés. Il en est ainsi de la CADBE[146], du Protocole de Maputo[147] et de la Convention de Kampala[148]. Par ailleurs, le Protocole relatif à la CAJDHP criminalise, tant dans les CAI que dans les CANI,

le fait de procéder à la conscription ou à l’enrôlement d’enfants de moins de dix-huit ans dans les forces armées nationales ou dans des groupes armés ou de les faire participer activement à des hostilités[149].

En ce qui concerne l’état de la participation des États africains à ces traités, comme relevé plus haut, les traités régionaux qui consacrent l’interdiction du recrutement et de l’utilisation des enfants dans les conflits armés ont été signés et ratifiés par la grande majorité des États africains[150]. De plus, au plan international, les États africains sont tous parties à la Convention sur les pires formes de travail qui interdit le recrutement forcé ou obligatoire des personnes de moins de 18 ans en vue de leur utilisation dans des conflits armés[151]. Quant au Protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés qui, bien que formulé en des termes « lacunaires et alambiqués »[152], énonce quelques dispositions qui relèvent l’âge minimum du recrutement et de la participation des enfants dans les conflits à 18 ans, il a également été ratifié par la quasi-totalité des États africains[153].

Par ailleurs, conformément aux obligations que leur imposent les instruments juridiques régionaux et universels mentionnés ci-dessus, de nombreux États africains ont adopté des mesures législatives et diverses autres mesures pour empêcher le recrutement des enfants de moins de 18 ans dans leurs forces armées, ainsi que leur participation aux hostilités. En effet, l’engagement dans les forces armées de plusieurs États africains est réservé aux personnes âgées de 18 ans révolus[154]. De plus, la participation des enfants de moins de 18 ans dans les conflits armés est interdite et sanctionnée par les législations de plusieurs États. C’est le cas notamment des législations des États suivants dans lesquels ont été enregistrés de forts taux de recrutement et d’utilisation d’enfants dans les conflits armés et qui peuvent de ce fait être considérés comme des « États particulièrement intéressés »[155] par la question des enfants soldats : la RCA[156], la RDC[157], le Burundi[158], le Soudan du Sud[159], le Tchad[160], le Nigéria[161], l’Ouganda[162] et la Sierra Leone[163]. De même, entre 2016 et 2019, plusieurs États membres de l’UA engagés dans des conflits armés ont été inscrits par l’Organisation des Nations Unies (ONU) sur la liste des États ayant pris des mesures pratiques pour empêcher le recrutement et l’utilisation des enfants dans les hostilités[164]. Ces mesures englobent la conclusion de plan d’action pour empêcher l’utilisation des enfants dans les conflits armés, la conclusion d’engagements communs avec l’ONU à travers lesquels les parties concernées s’engagent à ne pas utiliser les enfants dans les conflits armés, la promotion de l’interdiction de l’utilisation des enfants dans les conflits armés auprès des forces armées[165].

Enfin, ces dernières années, on a enregistré une baisse considérable du nombre de cas d’utilisation des enfants dans les conflits armés par les forces armées des États africains engagés dans des conflits armés[166].

Cette pratique régionale contre l’utilisation d’enfants dans les conflits armés repose sur une ferme conviction qu’une règle juridique est en jeu.

2. L’opinio juris

Deux principaux éléments illustrent l’existence au plan régional africain d’une solide opinio juris quant au caractère juridique de la coutume mentionnée ci-dessus : l’adhésion sans réserve des États membres de l’UA aux dispositions régionales et universelles énoncées ci-dessus, ainsi que la ferme condamnation au plan régional africain du phénomène des enfants soldats.

En ce qui concerne le premier point, les dispositions mentionnées ci-dessus en soutien de la coutume régionale ici invoquée n’ont enregistré aucune réserve ou déclaration à l’effet de réduire l’âge limite s’appliquant à l’interdiction du recrutement et de l’utilisation des enfants dans les conflits armés. Bien au contraire, au moment de leur adhésion au Protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, de nombreux États africains ont fait des déclarations à l’effet de souligner qu’en vertu de leurs législations nationales, l’admission dans les forces armées nationales était réservée à des personnes âgées de 18 ans révolus[167]. Outre le fait que de telles déclarations illustrent la mise en oeuvre par ces États des dispositions régionales plus protectrices en la matière, elles démontrent leur volonté d’aller au-delà de ce qui est prévu par les dispositions souples énoncées par le Protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés pour assurer une meilleure protection aux enfants.

S’agissant du deuxième point annoncé, il importe de souligner que la Charte africaine de la jeunesse dispose en son article 17, paragraphe 1 d) que les États parties doivent « [c]ondamner par tous les moyens possibles […] la participation, l’implication, le recrutement de jeunes dans les conflits armés »[168]. Dans la mesure où cette disposition est au bénéfice non pas uniquement des plus âgés des enfants (c’est-à-dire de ceux âgés entre 15 ans et 18 ans), mais également des personnes âgées entre 18 ans et 35 ans[169] (c’est-à-dire des personnes qui ne sont plus des enfants), elle pourrait d’emblée être perçue comme entrant quelque peu en contradiction avec la CADBE et les législations nationales de plusieurs États qui n’interdisent pas l’utilisation des personnes âgées de 18 ans révolus dans les conflits armés. Toutefois, il convient de ne pas perdre de vue que l’article 29 de cette Charte dispose ce qui suit :

[a]ucune disposition dans la présente Charte ne devra être utilisée pour remettre en question des principes et des valeurs contenus dans d’autres instruments pertinents de promotion des droits de l’homme, ratifiés par les États concernés ou dans des lois ou des politiques rationnelles[170].

Cet article commande de considérer que les dispositions de l'article 17, paragraphe 1 d) visent davantage à exprimer la ferme opposition des États africains à l’utilisation des enfants dans les conflits armés sous quelque forme que ce soit. Elle matérialise en réalité le souci de l’Afrique de préserver sa jeunesse des conséquences néfastes des conflits armés afin de pouvoir « tirer pleinement profit de l’important dividende démographique qu’elle représente »[171]. À cet effet, elle devrait davantage être perçue, d’une part, comme un engagement des États africains à ne tolérer en aucune circonstance l’utilisation des enfants dans les conflits armés et, d’autre part, comme l’expression d’une certaine volonté de privilégier la participation des moins jeunes dans les conflits armés. Une telle interprétation est soutenue, d’une part, par le fait que la Charte africaine de la jeunesse jouit aujourd’hui d’un grand taux de signatures et de ratifications et, d’autre part, par le fait qu’aucun des États parties à la Charte n’a émis de réserve à l’égard de cette disposition.

De même, de multiples instruments de soft law adoptés par l’organisation régionale africaine sans aucune réserve de la part de ses États membres stigmatisent fortement le recrutement et l’utilisation des enfants dans les conflits armés et réaffirment l’obligation des parties belligérantes de s’abstenir de commettre ces faits[172]. Il en est ainsi de la Résolution sur le respect du droit international humanitaire et l'appui à l’action humanitaire dans les conflits armés[173] dans laquelle le Conseil des ministres de l’OUA s’est déclaré « [e]xtrêmement préoccupé par l’utilisation croissante des enfants dans les conflits armés »[174] et a lancé un ferme appel aux États membres et à toutes les parties engagées dans les conflits armés pour que soit mis fin au recrutement des enfants dans ces conflits[175]. De même, dans la Position commune africaine sur le Forum panafricain sur les enfants : « L’Afrique pour les enfants »[176], les États africains, après avoir souligné que « [l]a protection des enfants dans les situations de conflit et d’occupation étrangère est impérieuse »[177], proclament que des

mesures spéciales doivent être [prises] pour : [m]ettre fin à l’utilisation des enfants comme soldats, démobiliser tous les combattants âgés de moins de dix-huit ans et élaborer et mettre en oeuvre des programmes de réhabilitation et de réinsertion[178].

En outre, la Résolution sur la condition des enfants africains en situation de conflits armés qualifie expressément « l’utilisation des enfants dans les conflits armés [comme] une violation de leurs droits »[179] et ajoute qu’elle « devrait être assimilée à un crime de guerre »[180]. Ces dispositions témoignent de l’existence en Afrique d’une solide opinio juris quant au caractère illicite du recrutement et de l’utilisation des enfants dans les conflits armés.

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En somme, consciente de ce que les enfants nécessitent une protection particulière en situation de conflit armé et convaincue de ce que l’avenir du continent réside dans le bien-être de ses enfants[181], l’Afrique a produit des règles juridiques qui renforcent la protection juridique spéciale octroyée à ceux-ci par le DIH. L’analyse qui précède a notamment démontré que ces règles consacrent une définition uniforme et avancée du terme enfant sur laquelle les États pourraient se fonder pour étendre les protections que le DIH réserve à des enfants d’un certain âge à tous les enfants, quel que soit leur âge. On a également fait valoir que les règles régionales réaffirment les règles de DIH qui les ont précédées, tout en sauvegardant l’intégrité et la cohérence de ces dernières. En outre, on a pu démontrer que les règles régionales africaines, qu’il s’agisse des règles écrites ou des règles coutumières, sont plus progressistes que les règles équivalentes du DIH, en l’occurrence en ce qui concerne les normes régionales réglementant le phénomène du recrutement et de l’utilisation des enfants dans les conflits armés qui ne cesse de prendre de l’ampleur. On peut donc en conclure que les règles établies au niveau régional africain pour assurer une protection aux enfants en période de conflit armé complètent utilement les règles universelles de DIH et permettent ainsi à ce corpus juridique d’offrir des solutions à la hauteur des problèmes humanitaires que soulèvent la protection et l’assistance aux enfants dans les conflits armés. En conséquence, le plein respect et la mise en oeuvre efficace de ce cadre juridique permettraient certainement d’améliorer le sort des enfants victimes des conflits armés. En effet, si ce cadre juridique était parfaitement respecté de tous et correctement mis en oeuvre par toutes les parties impliquées dans les conflits armés, les problèmes humanitaires auxquels font face les enfants dans les conflits armés en Afrique ne se poseraient plus. Il s’avère dès lors urgent de renforcer la mise en oeuvre des règles relatives à la protection des enfants en Afrique, d’autant plus que « [c]hilren’s issue in Africa is a choiceless choice as there is no other continent whose future depends on children as Africa »[182]. Cela implique, entre autres, que les États africains qui à ce jour n’ont pas encore ratifié la CADBE et les autres instruments régionaux qui la complètent prennent les mesures nécessaires pour y adhérer dans les meilleurs délais et qu’ils procèdent à l’incorporation de ces instruments dans leurs ordres juridiques nationaux. De même, il est important que les protections que consacrent ces instruments soient promues et diffusées plus largement, d’un bout à l’autre du continent africain. Une bonne connaissance de ces protections pourrait en effet en favoriser un meilleur respect.