Résumés
Résumé
Le système original mis en place par la Convention européenne des droits de l’homme repose sur un équilibre délicat. Dans un premier temps, cet équilibre s’était opéré par la mise en place d’un mécanisme ménageant les susceptibilités nationales face aux objectifs ambitieux affichés par le projet européen. Le succès du système a conduit à la réforme portée par le Protocole n° 11, renforçant le caractère juridictionnel de celui-ci. Cependant, ayant coïncidé avec la chute du mur de Berlin et l’élargissement du Conseil de l’Europe, le système a dû faire face à des nouveaux défis : le nombre de requérants potentiels a dépassé 800 millions et l’adhésion de nouveaux États avec des systèmes politiques et juridiques en transition et des systèmes judiciaires en chantier a fait exploser le contentieux devant la Cour. Le processus lancé à Interlaken, il y a dix ans, a consolidé les capacités du système, d’autant que la Cour a su en profiter, d’une part en mettant en place des mesures et procédures innovantes et efficaces et, d’autre part, en engageant un dialogue avec les juridictions nationales. À l’issue du processus d’Interlaken et de la mise en vigueur des Protocoles n° 14, n° 15 et n° 16, la question se pose de savoir si les outils que ces instruments ont créés, si essentiels pour l’efficacité du système aujourd’hui, seront suffisants pour ménager les tensions à l’avenir. Le chantier sur l’avenir du système devra se pencher sur les synergies entre la Cour, le Comité des Ministres et les États parties, visant à donner au système de la Convention toutes les dimensions d’engagement dont celui-ci a besoin : la dimension juridictionnelle, avant tout, mais aussi celle de dialogue, de consultation, de coopération et de prévention. Ceci nécessitera une mobilisation coordonnée de l’ensemble des institutions du Conseil de l’Europe.
Abstract
The original system established by the European Convention on Human Rights is based on a delicate balance. Initially, this balance was achieved through the establishment of a mechanism sparing national susceptibilities in the face of the ambitious objectives displayed by the European project. The success of the system has led to the reform brought about by Protocol n° 11, strengthening its jurisdictional character. However, having coincided with the fall of the Berlin Wall and the enlargement of the Council of Europe, the system had to face new challenges: the number of potential applicants exceeded 800 million and the accession of new States with political and legal systems in transition and judicial systems under construction have caused litigation before the Court to explode. The process launched in Interlaken ten years ago has consolidated the capacities of the system, especially as the Court has been able to take advantage of it, on the one hand by putting in place innovative and effective measures and procedures and, on the other hand, by engaging in dialogue with national courts. Following the Interlaken process and the entry into force of Protocols n° 14, n° 15 and n° 16, the question arises as to whether the tools that these instruments have created, so essential for the effectiveness of the system today, will be sufficient to avoid tensions in the future. The groundwork for the future of the system will have to look at the synergies between the Court, the Committee of Ministers and the States Parties, aimed at giving the Convention system all the dimensions of engagement it needs: the jurisdictional dimension, above all, but also that of dialogue, consultation, cooperation and prevention. This will require a coordinated mobilization of all Council of Europe institutions.
Resumen
El sistema original establecido por la Convención Europea de Derechos Humanos se basa en un delicado equilibrio. Inicialmente, este equilibrio se logró mediante el establecimiento de un mecanismo que evita las susceptibilidades nacionales frente a los ambiciosos objetivos declarados por el proyecto europeo. El éxito del sistema ha traído la reforma propiciada por el Protocolo n° 11, fortaleciendo su carácter jurisdiccional. Sin embargo, habiendo coincidido con la caída del Muro de Berlín y la ampliación del Consejo de Europa, el sistema tuvo que afrontar nuevos retos: el número de potenciales solicitantes superó los 800 millones y la adhesión de nuevos Estados con sistemas políticos y legales en transición y sistemas judiciales en construcción han provocado el estallido de los litigios ante la Corte. El proceso iniciado en Interlaken hace diez años ha consolidado las capacidades del sistema, especialmente porque la Corte ha sabido aprovecharlo, por un lado, poniendo en marcha medidas y procedimientos innovadores y eficaces y, por otro lado, entablando un diálogo con los tribunales nacionales. Tras el proceso de Interlaken y la entrada en vigor de los Protocolos n° 14, n° 15 y n° 16, surge la pregunta de si las herramientas que han creado estos instrumentos, tan esenciales para la efectividad del sistema en la actualidad, serán suficientes para evitar tensiones en el futuro. El escenario sobre el futuro del sistema tendrá que considerar las sinergias entre la Corte, el Comité de Ministros y los Estados Parte, con el fin de darle al sistema de la Convención todas las dimensiones de participación que necesita: la dimensión jurisdiccional, sobre todo, pero también de diálogo, consulta, cooperación y prevención. Esto requerirá una movilización coordinada de todas las instituciones del Consejo de Europa.
Corps de l’article
Par ces temps troubles, où le monde en général – et l’Europe en particulier – font face à de nombreux défis, les leçons du passé s’avèrent particulièrement précieuses et instructives. L’adoption et l’entrée en vigueur de la Convention européenne des droits de l’homme[1] (ci-après, la Convention) constituent indéniablement l’un des moments les plus novateurs dans l’histoire tourmentée de l’unification européenne, en ce qu’elles placent les droits de l’Homme au centre d’un projet plus vaste visant une union économique et politique.
En effet, l’idée d’unité et de coopération se trouve au coeur tant du Statut du Conseil de l’Europe que du Préambule de la Convention : « Considérant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres et que l’un des moyens d’atteindre ce but est la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales »[2].
La Commission européenne des droits de l’homme (ci-après, la Commission) l’avait davantage explicité dans une des premières affaires interétatiques, l’affaire Autriche c Italie :
[E]n concluant la Convention, les États contractants n’ont pas voulu se concéder des droits et obligations réciproques utiles à la poursuite de leurs intérêts nationaux respectifs, mais réaliser les objectifs et idéaux du Conseil de l’Europe tels que les énonce le Statut, et instaurer un ordre public communautaire des libres démocraties d’Europe, afin de sauvegarder leur patrimoine commun de traditions politiques, d’idéaux, de liberté et de prééminence du droit[3].
Le 70e anniversaire de la Convention nous offre une belle occasion de saluer l’ampleur des changements qu’elle a apportés dans les relations internationales en Europe. Le mécanisme qu’elle a mis en place a mené à un ordre juridique nouveau en consacrant un droit de vigilance extérieur sur l’attitude de l’État envers ses propres ressortissants. Il n’est pas exagéré d’affirmer que la Convention a profondément modifié les approches de la diplomatie traditionnelle basées sur les rapports interétatiques, la protection diplomatique et la réciprocité.
Certes, le contexte était particulier et se prêtait probablement à des avancées spectaculaires. Marquée par la barbarie totalitaire et la guerre, la communauté internationale prenait en effet conscience du lien très fort entre le développement des relations interétatiques harmonieuses et le respect des droits de l’homme, au point que « ce respect était non plus une simple conséquence de la détente, mais l’une des conditions essentielles »[4] de la paix et de la prospérité du continent. De cette conviction est né un engagement impressionnant d’États souverains sur la base de textes juridiques tissant un réseau de plus en plus serré d’obligations internes et externes, d’une importance et d’une rigueur sans précédent, s’inscrivant dans un projet solidaire axé sur le respect de la personne humaine.
Si ce projet est déjà consacré dans le Statut du Conseil de l’Europe, c’est bien à la Convention que revient le mérite de l’avoir concrétisé, en apportant à l’Europe, encore en débris, un objectif – et déjà un devoir commun sans précédent – de réaliser un ordre public commun sur la base du respect des droits fondamentaux de l’homme. L’attractivité actuelle de l’Europe sur tous les plans, y compris économique, social et culturel, est d’ailleurs le résultat direct de ce nouvel ordre juridique commun établi il y a 70 ans qui est à juste titre considéré aujourd’hui comme corollaire de l’identité juridique et judiciaire européenne[5].
Le succès qu’a connu le système européen de protection des droits de l’homme[6] repose autant sur cet engagement des États membres du Conseil de l’Europe que sur un équilibre institutionnel savant qui a évolué au cours de ses 70 ans d’existence. C’est la préservation et l’adaptation de cet équilibre qui garantit l’efficacité à long terme de l’ensemble du mécanisme.
I. Le modèle institutionnel d’origine : une gestion réussie des susceptibilités
Le système complexe de la Convention faisait coexister à son origine diverses institutions qui gèrent d’une manière nuancée les relations entre les organes de la Convention et les Hautes Parties contractantes. Si le caractère juridictionnel du système a toujours été perçu comme son élément essentiel, le système dans son ensemble repose néanmoins sur un équilibre entre tous ses acteurs, dont la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après, la Cour) et jadis la Commission, les États contractants, le Comité des ministres, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, sans oublier les juridictions nationales et les individus porteurs de requêtes. Cet équilibre garantit l’efficacité et la longévité de l’ensemble.
À l’origine, l’équilibre s’était opéré par la mise en place d’un mécanisme ménageant les susceptibilités nationales face aux objectifs ambitieux affichés par le projet européen : le caractère facultatif de la juridiction obligatoire de la Cour et du droit du recours individuel, l’absence de pouvoir décisionnel de la Commission et, au contraire, la compétence décisionnelle du Comité des ministres composé des représentants du pouvoir exécutif des États membres.
La Commission, considérée à l’époque comme « l’élément pivot sur lequel est fondé tout le système de garantie institué par la Convention », était perçue comme la « pièce centrale qui commandait l’action des autres organes, et qui conférait à l’architecture d’ensemble toute son originalité en même temps que son efficacité »[7].
Ainsi, si à première vue, la requête ne se révélait pas dépourvue de tout fondement, la Commission avait pour mission de l’instruire de façon plus approfondie, en procédant le cas échéant à un examen contradictoire entre les parties. Une fois l’instruction achevée, elle jouait le rôle de conciliateur, s’efforçant d’obtenir un règlement amiable de l’affaire. La Commission s’en servit activement dans les affaires les plus complexes ou délicates, y compris dans les affaires interétatiques[8]. Entre 1992 et 1997, 242 règlements amiables furent conclus grâce à l’entremise de celle-ci.
Même s’il se concluait par un échec, le dialogue initié par la Commission en vue d’une tentative officielle de conciliation pouvait, dans certains cas, conduire à une solution non contentieuse de l’affaire lorsque celle-ci était pendante devant la Cour ou devant le Comité des ministres. Ainsi, dans l’affaire Becker c Belgique[9], une conciliation de fait fut intervenue alors que l’affaire était déjà pendante devant la Cour. Celle-ci accepta de rayer l’affaire du rôle à la suite de l’accord des parties moyennant une modification législative nécessaire[10]. De même, dans l’affaire Pataki et Dunshrin c Autriche, un règlement amiable de fait est intervenu : les négociations entreprises dans le cadre de la procédure de règlement amiable auraient précipité une modification de la législation autrichienne avant que le Comité des ministres n’eût statué sur le rapport de la Commission[11]. Le règlement amiable consacré par le Comité des ministres dans la première affaire Sargin et Yagci c Turquie dont la Cour n’avait pas pu être saisie, constitue un autre exemple remarquable en ce qu’il est fondé sur une série de réformes réalisées par le Gouvernement turc sur la base des faits établis par la Commission[12].
L’importance accordée à cette époque par les organes de la Convention à la phase de règlement amiable ne doit guère surprendre puisque celui-ci « amène un résultat conventionnel consensuel impliquant mesures individuelles et parfois générales de manière non triomphaliste »[13]. Cette procédure apparaît en effet, respectueuse tant de la Convention que du principe de subsidiarité qui la sous-tendent en ce qu’elle permet à l’État de proposer lui-même une solution conventionnelle au litige qui l’oppose au requérant sur la base des conclusions préliminaires des organes de la Convention.
En matière de protection des droits de l’homme, le règlement amiable est un mode de solution plus adapté et plus efficace que la sentence judiciaire. La persuasion sera plus bénéfique que la contrainte, à laquelle l’État pourra toujours en définitive se dérober. Il est alors bon qu’un organe ayant une fonction de conciliation occupe une place importante dans le système de la garantie[14].
La fonction de conciliateur n’est pas la seule soupape de sécurité de l’équilibre institutionnel de la Convention dont la Commission avait la charge. Son rapport sur l’existence ou non d’une violation d’un droit garanti par la Convention de la part de l’État mis en cause apparaissait comme une sorte d’avertissement solennel adressé à l’État intéressé, rappelant ses obligations et l’incitant à en tirer des enseignements pour se conformer à la Convention. Par ailleurs, sa décision de saisir la Cour plutôt que le Comité des ministres en donnait un autre signal à l’État défendeur, alors que son rapport fixait aussi le cadre du débat juridique sur la base duquel les parties au litige devant la Cour devraient se positionner. L’État défendeur pouvait gérer ainsi en amont les conséquences d’une éventuelle condamnation et préparer le terrain juridique et politique à toute décision de la Cour, ce qui facilitait aussi l’adoption des mesures nécessaires pour se conformer à ses arrêts. La gestion en amont par les États d’éventuelles condamnations était un autre élément important de l’équilibre du système, une sorte d’expectation management, nécessaire, voire indispensable, pour des relations internationales harmonieuses.
Le bilan de cette période permet de constater que le système était construit de manière à inciter l’État défendeur à régler le problème détecté au cours de la procédure sans passer systématiquement par une condamnation judiciaire[15] ou en tout cas avant celle-ci. Comme le montrent de nombreuses résolutions adoptées par le Comité des ministres en vertu de l’ancien article 54, le travail préparatoire accompli par la Commission faisait souvent en sorte que les problèmes structurels à l’origine des violations étaient réglés ou en passe de l’être au moment où la Cour rendait son arrêt.
Cette gestion réussie des susceptibilités des États parties renforça l’adhésion de ceux-ci au système : à partir du 22 janvier 1990[16], tous les États avaient systématiquement reconnu tant le droit de recours individuel que la juridiction obligatoire de la Cour, ce qui fit logiquement et naturellement naître la volonté d’évoluer vers un système véritablement juridictionnel. Le Protocole n° 11 a instauré une Cour unique fonctionnant à plein temps avec une compétence obligatoire à l’égard de tous les États membres et a consacré le droit de recours individuel obligatoire. Le Comité des ministres s’est vu retirer sa fonction quasi-juridictionnelle tout en gardant sa compétence de surveillance de l’exécution des arrêts. La Commission a été supprimée, quand bien même ses fonctions d’établissement des faits et de négociation de règlement amiable ont été transférées à la nouvelle Cour unique[17].
Le remarquable consensus politique et juridique à la base de cette réforme a non seulement consolidé les acquis du système, mais aussi renforcé davantage la confiance dans le mécanisme de la Convention et la garantie collective que celui-ci représente pour la sauvegarde des droits de l’homme et la paix en Europe.
II. La juridictionnalisation continue du système et son impact sur l’équilibre institutionnel
La réforme portée par le Protocole n° 11 a coïncidé avec l’élargissement du Conseil de l’Europe. La chute du mur de Berlin a en effet profondément transformé l’organisation, appelée à accueillir les États de l’Europe centrale et orientale. Les États-membres du Conseil de l’Europe ont plus que doublé depuis 1990, faisant de cette institution une organisation véritablement paneuropéenne.
La nature des défis auxquels le système réformé a dû faire face a évolué elle aussi. Le nombre de requérants potentiels a également doublé pour dépasser 800 millions. L’adhésion de nouveaux États avec des systèmes politiques et juridiques en transition et des systèmes judiciaires en chantier a fait exploser le contentieux devant la Cour. L’ampleur des problèmes structurels, aggravés par l’instabilité du droit national et l’absence de recours effectifs internes dans certains États-membres, a amené la Cour à se substituer de plus en plus au juge national et à statuer souvent en tant que juge de première instance, sans avoir le bénéfice de l’avis préalable de celui-ci.
Il est difficile de dire dans quelle mesure ces défis avaient été anticipés au moment des discussions de la réforme portée par le Protocole n° 11. Il est cependant clair que ses auteurs étaient bien soucieux de l’impératif de préserver l’équilibre au sein du système de la Convention et ont pris soin de munir la nouvelle Cour des compétences essentielles de la Commission en matière de filtrage, de missions d’enquête visant l’établissement des faits, y compris sur le terrain[18], et de négociation de règlements amiables entre requérants et États défendeurs[19]. La Cour unique en a d’ailleurs fait un usage régulier dans les premières années de son fonctionnement[20].
Parallèlement, le Conseil de l’Europe s’est doté d’une multitude d’instruments, conventionnels ou non, capables d’identifier, dans les domaines de leurs compétences respectives et selon des procédures définies et agréées, des dysfonctionnements et des insuffisances structurels par rapport à ce qu’on appelle désormais « les standards du Conseil de l’Europe » et qui sont en grande partie façonnés par la jurisprudence de la Cour. On peut mentionner à cet égard, sans être exhaustif, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants (CPT) qui a vu le jour déjà en 1989; la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI); la Commission européenne pour la démocratie par le droit, plus connue sous le nom de la Commission de Venise; le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales; la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ); les conseils consultatifs des juges et des procureurs européens (CCJE et CCPE); les organes de suivi des obligations des États-membres en matière de lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) ou contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO); enfin – et surtout – la mise en place du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe en 1999. Toutes ces institutions et d’autres encore dans le domaine de la lutte contre le crime économique et la corruption, témoignent du souci de l’Organisation de compléter les garanties établies par Convention, mais aussi, et surtout, de fournir aux États contractants et à la Cour elle-même un périmètre de sécurité où la situation sur le terrain est examinée en amont, le risque de violations des droits de l’homme signalé et les mesures adéquates recommandées aux États et discutées avec leurs autorités, évitant ainsi que des violations ne soient commises et que des affaires ne parviennent à la Cour.
Cette panoplie d’institutions consultatives et de suivi a été, au fil du temps, complétée par des programmes d’assistance ciblée aux États qui en ressentent le besoin ainsi que par des procédures de suivi politique, tant au niveau du Comité des ministres qu’au niveau de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Pourtant, tous ces instruments, instances et programmes susceptibles de régler en amont certains problèmes structurels à l’origine des violations des droits de l’homme n’ont pas pu empêcher l’explosion du contentieux devant la Cour. Subissant la pression de l’arriéré des requêtes et de l’inquiétude qui en résultait quant à l’efficacité du système, la nouvelle Cour a dû recourir à l’économie de procédure afin de dégager les ressources nécessaires à la hausse de sa productivité. Les efforts initiaux méritoires de la Cour dans la recherche active de solutions acceptables et durables aux problèmes structurels ont laissé progressivement place à un échange écrit et accéléré des mémoires entre les parties. La Cour ne disposait plus des ressources, du savoir-faire et de la disponibilité nécessaires pour enquêter sur le terrain[21] ou pour engager un véritable dialogue avec les parties. Ainsi, ses moyens de procéder à un diagnostic pluridimensionnel des sources des problèmes structurels afin de déclencher une interaction constructive entre la Cour elle-même, l’État-défendeur et les autres institutions du Conseil de l’Europe visant à l’élimination de tels problèmes se sont trouvés progressivement limités. L’explosion des litiges résultant de l’effet combiné de la juridictionnalisation du système et de l’élargissement spectaculaire du domaine géographique de la Convention[22], a laissé peu de place à une issue non contentieuse des différends.
De son côté, le Comité des ministres, dans sa mission de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour, a toujours exigé de l’État défendeur non seulement des mesures à caractère individuel pour effacer les conséquences de la violation pour la victime, mais également – et ce, de manière systématique – des mesures générales nécessaires pour éviter que des violations semblables aient lieu à l’avenir. Néanmoins, l’intervention du Comité des ministres n’a lieu que postérieurement au prononcé de l’arrêt et ne repose, en principe, que sur ce dernier. Certes, le Secrétariat général du Conseil de l’Europe, y compris son service de l’exécution des arrêts de la Cour, a, à maintes reprises, déployé des efforts pour engager un dialogue constructif avec l’État défendeur afin d’identifier, sous le contrôle du Comité des ministres, des solutions durables aux problèmes à l’origine des requêtes répétitives[23]. Cependant, ses moyens pour négocier avec les autorités directement responsables dont dépend la solution des problèmes structurels sur le terrain étant limités, le Comité a été souvent réduit à se prononcer sur la base d’une vision plutôt réduite du problème à l’origine de la violation.
En effet, les circonstances factuelles de l’arrêt dont il supervise l’exécution ne lui permettent souvent de voir ni l’étendue réelle du problème, ni ses causes profondes, ni sa portée actuelle, ni, surtout, les clefs de la solution ou les moyens d’y parvenir. Cette difficulté pour le Comité des ministres de s’engager dans un véritable processus d’accompagnement des autorités nationales de l’État défendeur à la recherche d’une solution définitive capable d’arrêter le flux de nouvelles requêtes fait qu’une telle solution ne peut venir, le plus souvent, que de l’État défendeur lui-même, et ce en fonction de sa volonté de s’attaquer au problème ou encore des moyens dont il dispose pour y parvenir. L’insistance du Comité sur « l’obligation de résultat » ou sa recherche de mesures à imposer en cas de retards dans l’exécution des arrêts de la Cour[24], sont certainement justifiées dans la logique de ses prérogatives, mais elles signalent en même temps les limites de celles-ci. Ce n’est pas par la surenchère des sanctions qu’on va amener un État à adhérer à une communauté des valeurs[25].
Conscients de ces difficultés, les organes de la Convention ont entrepris dès 2004 une tentative de rééquilibrage en accentuant notamment la compétence de la Cour d’identifier les arrêts qui révèlent des problèmes structurels sous-jacents. La Résolution adoptée au niveau ministériel le 12 mai 2004[26] a fait partie d’un nouveau paquet réformateur qui comprenait, hormis le Protocole n° 14 limité aux aspects procéduraux internes, une série de recommandations pour promouvoir des actions essentielles à l’efficacité à long terme du système de la Convention, notamment l’amélioration des recours internes, la vérification de la compatibilité des lois et des pratiques internes à la Convention, ainsi que la formation professionnelle[27].
Quelques mois à peine après la Résolution du Comité des ministres sur les problèmes structurels sous-jacents, la Cour mettait en place une audacieuse procédure d’« arrêt pilote », démontrant une fois de plus la capacité de la juridiction européenne à faire preuve d’imagination et à construire des voies lui permettant de relever de nombreux défis[28]. Les premiers succès de cette procédure ont été la preuve, s’il en fallait une, que l’équilibre du système repose sur la capacité des organes de la Convention et du Conseil de l’Europe, dans son ensemble, à agir de concert en s’appuyant à la fois sur la nature juridiquement contraignante de l’arrêt, sur l’établissement d’un bon diagnostic et la recherche subséquente de solution appropriée avec les autorités de l’Etat défendeur et sur l’assistance que le Conseil de l’Europe peut mettre, au besoin, à la disposition de ce dernier pour leur mise en application. Les arrêts pilotes, tels que Broniowski c Pologne[29] et Bourdov c Russie (no2)[30] sont des réussites remarquables grâce à une négociation et une préparation minutieuse des autorités nationales à leur réception. Ainsi, sous l’impulsion du greffe de la Cour et du service de l’exécution des arrêts, les autorités ont bien saisi la portée de l’arrêt, ont eu le temps de coordonner leur action, ont su mettre en place des recours internes effectifs, adapter les indemnités à verser aux victimes des violations aux exigences de la jurisprudence, et déclencher une réforme susceptible de régler le problème systémique à sa source[31].
Mais l’efficacité de la procédure pilote s’est très vite trouvée compromise par d’autres exemples, notamment par l’affaire Yuriy Nikolayevich Ivanov c Ukraine[32], preuve évidente de l’insuffisance du caractère contraignant d’un arrêt pour assurer, à lui seul et en l’absence d’une préparation adéquate, son exécution[33].
Même si le système n’a été confronté à aucun refus formel d’exécution d’un arrêt, le processus s’est progressivement heurté à des lenteurs et à des divergences d’interprétation mettant à l’épreuve son efficacité. Certains auteurs parlent ainsi de « nombreux blocages » en citant notamment les affaires exigeant la réouverture des enquêtes ou des procédures pénales ou enfin celles soulevant des problèmes structurels[34]. Or, au lieu de rechercher de véritables causes à ces « blocages », les solutions préconisées ont souvent été le lancement d’alertes et la prise des « sanctions plus sévères contre les États qui refusent de se conformer aux arrêts de la Cour »[35].
L’utilisation récente du recours en manquement, prévu au paragraphe 4 de l’article 46 de la Convention, dans un cas qui appelait des mesures individuelles urgentes, a permis d’obtenir le résultat exigé par l’arrêt[36] mais a aussi suscité des interrogations quant au potentiel de cet outil en matière d’exécution en cas de problèmes structurels. On a parfois estimé qu’un rôle plus actif de la Cour dans l’exécution de ses arrêts[37], voire même dans le développement de son pouvoir d’injonction au titre de l’article 46[38], était la solution. Il ne fait aucun doute qu’une attitude plus positive de la Cour quant aux mesures qu’elle-même juge nécessaires pour l’exécution d’un arrêt faciliterait la tâche de l’Etat défendeur et du Comité des ministres. Or, ni les injonctions de la Cour ni les sanctions sévères ne sont de nature à révéler les problèmes structurels à l’origine de la violation. Elles ne sont pas non plus suffisantes à elles seules pour convaincre l’État défendeur du besoin de s’y pencher et de trouver des solutions à la fois acceptables, durables et conformes à la Convention.
En revanche, du point de vue de la productivité et de la gestion du contentieux, la Cour a su pleinement profiter des opportunités supplémentaires offertes par le Protocole n° 14 dont l’entrée en vigueur (le 1er juin 2010) coïncidait de près de quelques mois avec d’autres initiatives importantes lancées à Interlaken (le 19 février 2010)[39]. Certes, on ne saurait limiter l’incidence et les conséquences de ces avancées aux seules données statistiques, qui sont par ailleurs impressionnantes. Même si l’impact sur la gestion des nouvelles affaires qui ne sont ni manifestement irrecevables ni répétitives reste modeste, la Cour a pu, grâce à ses nouvelles méthodes de travail, gérer son rôle et se prononcer plus rapidement sur un important stock d’affaires.
Néanmoins, les nouvelles approches en matière de gestion simplifiée et accélérée du contentieux n’ont pas facilité pour autant ni à la Cour ni au Comité des ministres ni aux États parties la recherche des solutions aux problèmes qui sont à l’origine des requêtes, et l’arrêt Burmych et autres c. Ukraine[40] en fournit une remarquable illustration. Par cet arrêt, la Cour s’est vue contrainte de rayer de son rôle plusieurs milliers de requêtes individuelles répétitives concernant l’inexécution des décisions des juridictions nationales après avoir réalisé que la multiplication des constats de violation, assortis de l’octroi systématique d’indemnisations pécuniaires[41], ne faisait qu’augmenter l’avalanche de ce type de requêtes sans aucune solution en vue. La Cour a donc préféré de rappeler qu’elle avait déjà dit tout ce qu’elle avait à dire sur ces affaires et que leur solution ne dépendait désormais que de l’État défendeur et du Comité des ministres. Elle a estimé qu’il n’était pas de son ressort de chercher à régler le problème à sa source. Cet arrêt qui a beaucoup surpris, voire déçu, la communauté juridique, n’en semble pas moins justifié par la façon dont les différentes tâches des organes de la Convention se sont cristallisées au cours des vingt années qui ont suivi la mise en place de la Cour unique en 1999.
En effet, la recherche de solutions durables présuppose une interaction qui par sa nature va au-delà de la procédure contentieuse devant la Cour et il semble qu’aujourd’hui les instruments nécessaires à cette interaction semblent être absents ou insuffisamment exploités. Dans les deux cas, ce défaut d’interaction conduit à des incompréhensions et à des critiques, autant juridiques que politiques. Ainsi, certaines discussions sont allées jusqu’à prendre à partie la Cour et ses arrêts pour dénoncer l’insuffisance d’équilibres et de contrepoids démocratiques dans le système[42], contester sa légitimité, voire réfléchir à un droit de « désaccord de principe » avec un arrêt de la Cour (principled non-compliance)[43]. La Cour s’est efforcée de son côté d’atténuer, souvent par des interventions ponctuelles de la Grande Chambre, les tensions résultant de certains arrêts qui se sont heurtés à des protestations majeures de l’opinion publique et des autorités défenderesses[44]. Néanmoins, ce genre d’incidents liés aux rapports de force entre la Cour et les États qui se soumettent à son contrôle continuent à fragiliser le système et font naître des interrogations sur la sécurité dans laquelle opère le mécanisme.
III. Le processus d’Interlaken : une réponse pragmatique et solide
La décennie, affectée par le processus d’Interlaken a été marquée par des tentatives d’équilibrage du système en vue d’atténuer les tensions croissantes. De l’affirmation sans équivoque de la volonté politique de préserver l’efficacité du système et du recours individuel, à Interlaken, le processus est passé à un rappel des principes de subsidiarité et de la marge d’appréciation, consignés désormais dans le Protocole n°15 à la Convention à la suite de la conférence de Brighton. Les appels à un meilleur dialogue entre la Cour et les juges nationaux ont amené à l’adoption d’un nouveau « protocole de dialogue », le Protocole n° 16 sur la procédure d’avis consultatifs. La conférence de Bruxelles, en 2015, a rappelé la responsabilité partagée des États en soulignant l’importance de l’exécution rapide et entière des arrêts de la Cour et de l’obligation d’appliquer la Convention en droit interne. Enfin, la Conférence de Copenhague a cherché à favoriser des équilibres et des contrepoids dans le système de la Convention à travers un dialogue plus attentif entre la Cour et les États parties.
Ces mesures visent surtout à donner corps au principe de subsidiarité en intensifiant le dialogue entre la Cour et les juridictions nationales ainsi qu’en renforçant leur capacité à traduire les standards conventionnels dans leur propre jurisprudence, bien avant qu’une affaire contentieuse ne soit portée devant la Cour[45]. Cette nouvelle approche de la subsidiarité a été explicitée dans une remarquable intervention du Juge Robert Spano, actuel Président de la Cour, lors de la Conférence de Kokkedal, qui a précédé la Conférence des Ministres de la Justice des Etats membres du Conseil de l’Europe à Copenhague[46].
Ces développements sont à la fois indispensables et opportuns, puisqu’ils renforcent le rôle des juges nationaux et favorisent ainsi la subsidiarité. Il convient toutefois de se demander s’ils sont suffisants pour rétablir l’équilibre au sein du mécanisme de la Convention. L’analyse de grands groupes d’affaires pendantes devant la Cour montre en effet que l’examen de ces requêtes s’accompagne souvent d’un constat d’absence de recours à épuiser au niveau national et donc d’absence de véritable intervention du pouvoir judiciaire. Certes, cette question ne passera pas inaperçue au moment de la surveillance de l’exécution de ces arrêts et le Comité des Ministres exigera la mise en place de tels recours avant de clore son examen de l’affaire. Or, cela prend souvent plusieurs années et la Cour reste, pendant ce temps, privée de toute possibilité de dialogue avec l’ordre judiciaire national et statue sur des centaines ou milliers d’affaires répétitives comme tribunal de première instance[47].
Faut-il en conclure, comme le font certains auteurs, que le système de la Convention est voué à un dysfonctionnement chronique et que les mesures prises pour améliorer sa performance ont manqué leur cible? Ou que le processus d’Interlaken fut une occasion manquée[48]?
Souscrire à de telles interrogations reviendrait à occulter les résultats d’une décennie de travaux intenses et de la réflexion sur le présent et l’avenir du système de la Convention. Bien au contraire, c’est le moment, une fois de plus, de rendre hommage à la Cour pour toutes les mesures rapides, innovantes et efficaces qu’elle a prises dans sa gestion du contentieux, répondant ainsi aux attentes et inquiétudes de la communauté juridique et politique européenne quant à l’encombrement de son rôle. Arrivée à plus de 160 000 affaires inscrites à son rôle au début de cette décennie, la Cour a pleinement profité de nouveaux moyens juridiques et outils informatiques extraordinaires pour réduire de presque deux tiers le nombre de requêtes pendantes[49]. La décennie d’Interlaken a notamment vu des progrès spectaculaires dans le traitement par la Cour des affaires manifestement irrecevables ainsi que des affaires fondées répétitives, notamment la mise en place du procédé one in-one out au niveau de la recevabilité et le traitement quasi-automatisé des affaires décidées conformément à une « jurisprudence bien établie »[50], désormais désignées comme « affaires WECL »[51] .
Cette action de la Cour, ainsi que les efforts du Comité des ministres dans le cadre de sa surveillance de l’exécution des arrêts, ont été soutenus et accompagnés, sans faille, par tous les États-membres à travers les conférences ministérielles précitées ainsi que par le Comité directeur pour les droits de l’homme du Conseil de l’Europe (CDDH), dont les réunions régulières rappelaient, à bien des égards, celles d’un comité des Hautes Parties contractantes.
Au-delà de ces résultats que d’aucuns traiteront de simples progrès statistiques, le processus d’Interlaken a surtout posé deux jalons pour des solutions à des problèmes plus profonds, à travers une approche efficace et pragmatique du principe de subsidiarité par la Cour et un renforcement du dialogue entre les juges de Strasbourg reflétés respectivement dans les Protocoles no 15 et no 16 à la Convention. Le développement des deux réseaux nécessaires à la promotion de la subsidiarité à travers une coopération paneuropéenne renforcée complète utilement le bilan de la décennie. Le Programme HELP (Human Rights Education for Legal Professionals)[52] du Conseil de l’Europe unissant toutes les écoles de magistrature et les barreaux européens et le Réseau des cours supérieurs[53] animé par la Cour élargissent désormais le cadre indispensable et fructueux de dialogue pluridimensionnel entre les acteurs de la Convention visant à bien l’intégrer dans le paysage du contentieux judiciaire européen relatif aux droits de l’homme et libertés fondamentales[54].
IV. En quête continue d’équilibre : une nouvelle dimension de la subsidiarité?
L’expérience des 70 ans du fonctionnement du système de la Convention montre que les solutions, suffisantes dans l’immédiat, risquent bien de se révéler insuffisantes dans un avenir qui n’est pas si lointain. À l’issue du processus d’Interlaken et de la mise vigueur des Protocoles no14, no15 et no16, la question qui restera toujours d’actualité sera de savoir si l’augmentation des capacités de traitement des affaires et le dialogue entre juges, si essentiels pour l’efficacité du système aujourd’hui, seront toujours suffisants à l’avenir. D’aucuns ont souligné à cet égard que
l’accroissement vertigineux, de même que la complexité du contentieux, concernant non plus une trentaine mais quarante-sept États, dont certains doivent faire face à des problèmes géopolitiques d’envergure, amènent à s’interroger sur l’adéquation à une réalité nouvelle et changeante d’une architecture institutionnelle qui demande à être, sinon changée de fond en comble, du moins sérieusement modifiée[55].
Pour répondre à cette question, il faut rappeler d’emblée que, dans ce système, « imposer » veut avant tout dire « convaincre » tous les acteurs clés dans les États parties et les engager dans un processus complexe de résolution de nombreux problèmes à l’origine des violations de la Convention constatées à Strasbourg. Il s’agit donc d’un processus dont l’enclenchement ne découle pas automatiquement du seul fait que l’arrêt est juridiquement contraignant en vertu de l’article 46 de la Convention. On ne saurait insister assez sur cet élément fondamental et unique du système, mais on ne saurait pas non plus considérer qu’il suffit à lui seul pour que le système réalise sa pleine performance. Un ordre juridique
[…] a toujours besoin, pour prétendre à la juridicité, pour affirmer son obligatoriété et accéder à l’effectivité non pas tant de la force contraignante ou coercitive qui traiterait les destinataires en force d’inertie ou de résistance, mais bien davantage de leur adhésion psychologique, intellectuelle, morale, affective[56].
Dans un système qui s’appuie essentiellement sur le caractère juridictionnel du mécanisme et sur le recours individuel, comment pouvons-nous dépasser le cadre limité d’un cas d’espèce pour amener l’État, dans le cadre strict de l’exécution d’un arrêt qui ne statue que sur ce cas particulier, à changer sa politique pénale[57] ou les règles applicables à sa planification budgétaire[58]? Par quel biais pouvons-nous placer dans le cadre de la résolution d’un litige particulier des considérations et des exigences liées à l’intérêt général de la Convention, objet principal de la « garantie collective », qui est à l’origine de la conception de la protection internationale et européenne des droits de l’homme ? Certes, la bonne volonté de l’État et notamment de ses juridictions nationales permet d’obtenir un meilleur respect de la Convention et de la jurisprudence de la Cour; mais dès qu’elle fait défaut apparaissent vites les limites du système.
La prise de conscience progressive de ces limites favorise l’idée qu’une solution à long terme ne peut être trouvée qu’en assurant des synergies capables de briser l’isolement institutionnel de la Cour, du Comité des Ministres et des États parties, en commençant par une nouvelle vision du principe de subsidiarité en redéfinissant sa portée – ou en revenant à son rôle originel – démarche qui va au-delà de son introduction dans le Préambule, aussi importante soit-elle. Contrairement à une vision répandue, le principe de subsidiarité ne peut être réduit à un simple conflit entre, d’une part, la marge d’appréciation des États et la compétence prioritaire des juridictions nationales dans l’application de la Convention et, d’autre part, l’harmonisation dynamique et évolutive de la protection des droits de l’homme et l’interprétation prétendument expansive, souvent critiquée, de la Convention en tant qu’« instrument vivant »[59].
Longtemps perçue comme un frein à l’harmonisation dynamique des droits de l’homme puisqu’associée à la doctrine d’autolimitation de la Cour[60], la subsidiarité doit au contraire être perçue comme un véhicule par lequel les normes de la Convention pénètrent dans les ordres juridiques nationaux en obtenant l’adhésion des acteurs nationaux qui se les approprient, car l’harmonisation sur le terrain de la Convention ne saurait être forcée ou subie. La subsidiarité doit être un outil au service de l’objectif à l’origine du projet du Conseil de l’Europe et de la Convention, à savoir celui de réaliser une union plus étroite entre ses membres par « la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Au lieu d’être un frein à l’harmonisation visée par cet ordre juridique, la subsidiarité est ainsi le moyen de légitimation des objectifs poursuivis.
Pendant longtemps nous avons pensé que la subsidiarité se manifestait par le seul biais de l’épuisement des voies de recours internes et du choix des moyens pour se conformer à l’obligation d’exécuter les arrêts de la Cour. Cette vision est certes vraie, mais elle paraît aussi incomplète et réductrice, dans la mesure où elle implique qu’entre le moment de l’épuisement des voies de recours internes et l’arrêt définitif de la Cour, l’État se trouve complètement dépossédé du litige, comme si la faute originelle qui l’avait empêché de constater la violation quand il en avait encore la possibilité en vertu de l’article 35 de la Convention, devait l’empêcher de la corriger pendant la procédure devant la Cour.
Pourtant, on l’a vu, le système de la Convention repose sur la volonté et la capacité de ceux qui en partagent la responsabilité d’agir de concert pour effacer les conséquences des violations et éviter qu’elles ne se répètent. Il n’est donc point indispensable d’avoir des condamnations pour ce faire. Tout au contraire, l’économie du système mis en place par la Convention, notamment la possibilité de règlements amiables, montre bien que cet objectif peut et doit être servi à tout moment, avant, pendant et après le litige[61]. Rien n’empêche de privilégier le « remède » de droit interne, même après la saisine de la Cour, et à tous les stades de sa procédure[62]; rien n’empêche non plus que des démarches soient engagées, avant même la saisine de la Cour, sur la base des conclusions des organes de suivi ou des organes consultatifs du Conseil de l’Europe, y compris par le biais de projets de coopération technique ciblée; rien n’empêche enfin que ces moyens soient déployés au moment de l’exécution de l’arrêt et que le Comité des ministres, dans ses fonctions de surveillance de l’exécution, en tienne compte.
Dans cette logique de subsidiarité omniprésente à tous les stades de la procédure que prévoit la Convention, le système de celle-ci ne saurait se résumer à sa seule composante contentieuse. Un basculement immédiat dans la procédure judiciaire ne fait que cristalliser le conflit, car il est de l’essence de cette procédure d’être « centrée sur les torts et les fautes »[63], de durcir les différences au lieu de les dénouer en explorant les issues possibles et conformes à la Convention. Vues sous cet angle, les améliorations apportées par Interlaken, notamment le dialogue renforcé entre la Cour et les juridictions nationales, ne suffisent pas pour développer les synergies et interactions, puisque ces synergies ne font pas partie de la procédure contentieuse devant la Cour. Or, jusqu’à présent, le processus d’Interlaken s’est concentré sur les aspects contentieux du mécanisme. Le périmètre non contentieux du système est mal défini et les instances qui s’y trouvent fonctionnent souvent sans « feuille de route », voire sans prendre entièrement conscience de leur rôle. Il apparait alors clairement que ce qu’il convient de développer est, d’une part, un mécanisme de dialogue et de règlement non contentieux intégré à la procédure devant la Cour; et d’autre part, un réseau actif de concertation et de coopération qui se positionnera avant et après le litige, et donc en dehors de la phase contentieuse.
Ces deux axes d’équilibrage du système ont d’autant plus d’attrait qu’ils ne nécessiteraient aucune modification de la Convention. Leur mise en place pourrait s’opérer par des décisions politiques ou même administratives.
Michel de Salvia, fort de sa longue expérience à la Commission, a récemment rappelé qu’
une protection réaliste des droits de l’homme […] doit s’appuyer à la fois sur le socle judiciaire de la Cour, mais également sur un organe qui puisse essayer de trouver des solutions acceptables par les parties en cause (règlements amiables et déclarations unilatérales). En fait, pareil organe, placé sous le contrôle de la Cour et qui pourrait aider à l’établissement des faits dans des affaires particulièrement délicates et complexes, devrait s’inspirer des techniques de l’ancienne Commission[64].
L’utilité d’une telle suggestion peut s’avérer encore plus grande lorsqu’il s’agit de requêtes interétatiques ou d’affaires individuelles tout aussi délicates et complexes, liées notamment à des situations de « conflits gelés ».
La question de savoir quelle institution ou quel corps assumerait ces tâches délicates apparait donc comme centrale, mais assez complexe, même pour les nostalgiques de l’ancienne Commission[65]. Dans ce contexte, certains se sont interrogés sur la pertinence de confier ce rôle à la Cour, compte tenu de son rôle qu’est de « dire le droit » et non de s’impliquer dans des procédures de conciliation. À l’appui de ces hésitations viendrait la constatation que la Cour semble hésiter à s’engager dans des procédures de négociation de règlements amiables qui contiendraient des engagements autres que financiers[66]. Sans entrer dans les détails, on ne peut que relever que le système de la Convention enregistre ici un retard important par rapport aux ordres juridiques internes qui offrent plusieurs modèles d’interaction entre les fonctions judiciaires et les modes alternatifs de règlement des litiges, qu’il s’agisse d’un juge conciliateur qui ne participe pas à la phase contentieuse ou d’un recours à des médiateurs extérieurs agissant sur instructions et sous le contrôle du juge[67].
Quel que soit le modèle choisi, l’entité qui se chargerait de cette procédure devrait associer le greffe de la Cour et les services compétents du Secrétariat général du Conseil de l’Europe du fait de leur expérience plus étendue de la négociation avec les autorités des États membres au sujet des mesures à prendre pour assurer la compatibilité du droit national avec la Convention.
***
À première vue, et en l’absence d’un changement dans l’architecture institutionnelle de la Convention mettant en place un nouvel organe ou attribuant des tâches de conciliation à une institution existante, une telle entité ne pourrait être placée que sous l’autorité du/de la Secrétaire général.e. En fait, le/la Secrétaire général.e est non seulement responsable des programmes d’assistance ciblée aux États membres du Conseil de l’Europe, mais assume des responsabilités propres au titre de la Convention[68]. De plus, il/elle est également responsable du fonctionnement de toutes les autres institutions consultatives ou de suivi qui pourraient, de manière coordonnée et conformément à leurs compétences propres, initier le dialogue avec les parties au moment de l’introduction de la requête, dès la communication de celle-ci. Ce sont ces mêmes institutions qui, au stade de l’exécution de l’arrêt, pourraient, dans le cadre de leur interaction avec l’État concerné, proposer ou recommander des mesures susceptibles de toucher les sources des litiges et d’obtenir une mise en conformité systémique avec la Convention. La Cour, elle-même, a vu dans le fonctionnement de ces organes consultatifs et de suivi un allié de qualité et reconnu le formidable potentiel d’un concept de mécanisme de la Convention qui dépasserait le cadre institutionnel de la Cour et du Comité des ministres et associerait ces autres instances dans un système intégré, plus cohérent, plus dynamique et plus performant. Les échanges réguliers entre les juges et ces instances initiés depuis 2018, sous l’impulsion du Président Linos-Alexandre Sicilianos, constituent un pas résolu dans cette direction.
Ainsi, la phase non contentieuse[69], combinée avec un rôle actif des instances et programmes dont le fonctionnement et la coordination sont assurés par le/la Secrétaire général.e, pourraient mobiliser « les forces vives » des États parties concernés et les engager ainsi à se pencher plus vite et de manière plus approfondie sur le problème afin de tirer un plus grand bénéfice de l’expertise et des activités du Conseil de l’Europe. Serait-il exagéré de penser, d’ailleurs, qu’un tel élargissement du périmètre de sécurité autour du contentieux permettrait à l’Union européenne d’adhérer à la Convention sans se sentir obligée de prendre de nombreuses précautions techniques pour assurer l’autonomie du droit de l’Union?
En tous cas, un chantier d’une telle envergure exigerait l’engagement continu et sans faille de tous les acteurs du Conseil de l’Europe et de tous ses États membres. Et il ne pourrait en être autrement parce que le bon fonctionnement du système unique que constitue la Convention repose non seulement « sur la qualité, la rigueur et la cohérence des arrêts de la Cour » mais aussi sur « l’acceptation qui s’ensuit par tous les acteurs du système, y compris les gouvernements, les parlements, les juridictions nationales, les requérants et le grand public[70] », et qu’un équilibre durable au sein du système est dans l’intérêt de tous.
Parties annexes
Notes
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[1]
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 RTNU 221, art 39 à la p 233 (entrée en vigueur : 3 septembre 1953) [CEDH].
-
[2]
Statut du Conseil de l'Europe, 5 mai 1949, STE no 001 (entrée en vigueur : 3 août 1949), arts 1 et 3.
-
[3]
Autriche c Italie (1961), 7 CEDH 23.
-
[4]
Marcelino Oreja, « Souveraineté des États et respect des droits de l’homme » dans Gérard J Wiarda et al, Protection des droits de l’homme : la dimension européenne : Mélanges en l’honneur de Gérard J. Wiarda, Köln, C Heymann, 1988.
-
[5]
Conseil de l'Europe, Human Rights Education for Legal Professionals, communiqué, « 2019 HELP Annual Network Conference: HELP celebrated the 70th anniversary of the Council of Europe » (4‑5 juillet 2019), en ligne : Council of Europe <www.coe.int/en/web/help/-/2019-help-annual-network-conference-help-celebrated-the-70th-anniversary-of-the-council-of-europe>.
-
[6]
Gérard Cohen-Johnathan et Jean-François Flauss, dir, Le rayonnement international de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2005.
-
[7]
François Monconduit, La Commission européenne des droits de l’Homme, Leyden, A.W. Sijthoff, 1965 à la p 47.
-
[8]
Voir aussi Conseil de l'Europe, CEDH, France, Norvège, Danemark, Suède, Pays-Bas c Turquie, rapport de la Commission (1985).
-
[9]
Becker c Belgique (1962), CEDH (Sér A).
-
[10]
Il s’agissait de la modification de l’article 123 sexies du Code pénal belge qui était en contradiction avec l’article 10 de la Convention.
-
[11]
Résolution relative à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 6 mai 1963 concernant les arrêts Pataki et Dunshirn c Autriche, Rés (63) DH 2, (1963); il s’agissait en l’espèce du caractère non contradictoire de la procédure d’appel en matière pénale. La modification législative est intervenue sur le rapport de la Commission et avant que la Cour ne statue.
-
[12]
Résolution DH relative à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 14 décembre 1994 concernant les requêtes Sargin et Yagci c Turquie, Rés DH (93) 59, (1993).
-
[13]
Nicolas Bratza et Michael O’Boyle, « The legacy of the Commission to the New Court under the Protocol no. 11 » dans Carl Aage Nørgaard et al, The Birth of European Human Rights Law: Liber Amicorum: Studies in Honour of Carl Aage Nørgaard, 1998 377 à la p 386.
-
[14]
François Monconduit, supra note 7 à la p 548.
-
[15]
Comme le remarquait à juste titre François Monconduit, « l’intérêt de l’individu est que son gouvernement soit convaincu de respecter ses droits, et non pas condamné » dans « La fonction de l’enquête et de l’instruction » (1969) 2 R des Dr de l'H 208 à la p 220.
-
[16]
Date de la déclaration du gouvernement turc portant reconnaissance de la compétence obligatoire de la Cour.
-
[17]
Le défi que cette réforme a constitué pour la Cour a été remarquablement rappelé récemment par le président de la Cour R Spano dans un hommage rendu à un autre président de la Cour, L Wildhaber, qui était en fonction au moment de l’entrée en vigueur du Protocole n° 11; voir Robert Spano, « Luzius Wildhaber (1937-2020), President of the European Court of Human Rights: A Tribute » (16 septembre 2020), en ligne (blogue) : EJIL: Talk! <www.ejiltalk.org/luzius-wildhaber-1937-2020-president-of-the-european-court-of-human-rights-a-tribute/>.
-
[18]
Voir Conseil de l'Europe, Cour européenne des droits de l'Homme, Règlement de la Cour, 1er janvier 2020, Annexe au règlement (concernant les enquêtes).
-
[19]
Voir CEDH, supra note 1; Conseil de l'Europe, ibid, art 62.
-
[20]
Entre 1999 et 2007, la Cour a effectué des enquêtes sur le terrain en vertu de l’article 38 aux fins d’établissement des faits de la cause. Pour ce qui est des négociations des règlements amiables, voir le rôle actif remarquablement joué par la Cour et son greffe dans l’affaire Danemark c Turquie (règlement amiable), n°34382/97, [2000] IV CEDH 13.
-
[21]
La fonction d’enquête sur le terrain, qui jadis amenait la Commission et la Cour au contact direct avec les réalités dans les États membres, a été, de fait, abandonnée à partir de 2007; la dernière mission d’enquête remonte à l’instruction de l’affaire Davydov et autres c Ukraine (satisfaction équitable), no17674/02 (1er juillet 2010) aux para 6-9, et les auditions des témoins à Strasbourg se sont faites rarissimes (la dernière audition remonte à 2016 lors de l’instruction des affaires Abu Zubaydah c Lituanie (satisfaction équitable), no46454/11 (31 mai 2018) aux para 9-12, et Al Nashiri c Roumanie (satisfaction équitable), no33234/12 (31 mai 2018) aux para 11-13.
-
[22]
La Convention s’applique non seulement de Reykjavik à Vladivostok, mais aussi dans d’autres points du globe, tels que la Nouvelle-Calédonie (Le Calvez c France, no25554/94, [1998] V CEDH), les Caraïbes (Murray c Pays-Bas [GC], n°10511/10 (26 avril 2016)) et la côte méditerranéenne de l’Afrique (N.D. et N.T. c Espagne [GC], n°8675/15 (13 février 2020)), sans parler de cas de l’exercice par des États contractants d’une juridiction extraterritoriale.
-
[23]
Voir Conseil de l'Europe, Comité des ministres, « Mandat du Service de l’exécution des arrêts », en ligne : Council of Europe <rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016805a997d>, qui a fait mention expresse de son rôle dans la coopération avec les autorités nationales.
-
[24]
Conseil de l'Europe, Comité des Ministres, Réponses en cas de lenteur ou de négligence dans la mise en oeuvre d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme ou en cas de non-exécution de celui-ci, CM (2003)37-rév 6 (2004); Conseil de l'Europe, Comité directeur pour les droits de l'Homme, 67e sess, Propositions pratiques pour la surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour en cas de lenteur dans l’exécution, CDDH(2008)014 Addendum II (2008).
-
[25]
Dès le début de l’histoire de la Convention, d’éminents protagonistes, tels que Henri Rolin, faisaient bien remarquer les limites de l’approche souvent désignée par l’expression anglaise name and shame : « […] nous devons nous débarrasser de cette conception romantique selon laquelle la Convention n’aurait plein succès que si nous pouvons inscrire le nom de certains États au banc de l’infamie », « [l]a protection internationale des droits de l’homme dans le cadre européen », Colloque présenté à Strasbourg, 14 et 15 novembre 1960, Annales de la Faculté de droit et des sciences économiques de Strasbourg, Paris, Librairie Dalloz, (1961) à la p 413.
-
[26]
Résolution du Comité des ministres sur les arrêts qui révèlent un problème structurel sous-jacent, Res(2004)03, 114e sess (2004).
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[27]
Voir la liste exhaustive des textes dans CEDH : Conseil de l’Europe, Direction générale des droits de l'Homme, Mise en oeuvre et contrôle, « Garantir l’efficacité de la Convention européenne des Droits de l’Homme : Recueil de textes », [2004].
-
[28]
Cette procédure a été codifiée depuis à l’article 61 du Règlement de la Cour; voir aussi Conseil de l'Europe, « Les arrêts pilotes » (mai 2020), en ligne (pdf) : CEDH <www.echr.coe.int/Documents/FS_Pilot_judgments_FRA.pdf>.
-
[29]
Broniowski c Pologne [GC], no31443/96, [2004] V CEDH 85; Conseil de l'Europe, Comité des Ministres, Résolution intérimaire relative à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 22 juin 2004 (Grande Chambre) dans l'affaire Broniowski contre la Pologne, ResDH(2005)58 (2005); Conseil de l'Europe, Comité des Ministres, Exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme Bronioski contre Pologne, Résolution finale CM/ResDH(2009)89 (2009).
-
[30]
Bourdov c Russie (no 2) (satisfaction équitable), no33509/04, [2009] I CEDH 121; Conseil de l'Europe, Comité des Ministres, Exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans 145 affaires contre la Fédération de Russie concernant le manquement ou le retard substantiel à l’obligation de se conformer à des arrêts internes définitifs rendus contre l’État et ses entités, ainsi que l’absence de recours effectif, Rés intérimaire CM/ResDH(2009)43 (2009); Conseil de l'Europe, Comité des Ministres, Exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme dans l’affaire Burdov n°2 contre la Fédération de Russie concernant un manquement à l'obligation de se conformer à des arrêts internes définitifs rendus contre l’Etat et ses entités ou des retards substantiels pour ce faire, ainsi que l’absence de recours effectif à cet égard, Rés intérimaire CM/ResDH(2009)158 (2009); Conseil de l'Europe, Comité des Ministres, Exécution de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Burdov n°2 contre Fédération de Russie concernant l’inexécution ou les retards sérieux d’exécution de décisions de justice interne définitives rendues contre l’État et ses entités et l’absence de recours effectif à cet égard, Rés intérimaire CM/ResDH(2011)293 (2011); Conseil de l'Europe, Comité des Ministres, Exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme dans 235 affaires contre Fédération de Russie, Rés finale CM/ResDH(2016)268 (2016).
-
[31]
Parmi d’autres exemples de synergies réussis entre la Cour et les autres instances du Conseil de l’Europe, on peut citer Neshkov et autres c Bulgarie (satisfaction équitable), no36925/10 (27 janvier 2015) et Torreggiani et autres c Italie (satisfaction équitable), no43517/09 (8 janvier 2013) adoptés dans le contexte du projet financé par HRTF intitulé « Mise en oeuvre des arrêts pilotes, "quasi-pilotes" ou révélant des problèmes systémiques et structurels dans le domaine de la détention préventive et mise en place de solutions pour faire face aux conditions de détention »; voir Bureau de la Direction Générale des Programmes, « Conditions de détention difficiles », en ligne : Conseil de l'Europe <www.coe.int/fr/web/programmes/implementing-pilot-quasi-pilot-judgements-and-judgements-revealing-systemic-and-structural-problems-in-the-field-of-detention-on-remand-and-remedies-to-challenge-detention-conditions>.
-
[32]
Yuriy Nikolayevich Ivanov c Ukraine [GC] (satisfaction équitable), n°40450/04 (15 octobre 2009); Burmych et autres c Ukraine (radiation) [GC], no46852/13 (12 octobre 2017).
-
[33]
Un autre arrêt pilote, Greens et M. T. c Royaume-Uni (satisfaction équitable), n°60041/08, [2010] VI CEDH 81, concernant le vote des détenus purgeant une peine privative de liberté, a fait l’objet d’objections politiques inattendues au moment où il a été rendu. En effet, la décision de recourir à la procédure de l’arrêt pilote n’avait pas été véritablement contestée par le Gouvernement défendeur devant la Cour mais s’est heurtée par la suite à la fin de non-recevoir votée unanimement par la Chambre des communes.
-
[34]
Voir pour de nombreux exemples cités dans Élizabeth Lambert Abdelgawad, L’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, Strasbourg, Éditions du Conseil de l'Europe, 2014.
-
[35]
Commission des questions juridiques et des droits de l’Homme, AS/Jur(2015)17, 8e rapport à la p 17.
-
[36]
Ilgar Mammadov c Azerbaïdjan (no2) (satisfaction équitable), no919/15 (16 novembre 2017); Ilgar Mammadov c Azerbaïdjan (satisfaction équitable), n°15172/13 (22 mai 2014); CEDH, Restriction des droits à des fins non autorisées, Rés CM/ResDH(2020)178, [2014].
-
[37]
Janeke Gerards, « The Pilot Judgment Procedure before the European Court of Human Rights as an Instrument of Dialogue » dans Monica Claes, Constitutional Conversations in Europe, Anvers-Oxford-Portland, Intersentia, 2012; Conseil de l'Europe, Cour européenne des droits de l'Homme, « Implementation of the judgments of the European Court of Human Rights: a Shared Responsibility? », Dialogue between Judges: Proceedings of the seminar, (31 janvier 2014).
-
[38]
Linos-Alexander Sicilianos, « The Role of the European Court of Human Rights in the Execution of its own Judgments: Reflections on Article 46 ECHR » dans Anja Seibert-Fohr et Mark E Villiger, dir, Judgments of the European Court of Human Rights – Effects and Implementation, Luxembourg, Nomos, 2015 285.
-
[39]
Conférence de haut niveau sur l'avenir de la Cour européenne des droits de l'Homme, Déclaration d'Interlaken, 2010.
-
[40]
Burmych et autres c Ukraine, supra note 32.
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[41]
Sur l’inversion chronologique progressive entre la restitution et l’indemnisation pécuniaire dans la pratique de la Cour et du Comité des ministres ainsi que sur ses effets dans le système de la Convention, voir M Lobov, « Restitutio in integrum in the system of the European Convention on Human Rights » dans Olga Chernishova et Mikhail Lobov, Russia and the European Courtof Human Rights: a decade of change. Essays in honour of judge Anatoly Kovler, Nimègue, Wolf Legal Publishers, 2013 77.
-
[42]
Mikael Rask Madsen et Jonas Christoffersen, « The European Court of Human Rights’ View of the Draft Copenhagen Declaration » (23 février 2018), en ligne (blogue) : EJIL: Talk! <www.ejiltalk.org/the-european-court-of-human-rights-view-of-the-draft-copenhagen-declaration/>.
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[43]
Andreas Føllesdal, « Legitimacy Challenges – and What to Do about Them » dans Conseil de l'Europe, Direction générale des droits de l'homme et l'État de droit, Conférence sur l’avenir à long terme de la Cour européenne des droits de l’homme : actes, Oslo, H/Inf(2014)1, 7-8 avril 2014 78.
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[44]
Voir par ex, les arrêts de chambre ayant précédé les arrêts Lautsi et autres c Italie [GC], no30814/06, [2011] III CEDH 1 (extraits); Konstantin Markin c Russie [GC], no30078/06, [2012] III CEDH 1 (extraits).
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[45]
Ces mesures combinaient, entre autres, la possibilité de demander à la Cour des avis consultatifs, prévue par le Protocole n°16, avec les initiatives prises en parallèle par la Cour elle-même en vue de créer des réseaux informels et volontaires incluant les juridictions suprêmes des États contractants pour échanger des informations sur leurs jurisprudences respectives.
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[46]
Robert Spano, « The Future of the European Court of Human Rights – Subsidiarity, Process-based Review and Rule of Law » (2018) Hum Rts L R 18:3 473.
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[47]
Pour ne citer qu’un seul exemple : plus de 700 affaires répétitives décidées par la Cour en 18 ans depuis Kalachnikov c Russie, no47095/99, [2002] VI CEDH 135, et ce, malgré l’arrêt pilote Ananyev et autres c Russie, no42525/07 (10 janvier 2012) jusqu’au règlement partiel du problème acté dans Shmelev et autres c Russie (déc), no41743/17 (17 mars 2020).
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[48]
Stefanos Xenofontos, « The End of the Interlaken Process: A (yet another) Missed Opportunity to Guarantee the Long-Term Future of the ECtHR? » (29 avril 2020), en ligne (blogue) : Strasbourg Observers <strasbourgobservers.com/2020/04/29/the-end-of-the-interlaken-process-a-yet-another-missed-opportunity-to-guarantee-the-long-term-future-of-the-ecthr/>.
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[49]
Avec plus d’un million et demi de requérants individuels passés devant la Commission et la Cour en 70 ans et une centaine de milliers d’affaires que celles-ci ont tranchées par des constats d’une ou plusieurs violations de la part de tous les 47 Etats européens, le système juridictionnel de la Convention se place devant toutes les autres juridictions internationales, ce qui en soi témoigne de son rayonnement exceptionnel et constitue donc un acquis considérable qui doit être largement attribué aux réformes réalisées par les Protocoles no11 et no14. En outre, la Cour reste de loin le tribunal le plus cité du monde.
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[50]
Hasan Bakirci, « Case Management: European Court of Human Rights » dans Max Planck Encyclopedia of International Procedural Law, Oxford University Press, 2019 au para 11.
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[51]
« WECL » est une abréviation commune signifiant « well established case-law », un label permettant une procédure de jugement accéléré et sommaire sur la base d’une jurisprudence bien établie par la Cour.
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[52]
Pour en savoir plus, voir « Human Rights Education for Legal Professionals », en ligne : Council of Europe <www.coe.int/web/help/home>.
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[53]
« Réseau des cours supérieures », en ligne : Cour européenne des droits de l'homme <echr.coe.int/Pages/home.aspx?p=court/dialoguecourts/network&c=fre>.
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[54]
En 1997, Pierre-Henri Imbert, directeur général des droits de l’homme entre le 1993 et 2005, soulignait qu’on « ne pourra véritablement parler de « succès » [de la Convention] que lorsque les normes et la jurisprudence européennes auront profondément et largement pénétré dans les différents systèmes juridiques nationaux », faisant ainsi du juge interne le premier juge de la Convention; voir Pierre-Henri Imbert, « Colloque : La Cour européenne des droits de l'homme: Organisation et procédure. Questions concernant la mise en oeuvre du Protocole n° 11 à la Convention européenne des Droits de l’Homme », Centre des droits de l’homme, Université de Potsdam, 19-20 septembre 1997, dans Quelques réflexions autour des droits de l'homme, Strasbourg, Recueil du Conseil de l'Europe, H/Inf (2006)2, 2005 à la p 149.
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[55]
Michele de Salvia, « La révolution annoncée des Protocoles nos 11, 14, 15 et 16 ou la métamorphose judiciaire espérée » (2020) 31:121 R trimestrielle des Dr de l’homme 107 à la p 117.
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[56]
Etienne Picard, « "Science du droit" ou "doctrine juridique" » dans Roland Drago et Jean-Bernard Auby, Unité du droit : Mélanges en hommage à Roland Drago, Paris, Economica, 1996 à la p 119.
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[57]
La question se pose quasiment dans toutes les affaires concernant les mauvaises conditions de détention. Dans la plupart des pays, cette surpopulation carcérale est due notamment à la politique trop répressive en matière de trafic et de consommation de drogue; voir pour un exemple concret Stella et autres c Italie (déc), no49169/09 (16 septembre 2014).
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[58]
La première mesure adoptée par la Fédération de Russie pour résoudre le problème de l’inexécution des décisions de justice internes rendues contre l’État et ses entités, le problème étant qu’il n’y avait pas de correspondance entre l’entité débitrice d’un paiement social et l’entité bénéficiaire des fonds budgétaires y affectés. Cet exemple montre bien que le véritable problème était non pas l’inexécution des décisions de justice internes mais l’absence de mécanisme en droit interne rendant exécutables certains droits matériels prévus par celui-ci.
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[59]
Cette question fait régulièrement objet de débats et de publications. Pour n’en citer que quelques exemples – voir Frédéric Sudre, dir, Le principe de subsidiarité au sens du droit de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Nemesis, 2014; Sébastien Touzé, dir, La Cour européenne des droits de l’homme : une confiance nécessaire pour une autorité renforcée, Paris, A. Pedone, 2016.
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[60]
Voir en particulier Guido Raimondi, « L’activisme et la retenue judiciaire au sein de la CourEDH : deux faces de la même pièce », Colloque en l’honneur de Paul Mahoney à l’occasion de son 70e anniversaire, présenté au Palais des Droits de l'Homme, 9 septembre 2016, (2016) 22 Hum Rts J 249.
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[61]
Voir dans ce sens, Élisabeth Lambert et Anna Stepanova, « Les décisions et arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme prenant acte d’un règlement amiable ou d’une déclaration unilatérale : un modèle d’homologation judiciaire approfondie » (2020) 31:122 R trimestrielle des Dr de l’homme 6.
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[62]
CEDH, supra note 1, art 39§1.
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[63]
Marc Guillaume et al, Plaidoyer pour la médiation, Paris, Descartes & Cie 2017 à la p 62.
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[64]
Michel de Salvia, supra note 55 à la p 119.
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[65]
Un temps, on a songé au Commissaire aux droits de l’homme pour assumer ce rôle. Or, la promesse ne semble pas avoir été tenue malgré l’augmentation récente de ses interventions dans la procédure devant la Cour.
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[66]
En effet, depuis l’adoption du Protocole n°11, le nombre de règlements amiable a baissé pour remonter depuis quelques temps de manière spectaculaire. Or, l’examen plus attentif des statistiques montre que cette remontée est due aux affaires répétitives réglées par le biais des règlements amiables ou déclarations unilatérales limités à une offre financière. Les exemples dans lesquels le gouvernement défendeur va au-delà du paiement d’une somme d’argent sont possibles mais restent limités – voir par ex Battista et autres c Italie (déc), no22045/14, [2017] VI CEDH 493; les exemples dans lesquels le greffe accepte de jouer un rôle actif dans les négociations entre les parties restent extrêmement rares, voire exceptionnels; voir Association religieuse « témoins de Jehovah – Roumanie » et autres c Roumanie (déc), no63108/00 (11 juillet 2006) et Broniowski c Pologne, supra note 29 au para 5).
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[67]
Conseil de l'Europe, Commission européenne pour l’efficacité de la justice, Contractualisation et processus judiciaires en Europe (état de situation en 2009), CEPEJ(2010)10; voir aussi Conseil de l'Europe, Commission européenne pour l'efficacité, Outils médiation de la CEPEJ, (2020), en ligne : Conseil de l'Europe <www.coe.int/fr/web/cepej/mediation-tools>; au niveau de l’Union européenne, voir CE, Directive n°2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, [2008] JO L 136/3 au para 3; voir aussi Union européenne, Parlement européen, Rebooting the mediation directive: assessing the limited impact of its implementation and proposing measures to increase the number of mediations in the EU, 2014; au niveau des Nations Unies, voir Renforcement du rôle de la médiation dans le règlement pacifique des différends, la prévention et le règlement des conflits, Rés AG 65/283, Doc off AG NU, 65e sess (2011) et le Rapport du Secrétaire général sur le renforcement du rôle de la médiation dans le règlement pacifique des différends et la prévention et le règlement des conflits, Doc off AG NU, 66e sess, Doc NU A/66/811 (2012).
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[68]
CEDH, supra note 1, art 52; cet article est resté inappliqué jusqu’en 2000 mais depuis il tend à évoluer vers une véritable mission de contrôle, au-delà d’une simple collecte d’informations, sans pour autant investir le/la Secrétaire général d’un pouvoir décisionnel; voir sur l’évolution du rôle de l’institution du Secrétaire général, Mihaela Ailincai, Le suivi du respect des droits de l’homme au sein du Conseil de l’Europe, contribution à la théorie du contrôle international, Paris, Pedone, 2012 aux pp 128-37.
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[69]
Cette phase a été mise en place à titre expérimental par la Cour depuis le 1er janvier 2019; voir Conseil de l'Europe, communiqué, CEDH/437, « La CEDH va expérimenter une nouvelle pratique prévoyant une phase non-contentieuse spécifique » (2018), en ligne (pdf) : CEDH <hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf?library=ECHR&id=003-6283391-8191708&filename=La%20Cour%20teste%20une%20phase%20non-contentieuse%20%E0%20compter%20du%2001.01.2019.pdf>.
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[70]
L’avenir à plus long terme du système de la Convention européenne des droits de l’homme. Conseil de l'Europe, Comité directeur pour les droits de l'homme, Rapport, CDDH (2015) R84 (2016) §96 et 195 ii).